dimanche 31 janvier 2016

Paroles en musique comme outil, comme arme...

Samedi, je roulais avec mon épouse, en route vers Montréal, écoutant quelques albums emmagasinés sur mon iPod.

Ginette lisait un roman. Je conduisais… jusqu'à notre pause-café habituelle à la montée Lavigne, sur l'autoroute 40; depuis Gatineau, juste assez de temps pour apprécier deux disques, Légendes d'un peuple (le collectif), une offrande magnifique qui aurait dû mériter le Félix de l'album de l'année 2014, et les Grands succès de Jean Ferrat.

Parfois, on se laisse bercer par la musique et les rythmes. Mais en ce gris 30 janvier, j'étais captivé par les paroles, par la puissance des mots et expressions de la langue française quand ils se font l'outil d'un fin artisan, voire l'arme d'un artiste engagé.

La semaine dernière, un chroniqueur du quotidien LeDroit, Denis Gratton, avait osé mentionner que la majorité des candidats et candidates à l'émission La Voix chantaient en anglais, et que les présentations en français semblaient davantage rejetées. Il n'en fallut pas plus pour qu'on l'injurie…

Nos stations de radio «francophones?» privées ont compris… Aux heures de forte écoute, elles nous inondent de pièces en anglais, sans doute perçues étant davantage attrayantes pour les auditoires de langue française. Et certaines se plaignent même de ne pas pouvoir angliciser davantage leur répertoire musical…

Mais en songeant au groupe d'artistes autour d'Alexandre Belliard et aux classiques de Jean Ferrat, je me suis dit que même si les goûts musicaux ne se discutent pas, les ondes publiques et privées devraient être obligées d'offrir au public - au moins de temps en temps -  autre chose que certaines des platitudes (je m'excuse…) qui nous nous assomment jour après jour…

Quand avez-vous entendu à la radio, récemment, aux heures de pointe de l'écoute, des paroles comme…

Quand on demande à la liberté de montrer ses papiers à cinq heures du matin… (Libertés surveillées, paroles de Gérald Godin, Collectif d'un peuple)

Et qui sait pour quelles semailles, quand la grève, épousant la rue, bat la muraille… (Au printemps de quoi rêvais-tu?, Jean Ferrat)

Celle qui possède en or que ses nuits blanches pour la lutte obstinée de ce temps quotidien... (Ma France, Jean Ferrat)

Les fleurs n'y vivent pas et la mort ne recueille pour moisson, que le foin oublié du faucheur (La tombe ignorée, paroles du poète Eudore Évanturel, Collectif d'un peuple)

À peine voit-on ses enfants naître qu'il faut déjà les embrasser, et l'on n'étend plus aux fenêtres qu'une jeunesse à repasser… (On ne voit pas le temps passer, Jean Ferrat)

On vit l'Espagne rouge de sang, crier dans un monde immobile… (Maria, chanson au sujet de la guerre civile espagnole, Jean Ferrat)

Nous sommes pays de main tendue, vers l'avenir, vers l'inconnu… (L'homme rapaillé, chanson sur Gaston Miron, par Alexandre Belliard, Collectif d'un peuple)

J'ai refermé sur toi mes bras, et tant je t'aime que j'en tremble…(Nous dormirons ensemble, Jean Ferrat)

Comment peut-on s'imaginer, en voyant un vol d'hirondelles, que l'automne vient d'arriver? (La montagne, Jean Ferrat)

Ces chansons qui parlent d'histoire, de combat, de justice, d'amour, d'avenir, des saisons, de la vie, certaines des années 1960, d'autres contemporaines, font partie d'un héritage culturel précieux, menacé, et que l'anglicisation de nos ondes radio-télé-Web (et de notre société) risque de folkloriser et marginaliser…

Dans quelques générations, en restera-t-il plusieurs, ici, dans notre coin d'Amérique, pour manier comme Belliard et son collectif, comme Ferrat, comme Vigneault, Léveillée et bien d'autres, cette merveilleuse langue qui a été et reste le coeur de ce que nous sommes, collectivement et individuellement?

L'idée de voir un jour (très lointain?) les oeuvres des artistes francophones confinées aux tablettes et disques durs de nos musées me fait frémir… Puis j'ouvre la radio commerciale, et je frémis davantage… Heureusement j'ai toujours mon iPod dans l'auto…



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