lundi 16 mars 2015

Le français à l'aéroport d'Ottawa: doubler les torts d'un affront...

Dans le chapitre sur les médias anglo-québécois du livre Les journalistes (oeuvre collective publiée en 1980), l'ancienne journaliste à la Gazette de Montréal et maintenant sénatrice Joan Fraser aborde entre autres la période turbulente de la fin des années 1960, quand l'éveil linguistique de la majorité francophone du Québec avait commencé à créer de sérieux remous politiques.

«Les médias anglophones de l'époque, écrit-elle, accueillent avec empressement une politique canadienne de bilinguisme qui donnera aux minorités francophones des autres provinces autant que possible ce que les anglophones ont toujours eu au Québec: un statut de pleine dignité et la liberté de vivre dans leur langue.» Les mots clés, ici, restent «autant que possible»… et 45 ans plus tard, sauf exception, le francophone qui met les pieds hors-Québec ne jouit toujours pas d'une «pleine dignité» et de la «liberté de vivre» dans sa langue…

On en a eu la preuve encore ce matin quand le quotidien outaouais Le Droit a fait état d'une plainte contre la pénurie de services en français à l'aéroport international d'Ottawa. Savez-vous ce qui m'a frappé le plus dans cette affaire (http://bit.ly/1wPOCdy), au-delà du fait - déjà scandaleux - qu'à peine 33% des agents fédéraux de sécurité connaissent le français dans l'installation aéroportuaire de la capitale d'un pays bilingue, et au-delà du fait additionnel - également scandaleux - d'une lettre de réponse remplie de fautes de français en provenance du Commissaire aux langues officielles?

Ce qui m'a frappé le plus, dis-je, c'est que la dame qui a porté plainte ait voulu conserver l'anonymat dans les médias (elle a accepté par la suite de s'identifier pour Radio-Canada mais en fin d'après-midi, lundi, elle n'est toujours pas nommée, à sa demande, dans le texte du Droit)… Non, mais vous rendez-vous compte du sens d'un tel geste? Moi qui ai vécu toute ma vie dans la région d'Ottawa-Gatineau, je la comprends parfaitement d'avoir hésité à s'identifier pour le grand public. C'est déjà remarquable qu'elle ait eu le courage de porter plainte contre un unilinguisme anglais qu'on nous a toujours imposé ici, comme s'il était normal qu'un francophone doive se débrouiller en anglais.

Mais s'identifier en plus, sur la place publique? Vous vous souvenez ce ce couple Thibodeau qui a eu l'audace de commander un 7up en français dans un avion d'Air Canada, commanditaire apparemment repenti des Rendez-vous de la francophonie 2015? M. et Mme Thibodeau ont subi dans les médias anglo-canadiens - et possiblement dans leurs milieux de vie - un déversement de colère haineuse qui les marquera probablement à jamais. Il s'est même sans doute trouvé de nombreux francophones pour leur reprocher d'avoir troublé, par leur geste et leur plainte devant les tribunaux, la sacro-sainte paix linguistique…

(Définition de paix linguistique: la paix qui résulte d'une situation où les anglophones peuvent à peu près toujours communiquer avec les francophones en anglais, et où les francophones acceptent cette situation béatement.)

Alors voilà que Le Droit fait état de cette dame qui a parfaitement raison de se plaindre. Ce qui lui est arrivé est arrivé à moi et à tous les francophones qui fréquentent à l'occasion l'aéroport d'Ottawa et qui doivent passer par «la sécurité» avant d'embarquer dans un avion. Dans cet aéroport à l'image de la ville d'Ottawa et de son maire Jim Watson, à peine 33% des agents de sécurité fédéraux sont bilingues. Les deux tiers sont unilingues anglais. Or, dans la grande région d'Ottawa et Gatineau, plus de 50% de la population parle le français! C'est pas suffisant, non?

À l'aéroport de la ville de Québec, où environ 40% de la population connaît l'anglais, 73% des agents fédéraux de sécurité sont bilingues. À Montréal, ils sont presque tous bilingues! En chiffres absolus, il y a plus d'agents bilingues à chacun des aéroports de Toronto et de Vancouver qu'à Ottawa. Et le pire, c'est que tout cela est conforme à la politique fédérale des langues officielles, parce qu'on peut en tout temps trouver quelque part, dans un recoin de l'aéroport, un francophone qui ira dépanner le collègue unilingue anglais et offrir le service au client de langue française - qui subira un retard avant d'entrer dans l'avion, sans compter la froide colère ou l'impatience de celui ou celle qui ne comprend pas sa langue. C'est ça la «pleine dignité» et la «liberté de vivre» en français?

Et, question de doubler les torts subis d'un affront, la lettre de réponse du Commissariat aux langues officielles est bourrée de fautes de français! On pourrait au moins espérer des excuses officielles, auxquelles le Commissaire pourrait ajouter - comme il l'a fait dans ses rapports annuels - que l'aéroport international d'Ottawa pourrait tenter de faire mieux - beaucoup mieux - que les normes lamentables que lui impose la Loi sur les langues officielles.

Alors, Madame, sachez que vous avez toute ma sympathie pour avoir osé porter plainte. Vous avez raison, même si peu de gens vous auraient imitée et qu'une forte proportion de la population - même chez les francophones - trouvera que vous auriez pu accepter d'être servie en anglais et consenti à «ne pas brasser de merde»…Et je vous comprends d'avoir voulu (au départ) rester anonyme, entourée comme vous l'êtes d'une collectivité trop souvent peureuse… qui vous appuiera sans doute bien trop peu…

Heureusement notre gouvernement québécois de Philippe Couillard et compagnie a trouvé la solution… bilinguiser tous les francophones du Québec… Hop, vite, l'anglais intensif tous azimuts… et un jour, tous les agents de sécurité pourront être unilingues anglais, sans que cela ne dérange de sensibilités linguistiques… 

Misère…


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NB
Dans un texte de Radio-Canada sur le même incident (mis à jour en après-midi, lundi), la plaignante a accepté d'être identifiée. Il s'agit de Denise Fontaine, une résidente de Gatineau. Voici le lien à l'article de Radio-Canada: http://bit.ly/1BqqrOe.







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