lundi 9 mars 2015

Acculturation, assimilation. Et après?

Le phénomène de l'assimilation (synonyme, dans notre coin d'Amérique du Nord, d'anglicisation) est plus complexe qu'il ne paraît à première vue. Sa principale manifestation reste sans doute linguistique. D'ailleurs, ce vaste transfert du français vers l'anglais largement dominant hors Québec continue d'être méticuleusement documenté de recensement en recensement, même si les méthodes de calcul ont changé au fil des décennies et que d'aucuns ne se privent pas de tripoter les chiffres.

Étant né et ayant grandi à Ottawa en milieu franco-ontarien avant d'élire domicile à Gatineau, j'ai vu depuis mon enfance, dans mes quartiers et ailleurs en Ontario, la réalité individuelle et sociale de ces données du recensement. Des arrières-grands-parents et grands-parents essentiellement francophones, suivis de quelques générations «bilingues» à divers degrés, ces dernières laissant toutefois dans leur sillage des enfants majoritairement anglophones. Simple? Évident? Non, pas du tout!

La perte ultime du français, chez un individu, dans une collectivité, n'est que la fin d'une évolution plus ou moins longue que les sociologues appellent «acculturation». Dans un texte de novembre 1968 intitulé Acculturation ou assimilation des Franco-Ontariens?, le professeur Paul-André Comeau (alors au département de science politique de l'Université d'Ottawa), définissait ainsi cette transformation:

 «L'acculturation, c'est ce processus à la faveur duquel un individu en vient à faire siennes, à adopter les normes, les valeurs, les représentations mentales, les idées d'un groupe, d'une société différente de la sienne propre; c'est pénétrer de l'intérieur le système culturel d'un autre groupe.

«Pour le Franco-Ontarien, l'acculturation traduirait l'acceptation des façons de vivre, de penser, d'imaginer, de créer une cosmogonie (une explication de son univers) que possède en propre la majorité anglo-saxonne; c'est perdre une identité culturelle pour tenter d'en acquérir une autre, à des degrés plus ou moins différents, il est vrai.


«Par contre, l'assimilation renvoie à un phénomène plus facilement repérable; il s'agit essentiellement de ce processus qui abolit pour une minorité les barrières, les obstacles à une pleine et totale participation à la vie de la communauté globale. C'est la disparition du sous-système social que composait la minorité, c'est la fin des inter-relations privilégiées entre les seuls éléments de ce groupe minoritaire.


«Sans établir un ordre chronologique définitif, on peut affirmer que l'assimilation ne peut s'accomplir sans la phase préalable de l'acculturation. En d'autres termes, lorsqu'une communauté s'assimile, elle doit normalement avoir perdu sa culture: elle s'est "acculturée".»


C'est sous cet angle qu'il faudrait sans doute approfondir notre compréhension de ce qui se passe dans certaines régions du Québec, notamment en Outaouais et dans la grande région montréalaise, ainsi que des les principaux foyers de la francophonie ailleurs au pays et aux États-Unis. Cet engouement pour le bilinguisme tous azimuts, symbolisé par l'adoption aveugle de l'anglais intensif au primaire, est-il une ouverture vers une langue seconde ou la manifestation d'un processus où la majorité franco-québécoise commencerait  «à faire siennes, à adopter les normes, les valeurs, les représentations mentales, les idées» de la majorité anglophone canadienne et nord-américaine?


Quand un individu ou un part importante d'une collectivité minoritaire (en Ontario français par exemple) travaille et se divertit le plus souvent en anglais, s'alimente aux médias et technologies de langue anglaise, écoute surtout les artistes anglophones, lit majoritairement des journaux, magazines et livres en anglais, allant souvent jusqu'à adopter l'anglais comme langue de communication entre francophones, quelles sont les chances de transmettre un héritage culturel francophone aux générations suivantes? Faibles…

L'étude de nos collectivités sous la loupe de l'acculturation a sans doute abouti à de nombreux travaux et thèses dans nos universités et centres de recherche, mais c'est un phénomène qui me semble avoir été négligé par les grands médias imprimés et électroniques - et par nos gouvernements! Le gouvernement québécois apparaît particulièrement ignorant en cette matière.

Du même coup, tant qu'à y être, on pourrait aussi se pencher sur les séquelles de l'acculturation et de assimilation. Quand des minorités sont «assimilées», ont-elles vraiment perdu toute leur identité en perdant leur langue? L'apparition, via les médias sociaux, Facebook notamment, de groupes américains tels Great Lakes French-Canadians et French-Canadian Descendants, entre autres, nous fait découvrir des milliers de descendants de Franco-Américains et de Canadiens français, vivant aux États-Unis, pour qui le passé francophone conserve une grande importance.

Il semble, à suivre leurs discussions et leurs intérêts, que les anciennes identités ne se soient pas entièrement dissolues dans le meeting pot et que même après «l'assimilation», il reste quelque chose. Ce «quelque chose» ne mérite-t-il pas d'être décortiqué, défini? Ne pourrait-il pas s'avérer prometteur pour l'avenir de la francophonie nord-américaine? Voilà de fascinantes pistes à explorer!

Espérant que ces sujets en intéressent d'autres que moi, et qu'on puisse amorcer sur Twitter et Facebook un dialogue fructueux sur les sujets de l'acculturation, de l'assimilation et de ce qui reste après…






3 commentaires:

  1. Connaissez-vous l'ouvrage Franco-Amérique ? Aussi Voyages et rencontres en Franco-Amérique

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    1. Je ne le connaissais pas. Je vais me procurer le livre de Dean Louder. Merci.

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