jeudi 22 octobre 2015

Poser les jalons d'une histoire orale de la francophonie d'Ottawa


Garer sa voiture sur le campus de l'Université d'Ottawa au mois d'octobre ressemble à une scène de Mission impossible… Pour arriver au minuscule terrain de stationnement que je reluque, il faut traverser une avenue piétonnière où circule une marée bidirectionnelle d'étudiants et d'étudiantes, presque sans interruption. Arrivé de peine et de misère au parc de voitures, je le découvre sans surprise plein à craquer… et dois immédiatement rebrousser chemin à travers ces vagues estudiantines en mouvement perpétuel…

La chance me sourit… Je repère un espace de stationnement miraculeusement libéré tout près, sur une rue du campus… et me dirige vers le parcomètre où je dépose 12$ (j'avais prévu le coup) pour m'assurer de ne pas écoper contravention ou, pire, sabot de Denver. Ça coûte cher mais c'est pour une bonne cause. Je prévois en effet assister ce midi (22 octobre) à une conférence de la directrice du département de géographie de l'Université, Anne Gilbert, intitulée Mémoires de la francophonie d'Ottawa.

La courte balade à pied entre la voiture et le pavillon des Arts où la conférence a lieu me permet de prendre un bain de jeunesse. Se retrouver à 69 ans au coeur de son alma mater, entouré de centaines, voire de milliers d'étudiants et d'étudiantes qui dépassent à peine ou pas la vingtaine, captant des bribes d'innombrables conversations animées, il me semble avoir le pas plus léger et l'esprit plus alerte. Et pourtant ils doivent bien s'apercevoir que je porte plus de décennies que leurs profs les plus ridés…

Peu importe, aujourd'hui, je suis comme eux. J'ai mon carnet de notes et mon stylo (ainsi que mon iPod au cas où…). Ayant jadis été Franco-Ontarien et Ottawa étant ma ville natale, le thème de la conférence m'intéresse au plus haut point et je compte bien en retirer quelques nouvelles pistes dans mon étude incessante de la francophonie de mon ex-patelin. De toute façon, avec Anne Gilbert, jusqu'à récemment directrice du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l'Université d'Ottawa, on n'a rien à craindre. C'est toujours du solide.

Aujourd'hui, elle s'adresse à une quarantaine ou une cinquantaine de personnes dans cette petite salle de la faculté des Arts que l'on semble toujours réserver pour les causeries du CRCCF. Beaucoup de têtes familières. Des habitués. D'autres profs? Quelques invités? Peu d'étudiants ou étudiantes. Et surtout pas de médias, qui auraient avantage à venir y cueillir de bons reportages. Personne du Droit, de Radio-Canada, de TFO. Même pas de La Rotonde, le journal étudiant de langue française de l'Université…

Pourtant le drame du déclin des collectivités francophones d'Ottawa depuis les années cinquante et soixante a été fertile en manchettes. Entre l'éviction brutale des plaines Lebreton, l'agonie du quartier St-François d'Assise, le quasi-ethnocide de la Basse-Ville, coeur francophone d'Ottawa, puis la dispersion des familles canadiennes-françaises aux quatre coins de la capitale, c'est la plus importante base urbaine des Franco-Ontariens qui s'effrite. Tout ce qui permettra de mieux comprendre et d'endiguer le phénomène doit être suivi de près et communiqué le plus largement possible.

Les documents disponibles - archives publiques et privées, compte rendus médiatiques, rapports et procès-verbaux d'organisations, etc. - s'accumulent depuis longtemps et sont régulièrement épluchés. Mais il y a du neuf et c'est ce dont Mme Gilbert voulait nous entretenir. Le Chantier Ottawa du CRCCF a entrepris d'emmagasiner, au moyen d'entrevues enregistrées, une partie de l'histoire orale des Canadiens français de la capitale. Voilà un projet qui mérite certes de «faire des petits»…

Pour amorcer ce nouveau volet des recherches historiques, l'équipe a choisi «huit grands témoins» de l'époque charnière des années 1960 et 1970, une époque de bouleversements et de changements accélérés dans la situation des francophones d'Ottawa. Triées avec soin, ces personnes (Georges Bédard, Lucien Bradet, Fernan Carrière, Pierre de Blois, Rolande Faucher, Gérard Lévesque, Jacqueline Pelletier et Alain Poitier) sont vues comme «leaders, entrepreneurs et visionnaires» dans leur domaine respectif.

Les témoignages recueillis ne couvrent pas l'ensemble de la problématique, mais ils apportent un éclairage très personnel et pertinent sur des événements documentés, ainsi que perceptions permettant d'interpréter des archives qui, autrement, n'auraient peut-être d'autre saveur que celle de l'encre séché sur le papier… Combien d'enregistrements semblables aurait-on pu réaliser avec des acteurs et actrices de l'histoire locale, aujourd'hui décédés? Ce qui est sûr, c'est que la présentation d'extraits d'entrevues des huit grands témoins donne le goût d'en entendre davantage, et que cette expérience doit se poursuivre.

Mme Gilbert annonce d'ailleurs la publication d'un livre intitulé Ottawa lieu de vie française en 2017, dans lequel seront incorporés ces premiers jalons d'une histoire orale des Franco-Ontariens de la capitale canadienne. Un beau projet pour le chantier Ottawa du CRCCF… Et un bon sujet de mise à jour pour les médias...

En sortant du pavillon des Arts et me retrouvant au milieu d'une foule d'étudiants et d'étudiantes s'exprimant très majoritairement en anglais, je me suis dit que le projet du CRCCF serait encore plus percutant s'il émanait d'une université véritablement franco-ontarienne…





2 commentaires:

  1. M. Allard,

    C'est comme vous dites très dommage que les médias n'aient pas davantage parlé de ce projet. Je ne suis pas originaire d'Ottawa mais j'y ai passé une bonne partie de ma jeunesse. Je ne suis pas si vieux mais je me souviens encore de tous les quartiers de la ville qui avaient une présence francophone notable, pour ne pas dire "audible". Aujourd'hui, à peine 20-25 ans plus tard, le français a à toutes fins pratiques disparu comme langue publique dans la majeure partie d'Ottawa, et il recule extrêmement rapidement dans les seuls deux secteurs où on l'entend encore régulièrement: Vanier et Orléans. Parfois je me promène au Centre St-Laurent et à peu près les seules personnes qui parlent français sont les personnes issues de l'immigration. Alors on croise des Jean-Baptiste et des Traoré qui placotent en français, et (sûrement) des Tremblay et des Gagnon qui se parlent en anglais. Je suis favorable à l'immigration et ces gens apportent du sang nouveau dont la francophonie ottavienne a désespérement besoin, mais je ne sais vraiment pas si ce sera suffisant. Leurs enfants ne porteront fort probablement pas davantage le flambeau que les petits Lalonde et Séguin l'ont fait au cours des dernières années. À preuve, on croise de nos jours à Ottawa plein de gens nés de parents issus de pays de la Francophonie (p.ex. Haïti, Liban, etc.) qui ont grandi à Ottawa et qui parlent peu ou pas français.

    Rien de bien bien réjouissant.

    Merci pour votre blogue en passant. Vous parlez de sujets dont personne n'ose parler.

    Acajack

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  2. Et puis pourtant...

    Bon an mal an, les assimilés francophones ottaviens (et les francophones qui traversent la rivière vers Gatineau) sont plus ou moins remplacés par des nouveaux arrivants, soit de l'Acadie, du Nord de l'Ontario, du Québec ou de la Francophonie internationale. Ce qui fait que la communauté demeure assez stable. Même si les espaces de vie francophone sont de plus en plus rares et le niveau de compétence linguistique et culturelle dans la communauté diminue de génération en génération. Ils comptent dans les statistiques comme francophones, certes, mais culturellement c'est souvent autre chose. Je comprends très bien le choix que font des gens d'habiter à Ottawa: c'est une jolie ville prospère qui offre beaucoup. Je m'explique mal, par contre, pourquoi des parents francophones (s'ils souhaitent que leurs enfants le soient aussi) choisissent d'y vivre alors que Gatineau est tout-à-côté. Loin de moi l'idée que tous les Franco-Ontariens sans exception devraient se préoccuper de leur langue au point d'en faire un critère de lieu de résidence. C'est tout à fait leur choix, et les Franco-Ontariens ont bien sûr le droit d'être indifférents à la question linguistique. Voire même de préférer l'anglais. Cela dit, ça me semble de plus en plus contradictoire de tenir mordicus au français d'une part et de choisir d'éléver sa famille à Ottawa en 2015 d'autre part. Je ne voyais pas les choses ainsi dans mon jeune temps (j'étais même diamétralement opposé à ce point de vue), mais maintenant que j'ai ma propre jeune famille à Gatineau, la différence me saute aux yeux. Je suppose qu'il y autant de raisons qu'il y a de familles francophones à Ottawa, et que pour certains c'est une question d'être plus "valeureux" en affrontant l'assimilation à Ottawa, plutôt que de choisir la voie facile qui est de déménager à Gatineau. Celle-là je l'ai entendue souvent.

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