lundi 14 juillet 2014

Bonne fête, chère vieille France!


Quand j'étais petit, à l'école alors catholique, on nous brossait le plus souvent un tableau négatif de la France… pour des motifs principalement religieux. L'ancienne mère-patrie, jadis «fille aînée de l'Église», était devenue depuis la Révolution française et l'avènement de républiques laïques «une terre de mission»… Il semblait y avoir, au sein du clergé catholique d'ici, un relent d'attrait pour l'ancien régime monarchique et l'époque glorieuse (et catholique) de Louis XIV, mais l'abandon de la Nouvelle-France avec le Traité de Paris, en 1763, avait noirci même l'auréole des rois français…

Depuis la conquête de 1760, entre la propagande des nouveaux maîtres britanniques et de leurs successeurs anglo-canadiens (secondés par des porte-voix parmi les nôtres) et les sermons d'évêques et de curés souvent issus de communautés religieuses tenant la France républicaine en horreur, il est surprenant que la population francophone du bassin du Saint-Laurent ait réussi malgré tout à conserver dans son coeur collectif une place de choix pour la «vieille France».

Au fil des siècles, l'Église et les classes politiques dirigeantes n'ont jamais pu éteindre les braises de rébellion qui couvent toujours au sein de notre petite nation francophone en devenir et en péril.  Être obligés pendant des générations d'obéir à la lettre du petit catéchisme ne nous a jamais empêchés de nous amuser, de sacrer et, parfois, de nous rebeller… Ainsi, en dépit des lamentations plutôt superficielles au sujet du rejet de la vieille catholicité française et du «grommelage» occasionnel contre les «maudits Français», les liens d'affection sont demeurés profonds et intacts.

Quand Alexis de Tocqueville, le grand philosophe et sociologue français, a visité le Bas-Canada (le Québec d'aujourd'hui) à la fin de l'été 1831, il avait été surpris d'y retrouver 600 000 francophones, «aussi français que vous et moi», écrivait-il. Après 70 ans de gouvernement anglais et 40 ans après la Révolution française, il n'avait pas perçu d'hostilité envers l'ancienne mère-patrie. Au contraire...

«Je ne puis vous exprimer, disait de Tocqueville, quel plaisir nous avons éprouvé à nous retrouver au milieu de cette population. Nous nous sentions comme chez nous, et partout on nous recevait comme des compatriotes, enfants de la Vieille France, comme ils l'appellent. À mon avis, l'épithète est mal choisie. La vieille France est au Canada; la nouvelle est chez nous. Nous avons retrouvé là les anciennes habitudes, les anciennes moeurs françaises.» «Voilà ces Français mêlés depuis 80 ans à une population anglaise, soumis aux lois de l'Angleterre… eh bien ce sont des Français trait pour trait.»

Une quarantaine d'années plus tard, après l'échec de la rébellion de 1837, l'arrivée de communautés religieuses ultra-conservatrices et l'entrée en vigueur de la Confédération, on aurait pu croire les attitudes changées. Mais quand la France fut menacée et envahie par les Allemands en 1870, le sentiment patriotique français est vite remonté à la surface. Chassez le naturel, il revient au galop. Robert Rumilly écrit dans son premier tome de l'histoire du Québec: 

«Quelques Canadiens français avaient cru s'éloigner de l'ancienne patrie à cause de ses révolutions, de ses courants d'idées philosophiques. Mais au spectacle de la France meurtrie, tout ce que les Canadiens avaient gardé de français, c'est-à-dire tout ce qu'il y avait en eux de profond, d'inaliénable, souffrit et se révolta. Les Canadiens français sentirent alors combien ils étaient français.» 

À Québec, en août 1870, près de 500 Canadiens français se rendirent chez le consul de France à Québec pour mobiliser des fonds en faveur des blessés français. Plusieurs voulaient aller se battre. À la fin, chantant «La Marseillaise, le cortège descendit dans la Basse-Ville de la Vieille Capitale. «De minute en minute, le flot se grossissait de nouveaux manifestants, personnes de tout rang et de tout âge, vieillards et jeunes gens, quatre par quatre, bras dessus bras dessous», selon l'historien Alfred Rambaud. Le chant de La Marseillaise par les foules se mêlait aux cris de «Vive la France» partout… à Montréal, Trois-Rivières, Saint-Hyacinthe… et même chez les francophones d'Ottawa. 

Durant la Première Guerre mondiale, en 1918, au plus fort de la crise de la conscription, on aurait pu croire que s'il avait existé un sentiment anti-France, il se serait manifesté. Mais non. Tout en refusant l'obligation d'aller se battre dans des guerres de l'Empire britannique, et en affrontant les troupes unilingues anglaises expédiées par le gouvernement fédéral pour rétablir l'ordre au Québec, des milliers de manifestants dans la Vieille Capitale défiaient les militaires d'Ottawa en chantant… La Marseillaise ainsi que l'Ô Canada (alors un chant patriotique canadien-français)...

Un demi-siècle plus tard, en 1967, le président de la France, Charles de Gaulle, s'est rendu au Québec. À la fin de juillet, roulant dans une limousine décapotable, il a emprunté l'ancien «chemin du Roy» entre Québec et Montréal, passant par toute une série de villes et villages. Il a été accuelli partout en héros, des gens s'attroupant devant les maisons de ferme, dans les rues des municipalités, par dizaines de milliers. Le lien entre les Québécois et la France, malgré toutes les tentatives de l'affaiblir, avait survécu presque intact à deux siècles d'absence.

Le général de Gaulle, ému de l'accueil qu'on lui avait réservé, a comparé son trajet du chemin du Roy à l'ambiance qui régnait au moment de la libération de la France en 1944. Bien des gens se sont offusqués, croyant y voir une comparaison fort injustifiée (et elle l'aurait été) entre l'occupation de la France par les Allemands et la domination britannique au Québec. J'ai toujours cru qu'il ne faisait qu'évoquer l'enthousiasme sincère et spontané de l'accueil. Comme aux retrouvailles de parents qui ont vécu trop longtemps éloignés les uns des autres. Pour s'en convaincre, on peut visionner cette vidéo de la montée du chemin du Roy en 1967 (http://bit.ly/1koDE3g).

Au cours du dernier demi-siècle, avec l'explosion technologique audio-visuelle, suivie d'une surmultiplication des communications par l'informatique, les liens se sont intensifiés entre le Québec et la France à tous les niveaux. Mais dans le substrat collectif, même avec le métissage fécond des siècles, les voix des anciennes générations de France sont toujours présentes. Quand je suis allé à Rouen à l'automne, la ville de mes ancêtres normands, je n'ai pu m'empêcher de penser que des Allard y vivaient à l'époque de Jeanne D'Arc et de Louis XIV et qu'avant le milieu du 17e siècle, l'histoire de France, c'est aussi l'histoire de ma famille…

En ce 14 juillet, je suis encore, au fond de moi, un tout petit peu «bleu blanc rouge»… Bonne fête, chère vieille France !




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