mercredi 3 juillet 2013

Adieu Joseph Costisella, avec huit ans de retard...



Ces jours-ci, pendant que je transforme mon ancien bureau (à la maison) en salle d'études, de lecture, de rédaction et de musique, je refais aussi les tablettes de mes bibliothèques, jetant un coup d'oeil sur mes livres, un à un, les dépoussiérant au besoin. Et là, je suis tombé sur un livre assez particulier, intitulé Le scandale des écoles séparées en Ontario, publié aux Éditions de l'homme, à Montréal, en 1962 et vendu au prix modique de 1,00 $. Comme je n'avais que 16 ans à l'époque, je l'ai sans doute acheté vers la fin des années 1960 à ma librairie préférée, « Le coin du livre », dans la Basse-Ville d'Ottawa.

À l'intérieur de ce petit ouvrage d'à peine 120 pages, j'ai retrouvé l'avis de décès de l'auteur, Joseph Costisella, paru dans le quotidien Le Droit. Un tout petit avis de décès, sur une seule petite colonne, avec une photo de piètre qualité, qui résumait ainsi sa vie : « La famille Costisella a le regret et la tristesse de vous faire part du décès subit de M. Joseph Costisella, à l'âge de 70 ans, le 12 juillet 2005. Docteur d'État ès Lettres, écrivain, journaliste et professeur, il était le fils de la Comtesse Erdödy et de M. Antoine Costisella. » 

Je ne me souviens pas d'avoir lu d'articles dans les journaux à l'occasion de sa mort ou d'avoir entendu de commentaires sur la vie et l'oeuvre de ce singulier personnage. Cela m'avait d'ailleurs fait penser aux paroles de Raymond Lévesque dans sa chanson Bozo-les-culottes : « Quand on est d'la race des pionniers, on est fait pour être oublié ». Joseph Costisella est mort dans un relatif oubli, presque dans l'anonymat, et à part ses enfants et petits-enfants qui en perpétuent sans doute le souvenir en famille, ce qui reste de lui orne les rayons de bibliothèques privées, ça et là, comme chez moi.

Mais Joseph Costisella a été à sa façon un défricheur. Il était arrivé de France, sa terre natale, à la fin des années 1950 et avait jeté son regard « d'étranger » sur nos luttes nationales, au Québec mais aussi en Ontario, où les Canadiens français étaient victimes depuis l'époque du Règlement 17 d'un racisme palpable. Comme bien des minorités opprimées, les Franco-Ontariens étaient usés par une lutte qui n'en finissait plus, et le langage de combat de l'époque de la Première Guerre mondiale (l'époque du Règlement 17) avait cédé la place au ton doucereux des rapports et mémoires répétant, d'année en année, sur un ton de plus en plus résigné, les mêmes supplications à des gouvernements sans merci.

Joseph Costisella arriva à Ottawa avec un bagage différent. Voici comment il se présente dans un Avertissement au début du fascicule Le scandale des écoles séparées en Ontario :

« Pourquoi ce livre sur le racisme à Ottawa, et dans tout le Canada, racisme qui frappe aveuglément les Canadiens français?

« J'habite Ottawa depuis deux ans (nous sommes en 1962). On y remarque toutes sortes de petites vexations, que subissent les Franco-Ontariens; depuis le léger mépris de l'Anglais distingué, jusqu'aux injures ordurières. En fait, n'y prêtent attention que ceux que le racisme vise. Et puis, un jour, au cours d'un interview avec un écrivain de la capitale, j'ai découvert qu'il existait tout un plan concerté, appuyé par des lois extrêmement habiles, pour détruire, puis assimiler les Franco-Ontariens. Patiemment, j'ai fait enquête, et cette enquête porte sur des faits précis et vécus. En voici le résultat.

« Né en France, de parents austro-hongrois, j'ai moi-même été témoin du racisme, surtout dans mon enfance, puis au collège. J'a vu le racisme des Allemands contre les Juifs: mon premier ami d'enfance, Richard Loewenstein, est mort au camp de concentration de Dachau, en 1944. Puis, celui des Français contre les peuples de couleur: tout le problème colonial de 1945 à 1959. Le racisme contre les Arabes d'Algérie m'a touché de très près. (...)


« Le racisme ne mène à rien, sauf au néant et à la destruction d'une société. Le racisme à Ottawa met en danger l'existence de tout le Canada. Dans le sens normal de l'histoire, il est inévitable que, lorsque une race cherche à en écraser une autre, des troubles graves se produisent. Car tous, nous aspirons à la justice. »


J'étais franco-ontarien à l'époque (j'habite à Gatineau depuis le milieu des années 1970), et on n'avait jamais entendu quelqu'un parler de nous en de tels termes, d'une telle perspective. Ce que certains d'entre nous ressentions confusément nous apparaissait tout à coup dans un livre, sous la plume d'un Européen... L'éminent historien et prêtre Gustave Lamarche l'avait noté, dans sa présentation d'un autre livre de M. Costisella, L'esprit révolutionnaire dans la littérature canadienne-française : « Je trouvais admirable, écrit M. Lamarche, que cet étranger, ayant à peine mis les pieds au pays, se soit aperçu de notre malheur invétéré et nous l'ait révélé mieux que d'autres. »

Personne n'avait qualifié la Basse-Ville, principal quartier francophone de la capitale à cette époque, de « Harlem d'Ottawa ». Personne n'était allé rencontrer des familles, des enseignants, des commerçants franco-ontariens pour raconter dans un livre leur vécu, les taxes payées en trop, les salaires moins élevés, la pauvreté, la « grande misère » des écoles bilingues-françaises, l'absence d'écoles secondaires de langue française, et que dire de l'enseignement supérieur.

Personne n'était allé confronter des politiciens anglophones , style Michael Moore, pour les interroger sur le racisme dont étaient victimes les francophones de la capitale fédérale. Telle cette entrevue avec le Dr Storr, un des administrateurs de l'Ottawa Public School Board, dans ses bureaux devant lesquels claquait au vent l'Union Jack... Allez-vous condamner les Franco-Ontariens à la misère ou l'anglicisation parce qu'ils veulent conserver leur culture, lui demande Joseph Costisella. « S'ils ne sont pas satisfaits, qu'ils retournent chez eux, dans le Québec », répond l'autre...

La couverture de l'ouvrage visait elle-même l'effet choc, avec l'image d'une immense pieuvre, le mot « racisme » écrit sur sa tête et une école franco-ontarienne dans ses tentacules. Du début à la fin, l'auteur attaquait sur la place publique une réalité avec laquelle nous avions accepté de composer sans rouspéter trop fort. Le livre a valu à Joseph Costisella la mention « personnalité de l'année 1962 » du quotidien Le Droit. L'auteur devait publier deux autres ouvrages percutants, Peuple de la nuit, Histoire des Québécois, en 1965, et sa thèse de doctorat, L'esprit révolutionnaire dans la littérature canadienne française, en 1968.

J'aime croire que tant que je conserve mes livres, mes vieux journaux et ces quelques avis nécrologiques, la mémoire de leurs auteurs reste vivante. Quand je ne serai plus, à mon tour, qu'un avis de décès et quelques souvenirs pour ma famille et mes amis, qu'arrivera-t-il à tout ce que j'ai conservé? Y aura-t-il quelqu'un pour éviter que tout cela tombe dans l'oubli?

Adieu Joseph Costisella.








11 commentaires:

  1. Joseph Costisella fut un ami intime et bien aimé de mon père, Dr Louis-Philippe Bélisle (1907-2000). J'ai donc eu le privilège de rencontrer Joseph à quelques reprises, notamment du temps de sa persécution politique par l'administration gouvernementale québécoise.

    Joseph Costicella m'a paticulièrement impressionné par son envergure intellectuelle, la profondeur de ses convictions et les traits de son caractère qui manifestaient une grande détermination... jusque dans l'adversité et la maladie.

    Merci Monsieur Allard de remémorer son personnage.

    Jean-Pierre Bélisle

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    1. Je suis heureux que d'autres se souviennent de M. Costisella. Peut-être aurons-nous l'occasion, un jour, de se parler de son oeuvre. Merci d'avoir lu et commenté.

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  2. M. Joseph m'a enseigné à Ste. Thérèse en 1966 / 1967. Il prenait toujours un moment en plein milieu de ses cours de latin et de grec pour échanger avec sa classe sur des sujets d'actualité ou sur des sujets plus personnels. Je garde un souvenir impérissable et affectueux de ce grand monsieur qui permettait aux jeunes hommes que nous étions de réfléchir, d'analyser la vie.

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  3. Bonjour Monsieur Allard,

    J'apprécierais de savoir où je puis me procurer ou consulter les livres écrit par Monsieur Joseph Costisella. J'ai vaguement entendu parler des écoles séparées d'Ontario dans mon enfance.

    Au plaisir.

    Gilles Sauvageau
    L'Assomption,
    Québec

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    1. http://www.abebooks.fr/rechercher-livre/auteur/joseph-costisella/

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  4. C'est étrange qu'il n'est pas mentionné dans sa biographie son passage à Alma dans les années 60, comme enseignant, il était très connu dans le milieu, certains pourraient en parler assurément.

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  5. Pendant son séjour en Outaouais, il m'a aussi enseigné le Latin et l'Histoire au Collège Marie-Médiatrice à Hull au début des années 60 (Éléments-Latin, Syntaxe et Méthode). Tout en s'allumant une cigarette, il nous racontait souvent ses péripéties durant la guerre en Europe. Il m'avait autographié son livre des "Écoles séparées...en Ontario", car j'avais connu ce système à Ottawa durant mon enfance : il m'avait déjà donné le goût comme ado de lutter et 'engager pour la défense de la langue française. Merci Joseph ! Jean-Louis Gingras

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    1. M'engager.

      P.S Comme j'ai perdu mon exemplaire du livre "Écoles séparées...en Ontario", y a-t-il moyen d'en trouver encore une copie (papier ou pdf) ?

      jean-louis

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    2. me répondre à :

      jeanlouisgingras9@videotron.ca

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  6. En lisant le livre de Louis Fournier, FLQ, je me remémore une partie de l'histoire, et de Joseph Costicella que monsieur fournier cite en page 58 et 75 de son livre.

    Dans un autre ordre d'idée, tout comme vous je m'interroge en regardant ma bibliothèque... Et je me demande bien comment tout cela finira. C'est que j'ai des souvenirs et des références dans tout ces livres et comme vous je ne voudrais pas que cela se perde.

    Mais ce sont mes souvenirs. Et chacun a ses souvenirs, qu'il faudra bien abandonner un jour ou l'autre. Comme une bouteille à la mer. Qui sait qui les trouvera...

    Portez-vous bien monsieur Allard.

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