mardi 4 mars 2014
Le combat québécois en chansons...
Un soir de décembre 1967, j'ai vu le chansonnier Tex Lecor en spectacle à Ottawa, à l'ancien Bistro de la Basse-Ville. En ultime rappel, il a entonné une chanson de combat qu'il appela alors La redoute. Elle devait apparaître dans son album de 1969 sous le nom de Patriote (http://bit.ly/1eMKBf3). Pour un auditoire franco-ontarien c'était plus qu'audacieux. Je ne connaissais pas cette chanson, et n'ai rien entendu du genre depuis. C'était littéralement un appel au soulèvement armé pour libérer le Québec!
Dans la chanson de l'album, à la fin du premier couplet, on entend : « Tant pis si on doit y rester, le Québec aux Québécois. » Mais sur la scène du Bistro, à Ottawa, il a chanté « Tant pis si on doit y rester... aux armes Québécois. » Cela donne d'ailleurs le ton à l'ensemble du texte, qui surprend encore aujourd'hui par sa violence et dont Tex avait dit, à la blague, qu'il lui avait valu quelques arrestations par des agents de la Gendarmerie royale du Canada...
Nous avions été habitués à entendre des airs nationalistes québécois, parfois vigoureux, depuis le début des années soixante, mais rien qui ne ressemblât à un chant de combat. Même dans des chansons comme Bozo-les-culottes de Raymond Lévesque et Les gens de mon pays de Gilles Vigneault, les textes se limitent à prendre acte et à commenter le bouillonnement de la société québécoise. Et la sympathie souverainiste affichée ne débouche pas sur des encouragements plus «virils»...
Au Québec et au Canada français, depuis la conquête de 1759, nous n'avons pas beaucoup d'appels musicaux à l'action dans nos répertoires, du moins pas ceux que je connais. En 1795, la France avait fait d'un appel aux armes son hymne national. Les paroles de La Marseillaise (http://bit.ly/OTTXMy) trahissent son époque, celle du coeur de la Révolution française, mais l'esprit qui l'anime fait toujours vibrer. Le combat du faible contre le puissant, des nations contre les empires, de l'humain contre le capital, de la liberté contre la tyrannie... tout cela reste actuel.
Mais nous avions été séparés de la France avant 1789, et privés des courants d'idées de la Révolution tant par les conquérants britanniques qui craignaient la démocratie que par un haut-clergé intégriste opposé à la laïcité de la Révolution française.
Au début des années 1830, le grand sociologue français Alexis de Toqueville, dans le cadre de sa vaste étude de la démocratie aux États-Unis, est allé visiter le Bas-Canada (le Québec d'aujourd'hui) et fut surpris d'y retrouver 600 000 francophones. « Partout on nous recevait comme des compatriotes, enfants de la Vieille France, comme ils l'appellent. À mon avis, l'épithète est mal choisie. La vieille France est au Canada; la nouvelle est chez nous... », écrivit-il dans sa correspondance.
Aussi, quand notre petite rébellion a éclaté en 1837, les nobles motifs qui l'animaient étaient insuffisants pour contrer la répression de l'armée britannique et les menaces éternelles des autorités ecclésiastiques. Nos poètes et chansonniers patriotiques d'après ont été prolifiques mais leurs thèmes étaient surtout ceux du malheur, de la défaite, de l'injustice subie, de la survivance, de l'enracinement, de la résistance passive...
Le ton a changé, certes, à partir de la Révolution tranquille, dans les années soixante, mais les appels à l'action sont demeurés l'exception bien plus que la règle.
Aux États-Unis, depuis le début du 20e siècle, les mouvements ouvriers avaient leurs organizing songs, tel Solidarity Forever (http://bit.ly/1iaIRj0), pour galvaniser les militants pendant les campagnes de syndicalisation. Et dans les années soixante, l'adaptation de Pete Seeger, We Shall Overcome (http://bit.ly/1i4YS5L), est devenu l'hymne de toutes les manifestations pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam.
La seule chanson d'ici qui pourrait entrer dans cette catégorie est Québékiss (Ce n'est qu'un début, continuons le combat), popularisée après la crise d'octobre et incluse à la fin du premier album Poèmes et chants de la résistance en 1971 (bit.ly/Vwspw4). Je me souviens fort bien de l'avoir souvent entendue lors de grands rassemblements et de conseils confédéraux turbulents de la CSN autour de 1972. Mais son rythme martial ne conviendrait sans doute jamais aux humeurs de la grande majorité des Québécois...
Vers la fin des années soixante, Pauline Julien avait peut-être trouvé le juste milieu avec son interprétation rythmée de La Grenouille (http://bit.ly/1hSsWWo), de Raymond Lévesque, dans son album Suite québécoise (1967). « Faut pas craindre de s'affirmer, de soulever vents et tempêtes », chante-t-elle. « La révolte tout le monde est contre, mais elle a fait le tour des mondes »; « en attendant des jours meilleurs... levons le poing quand il le faut »; et de conclure, « c'est une bataille à finir ». Mais là comme ailleurs, ce petit air fort sympathique est tombé dans l'oubli...
La crise d'octobre a suscité bien des textes et musiques, y compris deux appels à la mobilisation de Jacques Michel, dans son album SOS on va couler (1971). Les chansons Quel temps est-il? (http://bit.ly/1jMvPpg) et Debout (http://bit.ly/1i54CMR) ont sans doute eu un auditoire pour quelques mois ou quelques années, et l'ont peut-être toujours, mais comme personne ne s'est donné la peine d'en faire une version YouTube, elles ne semblent pas avoir vraiment survécu à leur époque.
Voici, pour les intéressés, la conclusion de Quel temps est-il? « Temps de plaider, temps de dire. Temps de crier, temps de rugir. Temps d'avancer, temps d'agir. Temps d'assumer, temps d'accomplir. Temps de lutter, temps d'acquérir. Temps d'exiger, temps d'obtenir. Quel temps est-il, quel temps est-il? » Chacun peut l'interpréter à sa façon...
On pourrait ajouter, dans les catégories des tounes « d'action », ou des condamnations de l'inaction, la chanson Entre deux joints (http://bit.ly/1c1BrMe) de Robert Charlebois (paroles de Pierre Bourgault) en 1973. « Couche-toé pas comme un chien pis sens-toé pas coupable; moé j'te dis qu't'es capable, c'pays-là t'appartient ». Et le refrain : « Entre deux joints, tu pourrais faire queq'chose; entre deux joints tu pourrais t'grouiller l'cul. » Celle-là, on l'entend toujours et sa popularité ne se dément pas. Mais son influence a été à peu près nulle.
Depuis les années 1970, à l'exception de Comme un bel oiseau de Diane Dufresne (http://bit.ly/NwMDFb) en 1990, lors de la St-Jean du lac Meech, je n'ai pas trouvé grand-chose dans le style « combat ». Il y a bien la chanson En attendant (http://bit.ly/1luRG7E) des Cowboys fringants, sur leur album La grand-messe (2004) avec ses cris d'opposition à l'exploitation, à la mondialisation, au néo-libéralisme, et avec sa finale Envoyons d'l'avant nos gens, mais on ne l'entend pas très souvent...
Si quelqu'un, quelque part, a étudié plus en profondeur les chansons de combat et d'action dans l'histoire québécoise et canadienne-française, je serais intéressé à en savoir plus. Et si un lecteur de ce texte de blogue peut songer à d'autres chansons pouvant être ajoutées à cette courte liste, je vous prie de les ajouter en commentaire...
L'interaction entre la culture musicale et l'opinion publique francophone au Québec reste largement à explorer.
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Le chant du patriote, Félix Leclerc... et repris pour la nouvelle génération par Daniel Boucher.
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