La manchette du Droit du 28 septembre 2016
J'ai 70 ans, j'ai toujours vécu dans la région de la capitale canadienne - les 29 premières années du côté ontarien, les 41 suivantes sur la rive québécoise - et je ne me souviens pas d'une seule manifestation publique d'anglophones en faveur du bilinguisme officiel pour la ville d'Ottawa…
Les insultes reçues dans ma jeunesse - se faire traiter de frog, se faire occasionnellement gifler avec un speak white - ça je m'en rappelle. Et depuis le début de ma carrière journalistique en 1969 (année de l'adoption de la Loi sur les langues officielles), j'ai lu et relu dans les quotidiens anglais de la capitale des tonnes de lettres hostiles, voire haineuses, envers les francophones et le Québec…
Alors quand j'ai vu en manchette du journal Le Droit du 28 septembre un titre affirmant que «67% des Ottaviens disent oui au bilinguisme officiel» (voir bit.ly/2dhZXN2), cela m'a fait sursauter. Comment se fait-il que je ne l'aie jamais vue sur la place publique, cette légion d'anglophones favorables au «bilinguisme officiel» d'Ottawa? Se peut-il que seuls les «anti-bilingues» s'expriment ouvertement?
Ou, au fond, y a-t-il quelque chose qui cloche dans cette nouvelle… Je penche pour cette hypothèse…
Commençons d'abord par tout ce que le quotidien n'a pas dit au sujet du sondage de la société Nanos, réalisé à la mi-juillet pour l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario et l'organisme Ottawa bilingue. Le texte ne mentionne pas que les répondants francophones appuient le bilinguisme municipal officiel à 88% alors que les anglophones y sont favorables dans une proportion de 63%. Et que ce 63% se divise entre ceux qui sont «pour» le bilinguisme (48,7%) et les «plutôt pour», les appuis mous ou conditionnels (14,5%).
Et qui sont-ils au juste ces répondants anglophones? La nouvelle du Droit ne précise pas - et c'est une donnée très importante - que 57% de l'échantillon anglophone se dit bilingue, contre seulement 43% d'unilingues anglais. Or dans la vraie vie d'Ottawa, selon le recensement fédéral, beaucoup plus fiable, environ 70% des anglophones de la capitale sont unilingues anglais. La proportion de bilingues oscille autour de 30%. C'est appréciable, et bien supérieur aux autres régions anglophones du Canada, mais très, très loin du 57% du sondage Nanos…
Le sondage ne dit pas s'il y a une différence d'attitudes entre les anglophones bilingues et les anglophones unilingues, mais il est légitime de se poser la question et d'avancer l'hypothèse que les bilingues pourraient être plus naturellement disposés à soutenir le bilinguisme officiel de la capitale. Si ce n'est pas le cas, la société Nanos aurait avantage à mettre les points sur les «i»… Avec 70% d'unilingues parmi les répondants anglophones, au lieu de 43%, les résultats auraient peut-être été différents. Peut-être pas. Enfin… on ne le sait pas.
Dans l'échantillon de répondants, près de 90% des francophones s'affichent bilingues, ce qui correspond à peu près aux proportions énoncées dans le recensement fédéral de 2011. Un détail surprenant: environ 9% des répondants de langue française se disent opposés au bilinguisme officiel de la ville.
En 2012, un sondage Léger pour l'Association d'études canadiennes avait révélé que dans la région d'Ottawa, le bilinguisme était considéré comme source de fierté par seulement 42% des anglophones (contre 85% des francophones), et qu'à peine 23% des répondants anglophones d'Ottawa se disaient préoccupés par le sort de la langue française.
Je ne doute pas qu'il existe un fort contingent d'anglophones francophiles qui appuient un statut officiel égal pour le français à Ottawa, mais quand arrive le temps de se faire entendre, ils sont très silencieux… Cela me fait croire que dans le contexte actuel, avec des médias de langue anglaise largement anti-français à Ottawa, dans un débat les voix les plus sonores seraient majoritairement hostiles aux revendications des francophones…
Le maire Watson, qui s'oppose toujours au bilinguisme officiel pour sa ville, connaît bien son opinion publique…
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* Le site Web de CBC Ottawa présente depuis le matin du 29 septembre une analyse (bit.ly/2dbxQ5O) des enjeux du bilinguisme officiel à Ottawa. Un texte au ton modéré, offert par le réseau d'État en langue anglaise, où les élans francophobes sont plus rares que dans la presse écrite de la capitale… À la fin du texte, il y a un sondage maison (tout à fait non scientifique). En soirée du 29, à la question «Ottawa devrait-elle être officiellement bilingue?», environ 65% disaient «non», et un peu plus de 30% «oui»… Encore un noyautage des rednecks?
* Lien au sondage Nanos - bit.ly/2cZZPQq