mardi 31 mars 2015

Quand l'imagination dérape… Le couloir sinistre de Place Cartier...

Imaginez-vous au cinéma en train de visionner une scène urbaine quelque peu déstabilisante. Une promenade de centre commercial des années 1960 ou 1970 aux allures de village fantôme, murs ternes aux couleurs défraîchies, plafonniers lugubres genre couloirs d'hôpitaux, planchers de dalles où alternent des motifs triangulaires-carrés démodés, succession de devantures de magasins barricadés ou abandonnés… 


Le couloir presque désert… sauf pour le Centre de l'horlogerie

Puis, tout à coup, du beau milieu de cet espace plutôt sinistre sans humains jaillit une boutique solitaire, brillamment illuminée, bondée de centaines d'horloges multicolores sur tous les murs et présentoirs… Une apparition? Un portail temporel? L'imagination a libre cours ici...

J'étais pourtant dans ce lieu que je trouvais bien étrange, hier matin, arpentant - l'espace de quelques minutes - ce couloir déserté, y croquant des images avec mon iPod…


Entre le Wal-Mart et le couple IGA/Dollarama aux extrémités...

J'ai pensé à mon ancienne collègue journaliste Andrée Poulin. Devant une telle scène, me disais-je, elle aurait immédiatement esquissé le scénario d'un conte fantastique pour enfants, jeunes et moins jeunes,  qui lui aurait sans doute valu un succès de plus comme auteure. Ma formation en sciences sociales et mes 45 ans d'un journalisme à dominantes politiques, éditoriales et administratives ont asséché les élans rédactionnels qui alimenteraient la plume des romanciers…

Pour ceux et celles qui ne connaissent pas Gatineau ou l'Outaouais, l'endroit dont il s'agit s'appelle «Village Place Cartier». C'est l'un des plus vieux centres commerciaux de l'ancienne ville de Hull, situé sur l'artère principale de l'ex-ville, le boulevard St-Joseph (route 105), par surcroit au carrefour le plus achalandé, à l'angle du boulevard Saint-Raymond, à quelques pas de l'autoroute 5 et du très fréquenté Casino du Lac-Leamy. L'emplacement parfait, pourrait-on croire…

Et pourtant… Jadis prospère, ses allées de boutiques autrefois bien remplies, l'achalandage se limite aujourd'hui aux extrémités… le Wal-Mart au sud, le supermarché IGA et le Dollarama au nord. Le coeur ne bat plus. Ces jours-ci, il y a légère résurrection à l'approche de Pâques, puisque le «Magasin du chocolat» - qui ouvre ses portes un mois et demi par année - a profité de l'abondance d'espace pour y installer ses pénates. Et même là, ce petit air vieillot… on n'accepte que l'argent comptant à la Maison du Chocolat… comme dans le bon vieux temps…


Les rares passants, au bout, longent le supermarché...

Je n'y étais pas allé depuis des années, et n'y serais sans doute pas retourné si tôt si je n'avais pas accompagné ma fille Véronique chez l'optométriste Miosis, toujours locataire de Place Cartier. À ma visite précédente, (quelle année? je n'en suis pas sûr…) je m'étais rendu à la Librairie du Soleil, une institution bien connue par ici. Elle a quitté récemment le centre commercial pour se reloger à quelques pas, sur le boulevard Saint-Raymond.

L'ancien magasin Zellers a fermé ses portes en 2012 pour faire place à un Wal-Mart… Le Zellers de mon coin de Gatineau (plus à l'est) était quant à lui devenu un Target, qui ferme ses portes ces-jours-ci. L'âme des magasins Zellers était ancrée dans une époque révolue sans doute, mais leur décor familier - et surtout leurs restaurants avec les mêmes serveuses depuis les années 1980 - était chaleureux. Je me plais à croire que les fantômes des vieux Zellers ont contribué à chasser l'usurpateur Target… Hier, aux abords du couloir désert de Place Cartier, j'ai senti leur présence aux portes du Wal-Mart…


En sortant du Wal-Mart, cette affiche… presque essentielle...

À l'autre extrémité du centre commercial, il reste quelques tables et chaises dans le couloir près du supermarché, même si l'ancienne foire alimentaire (Saint Cinnamon, etc.) a plié bagages. Un homme et une femme dans la quatre-vingtaine y étaient assis… Le café, m'ont-ils dit, était disponible sur un comptoir à l'intérieur du IGA… Comme je devais patienter assez longtemps dans une salle d'attente, pourquoi pas un bon café… En quittant Place Cartier, une heure et demie plus tard, l'homme de 86 ans à la chevelure toute blanche et au regard serein sirotait toujours un breuvage au même endroit et lisait...

En revenant à la maison, j'ai voulu m'informer de ce qui était arrivé à cet endroit jadis florissant… J'ai d'abord découvert que le centre commercial n'a pas de site Web… Tout au plus ai-je déniché quelques articles du quotidien Le Droit et de Radio-Canada remontant à 2013 ou avant… J'ai y appris que l'ancien proprio de Place Cartier, le groupe Burnac (de Toronto) avait vendu l'emplacement à un promoteur immobilier de Hong Kong, Sanwell Holdings, et que ce dernier avait l'intention (en 2013) d'y effectuer très bientôt d'importantes rénovations…

Nous sommes en 2015… et je n'ai vu aucune trace de transformations majeures… Au contraire…


Ne reste que la coquille vide… Fini les brioches à la cannelle...

Cette nuit, il était un peu après 3 heures du matin, j'avais les yeux grand ouverts… Incapable de dormir, j'avais encore en tête la sensation de ce couloir désert qui semblait un peu hors du temps avec sa boutique solitaire et ses centaines d'horloges… Je me demandais (j'ai trop vu de films du genre…) si, me glissant en pleine nuit à Place Cartier, l'horloger serait là au milieu de la noirceur, ses horloges éclairant un petit bout des ténèbres du couloir, et si, marchant jusqu'au bout de la promenade et tournant le coin, mon vénérable interlocuteur de la veille serait encore attablé avec un café et un bouquin…

Je n'ai jamais pu me rendormir…


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Liens au Centre de l'horlogerie du Village Place Cartier.
Allez-y!
Site Web: http://bit.ly/1NwvtzF
Page Facebook: http://on.fb.me/1MqU3a1



samedi 28 mars 2015

Bravo Mme Kenny !

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Canada 150 (-) – Fort. Fier. Libre

En , les Canadiens de partout au pays fêteront le 150e anniversaire de la Confédération. Le gouvernement du Canada invite les Canadiens à découvrir les événements marquants qui ont façonné l’histoire de leur pays et à exprimer leur fierté pour tout ce que le Canada représente : un pays fortfier et libre.

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Cette invitation, tirée du site Web de Patrimoine canadien, sera sans doute reprise par une foule de politiciens et porte-parole francophones - au Québec et ailleurs au pays - dans le cadre d'une campagne de propagande orchestrée comme la plupart des campagnes fédérales - en déformant l'histoire et en tentant de marginaliser ceux et celles qui oseraient essayer de «casser le party» du grand dominion…

La prochaine fois que j'entendrai un de ces haut-parleurs du beau-et-grand-bilingue-pays-dont-nous-devons-être-fiers-après-150-ans, je lui rappellerai les sorties de cette semaine de la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Marie-France Kenny, devant le Comité des langues officielles de la Chambre des Communes du Canada…

Photo UniqueFM

Les représentants et représentantes des minorités francophones hors-Québec se distinguent par leur modération quand vient le temps de parler des véritables ravages de l'assimilation et des trop maigres ressources consenties par leurs gouvernements (provinciaux, territoriaux et fédéral) pour les seconder dans leurs efforts - souvent héroïques - visant à assurer la pérennité de la langue et de la culture françaises loin du foyer national québécois.

On ne peut guère les blâmer d'être prudents dans leurs propos. Ils comptent presque tous sur les argents de coffres publics (qu'ils ne contrôlent pas) pour faire fonctionner leurs associations et activités. Ce sont des fonds auxquels ils ont droit, si ce n'était que pour réparer un peu les effets des persécutions qu'ils ont subies durant le premier centenaire de la Confédération, et qu'on leur verse trop souvent au compte-gouttes en n'oubliant pas de bien leur laisser savoir quelles mains les nourrissent.

Mais Mme Kenny est présidente sortante de la FCFA et ne se représente pas. Elle dispose sans doute d'une liberté que d'autres n'ont pas, et quitte son poste avec le poids des horreurs que doit subir tout dirigeant francophone hors-Québec dans ses relations avec les autorités anglophones et une majorité largement indifférente - quand elle n'est pas carrément hostile.

Alors retenez bien ses propos, qui témoignent de la réalité et non du pays des merveilles inventé par les propagandistes fédéraux et fédéraux-philes…

1. «La Loi sur les langues officielles est la loi la moins bien appliquée du pays, et ça fait 45 ans que ça dure…»

2. Quand il y a des infractions à la Loi sur les langues officielles, et il y en a des tonnes, «il n'y a aucune conséquence».

3. «Comme Canadienne, comme francophone, je sens qu'on me manque de respect alors que tout ce que je demande, c'est de ne pas être traitée comme citoyenne de seconde classe.»

4. Sur l'immigration anglicisante… «On voudrait tuer la francophonie à petit feu, éliminer nos communautés par attrition, qu'on ne s'y prendrait pas autrement».

5. Et un constat final: «À plusieurs endroits, ce n'est qu'une question de temps avant que nos communautés tombent en dessous du seuil requis pour recevoir des services et des communications en français des bureaux fédéraux. Et quand notre poids relatif sera tombé encore plus bas, que remettra-t-on en question à ce moment? Nos écoles de langue française »

J'ai à peu près la certitude que les propos de Mme Kenny n'ont pas été rapportés ailleurs qu'à Radio-Canada, TFO ou dans d'autres quotidiens que Le Droit (http://bit.ly/1ykZATI), et surtout pas dans les grands médias de langue anglaise du Canada… Comme d'habitude, les ténors du beau-et-grand-bilingue-pays continueront de nous abreuver de leur fiction aux lunettes roses… pour nous inviter à fêter en 2017…

Mais que dit au juste Mme Kenny? Que le seul garde-fou pan-canadien de la langue française est «la loi la moins appliquée au pays», et qu'il n'y a aucune conséquence à trouer cette loi allègrement… Que les francophones hors-Québec sont traités comme «des citoyens de seconde classe», contrairement aux Anglo-Québécois qui sont dorlotés depuis 1867…

Elle brosse un tableau de collectivités qui représentent une proportion de moins en moins grande de leurs provinces, au point où elles sont rendues à compter sur une théorique (et improbable) immigration francophone pour redresser quelque peu la situation… Elle évoque même une situation, dans un avenir pas très lointain, où les provinces anglaises remettront peut-être en question des droits acquis - comme les écoles françaises dans certaines régions. De quoi donner le goût de fêter les 150 ans de la Confédération?

De toute façon, à peu près personne ne parle de la «vraie» réalité des francophones hors-Québec. C'est l'indifférence générale même au Québec. Et cette ignorance permettra encore à des personnages comme Victor Goldbloom, Anglo-Québécois et ancien Commissaire fédéral aux langues officielles de pouvoir affirmer sans être contredit (comme en 1991 au sujet de la Loi 178 qui imposait la priorité du français dans l'affichage au Québec): «La Loi 178 aura pour effet de rendre les anglophones moins généreux à l'endroit des minorités francophones.»

Mais quel culot! Après avoir aboli les écoles françaises dans tous les territoires et provinces à majorité anglaise, après avoir rétabli ces écoles à la fin des années 60 sous la menace de la sécession du Québec, après un autre demi-siècle de luttes judiciaires et populaires pour faire respecter les droits reconquis et toujours menacés, il faudrait croire à une quelconque «générosité» des anglophones? Non mais…

Amenez-le, le 150e de la Confédération. Ce sera pour nous, j'espère, l'occasion non pas de célébrer mais de rappeler fièrement les combats que les francophones ont dû mener - même au Québec - pour continuer d'exister comme nation et comme collectivités.

Bravo Mme Kenny!







mercredi 25 mars 2015

Merci Guy A. Lepage

Le 30 mai dernier, la direction du quotidien Le Droit m'a «congédié» comme éditorialiste invité à cause d'un texte de blogue (http://bit.ly/S9UxqL) intitulé Le silence assourdissant des salles de rédaction, que j'avais rédigé une dizaine de jours plus tôt en réponse à des propos fort inquiétants du coprésident de Power Corp, André Desmarais, au sujet de la disparition appréhendée des quotidiens régionaux du réseau Gesca (tout au moins de leur version papier), y compris le mien.

Pour résumer, dans ce texte de blogue, j'affirmais, essentiellement: 

1. Mon mécontentement du sort du Droit et des autres quotidiens régionaux dans un réseau qui mettait tous ses efforts dans le virage numérique du vaisseau amiral, La Presse(+).
2. Ma déception face au silence des salles de rédaction du réseau Gesca, y compris la mienne. Bouche cousue partout.
3. Mon désir de relancer la discussion sur l'avenir de l'imprimé, du «modèle papier» des quotidiens que la direction semble juger mort ou agonisant.
4. L'importance de mieux comprendre les motifs de lecture ou de non-lecture du public, pour assurer la pérennité des journaux.
5. Le caractère essentiel, fondamental de l'information (y compris l'information régionale) comme droit constitutionnel, comme assise de la liberté.
6. Le besoin de respecter les artisans et le lectorat du Droit, quotidien centenaire, tant du côté québécois que du côté ontarien de la rivière des Outaouais.

La semaine dernière, dans les heures et les jours qui ont suivi l'acquisition des quotidiens régionaux de Gesca par le groupe Capitales Médias de Martin Cauchon, on a entendu - de la bouche de Martin Cauchon lui-même, du grand patron de la chaîne Claude Gagnon ou d'éditeurs de journaux y compris Louise Boisvert (La Tribune et La Voix de l'Est) - les affirmations suivantes:

1. La satisfaction de quitter un réseau où tout était trop souvent soumis aux impératifs du vaisseau amiral et de son projet La Presse+
2. Des échos - souvent critiques - provenant de toutes les salles de rédaction et exprimant une certaine diversité de points de vue.
3. Une réaffirmation du présent et de l'avenir de l'imprimé, particulièrement hors de Montréal.
4. Une intention ferme d'analyser les produits et les besoins de leurs lecteurs, pour mieux les comprendre et y répondre.
5. Des témoignages au sujet de l'importance fondamentale de l'information, et en particulier de l'information régionale.
6. L'engagement (de Martin Cauchon) de respecter la mission traditionnelle du Droit, un quotidien qui, dit-il, est là pour rester!

Alors, compte tenu que les nouveaux propriétaires et leurs représentants reprennent une bonne partie, sinon la totalité de l'argumentaire que j'étais souvent seul à défendre sur la place publique (je ne voudrais surtout pas oublier l'apport de Stéphane Baillargeon du Devoir et du blogueur Steve Fortin),  je me demande, et je vous demande, ce qui m'empêcherait de réintégrer la grande famille ex-Gesca…

Guy A. Lepage a bravement lancé cette question à l'émission Tout le monde en parle, dimanche soir, et je suis bien prêt à croire que M. Cauchon a été pris de court et qu'il ne connaissait pas l'histoire. Mais hier (mardi), un journaliste lui a posé la question lors de sa visite au Droit et, cette fois, il a refusé de commenter. La question demeure…

Comme on ne peut guère me reprocher le fond de mes propos, que les gens de Capitales Médias ont abondamment repris et endossé depuis la semaine dernière, il ne reste qu'un motif de blâme: celui d'avoir défié l'autorité suprême de l'empire, même si c'était dans le but d'exprimer une loyauté au quotidien local. Et ça, c'est vital. C'est le droit à la liberté d'expression, le droit de contester publiquement, de l'intérieur, quand les enjeux sont d'importance sociétale.

Ce droit, je le réclame toujours. Pour moi. Pour les autres cadres et contractuels à l'emploi des quotidiens régionaux. Pour les syndiqués des salles de rédaction (c'est un droit qu'ils possèdent déjà mais dont ils se servent peu ou pas). Le choc des idées est essentiel aux solutions que nos journaux devront identifier pour assurer leur avenir.

C'est du moins ma vision des choses…

Oh, avant que j'oublie. Merci Guy A. Lepage. Grâce à votre intervention, d'autres voix se font entendre. Les braises du débat rougissent...










vendredi 20 mars 2015

PKP et l'immigration: ça va faire!


Hé, ça va faire! On se plaint constamment des excès de rectitude politique, de ces politiciens formatés par des experts en marketing, qui disent toujours les choses les moins offensantes, les plus rassembleuses, et aussi à la longue, les plus plates, les plus fades et les plus insignifiantes! Pour une fois qu'on a un type qui semble dire ce qu'il pense sans filtrer toutes les impuretés de langage, on l'attaque sans répit et à force de marteler, on l'accule à s'excuser quand il n'a aucune raison de le faire…

Ce qui est arrivé hier à Pierre-Karl Péladeau est typique de notre culture politique de coups bas orchestrés par des machines, politiques et médiatiques, expertes en la matière. Ces pharisiens sans péché qui se déchirent la chemise sur la place publique parce que PKP a osé dire tout haut ce que tout le monde sait mais que personne ne dit par crainte de paraître xénophobe aux yeux des bien-pensants, mais surtout aux yeux des non-francophones (anglos, allophones, francophones anglicisés)…

Affirmer que l'immigration accroît le poids du vote fédéraliste à une élection ou à un éventuel référendum? Personne ne peut le nier. Les fédéralistes s'en réjouissent. Les indépendantistes s'en exaspèrent. Mais c'est un fait, démontré statistiquement. Et il ne faudrait pas le dire? Ou le dire avec tellement de douceur et de dentelles pour qu'on ne nous le reproche pas? Ceux qui ont à faire des reproches le feront, peu importe la façon dont on aborde la question! Cela ne signifie pas qu'on soit contre l'apport de l'immigration. On ne fait qu'un diagnostic de la situation actuelle.

Le premier ministre Couillard ne s'est pas privé d'y aller avec sa référence vénéneuse au nationalisme ethnique, tout en sachant fort bien qu'il n'en est rien dans une formation comme le Parti québécois. Certains pouraient dire que c'est de bonne guerre, mais ce ne l'est pas! Le temps est venu de mettre fin à toute cette fabrication d'images et à ce salissage orchestré. Veut-on ou pas d'hommes et de femmes politiques crédibles? De personnes qui vont dire ce qu'elles pensent sans arrière-pensée et qu'on pourra croire quand elles le disent?

Cela fait 45 ans que je suis journaliste et je sais reconnaître (la plupart du temps) les discours fabriqués, polis, révisés jusqu'à l'usure pour éviter d'être exposés aux vitupérations des grands prêtres et prêtresses de la rectitude politique. Ciel, je ne suis pas un fan ultra de PKP mais c'est rafraîchissant de l'entendre. Il jure dans le décor et c'est tant mieux! Qu'il continue d'en faire, des déclarations sans filtre, des fautes au besoin, pour lesquelles il pourra s'expliquer par la suite. Mais de grâce, pas d'excuses inutiles!

«Soyez à l'aise dans vos mots
Nous sommes un peuple rancunier
mais ne reprochons à personne
d'avoir le monopole
de la correction de langage»
- Michèle Lalonde, Speak White, 1968

jeudi 19 mars 2015

Le bruit assourdissant des salles de rédaction?

Quand on me demande à l'occasion si j'ai toujours la foi, je réponds que je suis davantage un «espérant» qu'un «croyant»… Après 45 ans de journalisme, veux veux pas, notre carapace de scepticisme épaissit. On n'accepte guère sans preuves tangibles. Et pourtant, parfois, l'espoir peut encore nous convaincre d'accueillir de «beaux risques»…

Ainsi en est-il de la vente des quotidiens de Gesca, y compris mon ex-employeur, Le Droit, au groupe dirigé par Martin Cauchon. Est-ce que je crois qu'il s'agit là d'une bonne affaire? Faute de «preuves tangibles», je me contente pour le moment d'espérer que l'avenir soit meilleur. Une chose est sûre: avec Gesca c'était la mort annoncée des éditions papier. Désormais c'est «autre chose», à définir... Entre la mort et l'inconnu, pour moi le choix est facile!

Certains y sont allés d'une condamnation rapide de cette transaction en insistant sur les liens entre le clan Desmarais, la grande famille libérale et Martin Cauchon, en faisant valoir les cachotteries qui entourent le financement de l'acquisition des quotidiens ainsi que le maintien des administrations et orientations actuelles de l'ex-empire Gesca. Sans doute ont-ils raison de s'inquiéter, tout au moins de soulever la question, mais pourquoi ne pas aussi laisser la chance au coureur - au début en tout cas?

Parce que quelque chose bouge, depuis cette semaine, dans les salles de rédaction des six ex-quotidiens régionaux de Gesca. Pour le moment du moins, on ne ressent plus ce «silence assourdissant» que j'avais dénoncé en mai 2014. Cette dénonciation avait entraîné mon «congédiement» comme éditorialiste au Droit quelques semaines plus tard… Or, des voix critiques, jusqu'à récemment muettes, se font maintenant entendre sur la place publique. Et bon nombre d'opinions émises depuis mercredi me font croire que je ne criais peut-être pas dans un désert…

Le 15 mai 2014, André Desmarais, coprésident de Power Corporation (propriétaire de Gesca), annonçait la disparition à moyen terme de ses six quotidiens régionaux (Le Soleil, Le Droit, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien et La Voix de l'Est), la seule option de survie étant l'intégration comme onglet à La Presse+. Encore à l'automne 2014, le patron de Gesca, Guy Crevier, réitérait que «le modèle de la presse papier est mort». Je n'ai entendu personne le contredire dans ses journaux…

Je les comprends un peu. Quand je l'ai fait, on m'a mis à la porte. Mais je n'étais pas syndiqué, ayant le statut de pigiste régulier. Rien n'empêchait cependant les travailleurs et travailleuses syndiqués de l'information (individuellement ou par le truchement de leurs instances syndicales ou de leur fédération professionnelle) de se porter à la défense de l'information régionale, de la liberté d'expression et de la coexistence de l'imprimé et du numérique. Les rares interventions à l'occasion de coupes ordonnées par Gesca, à l'automne et en janvier, n'ont pas remis en cause l'abandon du papier.

Depuis avril 2014, j'ai signé sur ces enjeux une quinzaine de textes de blogue (avant et après mon congédiement du Droit) qui ont provoqué - principalement dans les médias sociaux - quelques vaguelettes dans la mare québécoise et franco-ontarienne de l'information, auxquelles s'est ajoutée l'obtention du Prix de journalisme Olivar-Asselin, présenté en novembre 2014 par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Du début à la fin, mon objectif a toujours été le même: susciter un débat, mettre fin à ce silence qui érode à la longue les consciences médiatiques.

Mais qui suis-je dans le grand tableau des forces en présence? Tout au plus un moustique qui rode autour de la tête du géant, juste assez proche pour l'irriter un peu et trop minuscule pour être vu… Bien sûr on espère toujours que nos arguments portent, mais j'ai plutôt l'impression qu'à l'approche des échéances qui verraient Gesca priver six régions de leur quotidien papier, on a craint en haut lieu un tollé au sein du public, en plus des répercussions négatives pour l'image historique de Power/Gesca... comme fossoyeur de l'information régionale et de l'imprimé…

Quoiqu'il en soit, dès l'annonce de la transaction avec «Groupe Capitale Médias», les réactions ont fusé de partout - des directions, des syndicats, de la FPJQ, et même de chroniqueurs dont certains de l'ex-groupe Gesca. Finie, instantanément, l'atmosphère toxique de censure et d'autocensure qui régnait dans les six quotidiens régionaux. On y étouffait. Il a suffi d'ouvrir une fenêtre et tous les courants d'opinion ont jailli. Enfin! L'amorce de ce qui pourrait devenir un véritable débat de fond.

Le modèle papier est mort? Peut-être dans la tête de Guy Crevier et de ses disciples, mais pas partout… «On croit encore au papier et contrairement à ce qu'on a entendu, le papier n'est pas mort», lance sans nuances Louise Boisvert éditrice de La Tribune et de La Voix de l'Est. Les éditions papier seraient même «la pour rester», selon le nouveau grand patron de la chaîne, Claude Gagnon. Le propriétaire Martin Cauchon y va aussi de ses encouragements: «le modèle papier est encore intéressant… il tient toujours la route davantage en régions.» On n'avait rien entendu de tel depuis des années…

Dans Le Soleil, le chroniqueur François Bourque inclut, dans les défis à relever, «convaincre que les quotidiens papier des régions sont là pour rester et que leurs artisans et annonceurs locaux peuvent recommencer à y croire». Tous, ou presque, sont soit heureux de quitter le giron de Gesca ou, sans s'en réjouir, ne versent aucune larme en saluant le départ de l'ancien vaisseau amiral vers un éventuel port numérique rempli d'incertitudes. Même la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) voit d'un bon oeil la «démontréalisation» de l'information dans les régions.

Dans les pages du quotidien Le Droit, le lendemain de l'annonce, le chroniqueur Patrick Duquette écrit: «Pour la première fois depuis longtemps, hier, on a entendu un patron de presse défendre avec ferveur l'importance d'une presse régionale forte. Après des années à vivre dans l'ombre des grands médias montréalais, c'est rafraîchissant.» Ce qui est merveilleux, ce ne sont pas tellement ces opinions elles-mêmes, mais que leurs auteurs les expriment publiquement, jusque dans les pages de leur propre journal. Avant cette semaine, tout cela me serait apparu impensable!

Jusqu'où nous mènera ce printemps d'apparente liberté retrouvée dans nos six quotidiens régionaux? Personne n'a de réponse à cela. Certains sont pessimistes. D'autres optimistes. D'autres sceptiques. Enfin il y en a, comme moi, qui se veulent «espérants» tout en restant vigilants. En tout cas, on ne peut nier que des langues se délient. Les silences de jadis semblent pour l'instant «tablettés»... Vive le bruit - que je souhaite assourdissant - des salles de rédaction!





lundi 16 mars 2015

Le français à l'aéroport d'Ottawa: doubler les torts d'un affront...

Dans le chapitre sur les médias anglo-québécois du livre Les journalistes (oeuvre collective publiée en 1980), l'ancienne journaliste à la Gazette de Montréal et maintenant sénatrice Joan Fraser aborde entre autres la période turbulente de la fin des années 1960, quand l'éveil linguistique de la majorité francophone du Québec avait commencé à créer de sérieux remous politiques.

«Les médias anglophones de l'époque, écrit-elle, accueillent avec empressement une politique canadienne de bilinguisme qui donnera aux minorités francophones des autres provinces autant que possible ce que les anglophones ont toujours eu au Québec: un statut de pleine dignité et la liberté de vivre dans leur langue.» Les mots clés, ici, restent «autant que possible»… et 45 ans plus tard, sauf exception, le francophone qui met les pieds hors-Québec ne jouit toujours pas d'une «pleine dignité» et de la «liberté de vivre» dans sa langue…

On en a eu la preuve encore ce matin quand le quotidien outaouais Le Droit a fait état d'une plainte contre la pénurie de services en français à l'aéroport international d'Ottawa. Savez-vous ce qui m'a frappé le plus dans cette affaire (http://bit.ly/1wPOCdy), au-delà du fait - déjà scandaleux - qu'à peine 33% des agents fédéraux de sécurité connaissent le français dans l'installation aéroportuaire de la capitale d'un pays bilingue, et au-delà du fait additionnel - également scandaleux - d'une lettre de réponse remplie de fautes de français en provenance du Commissaire aux langues officielles?

Ce qui m'a frappé le plus, dis-je, c'est que la dame qui a porté plainte ait voulu conserver l'anonymat dans les médias (elle a accepté par la suite de s'identifier pour Radio-Canada mais en fin d'après-midi, lundi, elle n'est toujours pas nommée, à sa demande, dans le texte du Droit)… Non, mais vous rendez-vous compte du sens d'un tel geste? Moi qui ai vécu toute ma vie dans la région d'Ottawa-Gatineau, je la comprends parfaitement d'avoir hésité à s'identifier pour le grand public. C'est déjà remarquable qu'elle ait eu le courage de porter plainte contre un unilinguisme anglais qu'on nous a toujours imposé ici, comme s'il était normal qu'un francophone doive se débrouiller en anglais.

Mais s'identifier en plus, sur la place publique? Vous vous souvenez ce ce couple Thibodeau qui a eu l'audace de commander un 7up en français dans un avion d'Air Canada, commanditaire apparemment repenti des Rendez-vous de la francophonie 2015? M. et Mme Thibodeau ont subi dans les médias anglo-canadiens - et possiblement dans leurs milieux de vie - un déversement de colère haineuse qui les marquera probablement à jamais. Il s'est même sans doute trouvé de nombreux francophones pour leur reprocher d'avoir troublé, par leur geste et leur plainte devant les tribunaux, la sacro-sainte paix linguistique…

(Définition de paix linguistique: la paix qui résulte d'une situation où les anglophones peuvent à peu près toujours communiquer avec les francophones en anglais, et où les francophones acceptent cette situation béatement.)

Alors voilà que Le Droit fait état de cette dame qui a parfaitement raison de se plaindre. Ce qui lui est arrivé est arrivé à moi et à tous les francophones qui fréquentent à l'occasion l'aéroport d'Ottawa et qui doivent passer par «la sécurité» avant d'embarquer dans un avion. Dans cet aéroport à l'image de la ville d'Ottawa et de son maire Jim Watson, à peine 33% des agents de sécurité fédéraux sont bilingues. Les deux tiers sont unilingues anglais. Or, dans la grande région d'Ottawa et Gatineau, plus de 50% de la population parle le français! C'est pas suffisant, non?

À l'aéroport de la ville de Québec, où environ 40% de la population connaît l'anglais, 73% des agents fédéraux de sécurité sont bilingues. À Montréal, ils sont presque tous bilingues! En chiffres absolus, il y a plus d'agents bilingues à chacun des aéroports de Toronto et de Vancouver qu'à Ottawa. Et le pire, c'est que tout cela est conforme à la politique fédérale des langues officielles, parce qu'on peut en tout temps trouver quelque part, dans un recoin de l'aéroport, un francophone qui ira dépanner le collègue unilingue anglais et offrir le service au client de langue française - qui subira un retard avant d'entrer dans l'avion, sans compter la froide colère ou l'impatience de celui ou celle qui ne comprend pas sa langue. C'est ça la «pleine dignité» et la «liberté de vivre» en français?

Et, question de doubler les torts subis d'un affront, la lettre de réponse du Commissariat aux langues officielles est bourrée de fautes de français! On pourrait au moins espérer des excuses officielles, auxquelles le Commissaire pourrait ajouter - comme il l'a fait dans ses rapports annuels - que l'aéroport international d'Ottawa pourrait tenter de faire mieux - beaucoup mieux - que les normes lamentables que lui impose la Loi sur les langues officielles.

Alors, Madame, sachez que vous avez toute ma sympathie pour avoir osé porter plainte. Vous avez raison, même si peu de gens vous auraient imitée et qu'une forte proportion de la population - même chez les francophones - trouvera que vous auriez pu accepter d'être servie en anglais et consenti à «ne pas brasser de merde»…Et je vous comprends d'avoir voulu (au départ) rester anonyme, entourée comme vous l'êtes d'une collectivité trop souvent peureuse… qui vous appuiera sans doute bien trop peu…

Heureusement notre gouvernement québécois de Philippe Couillard et compagnie a trouvé la solution… bilinguiser tous les francophones du Québec… Hop, vite, l'anglais intensif tous azimuts… et un jour, tous les agents de sécurité pourront être unilingues anglais, sans que cela ne dérange de sensibilités linguistiques… 

Misère…


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NB
Dans un texte de Radio-Canada sur le même incident (mis à jour en après-midi, lundi), la plaignante a accepté d'être identifiée. Il s'agit de Denise Fontaine, une résidente de Gatineau. Voici le lien à l'article de Radio-Canada: http://bit.ly/1BqqrOe.







mardi 10 mars 2015

Quand un romancier-cinéaste de 1980 imagine le journaliste de 2010...

Heureusement que je ne m'arrête pas trop souvent dans les librairies d'occasion… Mon budget de retraite y passerait, les tablettes de mes bibliothèques déborderaient et mon épouse se fâcherait… avec raison. Mais parfois, il arrive que je tombe sur un bouquin irrésistible, comme celui que j'ai déniché le 17 décembre dernier, sans doute en faisant des emplettes de Noël. Le titre était accrocheur, du moins pour moi: «Les journalistes»…



Publié en 1980 aux Éditions Québec-Amérique, le livre est une oeuvre collective, signée par des personnalités médiatiques fort connues à l'époque y compris Michel Roy, Lysiane Gagnon, Louis Martin, Gilles Lesage, Paul-André Comeau, Joan Fraser, Jean-Paul Gagné et d'autres, chacun, chacune abordant un aspect de la profession ou du métier (personnellement je préfère le mot «métier») de journaliste. Je me suis dit que ces textes finiraient sûrement par me me divertir, quelque après-midi ou soirée tranquille…

Finalement, j'ai tiré le volume de ma réserve de lecture hier et en feuilletant les pages d'introduction, je me suis aperçu que le collectif avait confié le dernier chapitre à un romancier-cinéaste de renom, Jacques Godbout, en lui demandant un essai de fiction - de brosser en quelque sorte un tableau de ce que pourrait avoir l'air le monde journalistique québécois en l'an 2010… Il n'en fallait pas plus pour que je commence par la fin, curieux de découvrir ce qu'un auteur-cinéaste de 1980 aurait pu imaginer pour le début de la deuxième décennie du 21e siècle.

Au-delà du fait qu'au bout de trente ans, il transforme le journaliste «redresseur de torts» de 1980 en «amuseur public, conteur et showman», ce qui pourrait en soi alimenter de nombreuses discussions, ses prophéties les plus intéressantes concernent l'évolution des technologies, tant pour les salles de rédaction que pour le public en général. Le livre a été publié au 2e trimestre de l'année 1980, soit quelques mois avant la sortie du premier ordinateur «grand public» vraiment populaire, le VIC-20 de la marque Commodore…

L'ère numérique en était à ses balbutiements, la télé payante n'existait pas encore (du moins pas au Canada), et les ordinateurs commençaient à peine à apparaître dans les salles de nouvelles. Il était presque impossible d'imaginer la prolifération de puissants ordis multi-directionnels dans tous les foyers (et que dire de la panoplie d'appareils mobiles) ainsi que la transformation de l'univers de l'information et des communications par l'Internet depuis les années 1990. Malgré tout, le romancier-cinéaste Jacques  Godbout semble avoir eu de très bonnes intuitions.

Nous voici donc en 2010, version Godbout 1980: «Depuis la miniaturisation des ordinateurs, l'utilisation systématique des télétextes, l'accès domestique à la télé-informeuse couplée au tube cathodique bi-directionnel, la diffusion par satellite des programmes nationaux sur le monde entier, et les coûts minimes d'impression au laser, les masses sont naturellement devenues des publics atomisés, et les productions se sont spécialisées.» Intéressant scénario...

Il imagine avec raison le déclin des typographes, «disparus dans la nuit des temps», et un monde où les journaux sont livrés par les ondes, sans papier. « Nous parvenons à peine à nous rappeler les énormes problèmes de livraison à l'époque (1980), écrit-il. La poste et le journal étaient livrés à la main, par un facteur à pied!» Il annonce la disparition des éditions papier des journaux (il s'est trompé d'une décennie à peine), mais concède la survie du «vénérable» quotidien Le Devoir

Il perçoit, avec l'avènement des nouvelles technologies, un fractionnement des auditoires. «Aujourd'hui, annonce-t-il, les publics du 21e siècle sont divisés par âge, intérêts, revenus, sexe, religion, ethnie, on ne s'adresse plus qu'à des consommateurs qui ne partagent plus qu'une même culture, celle du message publicitaire.» Il n'est pas tout à fait hors cible ici non plus…

Il prédit aussi, à la télé, une multiplication des chaînes spécialisées en parlant des «informations politiques du canal 138» (il n'y en avait qu'une douzaine à l'époque?) ou des archives historiques télévisées, «sur demande au canal 27 et sans arrêt au canal 53»… «La transmission numérique des données et le tube optique ont même déclassé les technologies d'il y a quinze ans», note l'auteur de l'essai fictif sur l'univers de 2010.

Et Jacques Godbout conclut ainsi: «Devant l'écran cathodique d'aujourd'hui, le (journaliste)-communicateur sait qu'il est essentiel à la société-spectacle en ce qu'il produit la fiction la plus vraisemblable de toute l'industrie. De Superman (1980) à Showman (2010), il ne s'agit plus de sauver le monde, mais de le rendre divertissant». Faudrait demander aux journalistes vedettes d'aujourd'hui ce qu'ils pensent de ça…

Bon. Maintenant, j'irai lire les autres chapitres du livre qui, sans exception, portent sur la réalité de 1980 et d'avant...




lundi 9 mars 2015

Acculturation, assimilation. Et après?

Le phénomène de l'assimilation (synonyme, dans notre coin d'Amérique du Nord, d'anglicisation) est plus complexe qu'il ne paraît à première vue. Sa principale manifestation reste sans doute linguistique. D'ailleurs, ce vaste transfert du français vers l'anglais largement dominant hors Québec continue d'être méticuleusement documenté de recensement en recensement, même si les méthodes de calcul ont changé au fil des décennies et que d'aucuns ne se privent pas de tripoter les chiffres.

Étant né et ayant grandi à Ottawa en milieu franco-ontarien avant d'élire domicile à Gatineau, j'ai vu depuis mon enfance, dans mes quartiers et ailleurs en Ontario, la réalité individuelle et sociale de ces données du recensement. Des arrières-grands-parents et grands-parents essentiellement francophones, suivis de quelques générations «bilingues» à divers degrés, ces dernières laissant toutefois dans leur sillage des enfants majoritairement anglophones. Simple? Évident? Non, pas du tout!

La perte ultime du français, chez un individu, dans une collectivité, n'est que la fin d'une évolution plus ou moins longue que les sociologues appellent «acculturation». Dans un texte de novembre 1968 intitulé Acculturation ou assimilation des Franco-Ontariens?, le professeur Paul-André Comeau (alors au département de science politique de l'Université d'Ottawa), définissait ainsi cette transformation:

 «L'acculturation, c'est ce processus à la faveur duquel un individu en vient à faire siennes, à adopter les normes, les valeurs, les représentations mentales, les idées d'un groupe, d'une société différente de la sienne propre; c'est pénétrer de l'intérieur le système culturel d'un autre groupe.

«Pour le Franco-Ontarien, l'acculturation traduirait l'acceptation des façons de vivre, de penser, d'imaginer, de créer une cosmogonie (une explication de son univers) que possède en propre la majorité anglo-saxonne; c'est perdre une identité culturelle pour tenter d'en acquérir une autre, à des degrés plus ou moins différents, il est vrai.


«Par contre, l'assimilation renvoie à un phénomène plus facilement repérable; il s'agit essentiellement de ce processus qui abolit pour une minorité les barrières, les obstacles à une pleine et totale participation à la vie de la communauté globale. C'est la disparition du sous-système social que composait la minorité, c'est la fin des inter-relations privilégiées entre les seuls éléments de ce groupe minoritaire.


«Sans établir un ordre chronologique définitif, on peut affirmer que l'assimilation ne peut s'accomplir sans la phase préalable de l'acculturation. En d'autres termes, lorsqu'une communauté s'assimile, elle doit normalement avoir perdu sa culture: elle s'est "acculturée".»


C'est sous cet angle qu'il faudrait sans doute approfondir notre compréhension de ce qui se passe dans certaines régions du Québec, notamment en Outaouais et dans la grande région montréalaise, ainsi que des les principaux foyers de la francophonie ailleurs au pays et aux États-Unis. Cet engouement pour le bilinguisme tous azimuts, symbolisé par l'adoption aveugle de l'anglais intensif au primaire, est-il une ouverture vers une langue seconde ou la manifestation d'un processus où la majorité franco-québécoise commencerait  «à faire siennes, à adopter les normes, les valeurs, les représentations mentales, les idées» de la majorité anglophone canadienne et nord-américaine?


Quand un individu ou un part importante d'une collectivité minoritaire (en Ontario français par exemple) travaille et se divertit le plus souvent en anglais, s'alimente aux médias et technologies de langue anglaise, écoute surtout les artistes anglophones, lit majoritairement des journaux, magazines et livres en anglais, allant souvent jusqu'à adopter l'anglais comme langue de communication entre francophones, quelles sont les chances de transmettre un héritage culturel francophone aux générations suivantes? Faibles…

L'étude de nos collectivités sous la loupe de l'acculturation a sans doute abouti à de nombreux travaux et thèses dans nos universités et centres de recherche, mais c'est un phénomène qui me semble avoir été négligé par les grands médias imprimés et électroniques - et par nos gouvernements! Le gouvernement québécois apparaît particulièrement ignorant en cette matière.

Du même coup, tant qu'à y être, on pourrait aussi se pencher sur les séquelles de l'acculturation et de assimilation. Quand des minorités sont «assimilées», ont-elles vraiment perdu toute leur identité en perdant leur langue? L'apparition, via les médias sociaux, Facebook notamment, de groupes américains tels Great Lakes French-Canadians et French-Canadian Descendants, entre autres, nous fait découvrir des milliers de descendants de Franco-Américains et de Canadiens français, vivant aux États-Unis, pour qui le passé francophone conserve une grande importance.

Il semble, à suivre leurs discussions et leurs intérêts, que les anciennes identités ne se soient pas entièrement dissolues dans le meeting pot et que même après «l'assimilation», il reste quelque chose. Ce «quelque chose» ne mérite-t-il pas d'être décortiqué, défini? Ne pourrait-il pas s'avérer prometteur pour l'avenir de la francophonie nord-américaine? Voilà de fascinantes pistes à explorer!

Espérant que ces sujets en intéressent d'autres que moi, et qu'on puisse amorcer sur Twitter et Facebook un dialogue fructueux sur les sujets de l'acculturation, de l'assimilation et de ce qui reste après…






mardi 3 mars 2015

Le sabre et le goupillon...

Le plus souvent, les funérailles d'un ami, d'un proche, ou même d'une simple connaissance, favorisent une ambiance de rassemblement, d'accolades, de retrouvailles amicales, d'échanges, de condoléances, de partage de souvenirs agréables, et même - à l'occasion - de réconciliations. Plusieurs vieilles chicanes et animosités ont été enterrées avec des personnes décédées. Et c'est sans doute bien ainsi.

Voilà sans doute pourquoi j'ai sursauté en voyant, dans le quotidien Le Droit, à la mi-février, cette lettre à l'opinion du lecteur, portant la signature d'un prêtre par surcroit! De toute évidence, celui-ci n'avait pas enterré la mauvaise expérience vécue aux funérailles récentes d'un ex-militaire de Gatineau. Si l'auteur de la lettre, Marcel Lahaie, avait voulu mettre le feu aux poudres, il n'aurait pas procédé autrement!

Pour ceux et celles qui veulent lire cette lettre, elle est reproduite ci-dessous. Suffit de dire qu'elle reprochait au sergent d'armes de la section de Pointe-Gatineau de la Légion canadienne d'avoir livré un hommage unilingue anglais, au Québec, dans le cadre d'une cérémonie en langue française dans une paroisse de langue française…



Célébrant aux funérailles, le prêtre n'y allait pas avec le dos de la cuillère, évoquant la réputation de l'armée canadienne comme «outil d'assimilation», puis qualifiant l'emploi de l'anglais d'humiliation et de «mépris total» pour notre langue. Jamais, de toute ma vie, je n'avais lu de telles affirmations faites par un prêtre à propos d'un service religieux... et surtout à propos de funérailles religieuses, où les gens sont rassemblés pour pleurer la perte d'un être cher...

Bien sûr, comme il fallait s'y attendre, les propos virulents du prêtre ont attiré une réplique tout aussi ferme du président de la section de Pointe-Gatineau de la Légion royale canadienne, Vincent Prud'homme, publiée elle aussi dans la page d'opinion du quotidien Le Droit cinq jours plus tard…



Contre le goupillon vinaigré, il a sorti le sabre, aurait dit Jean Ferrat. M. Prud'homme ne s'est pas gêné pour dénoncer l'attitude «totalement intolérable, méprisante et inacceptable» du prêtre, qualifiant ses propos d'«exagérés, méprisants et gratuits». Pas vraiment beaucoup de place pour les nuances, de part et d'autre...

Le représentant de la Légion reproche au célébrant de ne pas avoir été au courant que la langue des proches du défunt était l'anglais. Dans un article du Journal de Montréal (http://bit.ly/17Z6o3j), M. Prud'homme déclarait cependant que le sergent d'armes (un anglophone ayant toutefois servi dans le très francophone Royal 22e Régiment) avait préféré l'anglais à cause de «son français cassé»...

Qui a raison?

Alors, au-delà de la chicane linguistique (ce sont des choses qui se produisent sur les rives de l'Outaouais) qui marquera à jamais le sillage de ces funérailles d'un ex-militaire, la question qui se pose, évidemment, c'est de savoir qui des deux a le plus raison... Comme tout n'est jamais blanc ou noir mais cinquante fois nuancé de gris, il y a probablement du vrai dans les accusations du prêtre et du président de la section locale de la Légion.

Une chose est sûre. La paroisse Saint-François-de-Sales est une paroisse francophone, et de toute évidence, que le célébrant connaisse ou non la famille, le service se déroulait seulement en français. En tout cas, personne n'a fait mention d'un service bilingue... Si la langue des proches du défunt était l'anglais, il est surprenant qu'ils n'aient pas commandé les funérailles en conséquence.

Mon expérience, dans cette région, tant du côté ontarien que québécois, c'est que les francophones en général (et à plus fort titre ceux qui sont anglicisés) n'hésitent pas une seconde à inclure de l'anglais dans leurs funérailles... même dans les paroisses de langue française. Chez les anglophones, cependant, on voit rarement de tels égards pour les proches francophones d'un défunt de langue anglaise...

Alors dans un service de langue française, dans une paroisse de langue française, on peut comprendre la surprise et l'irritation d'un célébrant qui assiste à une allocution unilingue anglaise d'un sergent d'armes de la Légion royale canadienne.

Quant aux commentaires du prêtre Marcel Lahaie sur les forces canadiennes comme outil d'assimilation, il aurait peut-être pu nuancer... Dans ses unités et départements intégrés, les forces canadiennes anglicisent les francophones comme partout ailleurs dans la Fonction publique fédérale, mais il existe au sein des trois armes (armée, aviation, marine) des unités où la langue de fonctionnement est le français... On y trouve donc le pire et le meilleur...

En tout cas, je trouve étonnant que ces funérailles aient viré en bagarre linguistique sur la place publique. Peut-être, pour le repos de l'âme du guerrier enterré, le prêtre-célébrant et le président de la section de la Légion pourraient-ils aller prendre un bon café ensemble, apporter un calepin ou un portable, et tâcher de voir s'il n'y a pas de terrain d'entente possible entre les deux.

Le résultat pourrait, sait-on jamais, être une troisième lettre au quotidien Le Droit, qu'ils cosigneraient cette fois...

lundi 2 mars 2015

«Traitée comme un animal»? Vraiment?

Ça commence à déraper comme prévu, cette histoire de Rania El-Allouli, la dame de Dollard-des-Ormeaux (Île de Montréal) qui s'est fait sermonner par la juge Eliana Marengo, de la Cour du Québec, pour avoir refusé d'enlever en cour son hidjab (foulard complet, visage découvert)… En plus des opinions excessives exprimées un peu partout, voilà que Mme El-Allouli en rajoute en affirmant qu'elle s'est sentie «traitée comme un animal» par la juge Marengo…

Heureusement qu'elle ne s'appelle pas Raïf Badawi et qu'elle ne se trouve pas en Arabie saoudite. Pour le simple fait de s'être exprimé librement sur un blogue, il a été condamné à la prison et à 1000 coups de fouet. Si un simple sermon, c'est être traité comme un animal, c'est quoi 1000 coups de fouet… qui pourraient - aux dernières nouvelles - être transformés en décapitation. Je ne dis pas que Mme El-Allouli aurait dû retirer son foulard, mais quelques reproches d'une juge… là, là… faut pas charrier…

J'estime pour ma part que cette dame est doublement victime… d'un tribunal qui aurait certes pu se montrer plus accommodant (même avec la charte de la laïcité de 2013 de Bernard Drainville, que j'appuyais sans réserve, Mme El-Allouli aurait pu se présenter devant un tribunal avec son hidjab) mais aussi, et surtout, victime de cette frange obscurantiste de l'islam qui oblige les femmes à porter des voiles d'inégalité et d'infériorisation, et à les convaincre qu'elles aiment ça…

Enfin, ce n'est pas cela que je veux aborder aujourd'hui. J'avais noté, à la fin des articles de langue française sur le Web - Radio-Canada, Journal de Montréal, Le Devoir - une grande diversité d'opinions exprimées par les lecteurs et lectrices - d'appuis inconditionnels à Mme El-Allouli aux «invitations» pas très polies à quitter le pays et à s'en retourner «chez elle»… on ne sait trop où… dans ces pays musulmans où la majorité des femmes portent une forme ou une autre de voile islamique…

Puis en fin de semaine et ce matin, j'ai commencé à jeter un coup d'oeil à la presse anglo-canadienne, trop souvent prompte à exploiter ce genre d'histoire pour enfoncer le clou d'un Québec francophone intolérant, xénophobe et raciste… Et effectivement, c'est de cette façon que je suis tombé sur le texte intitulé «Quebec woman says she felt "like an animal" when judge lectured her about wearing hijab», publié dans le Windsor Star (http://bit.ly/1E9q6Xe), en Ontario.

Je suis vite allé à la fin du texte pour lire les commentaires des Anglo-Ontariens, et suis resté quelque peu surpris (avant de me souvenir que dans les sondages d'opinion publique de 2013, près de 40% des Ontariens étaient sympathiques à la charte de la laïcité du gouvernement Marois). Alors que je m'attendais à une litanie de «c'est-tu pas épouvantable pour cette pauvre dame» ou quelque chose du genre, voici ce que j'ai trouvé. Je vous traduis les dix premiers commentaires dans l'ordre:

* Nous avons du respect et des règles dans une salle de tribunal. Il n'y a pas de chapeaux et pour moi, le sien (son foulard) était un chapeau… Nous sommes au Canada et nous devons suivre les lois et règlements du Canada...

* Ils crient à la discrimination à chaque fois qu'ils sont pris à briser nos lois… Ils haïssent nos lois, n'ont pas de respect pour notre société, notre drapeau… mais adorent nos avantages sociaux...

* Si vous n'aimez pas nos lois canadiennes, alors retournez chez vous...

* Je suis un immigrant moi-même et je respecte les règles du pays. Si elle n'aime pas ça, elle peut retourner à son pays d'origine avec ses enfants. Ce sont les Québécois qui la nourrissent…

* Je suis d'accord avec le juge à 100%. Ce n'est pas une question de race ou de religion. J'enlève mon chapeau partout et vous devriez faire la même chose. Cela s'appelle du respect pour NOTRE pays.

* Personnellement, ce jugement ne me déplaît pas. Je pense que les gens devraient comprendre les signes d'avertissement. Mme la juge exprimait de façon officielle ce que nous craignons trop souvent de commenter ouvertement.

* J'applaudis cette juge… Pas de chapeaux… Vous êtes dans NOTRE pays… respectez NOS règles. Nous comprenons votre foi musulmane mais respectez nos codes vestimentaires et nos traditions et croyances.

* Pas de chapeaux au tribunal. C'est ça le règlement. Nous sommes au Canada… les mêmes règles pour tous.

* C'est encore une histoire pour convaincre le troupeau de moutons avec les coeurs saignants à protester  contre la façon dont elle aurait été maltraitée…

* Nous avons des lois dans notre pays, comme dans le vôtre… Et pourtant nous n'amputerons pas vos mains… Peut-être pourriez-vous commencer à respecter nos lois… Nous vous demanderons seulement d'enlever votre foulard, merci…

Ces commentaires semblent plus la règle que l'exception quand on lit les propos de ceux et celles qui se sont donnés la peine de s'exprimer au journal Windsor Star. dans le sud-ouest ontarien. Ce n'est certes pas un échantillonnage scientifique, mais l'impression que ça me laisse, c'est que le climat actuel - au Québec, dans le reste du Canada et ailleurs dans le monde - fait sortir du placard un tas de gens qui autrement, feraient partie des majorités et minorités essentiellement silencieuses…
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Autre texte pertinent sur mon blogue. Entre la cravate et le hidjab… http://bit.ly/1Ah2B7b