vendredi 29 janvier 2016

Après avoir lu «Les journalistes»...


Au mois de mai 2014, le texte de blogue à l'origine de mon congédiement comme éditorialiste au quotidien Le Droit (alors membre de l'empire Power/Gesca) soulevait des enjeux essentiels pour les journalistes d'ici. 

Intitulé Le silence assourdissant des salles de rédaction et rédigé après l'annonce, par André Desmarais, coprésident de Power Corporation, d'une fermeture à moyen terme des six quotidiens régionaux de Gesca y compris Le Droit, ce cri du coeur réclamait notamment un débat public sur:

* l'avenir de six quotidiens régionauxLe Soleil (Québec), Le Quotidien (Saguenay), Le Nouvelliste (Trois-Rivières), La Tribune (Sherbrooke), La Voix de l'Est (Granby) et Le Droit (Gatineau-Ottawa);

* l'avenir de la presse papier face aux des plates-formes numériques, un sujet largement escamoté dans l'engouement tous azimuts pour les tablettes et téléphones intelligents;

* certaines valeurs au coeur de notre univers médiatique; le droit du public à l'information, un droit constitutionnel, doit-il être laissé à la merci des marchés et des modèles d'affaires?

la qualité de nos produits d'information dans un contexte de coupes (espace rédactionnel, effectifs);

l'apathie, l'engourdissement, le silence perçu dans les salles de rédaction de Gesca après l'annonce de la fermeture éventuelle de plus de la moitié des quotidiens imprimés du Québec.

* l'éducation; un taux d'analphabétisme fonctionnel qui avoisine les 50% (un peu plus chez les francophones) peut-il, au moins en partie, être responsable du déclin ou de la stagnation des lectorats?

* la situation particulière du Droit, y compris son rôle de promotion de la langue française dans une région où elle est menacée.

On pourrait ajouter à cette liste la censure et l'autocensure, Le Droit et les autres quotidiens de Gesca, dont La Presse, n'ayant publié aucune information sur mon congédiement et ses séquelles, y compris la prise de position publique de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), ainsi que les interventions de quelques personnalités (dont le chef du PQ, Pierre-Karl Péladeau).

Quand, en 2015, l'animateur Guy A. Lepage a confronté Martin Cauchon de Capitales Médias à ce sujet dans le cadre de Tout le monde en parle), je crois que le chroniqueur Richard Therrien du Soleil l'a enfin mentionné.



Le Droit avait également censuré la prise de position publique des syndicats de ses propres employés à la suite de l'annonce d'André Desmarais, et j'ai appris par la suite qu'au moins quelques lettres écrites à la rubrique des lecteurs après mon départ n'avaient pas été publiées. S'ajoute à cette censure une déclaration d'explications farfelue du PDG du Droit, présentée sur Facebook, que je savais fausse et que, de toute façon, personne n'a crue...

Et il faut inclure sans faute comme enjeu primordial la liberté de parole des journalistes, éditorialistes et chroniqueurs, syndiqués ou pas, face aux changements qui menacent l'avenir de leurs médias et du journalisme. J'ai exercé une liberté que je croyais acquise depuis longtemps, pour défendre l'avenir de mon quotidien, et on m'a mis à la porte…



Si je reviens sur cette affaire au début de 2016, c'est que j'ai fini de lire le livre Les journalistes (http://bit.ly/1RmNzex), qui fait le point sur l'état actuel des médias et du journalisme au Québec... et ailleurs. Voici ce qu'on annonce sur le dos du livre, sous le titre Pour la survie du journalisme:

«Fermeture de quotidiens et de magazines, changements radicaux dans les habitudes de consommation de l'information, pertes d'emploi massives ou détérioration des conditions de travail des journalistes, révolution numérique: les médias traversent depuis dix ans une crise sans précédent.»


Une vingtaine de journalistes sous la direction de Robert Maltais et Pierre Cayouette y abordent sur près de 300 pages à peu près tous les enjeux soulevés par mon texte de blogue du 19 mai 2014, ainsi que la censure, l'autocensure et la liberté de parole… On y parle aussi de Power Corp, de Gesca, et de la vente à Capitales Médias en 2015 des six quotidiens menacés...

Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi nulle part, de la page 1 à la page 290, on n'a jugé bon ou pertinent d'évoquer l'unique cas d'un éditorialiste congédié par un quotidien d'une grande chaîne, Gesca à l'époque, pour s'être exprimé en public sur plusieurs des grands thèmes qui sont soumis à la loupe de ce collectif de lumières journalistiques…

Si l'un des auteurs prend connaissance de ce texte de blogue, je le prierais de m'éclairer…

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Je me permets de citer la conclusion de la chronique de Stéphane Baillargeon, dans Le Devoir du 2 juin 2014:

«La philosophe Hannah Arendt a une autre recommandation primordiale que tous les journalistes devraient méditer: "La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat."

«Les faits, ici, maintenant, c'est que Pierre Allard a été congédié pour avoir défendu son journal, souhaité un débat et déploré un assourdissant silence. Un silence qui en dit beaucoup.»

…et qui se poursuit.

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J'inclus enfin des liens à une série de textes utiles pour la compréhension de l'affaire:

15 mai 2014 - La Presse abandonnera le papier, confirme Power (dans ce texte André Desmarais annonce la fermeture éventuelle des quotidiens régionaux) - http://bit.ly/1n1Pm5F

19 mai 2014 - Le silence assourdissant des salles de rédaction (le texte de blogue qui a entraîné mon congédiement) - http://bit.ly/S9UxqL

22 mai 2014 - Prise de position des syndicats du Droit (censurée par Le Droit)

30 mai 2014 - le congédiement, par le rédacteur en chef qui invoque comme seul motif le texte de blogue du 19 mai.

1er juin 2014 - Rétablir les faits!, texte de blogue rédigé après l'intervention du PDG du Droit sur Facebook - http://bit.ly/1nTiT41

4 juin 2014 - Bravo à la FPJQ-Outaouaishttp://bit.ly/S9RnCE

5 juin 2014 - Des regrets? Non… et oui…http://bit.ly/Uo2M46

18 novembre 2014 - L'âme éteinte de la résistance, texte d'opinion que j'ai signé dans Le Devoir après avoir reçu le Grand prix de journalisme Olivar-Asselin de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (nouvelle également passée sous silence dans les quotidiens de Gesca y compris Le Droit) - http://bit.ly/1t83L1n





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