mercredi 10 février 2016

Je me souviens de 1956...

Le calendrier ne ment pas. J'aurai 70 ans cette année… Pas que cela me dérange tellement… C'est en 1956 que le changement de décennie m'a le plus bouleversé. L'enfant ne raisonne pas comme l'adulte, j'imagine, et je me disais alors qu'en ce mois de juillet '56 mon âge passerait d'un chiffre (9 ans) à deux chiffres (10 ans) et que selon toute probabilité, je ne me rendrais jamais à trois (100 ans)… Je m'étais tout à coup senti très vieux…

Nous étions quelques-uns, en cinquième année au primaire, à avoir fabriqué des «capsules témoin» personnelles, contenant quelques menus objets (je me souviens qu'il y avait une fronde dans la mienne) destinés à nous rappeler ce que nous faisions à l'âge de 10 ans. Nous devions les déballer dix années plus tard, en 1966… Inutile de dire que ces capsules ont été jetées, perdues ou oubliées bien avant 1966… et me voilà en 2016, vieux en dehors mais conservant, quelque part en moi, l'esprit de ce gamin de 10 ans qui voulait immortaliser la fin de sa première décennie.

Je n'ai plus de capsule historique à redécouvrir. Alors je devrai faire appel à ma mémoire pour replonger soixante années en arrière, dans le petit quartier francophone Mechanicsville-Saint-François d'Assise, dans l'ouest de la ville d'Ottawa. Refaire les rues et environs de mon enfance n'aiderait pas beaucoup, tellement les choses ont changé depuis le milieu du 20e siècle. Sur la grande artère commerciale du quartier, la rue Wellington, une personne qui serait transportée de 1956 à 2016 ne reconnaîtrait peut-être que deux bâtisses: l'église Saint-François d'Assise et la taverne Elmdale House… Une morale là-dedans?



Je ferme les yeux et je tente de visualiser l'environnement de mon enfance. J'habitais sur la rue Hinchey, entre la voie ferrée du CP et la rivière des Outaouais (en face du quartier Val Tétreau de Hull), dans l'ancienne maison de mon grand-père Joseph Allard, avec trois autres familles - une tribu joyeuse et animée d'oncles, de tantes, de cousins et de cousines. Sous une apparence de stabilité et de tradition, à l'ombre du clocher paroissial, j'avais déjà le sentiment d'une amorce de changements profonds…


La maison de nos quatre familles...

Nous avions désormais un téléviseur. Au lieu de passer des soirées sur le perron à jaser entre voisins, les gens restaient encabanés devant un écran noir et blanc enneigé à écouter Radio-Canada…

Notre téléphone avait maintenant un cadran et nos numéros avaient sept chiffres. Avant, on levait le récepteur et une téléphoniste de Bell Téléphone nous demandait (en anglais) le numéro qu'on voulait signaler…

Le laitier et le boulanger étaient sur le point, ou venaient tout juste de mettre leurs chevaux au pâturage, pour livrer leurs produits en camion… Finie l'écurie au bout de la rue, près de la rivière…

L'année précédente, la «glacière» - une espèce de grange où la glace était conservée l'été pour les frigos sans électricité - avait brûlé, menaçant d'emporter le quartier avec elle… Elle ne serait pas rebâtie…

L'immense pré de M. Tunney, d'où les vaches étaient disparues depuis longtemps, demeurait notre terrain de jeu (on l'appelait le «port») en 1956 mais de nouvelles bâtisses gouvernementales le grignotaient d'année en année. Aujourd'hui, plus de 10 000 fonctionnaires y travaillent…

Nous avons arpenté chaque centimètre des rives de la rivière des Outaouais entre la baie Vachon et le pont Champlain à l'ouest… Aujourd'hui un grand boulevard à quatre voies recouvre nos anciens sentiers riverains…


L'ancienne école St-François d'Assise (photo 2014)

L'école Saint-François d'Assise débordait, au point où une nouvelle école primaire a dû été construite en 1954 près de chez nous. Qui aurait pu croire que les deux bâtisses seraient vides avant la fin du siècle? L'école St-François (celle de 1933) a été démolie l'an dernier…

La voie ferrée du Canadien Pacifique, la vieille gare et le carrousel de locomotives à vapeur nous fascinaient. C'était la fin d'une époque. Aujourd'hui, les rails ont été remplacés par une voie rapide pour autobus…


Les maisonnettes entourées de blocs d'appartements...

Le complexe fédéral du pré Tunney a eu pour effet de densifier les abords (c'est-à-dire nos rues) et de tuer l'âme du quartier. Certaines rues ressemblent toujours à 1956 mais d'autres sont méconnaissables…

Nos vieilles épiceries du coin ont toutes fermé leurs portes, y compris le dépanneur de M. Lavoie où nous pouvions nous procurer des mello-rolls (genre de cornet où la crème glacée avait la forme d'un cylindre…).



Presque tous les points de repère commerciaux et institutionnels de la rue Wellington font partie d'un lointain passé…
- la caisse populaire en face de l'église
- la bijouterie de Jean-Marc Lavoie
- la mercerie de mes grands-parents
- l'épicerie A&P où travaillait mon futur beau-père
- le petit resto où l'on s'achetait des frites et où on écoutait le jukebox…
- l'hôpital de l'Armée du Salut où je suis né
- les deux salles de quilles
- la pharmacie de M. Ranger
- et j'en oublie…

C'est aussi en 1956 que je suis devenu enfant de choeur, et très vite appris que le latin ne se prononçait pas comme le français… C'est au cours de cette même année que j'ai commencé à livrer des journaux, et pris l'habitude de lire la page une tous les jours en arpentant les rues du quartier, été comme hiver, beau temps mauvais temps… C'est aussi à cette époque que je dévorais tous les Tintin de la bibliothèque municipale, m'imaginant sans doute un jour reporter comme le héros des albums d'Hergé.

Ce fut aussi l'année de la découverte d'Elvis et du rock'n roll…

Somme toute, une année mémorable. C'était il y a 60 ans… et je m'en souviens! Et vous, qui avez peut-être aussi mon âge, que s'est-il passé dans votre patelin il y a 60 ans?










2 commentaires:

  1. Je n'ai pas tout à fait votre âge, monsieur Allard, mais je n'en suis pas si loin.

    En 1963, l'année où j'ai eu dix ans, la petite ville où j'ai grandi, Dorion, n'était pas encore fusionnée à Vaudreuil. Vaudreuil, où habitait encore Félix Leclerc, était encore un village moins peuplé que Dorion.

    La rue Saint-Charles traversait Dorion du nord au sud, enjambant les deux passages à niveau du CN et du CP, remplacés depuis par des viaducs à cause de la tragédie du 7 octobre 1966, où vingt adolescents sont morts et une vingtaine d'autres ont été plus ou moins gravement blessés.

    Deux paroisses desservaient les fidèles de Dorion : Très Sainte Trinité et Saint-Jean-Baptiste. L'église Saint-Jean-Baptiste est fermée aujourd'hui. On en a fait un centre de loisirs, je crois.

    Le boulevard Harwood, aujourd'hui rebaptisé autoroute du Souvenir, traversait la ville d'est en ouest et n'était pas encore à double voie : c'est seulement à la veille de l'Expo 67 que des travaux d'envergure ont fait doubler de largeur ce boulevard ainsi que bien d'autres artères des environs de Montréal.

    Mes parents tenaient le «restaurant Sauvé» où, enfant, j'ai dévoré quantité de sucreries en écoutant les chansons que crachait notre juke-box. Aujourd'hui, c'est le dépanneur «Le Gobelet» qui occupe cet édifice. En face, l'un de mes oncles gérait un magasin général, où l'on pouvait acheter à la fois de la nourriture et divers articles de quincaillerie : un genre de commerce disparu depuis longtemps, du moins en ville. Les Costco et autres offrent plus encore de nos jours, mais ils ne sont pas situés au coeur des villages.

    Aujourd'hui, Dorion a changé, mais pas autant que Vaudreuil qui s'est énormément développé. Un ex-compagnon de classe à moi est devenu maire de la ville. Quant à moi, je n'y retourne plus guère que pour des funérailles...

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