mardi 3 février 2015

Vraiment, M. Fraser...

Le Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, patinait déjà sur une glace mince comme diraient les Anglais, mais cette fois, la patinoire craque... Cherchant à défendre la thèse d'une minorité anglo-québécoise en péril (du moins hors de la région montréalaise), il se fait invariablement opposer le sort, bien pire, des francophones hors-Québec. C'est un peu ce qu'a fait le chroniqueur Michel David, la semaine dernière, dans un texte (http://bit.ly/1ENsbVW) intitulé La famille éclatée.

Piqué au vif semble-t-il, M. Fraser a expédié une lettre (http://bit.ly/16dmvZl) au Devoir, publiée hier (3 février), où il affirme ne pas avoir comparé des pommes et des oranges, puis ajoute - comme pour éviter qu'on fasse constamment ressurgir les péchés historiques du Canada anglais à l'endroit des minorités francophones: «Laissons de côté la question de comparaison; comme dit le proverbe, toute comparaison est odieuse. Faisons des constats.»

Bâtissant sur cette esquive plutôt indigeste, il brosse un tableau presque pitoyable des 300 000 Anglo-Québécois hors-Montréal - des collectivités vieillissantes, pauvres et en proie au chômage, ayant de moins en moins accès à des services dans leur langue, des communautés dont les écoles sont peuplées d'une forte proportion d'enfants de familles exogames qui parlent souvent le français à la maison… Et ce sont bien là des «constats», dit le Commissaire…

Quoi? Il faudrait accepter cette fresque larmoyante sans questionner parce que le Commissaire aux langues officielles nous assure que c'est un «constat», sans même avoir le droit de la comparer au vécu des Acadiens et des Canadiens français de l'Ontario et de l'Ouest, parce que le Commissaire croit les comparaisons «odieuses» comme le dit le proverbe? Il y a tellement de trous et d'oublis dans ses «constats» qu'une réplique s'impose... une réplique vigoureuse.

En tant que Québécois vivant dans une région majoritairement francophone (l'Outaouais) où l'anglais fait constamment des gains, et en tant qu'ex-Franco-Ontarien ayant assisté au cours du dernier demi-siècle à la disparition de tous les quartiers urbains à majorité française de son ancienne province, je crois que j'ai le droit - le devoir - d'être plus qu'un peu insulté… Je vais donc y aller de mes propres constats, puisque le Commissaire y tient, mais sans me priver du droit d'inclure des comparaisons...

Entre Calgary et Québec...

1. Bien sûr, les petits groupes d'anglophones dans des municipalités québécoises hors-métropole à plus de 90% francophones ont tendance à se franciser lentement, et le nombre d'enfants issus de couples exogames (un parent francophone, l'autre anglophone) y est élevé. C'est inévitable. Mais le rythme de transferts linguistiques est lent, en comparaison avec la francophonie hors-Québec. À Québec et Sept-Îles (proportion d'anglos entre 1,5 et 3% de la population totale), entre 25 et 30% des anglophones ont été «francisés». À Calgary (environ 1,5% de langue maternelle française), plus de 60% des francophones ont été anglicisés. Et c'est pire dans bien d'autres villes. L'assimilation est au moins deux fois plus rapide chez les francophones hors-Québec dans des régions comparables!

La dynamique linguistique

2. Et il faut ajouter à cela que hors-Québec, même dans les agglomérations à majorité française (sauf la péninsule acadienne et le Madawaska au Nouveau-Brunswick), ce sont les francophones qui se font assimiler par la minorité anglophone. Même au Québec, dès que la proportion d'anglophones dépasse le seuil de 20 à 25% dans une localité, la dynamique linguistique favorise la langue anglaise. Ainsi, au Québec, des francophones (et des allophones) se font assimiler en Outaouais, dans le West Island, ainsi qu'à l'ouest et au sud-ouest de l'île de Montréal! Le fait est qu'au Québec, le français court plus de dangers que l'anglais! Et ça aussi, c'est un constat!

L'exogamie? Parlons-en!

3. La généralisation de l'exogamie, que Stéphane Dion voit comme le plus grand défi actuel pour la francophonie hors-Québec, menace l'existence même de plusieurs collectivités francophones ailleurs au pays, alors qu'elle reste - sur le plan linguistique et identitaire - un phénomène relativement marginal au Québec. Plus de 60% des jeunes Franco-Ontariens vivent dans des unions exogames, et les trois quarts de leurs enfants ne parleront pas français. Dans quelques générations, la relève se fera rare et le nombre de francophones (des gens de langue maternelle française) culbutera dramatiquement. Au Québec, les anglophones réussissent toujours à faire le plein en attirant à la langue anglaise près de la moitié des allophones.

Francophones bien plus bilingues que...

4. L'accès aux services de langue anglaise. Dans les régions les plus francophones du Québec, où les anglophones sont de toutes petites minorités, on retrouve toujours une proportion élevée de personnes qui connaissent l'anglais parce qu'une partie appréciable des francophones est bilingue. À Québec, ville francophone à 98%, près de 40% de la population sait parler l'anglais! À Calgary, où plus de 90% de la population est anglophone, seulement 7,6% de la population connaît le français (cela inclut les anglos bilingues). À Sept-Îles, francophone à 98%, plus de 27% de la population connaît l'anglais. Même dans ces coins, les chances, pour un anglophone, de se faire servir dans sa langue restent bonnes. Le contraire n'est pas vrai pour les francophones dans des situations semblables hors-Québec.

Services en langue anglaise?

5. Dans des villes hors-Québec où les francophones représentent de petites minorités - Toronto, Hamilton, Saskatoon, Edmonton, Vancouver et bien d'autres - ils n'ont aucune garantie de services dans leur langue dans les institutions provinciales et municipales, et ne s'y attendent pas. Ils doivent accepter que la langue commune est l'anglais. Pourquoi cela devrait-il être différent dans les coins du Québec où les anglophones forment de très petites minorités? Pourquoi le Commissaire défend-il leur «droit?» de recevoir des services dans leur langue au lieu de les encourager à utiliser le français? Pourquoi deux poids, deux mesures, selon qu'on est au Canada anglais ou au Québec?

Dynamique et stimulante?

6. Le Commissaire, dans sa réplique à Michel David, insiste sur le déclin et la menace qui pèse sur quelques centaines de milliers d'anglophones hors-Montréal. Mais quand il était allé prononcer un discours à Calgary, il y a quelques années, il n'avait pas évoqué les taux d'assimilation de 60% des francophones dans cette ville, préférant insister sur le fait que quelque 65 000 anglophones (sur un million) connaissent le français… ce qui fait un total de 82 000 bilingues… qui ont, dit-il «créé une culture dynamique et stimulante»… Quand, sur 16 900 francophones de langue maternelle à Calgary, seulement 6730 utilisent principalement le français à la maison, c'est «dynamique et stimulant»? Quels sont les constats du Commissaire quand il s'agit de constater la situation bien plus dramatique des collectivités francophones éloignées dans les provinces à majorité anglaise?

Indifférence, hostilité depuis près de 150 ans


J'ai beaucoup de sympathie pour le vieil anglophone, pauvre et en chômage, à Shawinigan, Rimouski ou Drummondville. Il a sans doute, à l'occasion, quelque difficulté si, dans toute sa vie à cet endroit, il n'a jamais appris le français. Et je n'ai aucun doute que si les médias anglo-canadiens en entendent parler, il deviendra le plus récent martyr de ces vilains racistes francophones du Québec… Mais j'ai encore plus de sympathie pour les francophones hors-Québec (et de certaines régions du Québec) qui - même quand ils ne sont pas des petites minorités - luttent toujours après 150 ans de Confédération pour obtenir des services dans leur langue face à une majorité qui oscille entre l'indifférence et l'hostilité. À peu près aucun organe d'information - même la quasi-totalité des grands médias de langue française du Québec - ne s'intéresse à eux… Et ça aussi, c'est un constat!

Je serais curieux d'entendre en 2015 le commissaire Fraser jongler avec les «constats» (taux d'assimilation, transferts linguistiques, langue maternelle, langue d'usage, langue de travail, exogamie, etc.) qui menacent la langue française au Québec… et bien sûr ailleurs au pays. Ce n'est pas vraiment son mandat, mais il ne s'est jamais privé d'intervenir quand il le jugeait nécessaire. C'est d'ailleurs une de ses grandes qualités.










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