lundi 23 février 2015

Des trésors poussiéreux...

Quand, fin décembre 1989, le quotidien Le Droit a quitté l'édifice qu'il habitait depuis le milieu des années 1950 sur la rue Rideau, dans la Basse-Ville d'Ottawa, il a emménagé - comme locataire cette fois - dans des locaux plus exigus sur le Marché By. L'ère numérique, déjà en marche, faisait un pas de géant et laisserait dans son sillage de nombreuses victimes, dont l'ancien centre de documentation de la salle des nouvelles. Sans doute y avait-on conservé au fil des ans des tas de dossiers qui n'avaient plus beaucoup d'utilité, mais l'ensemble constituait un trésor d'information accumulée…

Ces dizaines et dizaines de classeurs remplis de photos, de coupures de presse et autres sont aujourd'hui disparus pour la plupart, mais j'avais récupéré quelques-uns de ces documents à la poubelle. Je les redécouvre aujourd'hui parce qu'il me faut, à mon tour, «élaguer» comme aime me le répéter souvent mon épouse… sans doute avec raison. Dans les paperasses poussiéreuses épargnées in extremis au début des années 1990, se trouvent quatre chemises consacrées à la vie du général Charles de Gaulle. Toute une trouvaille!


Le plus ancien document enfoui dans ces vieilles archives remonte au 5 juillet 1944, alors que la majorité de la France était toujours occupée et que l'invasion alliée piétinait dans les bosquets normands. Le général de Gaulle devait visiter le président Roosevelt à Washington et, avant de retourner en Europe, devait s'arrêter à Québec et à Montréal. Le «Service d'information français», agent des Forces françaises libres au Canada, avait préparé à l'intention de la presse un document biographique sur le général de Gaulle. Ce document, il ne doit pas en rester beaucoup d'exemplaires aujourd'hui!

«Sous la direction du Général de Gaulle, peut-on y lire, la France a maintenant une armée d'un demi-million d'hommes qui combat en dehors de la France et une armée intérieure en France de plusieurs centaines de milliers qui combat de manière efficace sous forme de guérillas, d'attaques à main armée et de sabotage.» Le centre de documentation du Droit avait conservé depuis près de 50 ans ce texte, imprimé de façon artisanale. Il est pour le moment chez moi mais j'espère qu'il intéressera, comme bien d'autres dossiers du Droit, le Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l'Université d'Ottawa.

Dans ses mémoires, publiés dans les années 1950, Charles de Gaulle réserve quelques pages à cette visite en sol québécois durant le second conflit mondial. Il évoque notamment l'accueil reçu dans la métropole : «Le 12 juillet, écrit-il, je gagne Montréal qui fait la démonstration du plus émouvant enthousiasme. Après réception à l'hôtel de ville (…), je m'adresse à une foule énorme, rassemblée sur le square Dominion et dans les avenues avoisinantes. Le maire, Adhémar Raynault, crie à ses concitoyens: "Montrez au général de Gaulle que Montréal est la deuxième ville française du monde!" Rien ne peut donner une idée du tonnerre des vivats qui, de tous ces coeurs, montent à toutes ces bouches.»

Cela ressemble, à peu de choses près, à un scénario que Montréal et le pays revivront en juillet 1967, quand le général-président de la France est revenu pour s'adresser une nouvelle fois à la foule montréalaise. À cet égard les chemises du centre de documentation contiennent, entre autres, les documents officiels émis quant à l'itinéraire du général, ainsi que quelques notes pour des allocutions du général de Gaulle et du premier ministre Daniel Johnson, mais surtout les textes originaux expédiés par les deux journalistes du Droit qui ont suivi le président français entre Québec et Montréal sur le chemin du Roy.


Ces reportages, dactylographiés par les journalistes Marcel Pepin et Marcel Desjardins sur les feuillets en trois copies de l'époque, étaient rédigés en fin de journée et expédiés à la salle des nouvelles d'Ottawa par train ou par autobus. La mention «CPR» ci-dessus me fait croire que c'était par train. Quand j'ai couvert la campagne électorale d'avril 1970 dans la région montréalaise, trois années plus tard, pour Le Droit, j'envoyais mes textes en fin de nuit par autobus au terminus de la rue Berri, à temps pour les deux éditions du jour (Le Droit était un journal d'après-midi, livré à l'heure du souper).

On trouve également dans une des quatre chemises les coupures de la presse anglo-canadienne, faisant état de réactions vives pour ne pas dire hystériques aux propos du général de Gaulle (a meddlesome old man, dit le Toronto Star), particulièrement après son célèbre «Vive le Québec libre!» J'ai aussi découvert quelques pages de l'ancienne revue Perspectives, publiée le samedi à cette époque dans plusieurs quotidiens y compris La Presse, Le Soleil et Le Droit, proposant une synthèse de la visite «tapageuse» du général…


Enfin, dans la dernière chemise reposaient les trois éditions spéciales du quotidien parisien Le Figaro publiées dans les jours qui ont suivi la mort du général de Gaulle en novembre 1970. Irremplaçables!

Dans toutes les salles de rédaction d'ici et d'ailleurs, le passage au numérique a probablement entraîné la réduction des ressources consacrées à la préservation d'archives imprimées. Combien de dossiers comme ceux du général de Gaulle ont-ils pris le chemin des dépotoirs ou des centres de recyclage? Quelques-uns? La plupart? Certains de ces documents sont déjà rares, quelques-uns sont uniques. Si l'histoire - même la petite histoire d'une salle de rédaction - a de l'importance pour la compréhension du passé et la préparation de l'avenir, il faudra faire plus d'efforts pour sauver ce qui reste…

Je promets de faire ma part. Et vous?

2 commentaires:

  1. Archives sont essentielles pour préserver, commémorer et apprécier notre patrimoine et créer un héritage pour les générations futures • http://www.fcoa-aavo.ca/fr/page/semaine-de-sensibilisation-aux-archiveso-du-2-au-8-avril-2012

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  2. Vieux documents, anciennes photos : avant de faire le tri, avant élaguer, visitez/consultez le CRCCF • http://arts.uottawa.ca/crccf/

    Le CRCCF : un trésor à connaître et faire connaître...

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