mercredi 19 mars 2014

Le bilinguisme et l'érosion identitaire


Un Parisien ou un Saguenéen qui apprend l'anglais (ou toutes autres langues) par choix devient bilingue ou plurilingue. Mais l'un et l'autre demeurent, sur le plan identitaire, des francophones. Tel n'est pas le cas pour quantité de francophones nord-américains - québécois ou hors-Québec - vivant dans des régions où la forte présence ou exigence de l'anglais imposent un bilinguisme quotidien. Il en résulte souvent un érosion identitaire chez les plus culturellement vulnérables, menant à un abandon de la langue française au fil des ans, ou par la génération suivante.

Ce phénomène, pressenti par plusieurs, a été constaté scientifiquement en 1993 dans la région d'Ottawa quand la section régionale de l'Association canadienne-française de l'Ontario a commandé un sondage Léger et Léger. L'organisme a inclus une question identitaire et fut surpris de voir les résultats. Les plus vieux s'identifiaient surtout comme Canadiens français (donc francophones) tandis que la tranche des 18 à 24 ans, les plus jeunes de l'échantillon, se définissaient à 40 % comme des « bilingues ». Une double identité, à la fois francophone et anglophone! Or, c'est également dans ce groupe que les taux d'assimilation étaient les plus élevés.

[Dans un texte de blogue récent, je faisais aussi état de la corrélation directe entre bilinguisme collectif - chez les francophones nord-américains - et l'assimilation à l'anglais. Voir http://bit.ly/1nnvMVM)

Dans un livre qui vient d'être publié (en 2014), oeuvre collective sous la direction du professeur François Charbonneau, de l'Université d'Ottawa, un chapitre portant sur les écrits de Fernand Dorais, ancien professeur de l'Université Laurentienne, à Sudbury, aborde cette question. François Paré, qui signe les pages sur Dorais, écrit: « Dorais est le premier à dénoncer en termes psychanalytiques les effets de l'assimilation linguistique sur les Franco-Ontariens. "Vivant en régime de double appartenance et de fidélités conflictuelles", ces derniers ressentent leur identité comme une aliénation. Le bilinguisme des Franco-Ontariens se présente donc à l'essayiste comme une schizophrénie. »

N'ayant jamais perçu le problème de cette façon, je me promets d'aller lire les écrits originaux de M. Dorais pour en savoir plus. Il n'y a pas de doute, cependant, qu'elle existe de plus en plus, cette « double appartenance », et que cela crée chez plusieurs un conflit intérieur, tandis que chez d'autres le passage vers l'anglais se fait « tout doux » sans dilemme de conscience. Omer Latour, un auteur franco-ontarien, a effleuré la question, fin années 1970, dans son livre Bande de caves, au sujet des Franco-Ontariens de Cornwall : « Dieu merci, le combat est presque fini. L'assimilation totale apporte enfin le repos et la paix à tous ces gens obscurs qui ont lutté dans un combat par trop inégal. »

Ce qui m'apparaît démontré, c'est que cette « bi-identité » n'est qu'une étape, un cheminement plus ou moins tortueux vers une retour à une seule identité, anglaise cette fois. Le bilinguisme collectif est une transition, et le résultat se voit déjà dans plusieurs régions du pays. Les recensements en font foi, et dans mon coin - l'Outaouais québécois et l'Est ontarien - tout le monde connaît des personnes au nom français qui ne parlent plus la langue de leurs ancêtres, qui prononcent leur nom à l'anglaise ou l'ont transformé, et qui, s'il leur reste des lambeaux de français, ont honte d'en faire étalage en public...

En territoire de bilinguisme collectif, l'apprentissage des deux langues est érigé en modèle et en idéal, mais en réalité, le français y est en stagnation ou en constant recul, appauvri et émaillé d'anglicismes et de mots anglais. Plus on s'approche des régions majoritairement anglophones, plus le taux de bilinguisme augmente, plus les taux d'assimilation augmentent, plus le français parlé et écrit tend à s'appauvrir. Au Québec même, la situation dans le Pontiac est dramatique, et elle est inquiétante dans la vallée de la Gatineau, à Gatineau même et dans la grande région montréalaise. Hors Québec, sauf les régions fortement acadiennes du Nouveau-Brunswick et quelques coins du Nord et de l'Est ontarien, c'est presque le point de non-retour.

Il serait intéressant, dans les régions du Québec les plus menacées par l'anglicisation, d'effectuer un sondage sur les perceptions identitaires. Je serais curieux de savoir combien, parmi les parlant français, se perçoivent déjà - sur le plan identitaire - comme des bilingues... Dans plusieurs écoles franco-ontariennes, on en est rendu à faire de la « construction identitaire » et même à jouer les préfets de discipline pour arrêter les écoliers de parler anglais entre eux... N'y a-t-il pas là un enseignement et un avertissement pour le Québec?







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