samedi 7 mai 2016

Cornwall, PQ? Hawkesbury, PQ?


Les diplomates dessinent les États, les politiciens délimitent les électorats, les sociologues et politicologues décortiquent savamment les sociétés et les nations… Mais dans la vraie vie, hors de l'enceinte des parlements et des pages professorales érudites, dans les rues et quartiers où vivent la masse des citoyens et collectivités, les frontières des États, électorats, sociétés et nations peuvent facilement s'embrouiller…

Quand j'avais 20 ans, à l'Université d'Ottawa, j'étais Ontarien (de cinquième génération) et pourtant j'avais plus de repères culturels en commun avec un étudiant francophone de l'Université Laval ou l'Université de Montréal que pouvait en avoir l'unilingue anglophone de Westmount ou du West Island, pourtant Québécois comme ses collègues de langue française dans la Vieille capitale et la métropole.

Engagé depuis quelques années dans des mouvements de revendication franco-ontarienne, je sympathisais avec les indépendantistes du RIN, et je ressentais une sourde colère, comme si c'était arrivé à moi ou à mes proches, quand je lisais au sujet de la déportation des Acadiens en 1755 ou à propos des rébellions des Métis sous Louis Riel, en 1869 et 1885. Je me demande ce qu'auraient dit les sociologues de la «nation» à laquelle j'appartenais…

Je suis certain que ce «brouillage» des identités ne m'était pas réservé. Bien d'autres que moi l'ont ressenti. J'y ai pensé, comme cela m'arrive de temps à autre, en feuilletant de vieux numéros du Quartier Latin, ancien magazine des étudiants de l'Université de Montréal que l'on vendait en kiosque un peu partout à la fin des années 1960 et au début des années 1970. 

Dans sa dernière parution de 1969, une petite équipe du journal avait pris le risque de froisser les automobilistes et de se faire coffrer par les policiers en bloquant brièvement la circulation sur le Pont Interprovincial, entre Ottawa et Hull, à l'ombre du Parlement fédéral, pour dresser un poste fictif de douanes entre le Québec et le Canada. Cela lui donna une de ses plus célèbres pages unes (ci-dessous et voir http://bit.ly/12Jjoih).


Or, dans son édition du 26 septembre 1970, quelques jours avant l'éclatement de la crise d'octobre, le magazine insérait une publicité maison à l'intérieur de la page couverture (l'image au tout début de ce texte), dans le but de recruter des collaborateurs partout au Québec parce que, écrivait-on, «c'est tout le maudit pays qu'y faut libérer». Je tiens pour acquis qu'on voulait «libérer» le Québec, pas l'ensemble du Canada…

Bizarrement, dans les localités visées par cette campagne, on avait inclus les villes ontariennes d'Ottawa, Hawkesbury (mal épelé) et Cornwall… «On a besoin de mettre le restant de la province (sic) au courant de ce qui se passe dans les villes suivantes», précisent les rédacteurs du Quartier Latin. J'ai de la difficulté à m'imaginer ce qui, dans l'Est ontarien de 1970, aurait pu intéresser un magazine étudiant très politisé de l'Université de Montréal.

Ottawa, par contre, a toujours occupé une place un peu spéciale dans le casse-tête national. Capitale de la fédération, de nombreux Québécois y travaillent dans la fonction publique ou siègent au Parlement (Communes et Sénat), ou encore fréquentent l'Université d'Ottawa (qui a même une faculté de droit civil québécois). Du côté franco-ontarien, Ottawa a été longtemps le coeur d'une intense activité patriotique, surtout dans ses quartiers les plus francophones (c'est là que fut fondé l'Ordre de Jacques-Cartier, la Patente, en 1926).

Un vieux patriarche franco-ontarien comme Séraphin Marion, Ottavien de naissance décédé en 1983, était proche des idées de Marcel Chaput et René Lévesque, et écrivait des textes pro-indépendantistes dans un journal franco-américain du Massachusetts, Le Travailleur. Au cours du dernier demi-siècle, des milliers de Franco-Ontariens de la capitale ont franchi les ponts vers l'Outaouais et des milliers de Québécois venus d'un peu partout dans la province les ont remplacés… Cela crée une drôle de chimie…

Hawkesbury, la ville la plus francophone de l'Ontario, à mi-chemin entre Ottawa et Montréal, a sûrement produit son lot de Québécois souverainistes (j'en connais quelques-uns) et a été immortalisée par Jean Leloup dans I lost my baby… Quant à Cornwall, autre qu'elle ait donné au FLQ un de ses premiers membres, Omer Latour, et qu'elle soit située à proximité de la frontière québécoise, je ne vois pas en quoi elle aurait dû tant fasciner le Quartier Latin en 1970…

En 1967, lors des États généraux du Canada français, on avait assisté à une scission amère entre les délégués québécois et une grande partie de la délégation franco-ontarienne (les deux tiers). Encore aujourd'hui, entre l'oubli négligent de trop de Québécois et l'hostilité mal définie de trop de Franco-Ontariens, les ponts demeurent encombrés entre les deux collectivités. Mais sous la surface, les vieux liens de la langue et de la culture sont toujours là en 2016, comme des braises, prêtes à être attisées.

Pendant qu'à Montréal, la coalition monolithique xénophobe formée d'anglophones, d'allophones anglicisés et de francophones assimilés continue de manifester sa colère haineuse contre la majorité française, contre la Loi 101 et toute velléité autonomiste du Québec, je serais prêt à parier qu'il reste ailleurs au pays des milliers de sympathisants canadiens-français et acadiens (une minorité appréciable en tout cas…) prêts à soutenir les assises d'un Québec français contre les assauts des Doric Clubs du 21e siècle.

À Chute-à-Blondeau, Alfred, Ottawa, Moncton, Caraquet, St-Boniface, Sudbury, Kapuskasing, Hearst, et ailleurs, le Quartier Latin de 1970 comme ses successeurs de 2016 trouveraient sans doute, sous un accueil officiel plutôt frisquet, plusieurs chuchotements discrets de solidarité… qui se feront peut-être un jour entendre sur la place publique…

Matière à réflexion pour les diplomates, politiciens, sociologues et politicologues…



  





2 commentaires:

  1. « Quand je lisais au sujet de la déportation des Acadiens en 1755 ou à propos des rébellions des Métis sous Louis Riel, en 1869 et 1885, je me demande ce qu'auraient dit les sociologues de la «nation» à laquelle j'appartenais… » -Pierre Allard
    Laurent Desbois

    Ex-franco-hors Québec, d’origines métis et acadienne,
    fier Québécois depuis plus de quarante ans,
    et canadian… par la force des choses et temporairement …. sur papiers seulement!

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  2. Hawkesbury Québec. Fut un temps où j'aurais aimé mais je fois avouer que le cirque politique au Québec des dernières années a refroidi ce rêve. Faut dire que le chapiteau de Toronto n'est guère plus encourageant

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