mercredi 11 mai 2016

Qui s'intéresse aux hymnes nationaux?

À chaque présence du député Mauril Bélanger (libéral-Ottawa-Vanier) aux Communes, on se demande si cela ne risque pas d'être sa dernière. La maladie de Lou Gehrig dont il est atteint ne pardonne pas, et le mine davantage chaque jour. La semaine dernière, il a quitté son lit de l'hôpital Montfort pour tenter de faire progresser un projet de loi qu'il parraine depuis des années - celui de modifier deux petits mots de la version anglaise de l'hymne national canadien.

Les députés conservateurs ont une fois de plus torpillé son projet de loi en refusant de donner leur consentement à la poursuite du débat. Cela aurait signifié une remise à l'automne 2016… mais une de ses collègues québécoises lui a offert une place à l'agenda qui lui était réservée, le 30 mai (voir http://bit.ly/1VTyiUh). Si les conservateurs changent d'idée, le débat continuera en comité parlementaire… mais rien ne garantit une issue rapide...

Sur le plan humain, il est difficile de voir ainsi contrecarrées les ultimes volontés d'un politicien dont les jours sont comptés, surtout quand on se doute qu'à la longue, sa modification à l'hymne national anglais - ou quelque chose qui lui ressemble - finira par rallier le Parlement.

Le sujet n'a pas beaucoup d'intérêt pour les francophones, du moins pour le moment. Dans l'Ô Canada de langue anglaise, le député Bélanger veut remplacer les mots «thy sons» par une expression neutre, dans l'esprit du respect de l'égalité des sexes. Personne ne pouvant s'opposer au principe, on s'objecte pour des motifs de tradition et d'opinion publique (qui serait contre, apparemment).

L'argument de la tradition restera sans doute le plus efficace. Dans de nombreux pays, les hymnes nationaux ont été composés et adoptés à une époque où la situation politique et les valeurs étaient fort différentes des temps actuels. J'ai toujours eu une préférence pour La Marseillaise, que je trouve inspirante et rassembleuse, mais je dois avouer que je n'avais jamais vraiment lu toutes les paroles…

Après Allons enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé, tout devenait flou… Puis je me souvenais d'Aux armes citoyens, formez vos bataillons… Déjà, l'Aux armes citoyens ça fait pas mal bagarreur et je n'imagine pas le président Hollande s'adressant ainsi, sur son ton monocorde, aux citoyens de France… De fait, l'ensemble de l'hymne national est violent et sanguinaire…

«L'étendard sanglant est levé… Ils viennent jusque dans vos bras égorger nos fils, nos compagnes… Qu'un sang impur abreuve nos sillons…» Évidemment, ce qu'il faut comprendre, c'est que le texte remonte à la Révolution française alors que la jeune république était attaquée et envahie… C'était un appel à la résistance… La tradition… Faute d'avoir lu leurs manuels d'histoire, on en verrait, des tas de députés, présenter à l'Assemblée nationale française des textes d'un patriotisme plus pacifique…

Même la version française de l'Ô Canada contient des passages au moins aussi contestables (avec les yeux de 2016) que la version anglaise… Car ton bras sait porter l'épée, il sait porter la croix… Une arme dans une main, le crucifix dans l'autre… Ça non plus, ça n'a rien de pacifique, et ce n'est très certainement pas neutre sur le plan religieux. Quand on remonte au texte original de l'Ô Canada, le dernier couplet de l'hymne finit par les paroles suivantes: Le cri vainqueur: pour le Christ et le Roi

Entre le nombre croissant d'athées, les adeptes de religions non chrétiennes et les pacifistes, une forte proportion de la population pourrait s'objecter à la version française actuelle… dans la mesure où cela les intéresse bien sûr… Mais encore là, il faut savoir que cet hymne a été composé en 1880 comme chant national canadien-français, pour une fête de la Saint-Jean-Baptiste, en opposition au God Save the Queen et au Maple Leaf Forever… À cette époque on pensait ainsi…

Et aussi, faut-il le rappeler, le Canadien de 1880 aurait de fortes chances de s'appeler Québécois aujourd'hui… On n'a qu'à voir les paroles du deuxième couplet de l'Ô Canada, qui ne font plus partie de la version officielle contemporaine: Sous l'oeil de Dieu, près du fleuve géant, le Canadien grandit en espérant.» Pas dans les Prairies, même pas en Acadie, mais dans le bassin du Saint-Laurent… La référence au Roi est également intrigante, compte tenu que Victoria était reine depuis 43 ans et le serait pour deux autres décennies… Un rappel de l'ancienne monarchie française?

Enfin tout cela laisse sans doute 99% de la population indifférente… Au rythme où vont les choses, Mauril Bélanger risque de ne jamais voir ses amendements adoptés à la version anglaise d'Ô Canada… Personne ne semble vouloir contester la présence de la croix et de l'épée dans la composition Lavallée-Routhier, devenue officielle. Et les Français chanteront sans doute Aux armes citoyens encore très, très longtemps…

Peut-être la question des hymnes nationaux susciterait-elle davantage d'intérêt si le Québec décidait de s'en donner un, enfin… Ne sommes-nous pas une nation (même la Chambre des communes le reconnaît), avec des institutions nationales, un drapeau national? Pourquoi pas un hymne? Pas besoin d'être indépendants pour ça. De fait nous en avons peut-être un, déjà consacré par le public depuis la Saint-Jean de 1975: Gens du pays. Ça parle d'amour et d'espoir. Ça me suffit!



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