mardi 2 juillet 2013

Solidarité entre francophones: qu'en sait-on, vraiment?

Quelques jours avant la St-Jean, le quotidien Le Droit avait publié les résultats d'un sondage de l'Association d'études canadiennes (AEC), portant sur la perception du déclin du français et/ou de l'anglais au Québec, ainsi que sur l'intérêt porté par les Québécois aux minorités francophones des autres provinces et sa contrepartie, l'intérêt porté par le reste du Canada (RDC) à la communauté anglophone du Québec.

La découverte que la « solidarité » était supérieure entre francophones semble en avoir surpris quelques-uns. Le sondage effectué auprès de 2000 répondants révélait en effet que sur une échelle de 0 à 10 (0 signifiant aucun intérêt, 10 indiquant « très intéressé »), 62% des francophones du Québec avaient coché les cases entre 7 et 10 pour quantifier leur degré d'intérêt envers les minorités de langue française ailleurs au pays. Chez les anglophones du RDC, seulement 39,9% des répondants manifestaient un intérêt semblable pour les Anglo-Québécois.

« J'avoue que je suis un peu étonnée, Qu'il y ait 62% des francophones du Québec qui s'intéressent à nos communautés alors que nous avons parfois l'impression que la plupart ne savent pas que nous existons, c'est bon signe », avait déclaré Marie-France Kenney, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada. Une déclaration un tout petit peu surprenante, puisque même si les Québécois connaissent peu la situation des minorités francophones, l'intérêt pour les Canadiens français hors Québec et les Acadiens a toujours existé depuis les années suivant la Confédération (à partir de 1871, avec l'abolition des écoles acadiennes) et ne s'est jamais démenti.

Par ailleurs, les explications du directeur général de l'AEC, Jack Jedwab, me paraissent comme étant de la pure spéculation, à moins qu'il n'ait en mains des données plus complètes qui ne sont pas dévoilées dans son sondage. Selon lui, cet intérêt plus fort pour les francophones hors Québec se développe depuis seulement une dizaine d'années, peut-être en raison de l'absence de crise constitutionnelle et d'une diminution des affrontements entre provinces. La migration de milliers de Québécois vers d'autres provinces, l'Alberta notamment, serait aussi un facteur pertinent dans cette « solidarité » accrue... Sans douter des bonnes intentions de M. Jedwab, ces déclarations m'apparaissent éminemment contestables.

Dans une lettre récente (18 juin 2013) au Devoir, le chanteur cajun Zachary Richard écrivait ceci : « La francophonie nord-américaine et la relation entre le Québec et les communautés francophones hors Québec sont des questions complexes et fort nuancées qui ne se décodent pas dans l'espace d'une brève entrevue (Zachary aurait pu ajouter : ... ni d'un bref sondage). Je vous invite donc à publier une série sur la francophonie nord-américaine dans toute son ampleur, pour que vos lecteurs puissent mieux comprendre la vie de ces 33 millions de parleurs et de parleuses de français semés comme des tache de rousseur sur la face de ce continent et avec qui les Québécois partagent plus qu'ils n'imaginent. »

Le chanteur louisianais met ici le doigt sur deux problèmes d'envergure : la réelle complexité des situations vécues par les communautés francophones hors Québec et l'intérêt faible (pour ne pas dire nul) de la presse québécoise (et canadienne) pour ces communautés. Sauf quelques crises ponctuelles, celle de l'hôpital Montfort, à Ottawa, étant la plus récente - de 1997 à 2001 - l'information diffusée sur la francophonie canadienne hors Québec fait pitié. À l'exception du Droit et des réseaux régionaux de Radio-Canada, les médias quotidiens ont d'autres chats à fouetter...

Ce qu'il faut donc retenir, au départ, c'est que les francophones du Québec ne savent pas grand-chose de la réalité quotidienne de leurs « cousins » hors Québec et que, vice versa, l'information que les francophones hors Québec (surtout hors Acadie du Nouveau-Brunswick et à l'extérieur de l'Est ontarien) obtiennent sur le Québec leur parvient surtout de médias anglo-canadiens tout aussi mal informés. Alors comment peut-on se former une opinion ou un réel intérêt quand le savoir nécessaire à la formation de ces opinions ou intérêts fait défaut?

Cela ne signifie pas, toutefois, absence d'intérêt ou de solidarité. La plupart des francophones hors Québec non acadiens (à l'exception des nouvelles vagues d'immigrants) proviennent de familles ayant quitté le Québec, certaines depuis des générations, d'autres récemment. Il existe donc depuis fort longtemps des liens de mémoire, de parenté et de culture qui restent bien vivants. La « grande famille » se rassemble peut-être assez rarement, mais on l'a vu à l'occasion serrer les rangs : lors de la pendaison de Riel, lors du Règlement XVII en Ontario, ainsi lors de que l'affaire Montfort.

Cela ne signifie pas l'absence de heurts ou de conflits politiques. Les Québécois francophones étant majoritaires sur leur territoire et ayant toujours eu un sentiment national axé sur les rives du Saint-Laurent, l'éclosion du mouvement indépendantiste des années 1960 était un prolongement naturel des mouvements d'autonomie provinciale des époques précédentes. La soi-disant rupture entre les Québécois souverainistes et les francophones hors Québec, vers la fin des années 1960, était bien plus une brèche dans la solidarité historique qu'une transformation fondamentale du sentiment national.

Là comme aujourd'hui, l'information disponible était fragmentaire et réservée aux élites, aux militants et aux chercheurs qui s'intéressaient de près à la situation des Acadiens et Canadiens français. Le grand public québécois ignorait à peu près tout du vécu des Franco-Ontariens, des Franco-Manitobains et des autres. Même à l'intérieur de ces groupes, les communautés se connaissaient mal ou peu. L'Ontario, c'est grand comme un pays : que savaient les Franco-Ontariens d'Ottawa de leurs compatriotes de Hearst ou de Timmins, dans le Nord ontarien? Peu de choses, en vérité.

Malgré tout, confusément, dans le substrat de la mémoire collective, en dépit des problèmes, les francophones du Québec et des autres provinces ont encore des, parfois, des allures de grande famille. Une grande famille fondée sur la parenté et la culture, faute de pouvoir être assise sur des objectifs politiques communs. Le journaliste Jules-Paul Tardivel, notait en 1899, ayant remarqué la tiédeur des  francophones du Québec à l'endroit des fêtes du Dominion Day (1er juillet) :

« Pour les Canadiens français, la vraie patrie c'est toujours la province de Québec. Si nous sommes attachés aux groupes français des autres provinces, c'est par les vieux liens du sang, de la langue et des traditions; non point par le lien politique créé en 1867. Nous nous intéressons à nos frères de l'Est et de l'Ouest parce qu'ils sont nos frères; non parce qu'ils sont nos concitoyens. »

Ces distinctions entre solidarités politiques et culturelles font également partie de la complexité des liens entre les Québécois francophones et les minorités canadiennes-françaises et acadienne. Peut-être le temps est-il venu enfin de combler les trous béants de mémoire et de connaissances qui nuisent à la compréhension des uns et des autres. L'effort d'effectuer un sondage là-dessus est déjà intéressant. Mais ce n'est qu'un tout petit pas.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire