dimanche 30 juin 2013

Francophones du Pontiac : l'Archidiocèse de Gatineau doit assumer ses responsabilités !

J'ai poursuivi, ces derniers jours, la lecture du livre « Les sacrifiés de la bonne entente. Histoire des francophones du Pontiac », qu'avait signé en 2002 Luc Bouvier, chef de cabinet actuel du maire de Gatineau, Marc Bureau. Et ça ne fait que renforcer ma conviction qu'en 2013, à l'occasion du cinquantenaire de sa fondation, l'Archidiocèse de Gatineau dirigé par Mgr Paul-André Durocher doit se pencher sur le sort des Franco-Pontissois et tenter de réparer les injustices que l'Église catholique (et notamment le diocèse ontarien de Pembroke qui a toujours la mainmise sur les paroisses francophones du Pontiac) a commises depuis la Confédération.

Pour les moins de 60 ans qui n'ont pas connu l'ancien régime, il faut comprendre que jusqu'à la création du ministère québécois de l'Éducation au milieu des années 1960, non seulement les écoles étaient-elles confessionnelles (catholiques ou protestantes) mais le « Département de l'Instruction  publique » qui les chapeautait était une chasse gardée des évêques... Les diocèses et leurs communautés religieuses jouaient un rôle dominant dans l'organisation scolaire et l'enseignement. Et rien, même au Québec et surtout dans le Pontiac, ne garantissait les droits scolaires des enfants francophones. À condition que les écoles soient catholiques (ou protestantes), les exigences constitutionnelles étaient remplies... et le Conseil/Département de l'Instruction publique était criminellement négligent en matière linguistique.

Dans le Pontiac, une discrimination systématique contre les catholiques francophones existait depuis l'ouverture du territoire aux Blancs par les autorités britanniques dans les années 1820. Les terres les plus prisées, et les plus fertiles, avaient d'abord été interdites aux catholiques. C'est la ceinture orangiste du coin de Shawville, où les anglophones protestants constituent depuis les débuts 90% et plus de la population. Par contre, les territoires à l'ouest de la ceinture orangiste, allant jusqu'à Fort-Coulonge et l'Île-aux-Allumettes, devaient été peuplés par une majorité catholique, surtout anglaise au début mais de plus en plus francophone à compter de la fin du 19e siècle.

Le sort réservé aux élèves francophones dans les écoles catholiques a grandement contribué à l'anglicisation d'une part importante de la population d'origine française de la grande région du Pontiac. En effet, dans plusieurs écoles, et ce, pendant près de trois quarts de siècle, jusqu'à la décennie suivant la Deuxième Guerre mondiale, on a campé les jeunes francophones dans des écoles et des classes où l'enseignement du français comme matière était souvent absent ou douteux, et où l'enseignement en français était quasi inexistant. Le récit qu'en fait Luc Bouvier en est bouleversant.

Voici quelques exemples :

* La barrière orangiste (cantons de Bristol, Thorne et Clarndon) : « Entre 1825 et 1835, James Prendergast (Irlandais protestant), premier agent des terres de la Couronne dans le Pontiac, décida de constituer à Clarendon une communauté uniquement protestante. (...) Il excluait tout catholique et, par voie de conséquence, tout francophone. »

* En 1883, l'inspecteur scolaire Auguste Guay inclut la note suivante dans l'un de ses rapports sur le Pontiac : « On donne à des maîtres qui ne connaissent pas le français des écoles où les neuf dixièmes des élèves ne comprennent pas l'anglais ! »

* Au début du 20e siècle, le seul recours dont dispose le Conseil de l'Instruction publique pour assurer l'enseignement en français est la retenue des subventions. Or, « certaines commissions scolaires préfèrent se passer de subventions plutôt que de dispenser l'enseignement français » aux élèves de langue française. Nous sommes ici au Québec, du moins en principe...

* En 1905, des citoyens de l'Île-du-Grand-Calumet, à majorité francophone, se plaignent que « l'institutrice, Mary-Catherine Griffin, ne sait pas le français suffisamment pour l'enseigner; elle ne l'a pas enseigné l'an dernier. » La commission scolaire a réengagé la même institutrice l'année suivante...

* À la même époque, les inspecteurs notent que « l'usage veut que, dès qu'il y a des anglophones, l'enseignement se fasse en anglais et, si l'institutrice le peut, elle donne des cours de langue française »... C'était mieux que ça pour les francophones en Ontario à la même époque...

* Même à Fort-Coulonge, à très forte majorité francophone, en 1915, « on engage quatre institutrices dont deux n'ayant aucun diplôme français et le parlant avec difficulté ».

* En 1920, le rapport de l'inspecteur Lionel Bergeron « passe sous silence l'enseignement en français, il s'en tient exclusivement à l'enseignement du français. En fait, il n'y a à peu près pas d'enseignement en français dans le Pontiac. »

* La situation des francophones dans le Pontiac vers 1920 s'explique entre autres par la nomination de l'évêque Patrick Thomas Ryan au diocèse de Pembroke. Partisan du tristement célèbre Réglement 17 en Ontario, il « ne s'oppose d'aucune façon, au contraire, à ceux qui travaillent à faire de l'école pontissoise un outil d'anglicisation ».

* « Le système scolaire pontissois va jusqu'à se conformer au système ontarien (emploie aussi des manuels ontariens) et applique le Règlement 17 (de l'Ontario) qui restreignait l'enseignement du français aux premières années du primaire et en limitait le nombre d'heures. »

* « Pour des générations, souligne un rapport de 1954, le français à l'école pontissoise restera trop souvent une langue seconde. Le système scolaire (catholique) devient ainsi, pour les francophones, un important facteur d'assimilation. »

* La présence des Sisters of St. Joseph est particulièrement néfaste dans plusieurs classes et écoles du Pontiac, notent des enquêteurs (dont Pierre Laporte, alors journaliste au Devoir) : « Les soeurs de St-Joseph sont un instrument déguisé d'anglicisation (...) Elles inspirent à leurs élèves le mépris de tout ce qui est français. »

* En désespoir de cause, dans les années 1920, des Pontissois francophones font appel aux Franco-Ontariens. Le président de l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario (ACFEO), Edmond Cloutier, s'informe et en conclut que la première chose à faire pour enrayer l'assimilation des francophones de Chapeau (Île-aux-Allumettes) est « de les soustraire à la machine anglicisatrice des autorités religieuses du diocèse de Pembroke dont la communauté des soeurs de St. Joseph est le principal et le plus efficace agent ».

* Dans les années 50, l'évêque Smith refuse de visiter une classe française, disant qu'il ne considérait même pas les jeunes francophones comme de vrais catholiques...

On pourrait continuer ainsi pendant des pages et des pages.

Suffit de dire que si, depuis près d'un demi-siècle, les écoles ont été arrachées aux griffes du diocèse ontarien de Pembroke et que des protections ont été mises en place dans les milieux scolaires pour la langue française, très amochée dans le Pontiac, les paroisses catholiques francophones du Pontiac sont toujours rattachées è ce même diocèse ontarien au passé raciste et francophobe. Il est grand temps que l'archidiocèse de Gatineau réclame son autorité légitime sur ce territoire.

Il rencontrera probablement des hésitations, voire des oppositions, et ce, même chez des francophones. Ces derniers ont été battus et bafoués pendant tellement longtemps que bon nombre n'ont plus guère d'esprit de résistance. Offusquer les anglophones risquerait de miner « la bonne entente », dira-t-on. En réalité ce bon-ententisme a été une « camisole de force » imposée par des anglophones intolérants depuis le 19e siècle, une camisole de force qui a transformé trop de Pontissois francophones en anglo-zombies.

Ainsi que le constate l'auteur et chercheur Luc Bouvier, « l'harmonie linguistique, que se plaisent à souligner nombre de commentateurs, règne (dans le Pontiac) en autant que les francophones acceptent de cacher leur langue et leur culture ».








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