jeudi 13 mars 2014

Le bilinguisme collectif, étape vers l'assimilation

                               Image de radio-canada.ca

À moins d'analyser les recensements fédéraux, il est difficile de comprendre la dynamique de l'assimilation à l'anglais, qui touche depuis toujours les francophones hors-Québec mais qui existe aussi dans certaines régions du Québec, notamment en Outaouais et dans la grande région montréalaise.

Ça donne un texte pas mal « plate » à lire quand on veut tenter de l'expliquer, mais si on ne va pas gratter les recoins statistiques, Philippe Couillard et ses semblables continueront d'affirmer faussement que les Québécois francophones devraient tous pouvoir devenir bilingues et que cela ne constitue pas une menace à la progression et à la pérennité du français. Et il y aura toujours plein de monde pour sourire béatement et dire : ben oui, ç'a ben du bon sens...

(parenthèse immédiate... Je ne suis pas contre le bilinguisme ou le plurilinguisme. Au contraire. Apprendre plus d'une langue, par choix, constitue un enrichissement. Je suis contre notre forme de bilinguisme, imposé, qui permet aux anglophones de fonctionner uniquement en anglais et oblige les francophones à fonctionner dans les deux langues, et qui mène droit à l'assimilation. Fin de la parenthèse)

Posons d'abord la question suivante: pourquoi les gens apprennent-ils une langue autre que leur langue maternelle? J'aimerais bien que la réponse soit toujours : par choix. Mais le plus souvent, et c'est le cas ici au Canada et en Amérique du Nord, une seconde langue s'impose, et c'est le plus souvent l'anglais, sauf dans les régions du Québec où il existe de fortes proportions d'unilingues français.

J'avais rencontré, il y a une quinzaine d'années, un officier anglophone du JAG canadien (un major dans l'aviation, originaire de la Nouvelle-Écosse je crois) et lors de l'interview que j'avais faite avec lui pour un magazine, j'avais noté qu'il parlait un très bon français avec l'accent de la rue (pas d'un cours Berlitz...). Je lui ai demandé où il l'avait appris, et il m'a dit qu'il avait été posté au Saguenay pendant un certain temps, et que pour fonctionner là-bas, la connaissance du français était essentielle... En quelques mois à peine, il se débrouillait fort bien.

Mais ce genre d'exemple est malheureusement rare. Le contraire est la norme. Hors Québec, sauf quelques régions comme la péninsule acadienne ou quelques coins francophones de l'Ontario, la connaissance de l'anglais est imposée tant à l'école que partout dans la vraie vie. Même au Québec, l'anglais a été très longtemps la langue de travail et du commerce dans plusieurs milieux, en particulier dans la métropole, et l'adoption croissante de l'anglais comme langue commune internationale (en plus de vivre dans un contexte nord-américain unilingue anglais) incite toujours à privilégier cette langue.

Mais ce n'est pas de ça que je veux discuter ici. C'est du lien très direct entre bilinguisme collectif et assimilation à l'anglais, dans le contexte québécois et canadien. À la fin de 2012, après publication des données linguistiques détaillées du recensement de 2011, j'avais analysé 132 subdivisions de recensement des régions outaouaises et montréalaises (incluant les zones limitrophes de l'île de Montréal), ainsi que des régions ontariennes à plus forte concentration de francophones. Des 132 subdivisions québécoises, plus de 80 affichaient soit un recul du français (66) ou une croissance plus rapide de l'anglais (19). Mais je ne les avais scrutées que sous l'angle de l'assimilation (différence entre langue maternelle et langue d'usage).

Ces derniers jours, je les ai revues sous l'éclairage du nombre d'unilingues et de bilingues (francophones et anglophones) et la corrélation est évidente : plus les francophones sont bilingues, plus la dynamique linguistique favorise soit un recul du français en chiffres absolus ou en proportion. Je me contenterai de quelques exemples, mais quiconque veut s'astreindre à lire des colonnes de chiffres dans le recensement de 2011 pourra le vérifier et trouver ses propres exemples.

En Outaouais

Allons d'abord faire un tour en Outaouais, dans le Pontiac, la région québécoise où le français est sans doute le plus mal en point. Arrêtons-nous à Campbell's Bay, un des centres administratifs du comté, où les francophones forment près de 40% de la population selon la langue maternelle, mais seulement 25% en utilisant le critère de la langue la plus souvent parlée à la maison. Un taux d'assimilation de plus de 30% ! No soyez pas surpris d'apprendre que plus de 90% des francophones sont bilingues, contre seulement le tiers des anglophones... Deux tiers des anglophones y restent unilingues anglais !

Revenons un peu plus en direction de Gatineau, au village de Bryson, où les francophones forment près de la moitié de la population (langue maternelle), mais seulement le tiers selon la langue d'usage. Taux d'assimilation : 30% ! Encore là, plus de 90% des francophones sont bilingues... pendant que près de 70% des anglophones sont unilingues anglais. Et nous sommes au Québec!

La municipalité de Pontiac se situe presque en banlieue ouest de Gatineau. Les francophones y sont majoritaires (56%) selon la langue maternelle, et tout juste majoritaires (51,7%) selon la langue d'usage. Le taux d'assimilation s'approche de 10%. Les statistiques du bilinguisme sont encore là probantes, quoique moins dramatiques. Plus de 75% des francophones sont bilingues, contre à peine 40% des anglophones. Dans un milieu majoritairement francophone, environ 60% des anglophones restent unilingues anglais...

La même dynamique existe dans la Basse-Gatineau. Dans le village de Low, au nord de Gatineau, 62% des anglophones sont unilingues et 80% des francophones sont bilingues... Aussi ne se surprendra-t-on pas d'apprendre que les francophones qui forment 41% de la population selon la langue maternelle, sont réduits à 35% en utilisant les chiffres de la langue d'usage. Un taux d'assimilation de 15%...

Gatineau et Ottawa

À Gatineau même, il est plus difficile de tirer des conclusions aussi claires à cause du nombre élevé de gens de langues maternelles autres que le français et l'anglais (près de 10% de la population). Les chiffres du recensement y démontrent un attrait plus fort de l'anglais qui passe de 11% (langue maternelle) à 13,4% selon la langue d'usage.

Le peu de gains (à peine 1%) du français à Gatineau (entre langue maternelle et langue d'usage) indique que la majorité des transferts linguistiques des allophones profitent à l'anglais, et que 75 à 80% des francophones sont bilingues. Et le nombre élevé de répondants qui ne connaissent que l'anglais comme langue officielle (plus de 17 000) dans une ville de 265 000 personnes où il n'y a que 29 000 anglophones atteste certainement d'un fort pourcentage d'unilingues chez ces derniers.

En face, de l'autre côté de la rivière, à Ottawa, les francophones sont bilingues à 90 % et le taux d'assimilation dépasse les 30%. Les anglophones y sont plus bilingues que la moyenne, le taux de connaissance du français atteignant sans doute le tiers, mais la vaste majorité reste unilingue.

Région montréalaise

Dans la région montréalaise, le français connaît des reculs mesurables dans certains secteurs, notamment l'ensemble de l'ouest de l'île et certaines villes environnantes, telle Vaudreuil-Dorion. Encore là, ce sont dans ces régions qu'on trouve les plus fortes proportions de francophones bilingues (entre un peu plus de 40% à Vaudreuil-Dorion et plus de 80% dans certains coins du West Island). Dans toutes les villes de l'Ouest de l'île, les taux d'assimilation sont inquiétants et la force d'attraction de l'anglais est évidente.

Prescott-Russell, en Ontario

Même dans l'extrême pointe est de l'Ontario, dans les comtés de Prescott-Russell, entre Ottawa et la frontière québécoise, où les francophones sont fortement majoritaires, leur niveau de bilinguisme est vastement supérieur à celui des anglophones, et les chiffres démontrent que c'est minorité qui gruge les effectifs des francophones. Dans Alfred-Plantagenet, par exemple, une région rurale où les francophones forment plus de 75% de la population, ces dernier sont bilingues à 75%, tandis que la minorité anglophone est unilingue à plus de 70%...

Le bilinguisme:  une étape, pas une destination

Récemment, un des mes amis dans le Pontiac m'envoyait par courriel l'annonce unilingue anglaise du mariage d'un couple aux prénoms anglais et aux noms de famille français. Cela doit servir à nous rappeler que de nombreux unilingues anglais, en Outaouais, en Ontario, ont eu des parents bilingues et des grands-parents francophones. Leurs parents bilingues ont été la dernière génération de bilingues. Les enfants étaient assimilés et sont maintenant anglophones. Voilà où mène le bilinguisme collectif dans nos milieux... Les chiffres, de recensement en recensement, démontrent clairement que le bilinguisme collectif n'est pas une destination, mais une étape vers l'assimilation et l'extinction.

Et c'est cela qui arrivera au Québec sur plusieurs générations si Philippe Couillard réussit à bilinguiser l'ensemble des Québécois. Notre français déjà appauvri, que nous tentons de renforcer par l'éducation et par la francisation au travail, n'aura plus guère d'utilité et les transferts linguistiques s'accéléreront. Quand, un jour, nous ne serons plus la majorité au Québec, et cela pourrait arriver, j'ai peine à imaginer le sort que la new majority nous réservera...









  





5 commentaires:

  1. j'ai un ami d'enfance demeurant sur la rive-sud de Montréal "francophone" son nom de famille Lysight, prononcé a l'anglaise,il trouve ça normal et tout mes amis et moi aussi. J'ai une connaissance du nom de Aubé demeurant dans la région d'Ottawa lui son nom se prononce Hobee et surtout ne lui dite pas Aubé vous allez l'insulter. Ils sont plusieurs comme ça, ils ont hontes de leur nom.

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    1. J'en ai connu moi aussi. Une de mes ex-belles-soeurs donnait des prénoms anglais à ses enfants. Elle était d'origine acadienne. Et le nom de famille des enfants est typiquement francophone québécois. Ca fait bizarre.

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  2. "Hors Québec, sauf quelques régions comme la péninsule acadienne ou quelques coins francophones de l'Ontario" C'est la politique de bilinguisme appliquée par Ottawa!!!

    Liste des régions bilingues du Canada aux fins de la langue de travail

    http://www.tbs-sct.gc.ca/pubs_pol/hrpubs/offlang/chap5_1tb-fra.asp

    À l’extérieur du Québec, on dirait le gruyère des réserves indiennes, des townships en Afrique du Sud ou de la Palestine !!!!

    Le Canada a complètement abandonné sur les francophones dans les quatre provinces de l'ouest, y inclus Saint-Boniface au Manitoba, qui est à 85% anglais aujourd'hui..
    Rare comme de la merde de pape, lorsqu’on s’éloigne des frontières du Québec et surtout…où le nombre le justifie !!!

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  3. Choquant. Enrageant. Un défenseur de la langue française en Outaouais et dans l'Ontario francophone... congédié par Gesca Desmarais !
    Voilà la vraie raison que Gesca Desmarais a congédié Pierre Allard et veut museler Le Droit de Gatineau!
    Le bilinguisme collectif, étape vers l'assimilation
    Pierre Allard, Éditorialiste au quotidien LeDroit, Gatineau (Québec), 13 mars 2014
    http://pierreyallard.blogspot.ca/2014/03/le-bilinguisme-collectif-etape-vers.html?spref=fb
    Hors Québec, sauf quelques régions comme la péninsule acadienne ou quelques coins francophones de l'Ontario, la connaissance de l'anglais est imposée tant à l'école que partout dans la vraie vie.
    Le bilinguisme: une étape, pas une destination

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  4. Je trouve déplorable que les ''Good-French'' soient si peux sensibles à l'assimilation de leur peuple. Plusieurs ''Good-French'' sont gênés de s'afficher en Français. Aussitôt, ils passent in English et en sont fiers. Je vous invite à lire mon blog et de publier ce que vous voulez. De grâce, passez le mot à tous vos contacts. https://savoymedia.wordpress.com/ ...BONNE LECTURE!

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