lundi 24 mars 2014

Les avis de décès...



À l'époque de mes grands-parents, les morts étaient le plus souvent exposés dans la maison familiale. Je ne me souviens pas de ça. C'était avant mon temps. Mais quand j'étais plus jeune, disons jusqu'aux années 1970, les personnes décédées étaient exposées pendant trois jours à un salon funéraire dans un cercueil ouvert. Famille et amis s'y côtoyaient jour et soir, jusqu'au service à l'église, dans un exercice de deuil à mi-chemin entre la tristesse des adieux et un party bien arrosé...

L'accueil donnait l'occasion de saluer les proches, et de brailler comme il se doit avec les survivants en se remémorant quelques bons moments de la vie du défunt ainsi que l'agonie des derniers jours. Par la suite, cependant, une partie de l'action se transportait au fumoir où l'odeur de l'alcool concurrençait souvent celles de la cigarette, de la pipe ou du cigare... Après trois jours de retrouvailles, après avoir posé la main une dernière fois sur le visage ou les mains froides du défunt, après les paroles d'espoir du curé à l'église, après les ultimes larmes et les sourires du départ, chacun, chacune avait vécu son deuil.

Ces jours-ci, tout cela semble avoir disparu. Je regarde tous les jours les avis de décès dans Le Droit (à 67 ans on fait ça religieusement) et j'ai souvent l'impression que les anciens rituels n'ont plus cours, et que peu de jeunes d'aujourd'hui (disons, les 40 ans et moins) auront l'occasion de voir le corps d'un proche décédé. Le plus souvent, ils contempleront une urne contenant des cendres, ou rien du tout. Samedi, 22 mars, j'ai passé la section nécrologique au peigne fin pour vérifier mes «impressions»... Il y avait au total 21 avis de décès, et  si cette journée était typique des autres, les choses ont bien changé depuis ma jeunesse...

D'abord, contrairement aux temps plus anciens, les décès ne sont pas annoncés dès le lendemain ou le surlendemain. Dans l'édition du samedi 22 mars, un seul défunt était mort l'avant-veille. Environs la moitié étaient décédés, trois, quatre, cinq ou six jours avant la parution dans le journal. Quelques-uns étaient morts depuis une semaine ou deux, et d'autres depuis trois semaines ou plus. Une personne était décédée le 18 février, plus d'un mois avant l'avis de décès... J'ai vite compris que la publication de l'avis était davantage liée à la date de la cérémonie ou du service religieux que la date du décès.

Bien sûr, compte tenu des délais entre la mort et les avis, les corps ne sont généralement pas exposés. Certains sont inhumés avant la cérémonie, et la majorité des services ont lieu en présence de cendres. Une seule des 21 personnes décédées était exposée, pour une soirée et un matin, dans un cercueil ouvert au salon funéraire. Il n'y avait qu'une seule autre exposition, et c'était en présence de l'urne, pas du cercueil. Pour les 19 autres décès, il n'y avait pas de visites au salon... Plutôt que de voir le corps, on placera à la cérémonie une photo ou plusieurs photos, ou encore des albums photos ou des vidéos...

Quant au service, qui avait toujours lieu à l'église, jadis, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Pour quelques-uns, il n'y avait aucune cérémonie. Environ le quart des services commémoratifs avaient lieu au salon funéraire. La majorité des services étaient cependant religieux, quoiqu'il ne s'agit pas toujours de messes. Certains se limitent à des liturgies de la parole.

Comme plus de 90% des catholiques d'ici ne pratiquent plus, c'est souvent la première fois depuis longtemps que les gens mettent les pieds dans une église. La plupart connaissent peu ou pas les prières, guettent leurs voisins pour savoir quand il faut se lever, s'asseoir, s'agenouiller... Le seul moment où ils se retrouvent en terrain connu, c'est quand un membre de la famille rend hommage au défunt. C'est le moment le plus attendu. Et encore là, récemment, l'Archidiocèse d'Ottawa a proposé d'interdire ces témoignages qui n'ont rien d'essentiellement religieux...

À ces services, la famille reçoit habituellement les condoléances de parents et amis avant la cérémonie, et le tout est suivi - dans une salle du salon funéraire ou au sous-sol de l'église - par une heure ou deux de salutations avec collation, jus et café. Jadis, parents et amis avaient trois jours pour renouer, pour échanger, pour pleurer et rire ensemble. Les enfants, qu'on voit peu aujourd'hui dans les salons et les funérailles, accompagnaient autrefois leurs parents au salon funéraire et y faisaient pendant quelques jours l'apprentissage de la mort, des cercueils, du deuil de leurs aînés. La mort devenait pour eux un élément du cycle de la vie.

L'impression que tout cela me laisse, c'est qu'en chemin, on a perdu quelque chose d'important. Les anciens rituels ont disparu. Il il se déroule parfois une, deux, trois semaines ou plus avant que les proches et amis se rassemblent, pour quelques heures tout au plus, en mémoire du défunt, devant une urne ou une photo. Évidemment, le monde a bien changé, mais pour célébrer la vie et le départ d'un être cher avec qui on a passé une partie de notre existence, et parfois une grande partie de notre séjour terrestre, est-ce suffisant?

Sans doute n'avons-nous plus le choix d'agir ainsi... Tout de même... 




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