mardi 23 février 2016

Pour les ultimes enfants du Règlement 17

J'accepte vos excuses, Mme Wynne. Quoi? Un petit vieux de Gatineau, Québec? De quoi se mêle-t-il, celui-là, diront certains…

C'est simple. Je suis un enfant du Règlement 17. J'ai passé les 29 premières années de ma vie en Ontario. Je suis né à Ottawa en 1946, seulement trente-quatre ans après la proclamation dudit règlement et près de 20 ans après qu'il fut plus ou moins tombé en désuétude (1927)…

On a tort de rendre trop abstrait, parfois, ce débat sur l'interdiction du français comme langue d'enseignement, de 1912 à 1927, dans les écoles franco-ontariennes. Les décideurs étaient des personnes, en chair et en os, comme les petites et grandes victimes de cette persécution.

Mes grands-parents se souvenaient des batailles d'épingles à chapeaux dans la Basse-Ville d'Ottawa. Mon papa, qui aurait bien voulu s'instruire et qui aurait tout sacrifié pour traîner ses enfants jusqu'aux portes de l'université, a dû quitter l'école à l'âge de 13 ans faute d'écoles françaises au secondaire…

J'étais trop petit pour m'en rendre compte au primaire mais nos écoles - françaises et catholiques - étaient sous-financées et parfois sous-équipées. En huitième année, dans une école soi-disant franco-ontarienne, on m'enseignait en français le matin et en anglais l'après-midi… Pourquoi?

Le Règlement 17 n'était plus en vigueur, pourtant. Vrai. Mais les personnes qui l'avaient adopté et leurs successeurs - aussi racistes qu'eux - ne faisaient jamais de faveur aux Franco-Ontariens… Les concessions étaient consenties au compte-gouttes... en nous obligeant à dire merci avec le sourire…

Quand, en 1959, est arrivé pour moi le temps d'entrer au secondaire il n'y avait toujours pas d'écoles de langue française. Mes parents se sont endettés pour m'inscrire à une école privée, l'École secondaire de l'Université d'Ottawa, où j'apprendrais dans ma langue des matières comme le français, la géographie, l'histoire et la religion… mais pas la chimie, la biologie, les mathématiques et autres… ça c'était toujours en anglais…

Nous étions 500 francophones et 200 anglophones à cette école des Oblats… et rendus en 11e année, plusieurs d'entre nous étions déjà passablement assimilés… Je parlais plus souvent qu'autrement l'anglais à mes amis… Cela devait heureusement changer l'année suivante, en 1962, quand, débordement de la Révolution tranquille aidant, la situation au pays a secoué notre torpeur…

Ce que j'ai subi sur le plan scolaire dans une période où le Règlement 17 était supposément mort et enterré, d'autres l'ont subi en pire. La grande majorité des jeunes de mon quartier d'Ottawa, un quartier francophone modeste, ont été obligés de fréquenter l'école secondaire publique anglaise… Ils n'avaient pas le choix… Et n'allez pas croire que cela n'a pas eu d'effets permanents!

Le Règlement 17 était mort…. mais pas son esprit.

Plus tard, alors que j'avais élu domicile au Québec, deux de mes filles ont étudié à l'Université d'Ottawa… en génie. Plus elles avançaient vers leur bac, plus le nombre de leurs cours en anglais augmentait! Je me souviens encore des pétitions qu'elles devaient circuler et faire signer pour espérer - sans succès - avoir tel cours dans leur langue l'année suivante.

Mme Wynne, quand on fait du tort à mes filles, c'est à moi personnellement qu'on le fait.

Et aujourd'hui, des jeunes Franco-Ontariens - dont certains que je connais - tentent de briser le dernier obstacle à un réseau scolaire complet dans leur langue: obtenir une université bien à eux, bien à elles. Ce ne sont pas des individus anonymes, il n'y a pas là qu'une collectivité sans nom…

On voit leur visage et leur regard, on entend leurs paroles. Ce qu'ils demandent, c'est ce que les Anglo-Québécois ont toujours eu. Non, moins que ça. Une seule université suffirait pour le moment. Ils n'en demandent pas trois comme au Québec…

Si vous croyez vos propres paroles d'excuses, vous savez que ces ultimes enfants du Règlement 17 ont raison. Vous avez entrepris d'écrire une importante page d'histoire. Finissez-la bien!





2 commentaires:

  1. "Moi, ce n'est pas des excuses que je veux... c'est un pays, qui me ressemble!" -ex-franco-Ontarien


    Le député libéral (ex-NDP) de Sudbury, Glenn Thibeault, qui a présenté la résolution, a une page FACEBOOK unilingue « anglophone », comme dirait Mélanie Joly!

    Ne lâches pas mon Glenn!

    Member of Provincial Parliament for Sudbury
    Parliamentary Assistant to the Minister of the Environment and Climate Change

    https://www.facebook.com/#!/glennthibeault.sudbury/?fref=ts

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  2. Mais telle est l’histoire du Canada : il ne reconnaît finalement le fait français qu’après l’avoir désamorcé politiquement.

    Je ne dis pas qu'il ne faut pas, dans les circonstances, se réjouir de ces excuses, même si comme je l’ai dit, elles s’inscrivent dans une vision de l’histoire qui confirme la désintégration de ce qui fut le peuple canadien-français.


    Les étranges excuses aux Franco-Ontariens


    Mathieu Bock-Côté, 22 février 2016

    http://www.journaldemontreal.com/2016/02/22/les-etranges-excuses-aux-franco-ontariens

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