mercredi 14 octobre 2015

Non mais d'où sort-il?

De toute évidence, le ministre québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes, Jean-Marc Fournier (ou celui ou celle qui écrit ses textes d'opinion), ne connaît pas grand chose à la francophonie hors-Québec. Il en a fourni la preuve dans un texte presque risible - qui porte sa signature - paru le jeudi 8 octobre dans la page «Idées» du quotidien Le Devoir, dans lequel il semble vouloir offrir sa «vision» de la francophonie canadienne (http://bit.ly/1PqNns9).

J'étais à l'extérieur du pays au moment de sa publication (je l'ai lu hier) et je ne sais pas si M. Fournier a reçu ou pas quelques taloches verbales bien méritées. Si ses propos ont suscité l'indifférence habituellement réservée aux enjeux des minorités canadiennes-françaises et acadiennes, il serait temps que quelques plumes s'aiguisent pour rétablir les faits…

Commençons par le début. Le train de M. Fournier déraille avant même de quitter la gare. Il écrit: «ils sont 2,6 millions de francophones et francophiles à l'extérieur du Québec. Ils se sont battus pour pouvoir étudier en français, travailler en français, vivre en français». Deux virgule six millions de «francophones et francophiles»? Ce chiffre provient du recensement fédéral de 2011 (plus précisément c'est 2 584 685) et il englobe tous les Canadiens hors-Québec qui disent «connaître» le français.

Cette population se divise en deux groupes, principalement: 1) ceux et celles qui ont le français comme langue maternelle (près d'un million) et 2) ceux et celles - anglophones et allophones - qui ont appris le français comme langue seconde ou tierce (environ 1,6 million). Et ajoutons que sur ce premier million ayant le français comme langue maternelle, moins de 600 000 l'utilisent comme langue principale à la maison.

Il y a au maximum, donc, un million de francophones hors-Québec. Et rien ne démontre que cette masse d'anglophones et allophones bilingues ou plurilingues (l'autre 1,6 million) soient francophiles. Par le passé, l'immense majorité d'entre eux ont été passablement silencieux quand les droits du français ont été attaqués dans leurs provinces. Ce sont les éléments les plus militants du million de Canadiens français et Acadiens qui ont dû porter le poids des luttes historiques et qui doivent poursuivre le combat actuel «pour étudier en français, travailler en français, vivre en français».

L'allusion du ministre semble par ailleurs suggérer que ces objectifs ont été en grande partie atteints, même s'il reste «encore des défis à relever»… Il n'y a pas de doute que les injustices scolaires les plus criantes du premier siècle de la Confédération ont été réparées depuis les années 1960, mais des brèches importantes n'ont pas été colmatées. Il n'y a pas d'université franco-ontarienne. Et année après année, des francophones hors-Québec font appel aux tribunaux pour obtenir justice… Quant aux possibilités de travailler en français, ou de vivre en français, j'invite M. Fournier à tenter sa chance à Ottawa, Sudbury, Moncton, Winnipeg ou Toronto… Yes sir...

Après avoir une fois de plus parlé de ce fictif «2,6 millions», qu'il qualifie par ailleurs de «force francophone», il affirme que les indépendantistes «veulent ignorer (cette force) pour promouvoir leur vision d'un Québec français séparé d'un Canada anglais». Je comprends M. Fournier de vouloir attaquer les séparatistes à chaque occasion, mais l'enjeu soulevé par le chroniqueur Michel David (http://bit.ly/1KclHSN), du Devoir, auquel il répond, n'avait rien à voir avec la souveraineté. Il évoquait la possibilité d'appliquer la Loi 101 aux organismes et entreprises de compétence fédérale (les banques, par ex.)…

Il n'était donc pas question ici de suspendre l'application au Québec de la Loi sur langues officielles, comme le laisse entendre M. Fournier. Seules les institutions fédérales (ministères, etc.) et les sociétés d'État fédérales (Radio-Canada, par ex.) sont soumises aux dispositions de cette loi et si l'on avait à s'en plaindre, ce serait plutôt qu'elle soit insuffisamment respectée. Par exemple, cette loi donne aux francophones le droit de travailler en français dans les institutions fédérales, mais en réalité…

Par la suite, le ministre va jusqu'à prétendre, faisant fi des rapports de l'Office de la langue française, des données du recensement canadien et des analyses de Statistique Canada, ainsi que du simple bon sens, que «les progrès du français au Québec sont évidents»… et que «nier qu'il se porte relativement bien au Québec est le fruit d'un aveuglement volontaire». Non mais d'où sort-il? L'assimilation à l'anglais est déjà perceptible dans des régions comme l'Outaouais et le grand Montréal, mais il y a pire. La qualité du français parlé et écrit au Québec (et hors-Québec) laisse grandement à désirer. Près de 50% de nos adultes sont des analphabètes fonctionnels… Et on se lance dans l'anglais intensif?

Que l'on salue les combats sans fin des francophones dans les provinces à majorité anglaise, soit! Que le Québec appuie leurs revendications, soit! Que leurs victoires deviennent sources de fierté, soit! Mais cela ne justifie pas - par incompréhension ou à cause de connaissances insuffisantes - de trafiquer les effectifs des collectivités francophones ou de fausser la réalité linguistique et culturelle, tant québécoise que hors-québécoise.

Le ministre Fournier a bien raison quand il conclut que les francophones des autres provinces «doivent pouvoir compter sur l'appui du Québec». Mais pas de n'importe quel Québec. D'un Québec français, d'un Québec fort, rayonnant, d'un Québec qui s'informe des «vraies affaires» en matière de langue et de culture, d'un Québec qui se comporte en véritable chef de file et non en lavette, d'un Québec qui - peu importe l'objectif final - devra être bien plus qu'une simple province pas tout à fait comme les autres. 

Ils ne sont pas 2,6 millions, M. Fournier. Loin de là. Mais qu'ils soient 600 000 ou 1 million, ils restent les avant-postes de la francophonie en terre d'Amérique. Leurs combats sont les nôtres. Leurs victoires, les nôtres. Leurs défaites, les nôtres. Mais surtout, n'oubliez pas que nos combats, nos victoires, nos défaites, sont aussi les leurs. Offrons-leur donc quelques victoires!

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Un dernier mot…

En utilisant la méthode de calcul qui donne 2,6 millions de francophones hors-Québec, on obtient 3 692 585 anglophones au Québec (anglophones plus les francophones et allophones qui connaissent l'anglais) - soit 47% de la population !

2 commentaires:

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  2. Allez donc au bout de votre raisonnement au lieu de tourner autour du pot. Pour faire un "Québec français, un Québec fort, rayonnant, 'un Québec qui s'informe des «vraies affaires» en matière de langue et de culture, d'un Québec et qui se comporte en véritable chef de file" il n'y a qu'une seule solution : l'indépendance. Il n'y a pas un peuple, pas une nation qui regrette de s'être donné la liberté. Pas un. Le président islandais est venu le dire à l Assemblée nationale du Québec. Avez-vous entendu son message?

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