mardi 18 juin 2013

Turban, hijab et neutralité du sport

Ainsi, la FIFA ayant tranché, les turbans sont désormais permis au soccer québécois. Leur interdiction avait pourtant remis sur la table un débat pertinent sur la neutralité ou la laïcité du sport, amorcé avec l'affaire du hijab (foulard islamique) quelques années plus tôt et jamais résolu. Évidemment, le branle-bas de combat suscité par le port (ou pas) des turbans et des hijabs a fait sortir des placards québécois et canadiens toutes sortes de bibittes mais cette fois, dans le ROC, le traditionnel Québec-bashing était accompagné de nombreuses voix discordantes...

Chez nous, au-delà de l'inconfort général suscité par la décision de la Fédération de soccer du Québec, les alignements traditionnels se sont manifestés, colorés par leurs allégeances partisanes. Les défenseurs de la laïcité / neutralité (dont je suis) ont fondé leurs arguments sur les principes en jeu, au risque de se voir alliés avec de véritables intolérants et xénophobes. D'autres ont marché sur la clôture de la laïcité ouverte. Plusieurs de ceux et celles qui y voyaient une manifestation d'intolérance ou de xénophobie québécoises (Dieu sait pourquoi...) ont déchiré leur chemise sur la place publique. Une chroniqueure a même crié sa honte... Ailleurs au pays, c'était le déchaînement habituel, mais cette fois bien des rednecks anglo-canadiens ont appuyé l'interdiction du turban... pour les mauvaises raisons. Je pense qu'ils aiment encore moins les immigrants que le Québec...

Mais au coeur de cette affaire on a délaissé le débat rationnel sur les valeurs en cause. Et je ne parle pas ici de « valeurs québécoises » au sens où certains l'entendent, quoique nos valeurs soient toujours un peu le reflet de nos expériences individuelles et collectives dans un milieu géographique, social, culturel et politique donné. Je me méfie instinctivement de l'expression « valeurs québécoises », peut-être à tort, mais elle a parfois un relent de certaines vieilles idéologies de générations disparues... Cela ne signifie pas, toutefois, que le Québec ne doive pas collectivement affirmer un ensemble de valeurs, avec l'accord de la majorité, et lui donner une application universelle.

Ces valeurs - à l'exception de la laïcité - sont déjà, pour l'essentiel, codifiées dans notre Charte des droits et libertés de la personne et dans la Charte canadienne des droits et libertés. Pourquoi pas la laïcité? Les lois (y compris les chartes) sont toujours en retard sur la société et tombent souvent comme des fruits murs. Il y a 100 ans, quand les travailleurs luttaient toujours pour faire reconnaître leurs syndicats et leur droit de grève, la liberté d'association n'aurait pas fait partie d'une charte des droits. Mais depuis un demi-siècle, la société québécoise s'est laïcisée et il n'y a guère plus de débat sur la nécessaire séparation entre l'Église et l'État. Elle peut et doit, aujourd'hui, être reconnue et cette laïcité doit être étendue ailleurs dans la sphère publique, sans limiter les droits individuels ou privés.

Le sport semblait être l'un de ces domaines où, jusqu'à il y a quelques années, la neutralité semblait aller de soi. Si nous revenons aujourd'hui sur ces valeurs, c'est bien parce qu'on nous l'y oblige. Ce sont des musulmans et des sikhs qui ont revendiqué des exceptions à la neutralité en fonction de leurs propres valeurs religieuses, qu'ils jugent plus importantes que nos valeurs de neutralité et d'égalité. Ils ont mis sur la table le débat sur les valeurs, et nous avons pleinement le droit de défendre l'application de valeurs qui nous semblent fondamentales - notamment la neutralité et l'égalité des sexes (cette dernière étant consacrée par les chartes). L'argument de la sécurité m'apparaît plutôt secondaire.

Cela ne fait pas de nous des xénophobes ou des intolérants ou des racistes. Au contraire. Il n'y a pas de doute que le débat serait plus facile si seulement des adultes étaient en cause, mais les récents conflits ont porté sur des ligues d'enfants, et ces derniers en deviennent les innocentes victimes. J'ai vu, l'an dernier, une jeune joueuse de l'Outaouais se voir refuser l'accès au terrain dans un tournoi à Gatineau, pendant que sa mère essayait de convaincre les autres parents et officiels de la laisser participer. Comment ne pas être sympathique au sort de cet enfant?

Mais ce n'est pas sur le terrain, avant un match, que ces questions doivent être abordées. Quand la saison commence, les règles doivent être claires pour tout le monde. Elles sont désormais claires, mais elles n'ont plus de sens. Jetez un coup d'oeil sur ce règlement de Soccer Vallée-de-la-Gatineau, sans doute amendé après le conflit sur le hijab et sans doute prêt à l'être de nouveau pour accommoder les turbans : « En clair, il est formellement interdit pour un joueur de porter: tout type de couvre-tête incluant: bandeaux sportifs, bandanas ou autre. SEUL LE FOULARD islamique (hidjab) est permis.»  (Les soulignés et majuscules sont de Soccer Vallée-de-la-Gatineau). Toute forme de bijou (y compris les croix) est également interdite.

Donc, si je comprends bien, les seuls accessoires religieux que des chrétiens pourraient porter au soccer québécois seraient le foulard islamique et le turban sikh... Je trouve toute la situation un peu ridicule. Tant qu'à y être, et pour respecter la valeur fondamentale de l'égalité, pourquoi ne pas reculer les limites du ridicule et imposer le turban à tous les garçons et le hijab à toutes les filles, peu importe leur religion ? Dans les deux cas, les couvre-tête seraient faits de tissu bleu fleurdelisé, question de bien identifier la spécificité du Québec. Voilà qui devrait satisfaire les zélés religieux et les mordus des valeurs québécoises...

Le Québec et les Québécois ne sont pas xénophobes ou racistes, mais en ont été, ainsi que les francophones hors Québec, victimes plus souvent qu'à leur tour depuis quelques siècles. Nous sortons à peine d'une tutelle religieuse (NB je me considère toujours comme catholique) et nous voilà replongés dans dans un conflit de valeurs qui semblait en bonne voie de règlement, notamment dans le sport. En Inde, la plupart des jeunes Sikhs ne portent plus le turban et ici, la majorité des musulmanes ne porte pas de voile... Une affirmation claire et ferme de la neutralité / laïcité du sport ici aurait mis rapidement fin au débat.

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