samedi 28 février 2015
Un petit coin de paradis...
Après quelques heures au Salon du livre de l'Outaouais (SLO), cet avant-midi (j'y étais allé aussi jeudi soir), j'en suis arrivé à la conclusion qu'il y a toujours lieu d'espérer pour la civilisation de l'imprimé. Les deux salles et les couloirs, regorgeant d'éditeurs et de livres, étaient bondés de visiteurs! Une ambiance absolument festive! Des jeunes, des vieux, des familles entières, circulant de kiosque en kiosque, jasant avec les auteurs, s'agglutinant autour de personnages de bandes dessinées ou de romans pour enfants (comme Geronimo Stilton), écoutant des conférences ou des tables rondes… et achetant des livres. Pas des écrans. Des volumes imprimés. Avec de l'encre. Sur du papier!
J'aurais bien aimé que les oracles de malheur de l'empire Power-Desmarais-Gesca, qui brûlent d'impatience à l'idée de liquider leurs journaux papier, aient l'occasion d'arpenter les allées achalandées du SLO (http://www.salon-livre-outaouais.ca), d'y voir des centaines, des milliers de personnes - dont nombre de leurs lecteurs et lectrices - prendre dans leurs mains et offrir à leurs yeux, leur cerveau et leur âme autre chose qu'un écran… pour ensuite rapporter chez eux des livres qu'on peut lire avec l'ensemble des sens - voir de ses yeux le texte et les images; toucher la couverture et les pages; entendre le doux froissement du papier; sans oublier l'odeur fraîche d'un livre tout neuf… Aucune tablette numérique ne peut procurer un tel plaisir.
Des grands classiques de l'antiquité aux plus récentes livraisons des maisons d'édition, des formats poche aux éditions de luxe, des essais philosophiques aux romans policiers aux bandes dessinées, le coeur de la francophonie bat vigoureusement ici, pendant les quatre jours du Salon du livre de l'Outaouais 2015, du 26 février au 1er mars. Plus de 400 auteurs et auteures, des centaines de milliers de livres et des dizaines de milliers de participants de tous âges... sous le même toit, au centre-ville de Gatineau. Un phénomène assez unique, dont on ne retrouve pas l'équivalent sur la rive anglo-ontarienne…
Quand je suis arrivé vers les 10 h, ce matin, il y avait tellement de monde qu'il fallait faire la file pour prendre l'escalier roulant qui mène à l'étage du Salon du livre… À l'intérieur, le bruit de la foule était un amalgame de conversations, d'éclats de rire, de salutations, et de cris d'enfants… Comme une très, très grande famille qui se rassemble pour faire la fête, pour célébrer, pour se voir et se reconnaître… En avalant un dîner rapide et un bon café à la foire alimentaire, avec un livre que je venais d'acheter bien sûr, et jetant un coup d'oeil à toutes ces gens qui faisaient comme moi, entrant et sortant du Salon du livre avec le sourire, j'avais la sensation d'avoir déniché un petit coin de paradis…
Vivement que les auteurs et auteures continuent de nous alimenter en livres et en articles de journaux et de magazines. Que les imprimeurs continuent de les imprimer. Que les libraires continuent de les vendre. Que le public continue de les acheter. Pour que des salons du livre continuent d'exister. Pour que de grands empires cupides ne puissent, un jour, nous obliger à tout prendre à l'écran (à leurs écrans)… Ils commencent aujourd'hui par les journaux, mais n'allez pas croire qu'ils vont s'arrêter là…
Et surtout n'allez pas croire qu'ils ont d'abord à coeur nos intérêts, ou encore la diversité culturelle… ou même la liberté de presse ou la liberté d'expression… La productivité, l'efficacité, la couleur de l'encre dans les bilans financiers passent bien avant… Et n'oublions jamais que notre journal en version papier et les livres qu'on range dans nos bibliothèques nous appartiennent. Ces écrits restent et resteront dans la mesure où nous les conservons. Veut-on vraiment voir venir le jour où toute notre information émanera d'un écran que de puissants intérêts (économiques, politiques) pourraient contrôler, modifier (ou éteindre…) à notre insu?
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Un signe des temps? Jusqu'à récemment, Le Devoir et Le Droit avaient des kiosques au Salon du livre de l'Outaouais. Le Devoir y est toujours et utilise le Salon pour vendre des abonnements en Outaouais. Le Droit, cependant, tout en continuant d'être associé au Salon, n'y a plus de présence physique sous forme de kiosque et de présentoir de journaux… Dans quelques années, si on croit les frères Desmarais, grands patrons de l'empire Power-Gesca, il n'y aura même plus de Droit en version papier… Mais c'est un sujet que les quotidiens de l'empire soumettent à une stricte censure… une bonne raison pour éviter des lieux publics comme un salon du livre…
vendredi 27 février 2015
Entre la cravate et le hidjab...
S'il faut porter une cravate… voici ma préférée.
À l'automne 1969, alors que j'étais journaliste depuis seulement quatre mois, j'ai obtenu un poste de courriériste parlementaire au quotidien Le Droit. Une occasion inouïe de suivre les grands dossiers du pays, de côtoyer les Trudeau, Marchand, Pelletier, Douglas, Stanfield, Caouette et bien d'autres. Mais à 23 ans, quand on est jeune et rebelle, ce qui nous frappe peut paraître surprenant aux vieux routiers…
Dans mon cas, ce fut le code vestimentaire de la Chambre des communes, qui obligeait tous les journalistes mâles à porter veston et cravate… Je détestais les cravates (je me suis quelque peu adouci depuis…), les considérant comme le seul vêtement humain à n'avoir aucune utilité. Mais le règlement était là, et ma contestation du code vestimentaire m'a valu quelques expulsions des Communes et des interventions des autorités de la Tribune de la presse parlementaire auprès de mes patrons à la salle des nouvelles…
J'étais pourtant vêtu proprement, avec pantalon, veston et col roulé assortis. Après ma dernière expulsion, je suis revenu le lendemain avec de vieux pantalons, une chemise carreautée, une cravate horrible et un veston style cowboy, à franges sur les manches (genre Davy Crockett). La chienne à Jacques. Mais c'était conforme au règlement et on m'a laissé prendre place à la Chambre des communes avec cet accoutrement…
Tout ça pour dire que souvent, comme dans le cas de la presse parlementaire (et je crois que ce règlement est toujours en vigueur, seulement pour les hommes), les codes vestimentaires ne s'appuient que sur des traditions, des coutumes, ou encore des perceptions de bienséance qui changent avec les époques et qui relèvent, au fond, du plus pur arbitraire. Ce qui m'amène au propos d'aujourd'hui: cette décision de la juge de la Cour du Québec d'interdire le hidjab (foulard complet, visage découvert) dans son tribunal…
Voilà le genre de situation qui se produit quand on laisse aux bons soins d'un juge ou d'un autre juge, chacun dans son tribunal, d'interpréter une directive voulant que les personnes présentes soient vêtues convenablement. Cette juge obligeant les témoins à enlever chapeaux et lunettes de soleil, elle ordonne aussi à cette femme d'enlever le foulard qui lui couvre la tête, ne le jugeant pas convenable. Elle ajoute, pour renforcer, que son tribunal est un endroit «laïc»…
Encore une fois, c'est le plus pur arbitraire. Je ne veux pas comparer ma cravate à son foulard islamique, mais dans un cas comme dans l'autre, les motifs invoqués pour obliger la personne à modifier sa tenue vestimentaires sont fondés sur des règles vagues et sujettes à interprétations variées…
Voilà pourquoi j'étais favorable (et que je le suis toujours) à la charte de la laïcité de Bernard Drainville (pas la plus récente version adoucie mais la première, claire et sans trop de compromis). Le projet du gouvernement Marois proposait des règles claires s'appuyant sur un concept éminemment défendable de neutralité et de la laïcité de l'État, ainsi que sur des préceptes constitutionnels comme l'égalité hommes-femmes. Des règles qui n'ont rien à voir avec l'arbitraire, mais qui consacrent l'égalité de tous les citoyens devant l'État et l'obligation pour les représentants de l'État de se conformer (jusque dans l'apparence) à des règles de neutralité.
Mais cette charte visait les personnes à l'emploi des institutions publiques dans leur rôle de serviteur du public. Elle ne concernait pas la vie privée des gens, ni la tenue vestimentaire des citoyens qui se présentent devant l'État (ou un tribunal) pour obtenir des services. Dans la vie privée, les règles sont établies par la constitution et par les autres lois et, en règle générale, ce qui n'est pas interdit, ordonné ou réglementé doit être permis… qu'on aime ça ou pas.
Personnellement, je n'aime pas beaucoup le foulard islamique, et ce, pour des raisons qui relèvent de l'égalité hommes-femmes. Je reste persuadé que ce foulard et ses variantes (allant jusqu'au niqab et la burqa) sont des manifestations publiques de l'inégalité des sexes et de l'infériorisation des femmes dans l'islam. De la même façon, j'aurais désapprouvé qu'on continue à obliger les femmes à couvrir leur tête dans les églises catholiques, comme jadis. Les religions, en général, ont cette fâcheuse tendance de reléguer les femmes à un statut d'inférieures…
Quoiqu'il en soit, ce que je pense du foulard islamique importe assez peu, parce que des milliers de citoyens n'ont pas la même opinion, et que pour un débat de ce genre, dans une société démocratique, il est malaisé pour une faction, même si elle estime avoir raison, d'imposer ses vues aux autres factions. Si une femme me dit qu'elle porte le foulard ou le voile par conviction, et si tel autre me dit que cela relève de la liberté de religion plus que de l'égalité hommes-femmes, je peux bien tenter de les convaincre… mais je me refuse à leur imposer mes valeurs.
Évidemment, si jamais un consensus social se dégageait à l'effet que tel ou tel vêtement ou signe extérieur constitue une violation de l'égalité entre les hommes et les femmes, une loi ou un règlement pourrait l'interdire. Mais nous n'en sommes pas là… En France on a interdit le port du niqab en public par loi, pour des motifs d'identification et de sécurité. Peut-être pourrait-on finir par en arriver à certains consensus sur les formes les plus extrêmes de ces tenues religieuses, mais certainement pas sur les foulards ou voiles qui laissent le visage découvert. Pas ici, pas maintenant.
Alors cette juge qui interdit le hijab dans sa cour patine sur une glace juridique fort mince… et son intervention aura probablement pour effet principal de nous relancer dans des débats hystériques (surtout dans la presse anglo-canadienne) sur la soi-disant xénophobie des Québécois, l'intégrisme et les mosquées dans les quartiers. On aura droit à des manchettes saugrenues et à des insultes de tous genres dans les médias sociaux, qui ne feront avancer en rien un débat pourtant fort pertinent… et important.
Ce qu'il nous faut, ce sont des repères constitutionnels et juridiques clairs, appliqués sans mille et une exceptions. Avec la charte du gouvernement Marois, on aurait fait du chemin. Mais là, on se trouve à la merci des décisions judiciaires, de conseillers municipaux obscurantistes, de gouvernements aux principes élastiques selon la proximité ou pas d'élections, de lobbys de toutes tendances et de la foire (la jungle?) des débats dans les médias traditionnels et sociaux… On n'est pas sortis du bois...
jeudi 26 février 2015
La francophonie ...bilingue?
Ce matin, dans les pages du quotidien Le Droit, on proposait aux lecteurs et lectrices un cahier spécial intitulé «Les Rendez-vous de la Francophonie». De quoi m'accrocher, compte tenu de l'intérêt que je porte depuis 50 ans à la langue et la culture françaises, jusqu'à ce que je m'aperçoive que ce diable de cahier est… bilingue!
Je ne comprends pas… mais vraiment pas! Les Rendez-Vous de la Francophonie ou RVF sont organisés pour promouvoir la langue française dans le cadre des manifestations entourant la Journée internationale de la Francophonie (20 mars)… Alors pourquoi les textes de ce cahier spécial sont-ils présentés en français et en anglais???
C'est aberrant, d'autant plus que l'instigateur des RVF est la «Fondation canadienne pour le dialogue des cultures», une émanation de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA)… Après 150 ans de combats pour faire valoir les droits des francophones de ce pays, est-on usé et rabattu au point de devoir s'habiller en «bilingues» pour présenter les RVF sur la place publique?
Je m'excuse d'avance de ne pas paraître très gentil avec des gens que j'estime et qui ont sûrement les meilleurs motifs et qui débordent de bonne volonté, mais agir ainsi, c'est s'humilier sur la place publique! Les RVF intéressent les francophones et les francophiles, c'est-à-dire des gens qui utilisent le français ou, dans le cas des francophiles, qui le comprennent ou s'y sentent tout au moins fortement attirés. Ils ne s'attendent pas à trouver dans les RVF un visage moitié français moitié anglais…
Au dernier recensement, celui de 2011, près de 10 millions de personnes pouvaient s'exprimer en français d'un océan à l'autre. Les trois quarts (7 millions et demie) ont grandi francophones. Mais les deux millions et demie qui restent sont des anglophones ou des allophones capables de comprendre et de communiquer en français. Les véritables francophiles sont là! Et l'immense majorité d'entre eux peut se débrouiller suffisamment bien en français pour lire un cahier spécial sans textes anglais…
N'y a-t-il pas dans ce 10 millions de «francophones» un défi suffisamment grand pour les RVF? N'est-il pas déjà assez difficile de promouvoir la francophonie au sein des groupes francophones (québécois, canadiens-français et acadiens)? Les 22 millions de Canadiens et Canadiennes qui ne connaissent que l'anglais comme langue officielle s'intéressent assez peu à nous, et oscillent le plus souvent entre l'indifférence et l'hostilité… Leur proposer un cahier bilingue, c'est un gaspillage de ressources…
Le cahier, sur la page de dos, contient au moins un brin d'humour avec la publicité d'une demi-page d'Air Canada intitulée (dans sa version française): «Fiers de parler français dans les airs et sur terre.» Cela plaira sûrement au couple Thibodeau, qui pourra sans doute commander ses 7up en français à l'avenir, et au commissaire aux Langues officielles, Graham Fraser, qui n'a pas, ces dernières années, constaté à Air Canada la «fierté» que vante cette pub…
J'ai aussi lu avec stupéfaction le message - bilingue comme tous les autres - du ministre québécois responsable de la francophonie canadienne, Jean-Marc Fournier. «Le Québec, écrit-il dans la version française, à l'aube du 150e anniversaire de la Confédération, souhaite souligner la contribution essentielle de la francophonie canadienne à l'enrichissement du pays.» Non mais dans quel «pays des merveilles» le ministre sommeille-t-il depuis sa nomination?
Depuis 1867, les provinces à majorité anglaise ont toutes indiqué leur attitude face à la «contribution» possible de leurs minorités francophones en abolissant leurs droits scolaires et en entretenant des politiques quasi racistes d'assimilation, et ce jusqu'à ce que la «Révolution-pas-très-tranquille» du Québec dans les années 1960 vienne menacer l'intégrité du pays. Au cours du dernier demi-siècle, les luttes ont continué et aboutissent le plus souvent devant les tribunaux…
La «contribution essentielle» de la francophonie canadienne à la Confédération a été de survivre tant bien que mal aux assauts d'une majorité largement intolérante… Le ministre devrait peut-être repenser au 150e et s'interroger sur le mérite de célébrer quoi que ce soit… à moins d'en profiter pour rendre hommage aux luttes et à la résistance qui nous ont menés jusqu'à 2017…
On veut faire des rendez-vous de la francophonie? Merveilleux! On vous invite en français. On dialogue en français. On parle et on écrit en français. C'est notre identité et c'est ainsi qu'on se présente, fièrement et dignement !
Je ne comprends pas… mais vraiment pas! Les Rendez-Vous de la Francophonie ou RVF sont organisés pour promouvoir la langue française dans le cadre des manifestations entourant la Journée internationale de la Francophonie (20 mars)… Alors pourquoi les textes de ce cahier spécial sont-ils présentés en français et en anglais???
C'est aberrant, d'autant plus que l'instigateur des RVF est la «Fondation canadienne pour le dialogue des cultures», une émanation de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA)… Après 150 ans de combats pour faire valoir les droits des francophones de ce pays, est-on usé et rabattu au point de devoir s'habiller en «bilingues» pour présenter les RVF sur la place publique?
Je m'excuse d'avance de ne pas paraître très gentil avec des gens que j'estime et qui ont sûrement les meilleurs motifs et qui débordent de bonne volonté, mais agir ainsi, c'est s'humilier sur la place publique! Les RVF intéressent les francophones et les francophiles, c'est-à-dire des gens qui utilisent le français ou, dans le cas des francophiles, qui le comprennent ou s'y sentent tout au moins fortement attirés. Ils ne s'attendent pas à trouver dans les RVF un visage moitié français moitié anglais…
Au dernier recensement, celui de 2011, près de 10 millions de personnes pouvaient s'exprimer en français d'un océan à l'autre. Les trois quarts (7 millions et demie) ont grandi francophones. Mais les deux millions et demie qui restent sont des anglophones ou des allophones capables de comprendre et de communiquer en français. Les véritables francophiles sont là! Et l'immense majorité d'entre eux peut se débrouiller suffisamment bien en français pour lire un cahier spécial sans textes anglais…
N'y a-t-il pas dans ce 10 millions de «francophones» un défi suffisamment grand pour les RVF? N'est-il pas déjà assez difficile de promouvoir la francophonie au sein des groupes francophones (québécois, canadiens-français et acadiens)? Les 22 millions de Canadiens et Canadiennes qui ne connaissent que l'anglais comme langue officielle s'intéressent assez peu à nous, et oscillent le plus souvent entre l'indifférence et l'hostilité… Leur proposer un cahier bilingue, c'est un gaspillage de ressources…
Le cahier, sur la page de dos, contient au moins un brin d'humour avec la publicité d'une demi-page d'Air Canada intitulée (dans sa version française): «Fiers de parler français dans les airs et sur terre.» Cela plaira sûrement au couple Thibodeau, qui pourra sans doute commander ses 7up en français à l'avenir, et au commissaire aux Langues officielles, Graham Fraser, qui n'a pas, ces dernières années, constaté à Air Canada la «fierté» que vante cette pub…
J'ai aussi lu avec stupéfaction le message - bilingue comme tous les autres - du ministre québécois responsable de la francophonie canadienne, Jean-Marc Fournier. «Le Québec, écrit-il dans la version française, à l'aube du 150e anniversaire de la Confédération, souhaite souligner la contribution essentielle de la francophonie canadienne à l'enrichissement du pays.» Non mais dans quel «pays des merveilles» le ministre sommeille-t-il depuis sa nomination?
Depuis 1867, les provinces à majorité anglaise ont toutes indiqué leur attitude face à la «contribution» possible de leurs minorités francophones en abolissant leurs droits scolaires et en entretenant des politiques quasi racistes d'assimilation, et ce jusqu'à ce que la «Révolution-pas-très-tranquille» du Québec dans les années 1960 vienne menacer l'intégrité du pays. Au cours du dernier demi-siècle, les luttes ont continué et aboutissent le plus souvent devant les tribunaux…
La «contribution essentielle» de la francophonie canadienne à la Confédération a été de survivre tant bien que mal aux assauts d'une majorité largement intolérante… Le ministre devrait peut-être repenser au 150e et s'interroger sur le mérite de célébrer quoi que ce soit… à moins d'en profiter pour rendre hommage aux luttes et à la résistance qui nous ont menés jusqu'à 2017…
On veut faire des rendez-vous de la francophonie? Merveilleux! On vous invite en français. On dialogue en français. On parle et on écrit en français. C'est notre identité et c'est ainsi qu'on se présente, fièrement et dignement !
mercredi 25 février 2015
Windmill, Zibi, peu importe...
L'autre soir, je regardais une émission locale de MAtv Outaouais et l'animateur demandait au conseiller municipal Richard Bégin de définir l'identité gatinoise. L'élu du secteur Aylmer, historien, mordu du patrimoine, aurait pourtant dû être bien outillé pour répondre, mais il n'a pas osé s'aventurer sur ce terrain miné.
À l'ombre du Parlement fédéral et du centre-ville d'Ottawa, les questions identitaires sont toutes «loadées comme un gun» dans la métropole de l'Outaouais... L'identité, ici plus qu'ailleurs, a une forte composante linguistique... Nos politiciens pudiques et les gens d'affaires allergiques à toute controverse susceptible de limiter leurs marges de profits évitent les débats d'identité à charge linguistique comme la peste... Mais la réalité reste…
La langue française est menacée partout au pays, y compris dans deux importantes régions du Québec - l'Outaouais et l'île de Montréal. Les recensements fédéraux en font foi, et celui de 2011 ne fait pas exception. Ces colonnes de chiffres dans d'arides documents n'ont rien d'abstrait. Quand on vit dans la région d'Ottawa et de Gatineau, le miroir du recensement c'est la réalité quotidienne.
J'ai grandi en face du centre-ville de Hull, du côté ontarien dans un quartier jadis à majorité francophone, où l'identité franco-ontarienne et canadienne-française se voyait et s'entendait dans la rue. Puis au début des années 1950 est arrivé un méga projet d'édifices fédéraux dans le voisinage (Tunney's Pasture) et en quelques décennies, la communauté s'était disloquée. L'identité avec! La langue de la rue, c'est désormais l'anglais et les pages du recensement en dressent un portrait cru et froid…
Dans les pages du quotidien Le Droit de mercredi (25 février), on fait état du projet Windmill (rebaptisé Zibi) qui viendra modifier de façon majeure le secteur du pont des Chaudières de Gatineau (au coeur de l'ancienne ville de Hull). Ce projet vient, entre autres, ajouter près de 2000 logements (des condos) dans un coin de Gatineau où la proportion de francophones est en mode érosion depuis plus de 40 ans…
Celé ne serait pas inquiétant en soi si plusieurs promoteurs immobiliers de l'Outaouais québécois n'avaient pas tant ciblé - avec succès - le marché des acheteurs ontariens, à majorité anglophones, depuis des dizaines d'années. Ces gens, pour la plupart, arrivent ici sans la moindre intention de s'intégrer à la majorité francophone et resteront en forte proportion unilingues anglais. Si ce genre de clientèle vient peupler Zibi, quel sera l'effet identitaire?
Le conseiller Richard Bégin n'a pas osé se mouiller en ondes... pas plus que les autres membres du conseil municipal y compris le maire Pednaud-Jobin lors de l'annonce du projet Windmill-Zibi, mardi. Sur la même scène il y avait le maire d'Ottawa, Jim Watson, adversaire acharné du bilinguisme officiel dans son patelin qui est aussi la capitale du pays... Quelqu'un, quelque part, viendra-t-il affirmer haut et fort que la langue et la culture françaises font partie de l'identité gatinoise et que des projets comme Windmill-Zibi devront en tenir compte? Peut-être l'a-t-on fait en privé? Je l'espère.
Au cas où certains pourraient penser que cette question n'a guère d'importance, je vais risquer quelques chiffres pour alimenter la discussion. Je vais retourner à 1971 comme date de comparaison parce que c'est la première année où Statistique Canada a introduit dans ses recensements la notion de langue d'usage - la langue la plus souvent parlée à la maison. En comparant les chiffres de la langue d'usage à ceux de la langue maternelle (première langue apprise et encore comprise), on obtient un portrait plus ou moins fidèle de la dynamique linguistique sur un territoire donné.
En 1971, dis-je donc, la proportion de francophones selon la langue maternelle était de 89% dans l'ancienne ville de Hull, et 88,7% des gens indiquaient le français comme langue d'usage. Au dernier recensement, celui de 2011, dans le secteur Hull de Gatineau, la proportion d'habitants indiquant le français comme langue maternelle avait chuté à 73% (c'est 75% selon la langue la plus souvent parlée à la maison).
À cette baisse appréciable correspond une hausse, en nombres absolus et en proportion, de la population de langue anglaise. Selon la langue maternelle, 5% en 1971, 10% en 2011. Selon la langue d'usage, 9,5% en 1971, 13% en 2011. De plus, ce que ces chiffres indiquent, c'est que l'anglais a un pouvoir d'attraction supérieur auprès des allophones…
Une autre statistique inquiétante… La proportion de la population qui ne connaît que le français comme langue officielle (pour la plupart unilingues français) est passée de 42% en 1971 à 26% en 2011, pendant que la proportion de ceux et celles qui ne connaissent que l'anglais comme langue officielle (la plupart unilingues anglais) est en hausse, de 5% en 1971 à 7 % en 2011. On peut en déduire qu'une forte proportion de la minorité anglophone en croissance reste unilingue anglaise…
La part des bilingues est passée, en 40 ans, est passée de 52 à 66% dans le secteur Hull. C'est la tendance typique vers l'assimilation, telle que constatée partout au Canada hors-Québec. On le voit même dans les secteurs à majorité francophone comme Prescott-Russell dans l'Est ontarien, où, depuis 1951, le nombre d'unilingues français a dramatiquement chuté, de 47% à 13%, pendant que la proportion de bilingues et d'unilingues anglais est à la hausse.
C'est le bilinguisme comme étape, comme transition entre l'unilinguisme français et l'éventuel unilinguisme anglais. Les partisans du bilinguisme tous azimuts semblent croire que le bilinguisme est une destination, mais ce n'est qu'un arrêt d'une génération ou deux avant l'assimilation totale à l'anglais. On voit déjà des signes inquiétants de ce phénomène dans le secteur Aylmer, le plus «bilingue» de Gatineau. Plus de la moitié des anglophones y sont unilingues alors que la grande majorité des francophones sont bilingues.
Aussi, quand on compare la langue maternelle à la langue d'usage, on s'aperçoit que 25% des Aylmeriens sont de langue maternelle anglaise mais que 31% d'entre eux parlent surtout l'anglais à la maison… Personne n'a vraiment besoin du français à Aylmer, ni d'ailleurs au centre-ville de Gatineau… Et si le recrutement des futurs proprios de Windmill-Zibi se fait principalement du côté ontarien, l'anglicisation du Vieux Hull s'accélérera…
J'ai vu, à Ottawa, les quartiers francophones (ou contenant des proportions appréciables de francophones) «bulldozés» par une majorité oscillant entre l'indifférence et le racisme ouvert. Les Plaines LeBreton, Mechanicsville, la Basse-Ville… On a détruit, changé les zonages, exproprié… sans égard pour les conséquences culturelles ou identitaires… et les protestations de rares groupes francophones, comme le Comité du réveil de la Basse-Ville, n'ont rien donné.
Si on laisse faire à Gatineau, comme on a laissé faire dans les quartiers canadiens-français d'Ottawa, on se retrouvera un jour devant un déclin irréversible de la langue et de la culture françaises dans d'importants secteurs de Gatineau. Et si, ce même jour, les Anglos devaient y devenir majoritaires, le sort qui nous attend, on le connaît. Allez faire un tour dans le Pontiac, c'est déjà fait!
À l'ombre du Parlement fédéral et du centre-ville d'Ottawa, les questions identitaires sont toutes «loadées comme un gun» dans la métropole de l'Outaouais... L'identité, ici plus qu'ailleurs, a une forte composante linguistique... Nos politiciens pudiques et les gens d'affaires allergiques à toute controverse susceptible de limiter leurs marges de profits évitent les débats d'identité à charge linguistique comme la peste... Mais la réalité reste…
La langue française est menacée partout au pays, y compris dans deux importantes régions du Québec - l'Outaouais et l'île de Montréal. Les recensements fédéraux en font foi, et celui de 2011 ne fait pas exception. Ces colonnes de chiffres dans d'arides documents n'ont rien d'abstrait. Quand on vit dans la région d'Ottawa et de Gatineau, le miroir du recensement c'est la réalité quotidienne.
J'ai grandi en face du centre-ville de Hull, du côté ontarien dans un quartier jadis à majorité francophone, où l'identité franco-ontarienne et canadienne-française se voyait et s'entendait dans la rue. Puis au début des années 1950 est arrivé un méga projet d'édifices fédéraux dans le voisinage (Tunney's Pasture) et en quelques décennies, la communauté s'était disloquée. L'identité avec! La langue de la rue, c'est désormais l'anglais et les pages du recensement en dressent un portrait cru et froid…
Dans les pages du quotidien Le Droit de mercredi (25 février), on fait état du projet Windmill (rebaptisé Zibi) qui viendra modifier de façon majeure le secteur du pont des Chaudières de Gatineau (au coeur de l'ancienne ville de Hull). Ce projet vient, entre autres, ajouter près de 2000 logements (des condos) dans un coin de Gatineau où la proportion de francophones est en mode érosion depuis plus de 40 ans…
Celé ne serait pas inquiétant en soi si plusieurs promoteurs immobiliers de l'Outaouais québécois n'avaient pas tant ciblé - avec succès - le marché des acheteurs ontariens, à majorité anglophones, depuis des dizaines d'années. Ces gens, pour la plupart, arrivent ici sans la moindre intention de s'intégrer à la majorité francophone et resteront en forte proportion unilingues anglais. Si ce genre de clientèle vient peupler Zibi, quel sera l'effet identitaire?
Le conseiller Richard Bégin n'a pas osé se mouiller en ondes... pas plus que les autres membres du conseil municipal y compris le maire Pednaud-Jobin lors de l'annonce du projet Windmill-Zibi, mardi. Sur la même scène il y avait le maire d'Ottawa, Jim Watson, adversaire acharné du bilinguisme officiel dans son patelin qui est aussi la capitale du pays... Quelqu'un, quelque part, viendra-t-il affirmer haut et fort que la langue et la culture françaises font partie de l'identité gatinoise et que des projets comme Windmill-Zibi devront en tenir compte? Peut-être l'a-t-on fait en privé? Je l'espère.
Au cas où certains pourraient penser que cette question n'a guère d'importance, je vais risquer quelques chiffres pour alimenter la discussion. Je vais retourner à 1971 comme date de comparaison parce que c'est la première année où Statistique Canada a introduit dans ses recensements la notion de langue d'usage - la langue la plus souvent parlée à la maison. En comparant les chiffres de la langue d'usage à ceux de la langue maternelle (première langue apprise et encore comprise), on obtient un portrait plus ou moins fidèle de la dynamique linguistique sur un territoire donné.
En 1971, dis-je donc, la proportion de francophones selon la langue maternelle était de 89% dans l'ancienne ville de Hull, et 88,7% des gens indiquaient le français comme langue d'usage. Au dernier recensement, celui de 2011, dans le secteur Hull de Gatineau, la proportion d'habitants indiquant le français comme langue maternelle avait chuté à 73% (c'est 75% selon la langue la plus souvent parlée à la maison).
À cette baisse appréciable correspond une hausse, en nombres absolus et en proportion, de la population de langue anglaise. Selon la langue maternelle, 5% en 1971, 10% en 2011. Selon la langue d'usage, 9,5% en 1971, 13% en 2011. De plus, ce que ces chiffres indiquent, c'est que l'anglais a un pouvoir d'attraction supérieur auprès des allophones…
Une autre statistique inquiétante… La proportion de la population qui ne connaît que le français comme langue officielle (pour la plupart unilingues français) est passée de 42% en 1971 à 26% en 2011, pendant que la proportion de ceux et celles qui ne connaissent que l'anglais comme langue officielle (la plupart unilingues anglais) est en hausse, de 5% en 1971 à 7 % en 2011. On peut en déduire qu'une forte proportion de la minorité anglophone en croissance reste unilingue anglaise…
La part des bilingues est passée, en 40 ans, est passée de 52 à 66% dans le secteur Hull. C'est la tendance typique vers l'assimilation, telle que constatée partout au Canada hors-Québec. On le voit même dans les secteurs à majorité francophone comme Prescott-Russell dans l'Est ontarien, où, depuis 1951, le nombre d'unilingues français a dramatiquement chuté, de 47% à 13%, pendant que la proportion de bilingues et d'unilingues anglais est à la hausse.
C'est le bilinguisme comme étape, comme transition entre l'unilinguisme français et l'éventuel unilinguisme anglais. Les partisans du bilinguisme tous azimuts semblent croire que le bilinguisme est une destination, mais ce n'est qu'un arrêt d'une génération ou deux avant l'assimilation totale à l'anglais. On voit déjà des signes inquiétants de ce phénomène dans le secteur Aylmer, le plus «bilingue» de Gatineau. Plus de la moitié des anglophones y sont unilingues alors que la grande majorité des francophones sont bilingues.
Aussi, quand on compare la langue maternelle à la langue d'usage, on s'aperçoit que 25% des Aylmeriens sont de langue maternelle anglaise mais que 31% d'entre eux parlent surtout l'anglais à la maison… Personne n'a vraiment besoin du français à Aylmer, ni d'ailleurs au centre-ville de Gatineau… Et si le recrutement des futurs proprios de Windmill-Zibi se fait principalement du côté ontarien, l'anglicisation du Vieux Hull s'accélérera…
J'ai vu, à Ottawa, les quartiers francophones (ou contenant des proportions appréciables de francophones) «bulldozés» par une majorité oscillant entre l'indifférence et le racisme ouvert. Les Plaines LeBreton, Mechanicsville, la Basse-Ville… On a détruit, changé les zonages, exproprié… sans égard pour les conséquences culturelles ou identitaires… et les protestations de rares groupes francophones, comme le Comité du réveil de la Basse-Ville, n'ont rien donné.
Si on laisse faire à Gatineau, comme on a laissé faire dans les quartiers canadiens-français d'Ottawa, on se retrouvera un jour devant un déclin irréversible de la langue et de la culture françaises dans d'importants secteurs de Gatineau. Et si, ce même jour, les Anglos devaient y devenir majoritaires, le sort qui nous attend, on le connaît. Allez faire un tour dans le Pontiac, c'est déjà fait!
lundi 23 février 2015
Des trésors poussiéreux...
Quand, fin décembre 1989, le quotidien Le Droit a quitté l'édifice qu'il habitait depuis le milieu des années 1950 sur la rue Rideau, dans la Basse-Ville d'Ottawa, il a emménagé - comme locataire cette fois - dans des locaux plus exigus sur le Marché By. L'ère numérique, déjà en marche, faisait un pas de géant et laisserait dans son sillage de nombreuses victimes, dont l'ancien centre de documentation de la salle des nouvelles. Sans doute y avait-on conservé au fil des ans des tas de dossiers qui n'avaient plus beaucoup d'utilité, mais l'ensemble constituait un trésor d'information accumulée…
Ces dizaines et dizaines de classeurs remplis de photos, de coupures de presse et autres sont aujourd'hui disparus pour la plupart, mais j'avais récupéré quelques-uns de ces documents à la poubelle. Je les redécouvre aujourd'hui parce qu'il me faut, à mon tour, «élaguer» comme aime me le répéter souvent mon épouse… sans doute avec raison. Dans les paperasses poussiéreuses épargnées in extremis au début des années 1990, se trouvent quatre chemises consacrées à la vie du général Charles de Gaulle. Toute une trouvaille!
Le plus ancien document enfoui dans ces vieilles archives remonte au 5 juillet 1944, alors que la majorité de la France était toujours occupée et que l'invasion alliée piétinait dans les bosquets normands. Le général de Gaulle devait visiter le président Roosevelt à Washington et, avant de retourner en Europe, devait s'arrêter à Québec et à Montréal. Le «Service d'information français», agent des Forces françaises libres au Canada, avait préparé à l'intention de la presse un document biographique sur le général de Gaulle. Ce document, il ne doit pas en rester beaucoup d'exemplaires aujourd'hui!
«Sous la direction du Général de Gaulle, peut-on y lire, la France a maintenant une armée d'un demi-million d'hommes qui combat en dehors de la France et une armée intérieure en France de plusieurs centaines de milliers qui combat de manière efficace sous forme de guérillas, d'attaques à main armée et de sabotage.» Le centre de documentation du Droit avait conservé depuis près de 50 ans ce texte, imprimé de façon artisanale. Il est pour le moment chez moi mais j'espère qu'il intéressera, comme bien d'autres dossiers du Droit, le Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l'Université d'Ottawa.
Dans ses mémoires, publiés dans les années 1950, Charles de Gaulle réserve quelques pages à cette visite en sol québécois durant le second conflit mondial. Il évoque notamment l'accueil reçu dans la métropole : «Le 12 juillet, écrit-il, je gagne Montréal qui fait la démonstration du plus émouvant enthousiasme. Après réception à l'hôtel de ville (…), je m'adresse à une foule énorme, rassemblée sur le square Dominion et dans les avenues avoisinantes. Le maire, Adhémar Raynault, crie à ses concitoyens: "Montrez au général de Gaulle que Montréal est la deuxième ville française du monde!" Rien ne peut donner une idée du tonnerre des vivats qui, de tous ces coeurs, montent à toutes ces bouches.»
Cela ressemble, à peu de choses près, à un scénario que Montréal et le pays revivront en juillet 1967, quand le général-président de la France est revenu pour s'adresser une nouvelle fois à la foule montréalaise. À cet égard les chemises du centre de documentation contiennent, entre autres, les documents officiels émis quant à l'itinéraire du général, ainsi que quelques notes pour des allocutions du général de Gaulle et du premier ministre Daniel Johnson, mais surtout les textes originaux expédiés par les deux journalistes du Droit qui ont suivi le président français entre Québec et Montréal sur le chemin du Roy.
Ces reportages, dactylographiés par les journalistes Marcel Pepin et Marcel Desjardins sur les feuillets en trois copies de l'époque, étaient rédigés en fin de journée et expédiés à la salle des nouvelles d'Ottawa par train ou par autobus. La mention «CPR» ci-dessus me fait croire que c'était par train. Quand j'ai couvert la campagne électorale d'avril 1970 dans la région montréalaise, trois années plus tard, pour Le Droit, j'envoyais mes textes en fin de nuit par autobus au terminus de la rue Berri, à temps pour les deux éditions du jour (Le Droit était un journal d'après-midi, livré à l'heure du souper).
On trouve également dans une des quatre chemises les coupures de la presse anglo-canadienne, faisant état de réactions vives pour ne pas dire hystériques aux propos du général de Gaulle (a meddlesome old man, dit le Toronto Star), particulièrement après son célèbre «Vive le Québec libre!» J'ai aussi découvert quelques pages de l'ancienne revue Perspectives, publiée le samedi à cette époque dans plusieurs quotidiens y compris La Presse, Le Soleil et Le Droit, proposant une synthèse de la visite «tapageuse» du général…
Enfin, dans la dernière chemise reposaient les trois éditions spéciales du quotidien parisien Le Figaro publiées dans les jours qui ont suivi la mort du général de Gaulle en novembre 1970. Irremplaçables!
Dans toutes les salles de rédaction d'ici et d'ailleurs, le passage au numérique a probablement entraîné la réduction des ressources consacrées à la préservation d'archives imprimées. Combien de dossiers comme ceux du général de Gaulle ont-ils pris le chemin des dépotoirs ou des centres de recyclage? Quelques-uns? La plupart? Certains de ces documents sont déjà rares, quelques-uns sont uniques. Si l'histoire - même la petite histoire d'une salle de rédaction - a de l'importance pour la compréhension du passé et la préparation de l'avenir, il faudra faire plus d'efforts pour sauver ce qui reste…
Je promets de faire ma part. Et vous?
Ces dizaines et dizaines de classeurs remplis de photos, de coupures de presse et autres sont aujourd'hui disparus pour la plupart, mais j'avais récupéré quelques-uns de ces documents à la poubelle. Je les redécouvre aujourd'hui parce qu'il me faut, à mon tour, «élaguer» comme aime me le répéter souvent mon épouse… sans doute avec raison. Dans les paperasses poussiéreuses épargnées in extremis au début des années 1990, se trouvent quatre chemises consacrées à la vie du général Charles de Gaulle. Toute une trouvaille!
Le plus ancien document enfoui dans ces vieilles archives remonte au 5 juillet 1944, alors que la majorité de la France était toujours occupée et que l'invasion alliée piétinait dans les bosquets normands. Le général de Gaulle devait visiter le président Roosevelt à Washington et, avant de retourner en Europe, devait s'arrêter à Québec et à Montréal. Le «Service d'information français», agent des Forces françaises libres au Canada, avait préparé à l'intention de la presse un document biographique sur le général de Gaulle. Ce document, il ne doit pas en rester beaucoup d'exemplaires aujourd'hui!
«Sous la direction du Général de Gaulle, peut-on y lire, la France a maintenant une armée d'un demi-million d'hommes qui combat en dehors de la France et une armée intérieure en France de plusieurs centaines de milliers qui combat de manière efficace sous forme de guérillas, d'attaques à main armée et de sabotage.» Le centre de documentation du Droit avait conservé depuis près de 50 ans ce texte, imprimé de façon artisanale. Il est pour le moment chez moi mais j'espère qu'il intéressera, comme bien d'autres dossiers du Droit, le Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l'Université d'Ottawa.
Dans ses mémoires, publiés dans les années 1950, Charles de Gaulle réserve quelques pages à cette visite en sol québécois durant le second conflit mondial. Il évoque notamment l'accueil reçu dans la métropole : «Le 12 juillet, écrit-il, je gagne Montréal qui fait la démonstration du plus émouvant enthousiasme. Après réception à l'hôtel de ville (…), je m'adresse à une foule énorme, rassemblée sur le square Dominion et dans les avenues avoisinantes. Le maire, Adhémar Raynault, crie à ses concitoyens: "Montrez au général de Gaulle que Montréal est la deuxième ville française du monde!" Rien ne peut donner une idée du tonnerre des vivats qui, de tous ces coeurs, montent à toutes ces bouches.»
Cela ressemble, à peu de choses près, à un scénario que Montréal et le pays revivront en juillet 1967, quand le général-président de la France est revenu pour s'adresser une nouvelle fois à la foule montréalaise. À cet égard les chemises du centre de documentation contiennent, entre autres, les documents officiels émis quant à l'itinéraire du général, ainsi que quelques notes pour des allocutions du général de Gaulle et du premier ministre Daniel Johnson, mais surtout les textes originaux expédiés par les deux journalistes du Droit qui ont suivi le président français entre Québec et Montréal sur le chemin du Roy.
Ces reportages, dactylographiés par les journalistes Marcel Pepin et Marcel Desjardins sur les feuillets en trois copies de l'époque, étaient rédigés en fin de journée et expédiés à la salle des nouvelles d'Ottawa par train ou par autobus. La mention «CPR» ci-dessus me fait croire que c'était par train. Quand j'ai couvert la campagne électorale d'avril 1970 dans la région montréalaise, trois années plus tard, pour Le Droit, j'envoyais mes textes en fin de nuit par autobus au terminus de la rue Berri, à temps pour les deux éditions du jour (Le Droit était un journal d'après-midi, livré à l'heure du souper).
On trouve également dans une des quatre chemises les coupures de la presse anglo-canadienne, faisant état de réactions vives pour ne pas dire hystériques aux propos du général de Gaulle (a meddlesome old man, dit le Toronto Star), particulièrement après son célèbre «Vive le Québec libre!» J'ai aussi découvert quelques pages de l'ancienne revue Perspectives, publiée le samedi à cette époque dans plusieurs quotidiens y compris La Presse, Le Soleil et Le Droit, proposant une synthèse de la visite «tapageuse» du général…
Enfin, dans la dernière chemise reposaient les trois éditions spéciales du quotidien parisien Le Figaro publiées dans les jours qui ont suivi la mort du général de Gaulle en novembre 1970. Irremplaçables!
Dans toutes les salles de rédaction d'ici et d'ailleurs, le passage au numérique a probablement entraîné la réduction des ressources consacrées à la préservation d'archives imprimées. Combien de dossiers comme ceux du général de Gaulle ont-ils pris le chemin des dépotoirs ou des centres de recyclage? Quelques-uns? La plupart? Certains de ces documents sont déjà rares, quelques-uns sont uniques. Si l'histoire - même la petite histoire d'une salle de rédaction - a de l'importance pour la compréhension du passé et la préparation de l'avenir, il faudra faire plus d'efforts pour sauver ce qui reste…
Je promets de faire ma part. Et vous?
dimanche 22 février 2015
J'en ai assez de l'hiver quand...
Mon pauvre barbecue...
Ce matin, dimanche 22 février, il fait gris à Gatineau, on se relève d'une autre chute de neige d'une quinzaine de centimètres et on nous annonce un maximum de -20 demain…
Cet hiver, comme le dernier, est trop froid et beaucoup trop long. On sait ça dans nos tripes (pas seulement par nos pieds et mains gelés) et certains signes ne mentent pas.
Voici quelques indices révélateurs d'une lassitude intense face à l'enfer glacial et d'un profond désir de chaleur printanière…
Pour moi - et je dis bien pour moi - l'hiver est devenu insupportable…
* quand je ne peux plus endurer le blanc, le gris pâle et le gris foncé (les seules couleurs dehors depuis deux mois…)
* quand je regarde tous les matins les prévisions de 14 jours de Météomédia pour la région de Gatineau en espérant voir une tendance à la hausse vers le point de congélation le 14e jour (sans succès…)
* quand je n'ai aucune sympathie pour les New Yorkais qui gèlent à -15 et les Bostoniens enterrés sous un mètre de neige…
* quand je me réjouis juste parce que je ne vois pas d'avis de «froid extrême» dans les prévisions du jour, même s'il fait -20…
* quand je demande mon café noir chez Tim sans manchon, juste pour me réchauffer les mains…
* quand je compte les jours qui restent avant de passer à l'heure avancée (2e dimanche de mars), puis avant d'arriver à la date officielle du printemps…
* quand je regarde régulièrement sur Internet les prévisions pour Playa del Carmen, Puerto Vallarta, Key West, Yuma et Vancouver, juste pour visualiser des endroits avec de la chaleur et de la verdure...
* quand je vais chercher le courrier à tous les deux jours parce que l'idée de sortir me déprime…
* quand je commence à manquer nettement de conviction en attaquant ceux qui nient le réchauffement climatique…
* quand je n'ai pas rangé depuis plusieurs semaines ma tuque, mes gants et mon manteau…
* quand je regarde avec beaucoup de tristesse mon barbecue enterré sous la neige et la glace…
* quand je me retiens pour ne rien dire à celui ou celle qui me lance: «c'est donc beau l'hiver…»
* quand je deviens ami sur Facebook avec mon service de déneigement…
* quand je commence à trouver -10 presque confortable…
* quand je m'ennuie même des pluies froides de novembre…
* quand je dégobille contre l'hiver sur mon blogue!
Ce matin, dimanche 22 février, il fait gris à Gatineau, on se relève d'une autre chute de neige d'une quinzaine de centimètres et on nous annonce un maximum de -20 demain…
Cet hiver, comme le dernier, est trop froid et beaucoup trop long. On sait ça dans nos tripes (pas seulement par nos pieds et mains gelés) et certains signes ne mentent pas.
Voici quelques indices révélateurs d'une lassitude intense face à l'enfer glacial et d'un profond désir de chaleur printanière…
Pour moi - et je dis bien pour moi - l'hiver est devenu insupportable…
* quand je ne peux plus endurer le blanc, le gris pâle et le gris foncé (les seules couleurs dehors depuis deux mois…)
* quand je regarde tous les matins les prévisions de 14 jours de Météomédia pour la région de Gatineau en espérant voir une tendance à la hausse vers le point de congélation le 14e jour (sans succès…)
* quand je n'ai aucune sympathie pour les New Yorkais qui gèlent à -15 et les Bostoniens enterrés sous un mètre de neige…
* quand je me réjouis juste parce que je ne vois pas d'avis de «froid extrême» dans les prévisions du jour, même s'il fait -20…
* quand je demande mon café noir chez Tim sans manchon, juste pour me réchauffer les mains…
* quand je compte les jours qui restent avant de passer à l'heure avancée (2e dimanche de mars), puis avant d'arriver à la date officielle du printemps…
* quand je regarde régulièrement sur Internet les prévisions pour Playa del Carmen, Puerto Vallarta, Key West, Yuma et Vancouver, juste pour visualiser des endroits avec de la chaleur et de la verdure...
* quand je vais chercher le courrier à tous les deux jours parce que l'idée de sortir me déprime…
* quand je commence à manquer nettement de conviction en attaquant ceux qui nient le réchauffement climatique…
* quand je n'ai pas rangé depuis plusieurs semaines ma tuque, mes gants et mon manteau…
* quand je regarde avec beaucoup de tristesse mon barbecue enterré sous la neige et la glace…
* quand je me retiens pour ne rien dire à celui ou celle qui me lance: «c'est donc beau l'hiver…»
* quand je deviens ami sur Facebook avec mon service de déneigement…
* quand je commence à trouver -10 presque confortable…
* quand je m'ennuie même des pluies froides de novembre…
* quand je dégobille contre l'hiver sur mon blogue!
jeudi 19 février 2015
De Montréal-Matin aux quotidiens de Gesca...
D'ici quelques années - deux? trois? un peu plus? - quand les maîtres de l'empire Power/Gesca auront mis à exécution leurs sinistres projets dans une indifférence qui m'apparaît pour le moment assez générale, des centaines de milliers de citoyens - à Saguenay, Gatineau, Trois-Rivières, Granby, Sherbrooke, Québec et même Montréal - n'entendront plus de voiture s'amener aux petites heures du matin, ni le bruit sec d'un journal qui tombe sur le perron, ou qui heurte la porte… Et ils ne trouveront pas davantage leur quotidien local au dépanneur ou au kiosque à journaux…
Fini le feuilletage du Droit, du Soleil, de la Tribune et des autres médias «papier» du matin en sirotant son café au petit déjeuner, à la maison ou au resto… Finie, la lecture des comptes rendus des matches de la veille ou l'examen attentif des colonnes de statistiques sportives dans l'autobus ou dans le métro… Fini le découpage de l'occasionnel avis de décès d'un proche ou d'un ami pour l'envoi d'une carte ou les détails des funérailles… Fini tout cet héritage de rituels associés à la présence d'un journal imprimé dans la vie quotidienne des gens d'ici…
Pourquoi je pense à ça, soudainement? Parce que j'ai trouvé dans mes dossiers un exemplaire de l'édition du lundi 8 mai 1978 du quotidien Montréal-Matin, aujourd'hui disparu. L'ancien organe de l'Union nationale, passé aux mains de La Presse/Power en 1973, avait cessé de publier pendant les six mois d'un conflit de travail qui avait mené les employés à la grève. Il avait retrouvé les kiosques et les perrons ce matin du 8 mai et la caricature du célèbre Berthio (ancien caricaturiste du Devoir) à la une montrait une foule qui se piétine, rue Ste-Catherine, pour obtenir des exemplaires du journal…
Dans la caricature, le responsable du kiosque crie: «Y sont affamés!» Sept mois et demie plus tard, fin décembre, les proprios mettaient la clef dans la porte et le journal ferma ses portes, pour de bon, après 48 années de publication. Faut croire que Montréal-Matin n'avait plus les reins assez solides pour concurrencer le Journal de Montréal, ou que Power Corp avait d'autres plans, ou que les abonnés n'étaient pas aussi «affamés» qu'on l'espérait…
Pourtant, le produit était solide, la présentation agréable, et le personnel dynamique. L'équipe d'information était dirigée par Marcel Desjardins, qui devait par la suite devenir vice-président et éditeur adjoint de La Presse. Le rédacteur en chef était Marc Laurendeau, journaliste, auteur et ancien membre des Cyniques. Dans l'équipe de rédaction, on retrouvait les Jean-V. Dufresne, Claude Picher (éventuel chroniqueur économique à La Presse), Gilbert Brunet (avant de devenir éditeur du Nouvelliste), Pierre April (futur patron du service français de la Presse canadienne), Bernard Brisset et bien d'autres.
Dans son message intitulé Enfin de retour!, l'éditeur Michel Lord concluait ainsi: «Le succès du Montréal-Matin repose sur nos efforts et sur votre fidélité.» Connaissant personnellement quelques-uns des artisans du journal de 1978, et de réputation plusieurs des autres, je n'ai aucun doute que les efforts, l'enthousiasme et la compétence n'ont pas manqué à l'appel. Mais à cette époque comme aujourd'hui, la simple présence d'une équipe étincelante ne suffit pas pour assurer sa pérennité. À preuve, dans cette édition du 8 mai 1978, on peut lire des reportages sur les Nordiques de Québec et les Expos de Montréal… relégués, comme le Montréal-Matin, aux tablettes de l'histoire…
La disparition de ce quotidien que j'aimais bien a appauvri l'offre médiatique… mais les lecteurs et lectrices avaient toujours de quoi se mettre sous la dent avec la présence, dans la région de la métropole, de trois autres quotidiens de langue française. Ce qui arrivera au Droit, au Soleil, à la Tribune, au Nouvelliste, au Quotidien et à La Voix de l'Est l'an prochain ou dans les années suivantes est bien plus grave. À la limite, à Québec, il y aura toujours le quotidien de Québécor mais dans les autres villes, à moins de se procurer les quotidiens de PKP ou Le Devoir, c'en sera fini de l'imprimé…
Et n'allez pas me dire qu'un onglet dans La Presse+ constitue un substitut acceptable dans les régions hors-Montréal. D'abord parce que le contenu sera appauvri, tout au moins sur le plan quantitatif, et qu'il ne sera disponible qu'en format numérique, pour tablettes seulement… J'aime bien lire à l'écran, mais j'aime encore mieux lire un imprimé (journal, magazine, livre) que je peux tenir dans mes mains, feuilleter à ma guise, annoter, surligner, plier, ranger, découper, conserver… L'édition du Montréal-Matin que j'ai a une permanence que le numérique ne pourra jamais assurer. Les écrits imprimés restent! Les écrits sur écran peuvent être modifiés. Rien ne vous garantit que ce que vous voyez à l'écran, c'est bien l'original… que ç'a n'a pas été tripoté en cours de route…
Les grands planificateurs du numérique ont fait de mauvais calculs. Rien ne les assure que la tablette numérique aura l'endurance de la civilisation de l'imprimé. De fait, j'ai la conviction qu'avec le temps, l'imprimé réaffirmera sa supériorité, même au sein des jeunes générations. Le numérique est désormais essentiel. Les publications sur Internet (des grands quotidiens aux blogues personnels) et les médias sociaux sont là pour rester et surmultiplient l'offre d'information. Mais leur puissance reste fragile. Sans le ciment de l'imprimé comme assise, le numérique construit sur des sables mouvants.
S'il reste encore à la tête de Power Corporation quelque souci de civilisation, on rouvrira le débat sur l'avenir de l'imprimé médiatique quotidien, avant qu'il ne soit trop tard. Présentement, c'est le régime du silence et de la censure. Et ce régime, croyez-moi, peut se transporter dans un univers numérique… Où est notre Zachary Richard de l'information: «Réveille! Réveille!» (http://bit.ly/NNsNWC)...
mardi 17 février 2015
Notre patrie, le Québec ou le Canada?
Aujourd'hui, j'ai lu avec intérêt, comme toujours, la chronique de Michel David dans Le Devoir. Intitulé Les fruits de l'indifférence (bit.ly/1yQFW0R), ce texte évoque cette perception d'«indifférence que le Canada inspire à un grand nombre de Québécois». Je ne conteste pas le tour d'horizon que propose le chroniqueur du Devoir quand il scrute le paysage contemporain, mais j'aimerais qu'on s'interroge davantage sur le point de départ historique, qui m'apparaît de plus en plus douteux.
Rappelant la grande manifestation à Montréal, en 1885, après la pendaison de Louis Riel, Michel David parle des conséquences. Le point de vue qu'il avance est répandu, voire généralement accepté. «Malgré ce qui a été perçu comme une véritable trahison du pacte que les Canadiens français croyaient avoir signé en 1867, les générations suivantes ont continué à voir le Canada comme leur patrie et à espérer l'aménagent d'un modus vivendi mutuellement acceptable pour les deux "peuples fondateurs".»
Mais les «générations suivantes» - et celle de 1885 - voyaient-elles vraiment «le Canada comme leur patrie»? Je ne le crois pas et j'ai la conviction qu'une fouille d'archives doublée d'une recherche auprès des générations toujours vivantes de Québécois francophones aurait tendance à démontrer qu'essentiellement, notre vision nationale, notre «patrie», a toujours eu pour territoire le bassin du Saint-Laurent et pour limites les frontières du Québec.
Dans un document de 1886 intitulé Sir John A. Macdonald et les Canadiens français, un document sympathique à ce personnage que, pour ma part, j'apprécie beaucoup moins, on note que Sir John A. (toujours vivant à l'époque) aurait préféré en 1867 un État unitaire (sans provinces) plutôt qu'un État fédéral, et que Georges-Étienne Cartier s'y opposa: «Pourquoi? Parce que Sir Georges voulait que la Province de Québec, en majorité française et catholique, se gouvernât elle-même, eût son Parlement où ses intérêts nationaux et religieux puissent se régler indépendamment de toute influence hostile».
Le pacte, s'il y eut pacte, ne visait pas une patrie d'un océan à l'autre pour les Canadiens français (comprendre ici les Franco-Québécois), mais la création d'un État bien à eux où ils pourraient décider eux-mêmes de leurs «intérêts nationaux». Ces intérêts nationaux étaient bien identifiés territorialement aux limites du Québec. D'ailleurs Cartier et les autres n'ont pas insisté pour offrir dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB) des garanties constitutionnelles pour les minorités catholiques et francophones de l'Ontario et des Maritimes, comme celles qu'ils concédaient aux Anglo-Québécois.
C'est que la francophonie du reste du pays, tout en ayant leur sympathie, et par la suite leur appui militant en cas de conflits majeurs (notamment lors de la rébellion de Riel et des Métis en 1885), cette francophonie dis-je n'était pas à l'intérieur de leur horizon politique national. Je reproduis ici un témoigne que je crois assez juste du journaliste Jules-Paul Tardivel. Celui-ci commentait la relative indifférence des Québécois face aux fêtes du 1er juillet (la fête du Dominion) 1899, 32 ans après la Confédération:
«Pour les Canadiens français, écrit-il le 8 juillet 1899 dans La vérité, la vraie patrie c'est toujours la province de Québec. Si nous sommes attachés aux groupes français des autres provinces, c'est par les vieux liens du sang, de la langue et des traditions; non point par le lien politique créé en 1867. Nous nous intéressons à nos frères de l'Est et de l'Ouest parce que ce sont nos frères; non parce qu'ils sont nos concitoyens.»
Plus récemment, dans un texte publié en 2012, le professeur François Rocher de l'Université d'Ottawa ajoute: «Les Pères de la Confédération, bien que préoccupés par le sort des communautés franco-catholiques ailleurs au Canada, n'en ont pas fait un élément structurant du projet confédéral puisque le concept sous-jacent au projet n'était pas l'établissement d'un pays bilingue, mais bien la création d'une province franco-catholique, moyennant certaines protections pour sa minorité anglo-protestante, au sein d'une union essentiellement anglo-protestante.»
Cela n'a pas empêché les Québécois d'être solidaires à l'occasion à ces minorités, victimes de persécutions scolaires partout et même, pour ce qui est des Métis, de violence militaire. On l'a vu pour Riel, pour les écoles acadiennes du Nouveau-Brunswick, pour les écoles franco-manitobaines à compter de 1890, et pour la crise du Règlement 17 en Ontario après 1912. Mais cette solidarité s'est manifestée comme celle d'une grande famille - «nos frères de l'Est et de l'Ouest» - et non comme partenaires d'un projet politique commun ayant le Canada entier comme «patrie».
Cette vision pan-canadienne a eu bien sûr ses tenants et propagandistes, mais c'est davantage un phénomène du 20e siècle, un phénomène réservé à une partie des élites politiques et culturelles, et un phénomène plus répandu au sein des collectivités canadiennes-françaises et acadiennes hors-Québec. L'indifférence qu'évoque Michel David pourrait-elle alors être une constante depuis 1867, plutôt que le produit d'une évolution ou d'une désaffection? Si on se donnait la peine de fouiller un peu, certains «acquis» seraient presque certainement ébranlés.
Rappelant la grande manifestation à Montréal, en 1885, après la pendaison de Louis Riel, Michel David parle des conséquences. Le point de vue qu'il avance est répandu, voire généralement accepté. «Malgré ce qui a été perçu comme une véritable trahison du pacte que les Canadiens français croyaient avoir signé en 1867, les générations suivantes ont continué à voir le Canada comme leur patrie et à espérer l'aménagent d'un modus vivendi mutuellement acceptable pour les deux "peuples fondateurs".»
Mais les «générations suivantes» - et celle de 1885 - voyaient-elles vraiment «le Canada comme leur patrie»? Je ne le crois pas et j'ai la conviction qu'une fouille d'archives doublée d'une recherche auprès des générations toujours vivantes de Québécois francophones aurait tendance à démontrer qu'essentiellement, notre vision nationale, notre «patrie», a toujours eu pour territoire le bassin du Saint-Laurent et pour limites les frontières du Québec.
Dans un document de 1886 intitulé Sir John A. Macdonald et les Canadiens français, un document sympathique à ce personnage que, pour ma part, j'apprécie beaucoup moins, on note que Sir John A. (toujours vivant à l'époque) aurait préféré en 1867 un État unitaire (sans provinces) plutôt qu'un État fédéral, et que Georges-Étienne Cartier s'y opposa: «Pourquoi? Parce que Sir Georges voulait que la Province de Québec, en majorité française et catholique, se gouvernât elle-même, eût son Parlement où ses intérêts nationaux et religieux puissent se régler indépendamment de toute influence hostile».
Le pacte, s'il y eut pacte, ne visait pas une patrie d'un océan à l'autre pour les Canadiens français (comprendre ici les Franco-Québécois), mais la création d'un État bien à eux où ils pourraient décider eux-mêmes de leurs «intérêts nationaux». Ces intérêts nationaux étaient bien identifiés territorialement aux limites du Québec. D'ailleurs Cartier et les autres n'ont pas insisté pour offrir dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (AANB) des garanties constitutionnelles pour les minorités catholiques et francophones de l'Ontario et des Maritimes, comme celles qu'ils concédaient aux Anglo-Québécois.
C'est que la francophonie du reste du pays, tout en ayant leur sympathie, et par la suite leur appui militant en cas de conflits majeurs (notamment lors de la rébellion de Riel et des Métis en 1885), cette francophonie dis-je n'était pas à l'intérieur de leur horizon politique national. Je reproduis ici un témoigne que je crois assez juste du journaliste Jules-Paul Tardivel. Celui-ci commentait la relative indifférence des Québécois face aux fêtes du 1er juillet (la fête du Dominion) 1899, 32 ans après la Confédération:
«Pour les Canadiens français, écrit-il le 8 juillet 1899 dans La vérité, la vraie patrie c'est toujours la province de Québec. Si nous sommes attachés aux groupes français des autres provinces, c'est par les vieux liens du sang, de la langue et des traditions; non point par le lien politique créé en 1867. Nous nous intéressons à nos frères de l'Est et de l'Ouest parce que ce sont nos frères; non parce qu'ils sont nos concitoyens.»
Plus récemment, dans un texte publié en 2012, le professeur François Rocher de l'Université d'Ottawa ajoute: «Les Pères de la Confédération, bien que préoccupés par le sort des communautés franco-catholiques ailleurs au Canada, n'en ont pas fait un élément structurant du projet confédéral puisque le concept sous-jacent au projet n'était pas l'établissement d'un pays bilingue, mais bien la création d'une province franco-catholique, moyennant certaines protections pour sa minorité anglo-protestante, au sein d'une union essentiellement anglo-protestante.»
Cela n'a pas empêché les Québécois d'être solidaires à l'occasion à ces minorités, victimes de persécutions scolaires partout et même, pour ce qui est des Métis, de violence militaire. On l'a vu pour Riel, pour les écoles acadiennes du Nouveau-Brunswick, pour les écoles franco-manitobaines à compter de 1890, et pour la crise du Règlement 17 en Ontario après 1912. Mais cette solidarité s'est manifestée comme celle d'une grande famille - «nos frères de l'Est et de l'Ouest» - et non comme partenaires d'un projet politique commun ayant le Canada entier comme «patrie».
Cette vision pan-canadienne a eu bien sûr ses tenants et propagandistes, mais c'est davantage un phénomène du 20e siècle, un phénomène réservé à une partie des élites politiques et culturelles, et un phénomène plus répandu au sein des collectivités canadiennes-françaises et acadiennes hors-Québec. L'indifférence qu'évoque Michel David pourrait-elle alors être une constante depuis 1867, plutôt que le produit d'une évolution ou d'une désaffection? Si on se donnait la peine de fouiller un peu, certains «acquis» seraient presque certainement ébranlés.
lundi 16 février 2015
Légendes d'un peuple: faut voir!
Vendredi soir, le 20 février, le spectacle du collectif «Légendes d'un peuple» sera à Gatineau, à la salle Jean Despréz (http://bit.ly/1Bh8ffV). Allez-y, même si le groupe d'artistes n'y est pas au complet. Vous ne serez pas déçus. Le but de ce texte de blogue, c'est de faire la promotion de cette soirée de chansons et d'histoire. J'aime autant l'écrire au début, parce que j'ai tendance - dans mes textes - à faire des détours et des parenthèses avant d'arriver au but…
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Mon épouse Ginette et moi ne nous entendons guère sur les choix de musique, de films, d'émissions de télé, de livres… Si les contraires s'attirent, dans certains domaines nous en sommes la preuve… Quand Ginette fait du ménage, les chansons de Michel Sardou emplissent la maison (toujours!) alors que mes tâches ménagères s'accompagnent du rock du début des années 60 ou de vieux classiques québécois… Elle peut écouter les CD de Fred Pellerin en boucle pendant des heures, ou du Charles Aznavour… moi, mes vieux vinyles, de Jethro Tull à Gilles Vigneault…
Enfin, tout cela pour dire que les disques qui nous unissent se comptent sur les doigts de nos deux mains… Alors quelle ne fut pas ma surprise, il y a quelques semaines, un mois peut-être, quand je suis rentré chez moi et que mon CD du collectif Légendes d'un peuple tournait à bon volume… J'avais demandé - et obtenu - comme cadeau de Noël deux billets à la première du spectacle du collectif, au Théâtre Outremont, le 10 février, avec l'intention bien sûr d'y aller avec Ginette.
Alors, voilà que tout à coup, elle écoutait cette musique, sans doute pour savoir ce qui l'attendait à Montréal, mais aussi parce qu'elle aimait bien les mélodies et les paroles de ces belles chansons, largement signées Alexandre Belliard et chantées une variété d'artistes y compris Paul Piché, Vincent Vallières, Jorane, Richard Séguin et bien d'autres… Je pense que c'est devenu vite l'un de ses albums préférés, faisant désormais partie de notre menu musical quotidien…
Alors, au lieu d'avoir à la convaincre de quitter le travail tôt un mardi après-midi pour un aller-retour fatigant dans la métropole, voilà que nous avions tous les deux hâte de prendre place au théâtre Outremont, salle que nous connaissions pour y avoir vu l'une de nos filles, Catherine, en spectacle avec le groupe Vertiges l'année précédente.
Pour éviter d'avoir à affronter l'heure de pointe à Montréal, nous sommes partis vers 13 h 45 de Gatineau, avec l'intention d'y aller mollo, d'arrêter à l'un des multiples Tim Hortons en chemin, et d'arriver au restaurant Le petit Italien, sur la rue Bernard en biais du théâtre, pour un souper relaxe avec Claude-Sylvie, une des soeurs de Ginette.
Heureusement que nous avons quitté tôt. Pour éviter les embouteillages à Montréal, j'ai parfois l'impression qu'il faut conduire entre 2 et 4 heures le matin, en pleine nuit. Autrement… Et effectivement, notre GPS pourri nous a mené droit vers le Métropolitain, devenu un parc de stationnement au carrefour du boulevard Décarie et de l'autoroute 15… Plus d'une demi-heure pour avancer de 700 mètres… Il y avait apparemment un «incident» routier quelque part en aval… c'est toujours quelque chose du genre…
Finalement, la sortie vers la rue Stinson qui nous mènerait vers Outremont… On se croyait sortis du pire jusqu'à ce qu'on cherche un endroit pour garer la voiture. J'ai des nouvelles pour le monde hors-métropole: à Montréal, faut croire que personne n'enlève la neige!!! On stationne littéralement dans des bancs de neige, et ça c'est quand on trouve une place libre… Sans compter qu'on n'est jamais sûr d'avoir la permission de se garer à tel ou tel endroit (la réglementation est complexe, pour moi en tout cas…) et que le mode de paiement est différent…
Malgré tout, nous étions au resto avant l'heure de la réservation et après un repas fort plaisant, on s'est amené au théâtre Outremont vers 19 h 30. Comme à tout spectacle, on craint d'être déçu, le disque qu'on entend chez soi étant enregistré dans des conditions optimales. Or, sur scène tout peut arriver… Enfin peu importe, comme les artistes étaient excellents, les chansons aussi, et que la salle - remplie - était acquise d'avance, ce serait un peu comme une grande fête de famille…
Je n'oserais pas de critique du spectacle (j'aime bien celle du Devoir à http://bit.ly/1CgEx5W), je me contenterai de copier ici ce que mon épouse a texté dans sa page Facebook sur le chemin du retour, sur l'autoroute 40: «Légendes d'un peuple au théâtre Outremont, un des meilleurs shows que j'ai vus, bravo Alexandre Belliard». Et elle avait raison: quelle présentation! C'était - de loin - meilleur que l'excellent album! Un événement historique!
Ce que l'on avait de plus en salle, c'était l'ambiance, l'interaction avec les artistes, l'émotion visible sur scène et partout autour de soi. L'orchestration qui s'accorde et qui relance des voix puissantes. Le tout rehaussé de présentations vidéo sur méga écran au fond de la scène, et d'une narration occasionnelle du maître d'oeuvre de ce chef-d'oeuvre, Alexandre Belliard, sur sa berceuse dans un coin de la scène ou un peu en retrait. Les bravos, les ovations, les rappels.
Nous n'étions certainement pas très nombreux de Gatineau dans la salle du théâtre Outremont, mais ceux et celles qui y étaient ont dû ressentir une émotion particulière lors de l'interprétation, en rappel, de la nouvelle chanson du collectif, Les allumettières, à propos de la grève des femmes travaillant à la compagnie E.B. Eddy de Hull en 1924. Chantée par Salomé Leclerc qui s'accompagne seule à la guitare, l'émouvante composition se termine par une photo des grévistes sous la direction de Donalda Charron, devant l'usine sur le boulevard Taché. Le motton dans la gorge…
Je n'oublierai jamais cette soirée. Ginette non plus, faut croire… Le lendemain ou surlendemain, elle me lance: ça te dirait d'aller au spectacle à Gatineau? OUI ! Le temps de le dire, elle est à l'écran et nous pitonne quelques billets à la salle Jean Despréz pour le soir du 20 février. Il en restait encore! J'espère que ce sera à guichet fermé. Vivement, le monde! Si vous avez le goût de voir et d'entendre un excellent spectacle musical, si vous aimez l'histoire du Québec et de la francophonie nord-américaine, c'est une occasion en or! En tout cas, nous y serons!
samedi 14 février 2015
Déjà 40 ans !!!
C'est la Saint-Valentin et nous sommes... en 2015! Déjà 40 ans! Eh, que le temps passe vite…
C'était en effet le 14 février 1975 que je me suis fiancé à l'amour de ma vie, Ginette Lemery. Je ne sais pas trop s'il existe toujours aujourd'hui quelque rituel entourant les fiançailles, comme jadis, ou même un engouement pour ce genre de tradition qui peut sans doute paraître vieillot à plusieurs. Déjà, à mon époque, le mariage religieux - que dis-je le mariage tout court - et tout le tralala étaient mis à rude épreuve… Mais pour moi, en dépit de rébellions fréquentes contre les ordres établis (qui durent toujours...), certaines coutumes conservaient toute leur importance.
J'avais bien sûr acheté une bague de fiançailles… Aujourd'hui, on magasinerait sans doute aux grandes chaînes de bijouteries où l'on ne connaît personne derrière les comptoirs et où personne derrière les comptoirs ne connaît vraiment le client, mais au début de 1975 il y avait toujours Mme Lavoie. Elle et son mari Marc Lavoie étaient propriétaires d'une petite bijouterie sur la «grand-rue» (rue Wellington) dans mon ancien quartier de Saint-François d'Assise, à Ottawa.
M. Lavoie était un grand horloger. Le Canadien National lui confiait les montres de ses conducteurs de trains, anciennement, pour s'assurer qu'elles soient précises à la seconde près. Pendant qu'il usait ses yeux, assis à son grand banc d'horloger, à l'arrière de la minuscule boutique, Mme Lavoie s'occupait des bijoux et de la clientèle. Nous la connaissions bien. Ma mère avait même travaillé là. Alors, pour une question aussi importante qu'une bague de fiançailles, je n'aurais jamais pensé m'adresser ailleurs…
Elle fut de bon conseil. On s'inquiète toujours, peu importe le cadeau, que la personne qui le reçoive n'en soit pas pleinement satisfaite… à plus fort titre quand il s'agit du symbole d'un engagement à vie et du prélude à un mariage prévu pour le 5 juillet 1975. Finalement, le choix s'est porté sur une belle petite bague en or, toute simple, avec une pierre précieuse rose… je ne suis plus trop certain de quelle pierre précieuse il pourrait s'agir.
Bien sûr, je connaissais d'avance la réponse de Ginette à «LA» question, notre décision de nous marier à l'église ayant été prise le mois précédent. Mais tout de même, quand on décide de passer par l'étape officielle des fiançailles, on tient à ce que tout le monde en conserve le meilleur souvenir possible.
Or, l'une des coutumes que je désirais ardemment respecter, c'était de demander à Monsieur Lemery la main de sa fille, comme à l'ancienne. Cela m'énervait plus que tout, même si je ne doutais pas de son accord. Je me souviens encore qu'il était assis au salon quand, ayant guetté le moment propice, je lui ai fait part de mes intentions (qu'il connaissait fort bien) et demandé sa permission d'épouser Ginette. Je pense que dans mon énervement j'ai oublié ses paroles exactes mais c'étaient, comme toujours, des paroles empreintes de bonté et de sagesse.
Les fiançailles annoncées aux deux familles, nous avons célébré le tout à l'un de mes restaurants préférés, aujourd'hui disparu, le Little Hungarian Village, sur la rue Laurier à Ottawa, où je commandais toujours le même succulent petit cochon de lait… Le resto était évidemment plein - Saint-Valentin oblige - et je me souviens des deux couples les plus près de nous. L'un se disputait, l'autre se minouchait. Dans quel camp se retrouverait-on avec l'usure des décennies? Nous n'avions pas de doutes que nous pouvions relever les défis de la vie ensemble… et nous avions raison.
Je me souviens que la soirée du 14 février 1975 s'est terminée devant la télé, en regardant tous les deux le célèbre gala du plus bel homme de l'année de Lise Payette…
Somme toute, notre journée de fiançailles s'était fort bien déroulée, sous le signe de l'amour comme il se doit à la Saint-Valentin… Et quarante ans plus tard, les joies de cette première Saint-Valentin ensemble continuent de meubler nos souvenirs, bien plus que toutes les cartes et tous les cadeaux que l'on pourrait s'offrir…
Aujourd'hui, pour quelques moments, j'aurai de nouveau 28 ans, et Ginette 22…
mercredi 11 février 2015
Université franco-ontarienne: de l'audace!
Le projet d'université de langue française en Ontario est-il mort? Non. Est-il en danger? Oui! Quand j'ai lu les premiers comptes rendus de la conférence de presse d'hier des trois organisations porteuses du projet - le REFO (Regroupement étudiant franco-ontarien), la FESFO (Fédération de la jeunesse franco-ontarienne) et l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario) - j'ai sursauté… Deux années complètes de consultations, de mobilisation et d'études pour en arriver à la demande d'un campus universitaire de langue française dans la région de Toronto d'ici 2018? Juste ça?
Qu'était-il arrivé à l'élan collectif qui avait lancé, il y a quelques années, cette plus récente mouture d'un vieux projet, celui de compléter jusqu'à l'universitaire le réseau scolaire franco-ontarien? Qu'était-il arrivé à cette volonté de mettre fin à «l'anglo-dominance» des deux monstres bilingues, l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne, et de réclamer sans délai un réseau universitaire «par et pour les francophones» en Ontario? Comment était-on passé de cette fougue du début, de cette volonté de foncer, à cette nouvelle attitude - visible depuis les États généraux d'octobre dernier sur le postsecondaire - beaucoup plus nuancée, adoucie, toute en compromis?
Un excellent rapport
Il ne s'agit pas de blâmer qui que ce soit mais de comprendre. Je me souviens du projet de transformer l'Université d'Ottawa en université de langue française à la fin des années 60, projet soutenu par l'ACFO (Association canadienne-française de l'Ontario, prédécesseur de l'AFO) et par l'APMJOF (Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de l'Ontario français). Après un bref élan, tout s'était écroulé. À cette époque, dans nos démarches, on ne s'était jamais rendu aussi loin que le REFO, la FESFO et l'AFO, qui ont fait un extraordinaire boulot et dont le rapport rendu public hier (que j'ai lu ce matin) mérite un A+. Il n'y a rien de bâclé là-dedans.
Non, la qualité de l'analyse et de la justesse des hypothèses mises de l'avant ne sont pas en cause. Les enjeux sont généralement bien cernés et le gouvernement Wynne, s'il est sérieux dans sa volonté de soutenir la francophonie ontarienne, ferait bien de lire toutes les lignes du document, et même de lire entre les lignes. Non, le problème vient de l'attitude des organismes franco-ontariens face au gouvernement provincial, une attitude malheureusement héritée des générations précédentes.
…«au lieu de contester»
«En milieu minoritaire, lit-on dans le rapport d'une cinquantaine de pages, au lieu de contester le pouvoir établi, on trouve plus sage de bien amener son projet, de souligner l'aspect positif d'un projet nouveau et justifier, pour le mieux et pour le pire, sa faisabilité économique. L'explication d'un projet avec nuance et clarté peut éviter des critiques qui ne mèneraient qu'au maintien du statu quo.» «Un bon rapport avec le gouvernement provincial, ajoute-t-on, pourrait également être un atout.» Et voilà!
Finie la confrontation, finie la contestation, finie les accusations? Il s'agit de présenter un bon projet, bien étayé, bien raisonnable, et les dominos politiques vont finir par tomber en place… J'espérais vraiment qu'on avait fini de croire à ces vieilles histoires, qui ont toujours été fausses et mises de l'avant pour freiner l'ardeur des plus idéalistes. Peu importe la valeur du document, peu importe la modération des demandes (et celle fois, elles sont TRÈS modérées), on trouvera toujours le moyen de dire que c'est trop, que ça coûte trop cher, que ça prend des études, des comités… sans oublier que tout cela se déroule sur un fond d'opinion anglo-ontarienne indifférente et souvent hostile…
C'est déjà commencé. Le recteur de l'Université d'Ottawa, un anglophone qui hésite à appuyer le bilinguisme officiel à la ville d'Ottawa et dont l'institution n'ose même pas planter un immense drapeau franco-ontarien au coeur du campus pour ne pas offusquer les anglos, affirme publiquement que les Franco-Ontariens l'ont déjà, leur université et que c'est l'Université d'Ottawa. L'a-t-on confronté, l'a-t-on envoyé promener? Non. Silence. La ministre Madeleine Meilleur, supposément une alliée du projet d'université franco-ontarienne, a défendu l'Université d'Ottawa et affirmé qu'il n'y aurait pas de campus universitaire de langue française dans la capitale fédérale. Encore hier, elle a déclaré que le peu que demandaient les Franco-Ontariens - le campus à Toronto en 2018 - c'était «trop ambitieux»!!!
Nous nous souvenons?
Un peu de mémoire, tout le monde! Les Franco-Ontariens n'ont jamais gagné leurs combats parce qu'ils étaient raisonnables et gentils. Le gouvernement Robarts a accordé un réseau d'écoles primaires et secondaires de langue française dans les années 1960 parce que son homologue du Québec, Daniel Johnson, proposait l'indépendance faute d'égalité, et que la société québécoise voisine bouillonnait face à l'anglo-dominance. Le contrôle et la gestion des réseaux scolaires franco-ontariens - et ceux des autres provinces où les francophones sont minoritaires - ont été obtenus devant les tribunaux, par la confrontation de gouvernements avec qui les négociations raisonnables n'avaient rien donné. Et que penser de l'hôpital Montfort? Heureusement qu'on n'a pas écouté ces voix qui disaient l'importance d'être raisonnables. La bataille a été gagnée dans la rue et devant les tribunaux!
Croyez-vous vraiment qu'un bon document - et il est excellent, votre rapport! - va convaincre les politiciens de Queen's Park? Quand l'opinion publique est contre vous? Non! C'est une question de justice fondamentale. Tous les arguments, vous les énoncez avec clarté, messieurs et mesdames du REFO, de la FESFO et de l'AFO. Cette université vous est due, et elle vous est due depuis longtemps! Le temps est venu d'exiger, pas de quêter un campus pour 2018 à Toronto. Et l'argent? De combien de millions, voire de milliards a-t-on privé les Franco-Ontariens depuis la Confédération en ayant rendu leurs écoles illégales en 1912, puis en les privant souvent de l'essentiel pendant un autre trois quart de siècle? Ces sommes vous sont dues, et le gouvernement n'a aucun argument moral à vous opposer. Qu'ils la trouvent, l'argent. Québec n'affame pas les universités anglophones, loin de là.
Dites-le haut et fort!
Dites-le haut et fort, pour que le pays tout entier vous entende, pour faire honte à ce gouvernement qui veut faire croire à sa bonne volonté mais qui vous fait dire qu'une toute petite demande est «un peu trop ambitieuse». N'essayez pas de résoudre les problèmes de financement et de gestion pour eux. C'est leur problème, ils ont une armée d'experts à leur disposition. Quand les écoles primaires et secondaires sont devenues françaises, on a géré la transition. Quand le collège Algonquin a cessé d'être bilingue, on a géré la transition. Quand on décrétera par loi que les programmes universitaires existants et futurs sont désormais sous gestion francophone, on gérera la transition. En dépit des cris et grincements de dents des institutions existantes.
L'heure n'est plus à la prudence mais à l'audace. Parce que «le défi de l'assimilation», pour employer les paroles de Denis Vaillancourt, président de l'AFO, ne permet plus d'attendre. Il est encore temps de sauver les meubles, de retrouver l'élan, de monter à l'assaut. Sur le plan de l'argument, les Franco-Ontariens ont en mains TOUS les atouts. La position du gouvernement est intenable... mais il détient le pouvoir. Il faudra forcer ce pouvoir à agir. Malheureusement, l'attitude actuelle des défenseurs de l'université de langue française ne fera pas fléchir Queen's Park...
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Voir aussi ce texte de blogue d'octobre 2014:
Université franco-ontarienne: on va où? bit.ly/1y0BNfv
Qu'était-il arrivé à l'élan collectif qui avait lancé, il y a quelques années, cette plus récente mouture d'un vieux projet, celui de compléter jusqu'à l'universitaire le réseau scolaire franco-ontarien? Qu'était-il arrivé à cette volonté de mettre fin à «l'anglo-dominance» des deux monstres bilingues, l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne, et de réclamer sans délai un réseau universitaire «par et pour les francophones» en Ontario? Comment était-on passé de cette fougue du début, de cette volonté de foncer, à cette nouvelle attitude - visible depuis les États généraux d'octobre dernier sur le postsecondaire - beaucoup plus nuancée, adoucie, toute en compromis?
Un excellent rapport
Il ne s'agit pas de blâmer qui que ce soit mais de comprendre. Je me souviens du projet de transformer l'Université d'Ottawa en université de langue française à la fin des années 60, projet soutenu par l'ACFO (Association canadienne-française de l'Ontario, prédécesseur de l'AFO) et par l'APMJOF (Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de l'Ontario français). Après un bref élan, tout s'était écroulé. À cette époque, dans nos démarches, on ne s'était jamais rendu aussi loin que le REFO, la FESFO et l'AFO, qui ont fait un extraordinaire boulot et dont le rapport rendu public hier (que j'ai lu ce matin) mérite un A+. Il n'y a rien de bâclé là-dedans.
Non, la qualité de l'analyse et de la justesse des hypothèses mises de l'avant ne sont pas en cause. Les enjeux sont généralement bien cernés et le gouvernement Wynne, s'il est sérieux dans sa volonté de soutenir la francophonie ontarienne, ferait bien de lire toutes les lignes du document, et même de lire entre les lignes. Non, le problème vient de l'attitude des organismes franco-ontariens face au gouvernement provincial, une attitude malheureusement héritée des générations précédentes.
…«au lieu de contester»
«En milieu minoritaire, lit-on dans le rapport d'une cinquantaine de pages, au lieu de contester le pouvoir établi, on trouve plus sage de bien amener son projet, de souligner l'aspect positif d'un projet nouveau et justifier, pour le mieux et pour le pire, sa faisabilité économique. L'explication d'un projet avec nuance et clarté peut éviter des critiques qui ne mèneraient qu'au maintien du statu quo.» «Un bon rapport avec le gouvernement provincial, ajoute-t-on, pourrait également être un atout.» Et voilà!
Finie la confrontation, finie la contestation, finie les accusations? Il s'agit de présenter un bon projet, bien étayé, bien raisonnable, et les dominos politiques vont finir par tomber en place… J'espérais vraiment qu'on avait fini de croire à ces vieilles histoires, qui ont toujours été fausses et mises de l'avant pour freiner l'ardeur des plus idéalistes. Peu importe la valeur du document, peu importe la modération des demandes (et celle fois, elles sont TRÈS modérées), on trouvera toujours le moyen de dire que c'est trop, que ça coûte trop cher, que ça prend des études, des comités… sans oublier que tout cela se déroule sur un fond d'opinion anglo-ontarienne indifférente et souvent hostile…
C'est déjà commencé. Le recteur de l'Université d'Ottawa, un anglophone qui hésite à appuyer le bilinguisme officiel à la ville d'Ottawa et dont l'institution n'ose même pas planter un immense drapeau franco-ontarien au coeur du campus pour ne pas offusquer les anglos, affirme publiquement que les Franco-Ontariens l'ont déjà, leur université et que c'est l'Université d'Ottawa. L'a-t-on confronté, l'a-t-on envoyé promener? Non. Silence. La ministre Madeleine Meilleur, supposément une alliée du projet d'université franco-ontarienne, a défendu l'Université d'Ottawa et affirmé qu'il n'y aurait pas de campus universitaire de langue française dans la capitale fédérale. Encore hier, elle a déclaré que le peu que demandaient les Franco-Ontariens - le campus à Toronto en 2018 - c'était «trop ambitieux»!!!
Nous nous souvenons?
Un peu de mémoire, tout le monde! Les Franco-Ontariens n'ont jamais gagné leurs combats parce qu'ils étaient raisonnables et gentils. Le gouvernement Robarts a accordé un réseau d'écoles primaires et secondaires de langue française dans les années 1960 parce que son homologue du Québec, Daniel Johnson, proposait l'indépendance faute d'égalité, et que la société québécoise voisine bouillonnait face à l'anglo-dominance. Le contrôle et la gestion des réseaux scolaires franco-ontariens - et ceux des autres provinces où les francophones sont minoritaires - ont été obtenus devant les tribunaux, par la confrontation de gouvernements avec qui les négociations raisonnables n'avaient rien donné. Et que penser de l'hôpital Montfort? Heureusement qu'on n'a pas écouté ces voix qui disaient l'importance d'être raisonnables. La bataille a été gagnée dans la rue et devant les tribunaux!
Croyez-vous vraiment qu'un bon document - et il est excellent, votre rapport! - va convaincre les politiciens de Queen's Park? Quand l'opinion publique est contre vous? Non! C'est une question de justice fondamentale. Tous les arguments, vous les énoncez avec clarté, messieurs et mesdames du REFO, de la FESFO et de l'AFO. Cette université vous est due, et elle vous est due depuis longtemps! Le temps est venu d'exiger, pas de quêter un campus pour 2018 à Toronto. Et l'argent? De combien de millions, voire de milliards a-t-on privé les Franco-Ontariens depuis la Confédération en ayant rendu leurs écoles illégales en 1912, puis en les privant souvent de l'essentiel pendant un autre trois quart de siècle? Ces sommes vous sont dues, et le gouvernement n'a aucun argument moral à vous opposer. Qu'ils la trouvent, l'argent. Québec n'affame pas les universités anglophones, loin de là.
Dites-le haut et fort!
Dites-le haut et fort, pour que le pays tout entier vous entende, pour faire honte à ce gouvernement qui veut faire croire à sa bonne volonté mais qui vous fait dire qu'une toute petite demande est «un peu trop ambitieuse». N'essayez pas de résoudre les problèmes de financement et de gestion pour eux. C'est leur problème, ils ont une armée d'experts à leur disposition. Quand les écoles primaires et secondaires sont devenues françaises, on a géré la transition. Quand le collège Algonquin a cessé d'être bilingue, on a géré la transition. Quand on décrétera par loi que les programmes universitaires existants et futurs sont désormais sous gestion francophone, on gérera la transition. En dépit des cris et grincements de dents des institutions existantes.
L'heure n'est plus à la prudence mais à l'audace. Parce que «le défi de l'assimilation», pour employer les paroles de Denis Vaillancourt, président de l'AFO, ne permet plus d'attendre. Il est encore temps de sauver les meubles, de retrouver l'élan, de monter à l'assaut. Sur le plan de l'argument, les Franco-Ontariens ont en mains TOUS les atouts. La position du gouvernement est intenable... mais il détient le pouvoir. Il faudra forcer ce pouvoir à agir. Malheureusement, l'attitude actuelle des défenseurs de l'université de langue française ne fera pas fléchir Queen's Park...
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Voir aussi ce texte de blogue d'octobre 2014:
Université franco-ontarienne: on va où? bit.ly/1y0BNfv
Mme Bernier!
J'ai appris ce matin que Mme Bernier est décédée! Il faut que j'en parle, parce qu'il n'y aura pas d'article sur elles dans les médias, même s'il y aurait dans sa vie - comme dans toutes les vies j'imagine - d'excellents sujets de reportage. Jeannette Bernier (née Robertson) était, avec son mari Eugène, propriétaire de l'ancien magasin général du Lac Sinclair, dans l'ex-municipalité d'East Aldfield (qui fait maintenant partie de La Pêche, en Outaouais).
Tous ceux et toutes celles qui ont vécu dans une petite localité, à une époque antérieure, savent que le magasin général devient vite le centre du petit univers qu'il dessert. Or, vers le milieu des années 1970, ayant découvert l'amour de ma vie, Ginette Lemery, je suis devenu un habitué du Lac Sinclair, où sa soeur Micheline avait un chalet et où la famille Lemery se rassemblait fréquemment. Quand nous nous sommes mariés en 1975, nous y avons passé notre lune de miel et avec l'arrivée des enfants, la petite tribu a poursuivi longtemps ses périples estivaux au «chalet de Mimi»…
Occuper nos trois fillettes pendant quelques semaines au Lac Sinclair n'était pas pas toujours facile, mais l'enthousiasme ne manquait jamais quand on leur proposait d'aller chercher des bonbons chez Mme Bernier… Et pendant que les enfants parcouraient les boîtes de friandises en vrac derrière le comptoir de ce capharnaüm où l'on trouvait de tout, du lait aux vêtements aux matériaux de construction, j'en profitais pour jaser avec Jeannette Bernier. On discutait de la météo, des chemins, du service d'Hydro-Québec, de la ville, de la campagne, du bon vieux temps, de la vie quoi…
Les enfants l'aimaient bien… et elle aimait elle aussi ces fillettes qui raffolaient de ses bonbons… Nos visites à son magasin général ont meublé les souvenirs de mes filles, qui ont conservé un attachement à ce doux épisode de leur vie. Aujourd'hui, d'ailleurs, ma fille Véronique et son conjoint Nicolas sont copropriétaires avec nous du chalet voisin de celui de Mimi, qui a transformé le sien en résidence permanente depuis près d'une vingtaine d'années. Mais le magasin général n'est plus…
Fini l'époque où l'on s'amenait «chez Bernier» et où la souriante Jeannette saluait la marmaille ou, bien plus tard, s'informait de nos filles devenues adolescentes puis jeunes adultes. Elle était un peu le carrefour de la vie communautaire de l'endroit… de la vie politique aussi. Je me souviens de l'époque où, chaque année, elle militait pour l'asphaltage de quelques kilomètres de plus du chemin de terre, poussiéreux ou boueux selon la météo, mais où la «laveuse» bardassait invariablement conducteur et passagers…
C'était une femme pieuse, avec une belle croix de chemin en face du magasin… Elle m'avait d'ailleurs offert il y a longtemps - et je l'ai conservée - une copie d'une bénédiction des archevêques de Québec (Mgr Villeneuve) et d'Ottawa, offerte en 1938 aux abonnés du Droit à l'occasion du 25e anniversaire du quotidien (où je travaillais), considéré à l'époque comme une oeuvre d'action catholique. C'était une de ses possessions précieuses.
Jeannette Robertson-Bernier était aussi une femme forte. Le couple Eugène-Jeannette étaient des pionniers à leur façon, dignes héritiers d'une tradition entreprise par les générations précédentes qui avaient défriché le coin et fondé le premier magasin général en 1907. Ils travaillaient de longues heures, et connaissaient bien leurs étagères et entrepôts, jusqu'au dernier boulon… et au dernier bonbon! Quand nos enfants étaient tout petits, les Bernier semblaient sans doute devoir être là pour l'éternité…
Mais les temps changent. Nous vieillissons tous. Les bobos, la maladie, et un jour la mort. Eugène est parti le premier, puis Mme Bernier s'est vue confinée à un fauteuil roulant. Je me souviens de nos dernières rencontres, alors qu'elle sortait se sa cuisine (derrière le comptoir) pour venir me saluer et s'informer des enfants désormais adultes… La nouvelle génération - mes petits-enfants - ne connaîtront pas Mme Bernier, ni son magasin général…
Ce matin, j'ai une pensée pour elle. Je n'ai trouvé dans mes albums (nombreux) aucune photo prise dans le magasin général avec les enfants. Dommage, je l'aurais incluse. Ses 92 années ont marqué bien des gens. Au revoir, Mme Bernier!
Tous ceux et toutes celles qui ont vécu dans une petite localité, à une époque antérieure, savent que le magasin général devient vite le centre du petit univers qu'il dessert. Or, vers le milieu des années 1970, ayant découvert l'amour de ma vie, Ginette Lemery, je suis devenu un habitué du Lac Sinclair, où sa soeur Micheline avait un chalet et où la famille Lemery se rassemblait fréquemment. Quand nous nous sommes mariés en 1975, nous y avons passé notre lune de miel et avec l'arrivée des enfants, la petite tribu a poursuivi longtemps ses périples estivaux au «chalet de Mimi»…
Occuper nos trois fillettes pendant quelques semaines au Lac Sinclair n'était pas pas toujours facile, mais l'enthousiasme ne manquait jamais quand on leur proposait d'aller chercher des bonbons chez Mme Bernier… Et pendant que les enfants parcouraient les boîtes de friandises en vrac derrière le comptoir de ce capharnaüm où l'on trouvait de tout, du lait aux vêtements aux matériaux de construction, j'en profitais pour jaser avec Jeannette Bernier. On discutait de la météo, des chemins, du service d'Hydro-Québec, de la ville, de la campagne, du bon vieux temps, de la vie quoi…
Les enfants l'aimaient bien… et elle aimait elle aussi ces fillettes qui raffolaient de ses bonbons… Nos visites à son magasin général ont meublé les souvenirs de mes filles, qui ont conservé un attachement à ce doux épisode de leur vie. Aujourd'hui, d'ailleurs, ma fille Véronique et son conjoint Nicolas sont copropriétaires avec nous du chalet voisin de celui de Mimi, qui a transformé le sien en résidence permanente depuis près d'une vingtaine d'années. Mais le magasin général n'est plus…
Fini l'époque où l'on s'amenait «chez Bernier» et où la souriante Jeannette saluait la marmaille ou, bien plus tard, s'informait de nos filles devenues adolescentes puis jeunes adultes. Elle était un peu le carrefour de la vie communautaire de l'endroit… de la vie politique aussi. Je me souviens de l'époque où, chaque année, elle militait pour l'asphaltage de quelques kilomètres de plus du chemin de terre, poussiéreux ou boueux selon la météo, mais où la «laveuse» bardassait invariablement conducteur et passagers…
C'était une femme pieuse, avec une belle croix de chemin en face du magasin… Elle m'avait d'ailleurs offert il y a longtemps - et je l'ai conservée - une copie d'une bénédiction des archevêques de Québec (Mgr Villeneuve) et d'Ottawa, offerte en 1938 aux abonnés du Droit à l'occasion du 25e anniversaire du quotidien (où je travaillais), considéré à l'époque comme une oeuvre d'action catholique. C'était une de ses possessions précieuses.
Jeannette Robertson-Bernier était aussi une femme forte. Le couple Eugène-Jeannette étaient des pionniers à leur façon, dignes héritiers d'une tradition entreprise par les générations précédentes qui avaient défriché le coin et fondé le premier magasin général en 1907. Ils travaillaient de longues heures, et connaissaient bien leurs étagères et entrepôts, jusqu'au dernier boulon… et au dernier bonbon! Quand nos enfants étaient tout petits, les Bernier semblaient sans doute devoir être là pour l'éternité…
Mais les temps changent. Nous vieillissons tous. Les bobos, la maladie, et un jour la mort. Eugène est parti le premier, puis Mme Bernier s'est vue confinée à un fauteuil roulant. Je me souviens de nos dernières rencontres, alors qu'elle sortait se sa cuisine (derrière le comptoir) pour venir me saluer et s'informer des enfants désormais adultes… La nouvelle génération - mes petits-enfants - ne connaîtront pas Mme Bernier, ni son magasin général…
Ce matin, j'ai une pensée pour elle. Je n'ai trouvé dans mes albums (nombreux) aucune photo prise dans le magasin général avec les enfants. Dommage, je l'aurais incluse. Ses 92 années ont marqué bien des gens. Au revoir, Mme Bernier!
lundi 9 février 2015
Québécois, Franco-Canadiens: 2 solitudes?
Samedi après-midi, j'ai lancé sur Twitter le gazouillis suivant: «Je viens d'écouter l'émission SRC "Francophones du Québec et hors-Québec: deux solitudes" (http://bit.ly/1A5dWxy). Estomaqué par ce que j'y ai entendu…» Moins d'une minute plus tard, la réplique venait: «Des exemples?» Ne sachant trop par où commencer, et Twitter nous limitant à 140 frappes (pas l'idéal), j'ai promis de bloguer là-dessus d'ici lundi. Alors voilà, je prends le taureau par quelques-unes de ses cornes…
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Je vais me limiter à trois des éléments de la discussion sur les ondes de Radio-Canada (les plus importants selon moi), où on semble présenter comme évidentes des situations qui ne le sont pas, et où de vigoureux échanges pourraient modifier des points de vue et des stratégies de fond.
Symétrie, asymétrie et l'article 23
1. Des représentants de la minorité franco-yukonnaise (et des autres minorités francophones qui les appuient) s'insurgent contre l'opposition récente du Québec à leur demande d'élargissement des critères d'admission aux écoles de langue française en vertu de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ils affirment que le gouvernement québécois aurait pu plaider en faveur de l'asymétrie de l'application de l'article 23, selon qu'on se trouve au Québec ou hors-Québec - plus généreuse dans les provinces anglophones, plus restrictive au Québec pour protéger le français.
Ce qui me frappe et m'étonne, c'est cette insistance sur l'asymétrie de l'application, alors que cette asymétrie est déjà entérinée par les tribunaux (jusqu'à la Cour suprême) depuis les années 1980… Et pourquoi cette asymétrie s'est-elle imposée? Parce que les minorités francophones du Canada et la majorité francophone du Québec font face au même problème: le besoin de protéger et de promouvoir la langue et la culture française dans un univers nord-américain très majoritairement unilingue anglais! Or, les juges tiennent toujours compte (bien selon certain, mal selon d'autres) du contexte historique et de la réalité socio-politique contemporaine.
Ce qu'il faut plaider, c'est la symétrie du problème: le français en danger partout, au Yukon comme au Québec; et le risque de domination de l'anglais partout, au Yukon comme au Québec. En abordant la situation sous cet angle, le seul qui permet de voir toute la forêt et non seulement quelques arbres, Québec peut s'amener tambour battant et sermonner les juges en les sommant de faire ce qu'il faut pour protéger et promouvoir les droits de la minorité franco-yukonnaise, sans crainte. Les juges ne protégeront pas le français au Yukon pour ensuite aller le menacer au Québec. C'est illogique. Et de plus, Québec a en mains tous les pouvoirs pour les en empêcher, pouvant aller jusqu'à la sécession!
Benoît Pelletier a bien cerné l'argumentaire en déclarant, au cours de l'émission de SRC: «Les francophones au Canada (y compris au Québec) sont tous dans le même bateau et doivent ramer dans la même direction.» Et Marie-France Kenny, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), y est allée de son grain de sagesse: «On est prêt à se tenir debout avec le Québec (pour protéger le français au Québec); on demande que le Québec se tienne debout avec nous.» Ces deux interventions illustrent bien la symétrie quasi parfaite des objectifs culturels des Québécois francophones et des minorités canadiennes-françaises et acadiennes.
Pour protéger et promouvoir le français, le contexte socio-politique impose une interprétation généreuse de l'article 23 au Yukon, et le même contexte impose un maintien et un renforcement de la Loi 101 au Québec. Et si on veut trouver une seconde symétrie, c'est qu'au Canada anglais comme au Québec, aucune menace ne pèse sur la langue anglaise, qui se porte merveilleusement bien.
Ça va bien ou pas?
2. À un certain moment, durant l'émission, Marie-France Kenny a dérapé un peu en affirmant que le Québec n'était plus la «métropole» du français au pays, ajoutant que la francophonie hors-Québec est «bien en vue» et qu'elle «se porte bien». On peut l'excuser de ce débordement en tenant compte qu'elle réagissait à chaud à une opinion exprimée dans une lettre au Devoir, dans laquelle le correspondant lançait une affirmation farfelue, à l'effet que la francophonie hors-Québec n'existait plus à l'exception de quelques personnes «qui parlent un français abâtardi»…
Laisser entendre que cette personne est ignorante et mal informée, ça passe. Ajouter que trop souvent, les Québécois ignorent à peu près tout de la francophonie des autres provinces, ça passe aussi. Mais lancer «on se porte bien»? Non, ça ne passe pas. Il y a bien quelques régions où la présence du français est dominante et presque blindée, notamment dans la péninsule acadienne, dans la région du Madawaska du Nouveau-Brunswick, et le long de la route 11 aux environs de Hearst en Ontario, mais ailleurs ça va plutôt mal. Et porter trop souvent des lunettes roses n'améliore en rien la situation.
Cela ne signifie pas une absence de dynamisme au sein de la francophonie hors-Québec, et ou sa disparition à court terme. Au contraire. Et le Québec a beaucoup à apprendre des efforts originaux et souvent fructueux, à l'ouest de l'Outaouais et à l'est de la Gaspésie, pour mettre en valeur la langue et la culture françaises. Mais les recensements tracent un portrait implacable des ravages de l'assimilation, et la généralisation de l'exogamie annonce une crise majeure d'effectifs d'ici une génération ou deux. Ce n'est pas pour rien qu'on met en place des programmes de «construction identitaire» dans les écoles franco-ontariennes et qu'on impose des mesures disciplinaires pour obliger les élèves à parler français à l'extérieur des salles de classe. Et même sur le plan politique, est-ce un hasard si tant de minorités doivent toujours avoir recours aux tribunaux pour faire valoir des droits historiques?
J'ai la conviction que la seule façon de progresser dans le contexte actuel, c'est de dire noir quand c'est noir, gris quand c'est gris, et blanc quand c'est blanc. En identifiant mal le problème, on identifie mal les solutions. D'ailleurs il y a contradiction entre la réalité qui impose aux Franco-Yukonnais d'élargir l'application de l'article 23 et l'affirmation de Mme Kenny…
États généraux de 1967: rupture, vraiment?
3. À quelques reprises durant l'émission, les intervenants sont revenus sur l'épisode des États généraux de 1966 à 1969 (et en particulier les assises de 1967), en insistant sur la soi-disant «rupture» qui s'y est produite entre les Québécois et les francophones minoritaires ailleurs au pays. De nombreux historiens présentent ces assises comme un moment clé, comme une espèce de fin de chapitre (celle du Canada français et des Canadiens français), et aussi comme le début d'un nouveau chapitre d'identités fragmentées (Québécois, Franco-Ontariens, Franco-Manitobains, etc.).
Un sociologue invité à l'émission, Jean-François Laniel, y est allé du message type qu'on entend au sujet des États généraux. C'était, dit-il, la fin du «projet collectif commun» de l'époque du Canada français». Depuis cet événement, nous avons semble-t-il oublié ce passé que nous avons partagé (Québécois, Canadiens français et Acadiens) et cette ancienne solidarité pan-canadienne. Selon moi, cette affirmation est largement fausse et se fonde sur une interprétation erronée de l'histoire.
Les États généraux ont été l'occasion de lancer dans l'arène publique le débat sur une évolution qui était déjà en cours depuis longtemps, probablement depuis le début de la Confédération. Le «nationalisme» canadien-français a toujours été largement territorial et centré sur le bassin du Saint-Laurent. Ses limites correspondaient plus souvent qu'autrement aux frontières du Québec. L'AANB avait conféré au Québec un statut particulier et les gouvernements successifs depuis Honoré Mercier dans les années 1880 ont toujours défendu l'autonomie provinciale. Au Québec, le mouvement indépendantiste des années 1960 a peut-être abouti au remplacement de l'appellation canadienne-française par l'appellation québécoise, mais a peu modifié la perception identitaire territoriale de l'une et de l'autre.
Aux États généraux même, des journalistes acadiens et franco-ontariens avaient remarqué que pour une grande partie des délégués québécois, Canadien français signifiait francophone du Québec. Ils ne voyaient pas de différence entre les deux appellations. Par le passé, il y avait bien eu quelques crises majeures qui ont entraîné de forts mouvements de solidarité entre Québécois francophones et francophones des autres provinces et territoires canadiens: la rébellion des Métis et la pendaison de Louis Riel en 1885 et le règlement 17 en Ontario en 1912 notamment. Mais cette solidarité était cimentée par des liens de sang, de langue, de religion et de culture, pas par des liens politiques ou par une vision «canadienne-française» d'un océan à l'autre. Et cette solidarité existe encore aujourd'hui quand la situation l'exige. On l'a vu avec la crise de l'hôpital Montfort, où indépendantistes et fédéralistes se sont tenus debout ensemble en dépit de projets et de visions politiques divergents…
J'ai remarqué d'ailleurs que même aujourd'hui, dans le langage employé, ce sentiments d'appartenir à une même famille revient toujours à la surface, plus encore que celui d'une communauté de citoyenneté. Le président de l'ACFA (Franco-Albertains), parlait de Québec, «notre grand frère». Le député Yvon Godin, à l'émission de Radio-Canada, parlait «des cousins et des cousines». Personne n'a insisté sur le mot «concitoyens»… Pour les minorités francophones, donc, je ne doute pas que les États généraux aient provoqué une remise en question identitaire. J'y étais délégué franco-ontarien, je m'en souviens. Mais pour les délégués québécois, il n'y a pas vraiment eu de rupture. La vision commune canadienne-française d'un océan à l'autre ne s'était jamais vraiment enracinée (du moins au Québec) depuis 1867…
Conclusion
Les Québécois francophones, quelle que soit leur idéologie, les Canadiens français de l'Ontario et de l'Ouest, et les Acadiens ont en commun - depuis un siècle et demie, et pour l'avenir prévisible - le projet de protéger et de promouvoir la langue et la culture françaises. C'est suffisant pour se parler, s'informer, se concerter et pour agir en commun sans s'enfarger dans les fleurs du tapis de l'article 23 d'une Charte adoptée sans le Québec et contre le Québec.
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Je vais me limiter à trois des éléments de la discussion sur les ondes de Radio-Canada (les plus importants selon moi), où on semble présenter comme évidentes des situations qui ne le sont pas, et où de vigoureux échanges pourraient modifier des points de vue et des stratégies de fond.
Symétrie, asymétrie et l'article 23
1. Des représentants de la minorité franco-yukonnaise (et des autres minorités francophones qui les appuient) s'insurgent contre l'opposition récente du Québec à leur demande d'élargissement des critères d'admission aux écoles de langue française en vertu de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ils affirment que le gouvernement québécois aurait pu plaider en faveur de l'asymétrie de l'application de l'article 23, selon qu'on se trouve au Québec ou hors-Québec - plus généreuse dans les provinces anglophones, plus restrictive au Québec pour protéger le français.
Ce qui me frappe et m'étonne, c'est cette insistance sur l'asymétrie de l'application, alors que cette asymétrie est déjà entérinée par les tribunaux (jusqu'à la Cour suprême) depuis les années 1980… Et pourquoi cette asymétrie s'est-elle imposée? Parce que les minorités francophones du Canada et la majorité francophone du Québec font face au même problème: le besoin de protéger et de promouvoir la langue et la culture française dans un univers nord-américain très majoritairement unilingue anglais! Or, les juges tiennent toujours compte (bien selon certain, mal selon d'autres) du contexte historique et de la réalité socio-politique contemporaine.
Ce qu'il faut plaider, c'est la symétrie du problème: le français en danger partout, au Yukon comme au Québec; et le risque de domination de l'anglais partout, au Yukon comme au Québec. En abordant la situation sous cet angle, le seul qui permet de voir toute la forêt et non seulement quelques arbres, Québec peut s'amener tambour battant et sermonner les juges en les sommant de faire ce qu'il faut pour protéger et promouvoir les droits de la minorité franco-yukonnaise, sans crainte. Les juges ne protégeront pas le français au Yukon pour ensuite aller le menacer au Québec. C'est illogique. Et de plus, Québec a en mains tous les pouvoirs pour les en empêcher, pouvant aller jusqu'à la sécession!
Benoît Pelletier a bien cerné l'argumentaire en déclarant, au cours de l'émission de SRC: «Les francophones au Canada (y compris au Québec) sont tous dans le même bateau et doivent ramer dans la même direction.» Et Marie-France Kenny, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), y est allée de son grain de sagesse: «On est prêt à se tenir debout avec le Québec (pour protéger le français au Québec); on demande que le Québec se tienne debout avec nous.» Ces deux interventions illustrent bien la symétrie quasi parfaite des objectifs culturels des Québécois francophones et des minorités canadiennes-françaises et acadiennes.
Pour protéger et promouvoir le français, le contexte socio-politique impose une interprétation généreuse de l'article 23 au Yukon, et le même contexte impose un maintien et un renforcement de la Loi 101 au Québec. Et si on veut trouver une seconde symétrie, c'est qu'au Canada anglais comme au Québec, aucune menace ne pèse sur la langue anglaise, qui se porte merveilleusement bien.
Ça va bien ou pas?
2. À un certain moment, durant l'émission, Marie-France Kenny a dérapé un peu en affirmant que le Québec n'était plus la «métropole» du français au pays, ajoutant que la francophonie hors-Québec est «bien en vue» et qu'elle «se porte bien». On peut l'excuser de ce débordement en tenant compte qu'elle réagissait à chaud à une opinion exprimée dans une lettre au Devoir, dans laquelle le correspondant lançait une affirmation farfelue, à l'effet que la francophonie hors-Québec n'existait plus à l'exception de quelques personnes «qui parlent un français abâtardi»…
Laisser entendre que cette personne est ignorante et mal informée, ça passe. Ajouter que trop souvent, les Québécois ignorent à peu près tout de la francophonie des autres provinces, ça passe aussi. Mais lancer «on se porte bien»? Non, ça ne passe pas. Il y a bien quelques régions où la présence du français est dominante et presque blindée, notamment dans la péninsule acadienne, dans la région du Madawaska du Nouveau-Brunswick, et le long de la route 11 aux environs de Hearst en Ontario, mais ailleurs ça va plutôt mal. Et porter trop souvent des lunettes roses n'améliore en rien la situation.
Cela ne signifie pas une absence de dynamisme au sein de la francophonie hors-Québec, et ou sa disparition à court terme. Au contraire. Et le Québec a beaucoup à apprendre des efforts originaux et souvent fructueux, à l'ouest de l'Outaouais et à l'est de la Gaspésie, pour mettre en valeur la langue et la culture françaises. Mais les recensements tracent un portrait implacable des ravages de l'assimilation, et la généralisation de l'exogamie annonce une crise majeure d'effectifs d'ici une génération ou deux. Ce n'est pas pour rien qu'on met en place des programmes de «construction identitaire» dans les écoles franco-ontariennes et qu'on impose des mesures disciplinaires pour obliger les élèves à parler français à l'extérieur des salles de classe. Et même sur le plan politique, est-ce un hasard si tant de minorités doivent toujours avoir recours aux tribunaux pour faire valoir des droits historiques?
J'ai la conviction que la seule façon de progresser dans le contexte actuel, c'est de dire noir quand c'est noir, gris quand c'est gris, et blanc quand c'est blanc. En identifiant mal le problème, on identifie mal les solutions. D'ailleurs il y a contradiction entre la réalité qui impose aux Franco-Yukonnais d'élargir l'application de l'article 23 et l'affirmation de Mme Kenny…
États généraux de 1967: rupture, vraiment?
3. À quelques reprises durant l'émission, les intervenants sont revenus sur l'épisode des États généraux de 1966 à 1969 (et en particulier les assises de 1967), en insistant sur la soi-disant «rupture» qui s'y est produite entre les Québécois et les francophones minoritaires ailleurs au pays. De nombreux historiens présentent ces assises comme un moment clé, comme une espèce de fin de chapitre (celle du Canada français et des Canadiens français), et aussi comme le début d'un nouveau chapitre d'identités fragmentées (Québécois, Franco-Ontariens, Franco-Manitobains, etc.).
Un sociologue invité à l'émission, Jean-François Laniel, y est allé du message type qu'on entend au sujet des États généraux. C'était, dit-il, la fin du «projet collectif commun» de l'époque du Canada français». Depuis cet événement, nous avons semble-t-il oublié ce passé que nous avons partagé (Québécois, Canadiens français et Acadiens) et cette ancienne solidarité pan-canadienne. Selon moi, cette affirmation est largement fausse et se fonde sur une interprétation erronée de l'histoire.
Les États généraux ont été l'occasion de lancer dans l'arène publique le débat sur une évolution qui était déjà en cours depuis longtemps, probablement depuis le début de la Confédération. Le «nationalisme» canadien-français a toujours été largement territorial et centré sur le bassin du Saint-Laurent. Ses limites correspondaient plus souvent qu'autrement aux frontières du Québec. L'AANB avait conféré au Québec un statut particulier et les gouvernements successifs depuis Honoré Mercier dans les années 1880 ont toujours défendu l'autonomie provinciale. Au Québec, le mouvement indépendantiste des années 1960 a peut-être abouti au remplacement de l'appellation canadienne-française par l'appellation québécoise, mais a peu modifié la perception identitaire territoriale de l'une et de l'autre.
Aux États généraux même, des journalistes acadiens et franco-ontariens avaient remarqué que pour une grande partie des délégués québécois, Canadien français signifiait francophone du Québec. Ils ne voyaient pas de différence entre les deux appellations. Par le passé, il y avait bien eu quelques crises majeures qui ont entraîné de forts mouvements de solidarité entre Québécois francophones et francophones des autres provinces et territoires canadiens: la rébellion des Métis et la pendaison de Louis Riel en 1885 et le règlement 17 en Ontario en 1912 notamment. Mais cette solidarité était cimentée par des liens de sang, de langue, de religion et de culture, pas par des liens politiques ou par une vision «canadienne-française» d'un océan à l'autre. Et cette solidarité existe encore aujourd'hui quand la situation l'exige. On l'a vu avec la crise de l'hôpital Montfort, où indépendantistes et fédéralistes se sont tenus debout ensemble en dépit de projets et de visions politiques divergents…
J'ai remarqué d'ailleurs que même aujourd'hui, dans le langage employé, ce sentiments d'appartenir à une même famille revient toujours à la surface, plus encore que celui d'une communauté de citoyenneté. Le président de l'ACFA (Franco-Albertains), parlait de Québec, «notre grand frère». Le député Yvon Godin, à l'émission de Radio-Canada, parlait «des cousins et des cousines». Personne n'a insisté sur le mot «concitoyens»… Pour les minorités francophones, donc, je ne doute pas que les États généraux aient provoqué une remise en question identitaire. J'y étais délégué franco-ontarien, je m'en souviens. Mais pour les délégués québécois, il n'y a pas vraiment eu de rupture. La vision commune canadienne-française d'un océan à l'autre ne s'était jamais vraiment enracinée (du moins au Québec) depuis 1867…
Conclusion
Les Québécois francophones, quelle que soit leur idéologie, les Canadiens français de l'Ontario et de l'Ouest, et les Acadiens ont en commun - depuis un siècle et demie, et pour l'avenir prévisible - le projet de protéger et de promouvoir la langue et la culture françaises. C'est suffisant pour se parler, s'informer, se concerter et pour agir en commun sans s'enfarger dans les fleurs du tapis de l'article 23 d'une Charte adoptée sans le Québec et contre le Québec.
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