jeudi 31 juillet 2014
Ottawa, ville bilingue?
Je viens de lire dans le quotidien Le Droit un article parlant d'une mobilisation en faveur d'une désignation bilingue officielle pour la ville d'Ottawa. Peu de sujets m'enragent mais celui-là me prend aux tripes. Peut-être parce que je suis né à Ottawa, que j'y ai grandi dans un quartier jadis francophone, parce que j'ai milité pendant une dizaine d'années au sein d'organisations franco-ontarennes et qu'à l'aube de la trentaine, de guerre lasse, j'ai fini par traverser la rivière dans l'espoir de pouvoir enfin vivre en français au Québec. Je ne voulais pas que mes enfants aient à subir ce qu'on faisait subir tous les jours aux francophones de l'Ontario…
Il fut une époque où la reconnaissance officielle de l'égalité du français par la ville d'Ottawa aurait sans doute fait une plus grande différence. Aujourd'hui je n'en suis pas sûr. Je ne peux que l'espérer. Les francophones, il y a un peu plus d'un demi-siècle, formaient le quart de la population de la capitale et dans certains quartiers - la Basse-Ville, St-François d'Assise, ainsi que dans la ville enclavée d'Eastview (Vanier) - la langue de la rue était le français. Ottawa restait unilingue anglaise officiellement, parfois agressivement, mais son tissu social ne l'était pas. En y ajoutant le va-et-vient de la rive québécoise, Ottawa restait - dans l'âme - une ville bilingue depuis le milieu du 19e siècle…
La deuxième moitié du 20e siècle et le début du 21e siècle ont été marqués par un effritement des collectivités francophones de la capitale, usées et affaiblies par un combat centenaire contre un mélange toxique de persécution, d'hostilité, de négligence puis, aujourd'hui, d'indifférence presque bienveillante (genre Jim Watson, le maire actuel). Sous l'effet d'une diversité de facteurs dont l'expansion de l'administration fédérale et la rénovation urbaine, les quartiers franco-ontariens ont éclaté. Les parlant français sont de plus en plus dispersés dans des secteurs désormais, tous, à majorité anglaise. Les seuls véritables espaces francophones qui restent, ce sont à toutes fins utiles les écoles…
Les statistiques d'assimilation sont dramatiques. Le taux d'anglicisation dépasse déjà le tiers et avec l'exogamie majoritaire, ira s'accélérant. Et plus de 90% des Franco-Ontariens se débrouillent bien en anglais, au point où une forte proportion des jeunes générations, sur le plan identitaire, se considère bilingue… et non francophone ou franco-ontarienne ou canadienne-française. Les institutions scolaires de langue française, heureusement excellentes et pleines de ressources, en sont rendues à faire de la «construction identitaire». Au lieu de bâtir sur des assises solides, on tente de sauver les meubles en espérant un avenir meilleur…
Alors quand je retourne dans mon ancien quartier de St-François d'Assise-Mechanicsville et que je vois les blocs d'appartements qui ont remplacé les anciennes maisons (à cause de la proximité du complexe fédéral du Pré Tunney), l'état de délabrement de plusieurs des maisons qui ont malgré tout résisté, la disparition d'une de mes anciennes écoles et la transformation de l'autre en projet de condos, la fermeture de mon église paroissiale (Notre-Dame des Anges) et la départ de l'immense majorité des familles canadiennes-françaises qui avaient fondé cette communauté, j'ai de la difficulté à entreprendre un débat sur le très théorique «bilinguisme officiel» d'Ottawa. Le coeur bilingue de la ville battait ici, chez nous... dans la Basse-Ville aussi. Aucun statut officiel ne pourra le raviver…
Malgré tout, il reste plus de 100 000 francophones à travers la ville, et si ce n'était que pour reconnaître les torts qu'on leur a fait subir depuis plus de 100 ans, la désignation bilingue d'Ottawa serait pleinement justifiée. Mais d'autres arguments peuvent aussi être invoqués :
1. Ottawa reste la capitale d'un pays officiellement bilingue où le français est la langue minoritaire, menacée par surcroit. On pourrait citer en exemple Bruxelles, capitale de la Belgique et officiellement bilingue même si seulement 10% de la population y parle le néerlandais et que la grande majorité est francophone.
2. Même si moins de 15% de la population d'Ottawa est de langue maternelle française, près du tiers des anglophones et allophones (plus de 200 000 d'entre eux) parlent et comprennent le français. Ainsi, entre 35 et 40% de la ville est officiellement «francophone».
3. La ville-soeur québécoise de Gatineau est à 80% francophone; cela fait que dans l'ensemble de la région de la capitale, le tiers des résidents sont de langue maternelle française et plus de la moitié comprennent et parlent le français.
4. La politique de bilinguisme de la ville (http://bit.ly/1xFfbg5), au sens littéral, accorde au français un statut égal à celui de l'anglais. On pourrait argumenter que refuser d'octroyer un statut officiel égal au français contrevient à la politique même que la ville d'Ottawa a adoptée en 2004. Lisez cette politique, ça vaut la peine!
5. Le gouvernement ontarien, dont Ottawa est constitutionnellement une créature, s'est donné comme mandat de protéger et de promouvoir la langue française sur son territoire. Faire d'Ottawa une ville bilingue s'inscrit parfaitement dans cette philosophie.
Aujourd'hui, le combat pour la survie du français se déplace de plus en plus vers le Québec, où d'importantes décisions devront être prises d'ici peu. Mais là, la majorité est francophone et a le droit de prendre les décisions qui la concernent - bonnes autant que mauvaises. Hors-Québec, les minorités francophones seront toujours à la merci des courants de l'heure. Les garanties juridiques - constitutionnelles de préférence - ont fait leurs preuves.
Qu'Ottawa ne soit pas officiellement bilingue s'explique peut-être par le contexte dans lequel la ville a évolué et notamment, par l'hostilité historique des anglophones à l'endroit des Canadiens français. Mais avouons-le: que la capitale d'un pays bilingue ne soit pas elle-même officiellement bilingue est difficile à justifier. Et pour que cet état de fait persiste ici en 2014, il doit y avoir de la mauvaise foi quelque part...
mercredi 30 juillet 2014
«Mais au bout du chemin dis-moi c'qui va rester…»
«Mais au bout du chemin dis-moi c'qui va rester…», chantent les Cowboys fringants dans Les étoiles filantes. Plus on vieillit - et j'ai 68 ans aujourd'hui, 30 juillet 2014 - plus cette interrogation s'impose. Notre regard balaie d'un long trait toutes ces années depuis l'enfance, sépare le bon grain de l'ivraie, repère des faits saillants que notre mémoire sélective a sauvegardés, puis ressasse sans cesse un bilan que chaque nouveau jour risque de modifier… «Dis-moi c'qui va rester…», dis-moi ce que je vais léguer après mon «p'tit passage dans ce monde effréné»…
Chaque être humain, individuellement et collectivement, biologiquement et culturellement, aspire à une forme de pérennité. Ainsi, quand je ne serai plus qu'un souvenir, je tire un certain réconfort de savoir qu'une partie de moi et de ma compagne de vie continuera à vivre avec mes enfants, puis chez leurs enfants et leurs descendants. Pour d'autres, «c'qui va rester» peut fort bien prendre une diversité de formes: des constructions, de l'art, des objets précieux laissés en héritage, des lettres, des photos ou autres artefacts.
J'ai visité Rome il y a quelques années et suis resté émerveillé en retrouvant intact, après deux millénaires, un édifice comme le Panthéon. Et que dire des grandes cathédrales médiévales de France, qui ont survécu pendant un millénaire à l'usure du temps et au ravage des guerres. Mais il n'y a pas que les oeuvres grandioses. L'archéologie a transformé en véritables trésors les objets les plus modestes de la vie quotidienne d'anciennes époques, simplement parce qu'au bout du chemin, ils ont réussi à faire partie de «c'qui va rester»…
Plus près de moi, mon beau-père se doutait-il que les coffres de cèdre façonnés pour nos enfants seraient conservés aussi précieusement? Ma belle-mère pouvait-elle imaginer que les journaux personnels qu'elle avait rédigés seraient chéris par ses enfants et sans doute transmis aux générations suivantes? Mon père, artiste dans l'âme, savait-il qu'on préserverait ses tableaux pour la postérité? Quant à ma mère, toujours bien portante à 90 ans, tous auront en mémoire d'elle, un jour le plus lointain possible, quelque objet ou vêtement portant sa signature… Peut-on vraiment dire «c'qui va rester» au bout du chemin?
J'ai toujours envié ceux et celles qui, en plus d'un fin intellect, savaient bien travailler de leurs mains. Je ne léguerai aucun objet ou artefact. J'ai passé ma vie à construire des phrases, des paragraphes et des pages qui, pour l'immense majorité, ont déjà sombré dans l'oubli le plus total. Mais, ainsi que le veut l'ancien dicton, «les écrits restent» (du moins certains d'entre eux), et comme la rédaction semble devoir rester mon seul refuge, j'ai tout avantage à écrire le plus de textes possibles, le plus souvent possible, en espérant que quelqu'un, quelque part, en conserve quelque fragment dans ses archives…
En vieillissant, les années qui restent étant bien moins nombreuses que les années accumulées, on ressent davantage l'urgence de faire ce qu'on doit faire, de dire ce qu'on doit dire, d'écrire ce qu'on doit écrire! Pour fêter mes 68 ans et tant «que la vie s'accroche et renaît, comme les printemps reviennent dans une bouffée d'air frais» (chantent les Cowboys fringants), j'ai donc pris la résolution d'aiguiser ma plume et de redoubler d'énergie devant mon clavier avant d'arriver un jour «au bout du chemin». D'aimer encore davantage ce que j'aime et, surtout, ceux et celles que j'aime.
Et «c'qui va rester» de tout ça? Quelque chose, j'espère. Enfin, ce chapitre sera écrit après mon départ…
---------------
***Lien à la chanson Les étoiles filantes. http://bit.ly/1tMRKko
Chaque être humain, individuellement et collectivement, biologiquement et culturellement, aspire à une forme de pérennité. Ainsi, quand je ne serai plus qu'un souvenir, je tire un certain réconfort de savoir qu'une partie de moi et de ma compagne de vie continuera à vivre avec mes enfants, puis chez leurs enfants et leurs descendants. Pour d'autres, «c'qui va rester» peut fort bien prendre une diversité de formes: des constructions, de l'art, des objets précieux laissés en héritage, des lettres, des photos ou autres artefacts.
J'ai visité Rome il y a quelques années et suis resté émerveillé en retrouvant intact, après deux millénaires, un édifice comme le Panthéon. Et que dire des grandes cathédrales médiévales de France, qui ont survécu pendant un millénaire à l'usure du temps et au ravage des guerres. Mais il n'y a pas que les oeuvres grandioses. L'archéologie a transformé en véritables trésors les objets les plus modestes de la vie quotidienne d'anciennes époques, simplement parce qu'au bout du chemin, ils ont réussi à faire partie de «c'qui va rester»…
Plus près de moi, mon beau-père se doutait-il que les coffres de cèdre façonnés pour nos enfants seraient conservés aussi précieusement? Ma belle-mère pouvait-elle imaginer que les journaux personnels qu'elle avait rédigés seraient chéris par ses enfants et sans doute transmis aux générations suivantes? Mon père, artiste dans l'âme, savait-il qu'on préserverait ses tableaux pour la postérité? Quant à ma mère, toujours bien portante à 90 ans, tous auront en mémoire d'elle, un jour le plus lointain possible, quelque objet ou vêtement portant sa signature… Peut-on vraiment dire «c'qui va rester» au bout du chemin?
J'ai toujours envié ceux et celles qui, en plus d'un fin intellect, savaient bien travailler de leurs mains. Je ne léguerai aucun objet ou artefact. J'ai passé ma vie à construire des phrases, des paragraphes et des pages qui, pour l'immense majorité, ont déjà sombré dans l'oubli le plus total. Mais, ainsi que le veut l'ancien dicton, «les écrits restent» (du moins certains d'entre eux), et comme la rédaction semble devoir rester mon seul refuge, j'ai tout avantage à écrire le plus de textes possibles, le plus souvent possible, en espérant que quelqu'un, quelque part, en conserve quelque fragment dans ses archives…
En vieillissant, les années qui restent étant bien moins nombreuses que les années accumulées, on ressent davantage l'urgence de faire ce qu'on doit faire, de dire ce qu'on doit dire, d'écrire ce qu'on doit écrire! Pour fêter mes 68 ans et tant «que la vie s'accroche et renaît, comme les printemps reviennent dans une bouffée d'air frais» (chantent les Cowboys fringants), j'ai donc pris la résolution d'aiguiser ma plume et de redoubler d'énergie devant mon clavier avant d'arriver un jour «au bout du chemin». D'aimer encore davantage ce que j'aime et, surtout, ceux et celles que j'aime.
Et «c'qui va rester» de tout ça? Quelque chose, j'espère. Enfin, ce chapitre sera écrit après mon départ…
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***Lien à la chanson Les étoiles filantes. http://bit.ly/1tMRKko
mardi 29 juillet 2014
Les nids de poule au milieu de l'été...
De fait, si je peux me fier aux rapports médiatiques, on compte plusieurs problèmes… Certains sont communs à tout ville ou village de notre coin d'Amérique du Nord avec ses extrêmes météorologiques, notamment en fin d'hiver et début de printemps… D'autres, par contre, sont liés au secteur dans lequel j'ai élu domicile depuis plus de 25 ans.
Cela pourra paraître étrange à celui ou à celle qui ne connaît pas la «métropole» outaouaise, mais je vis dans le secteur «Gatineau» de la ville de Gatineau. C'est le secteur de la ville - à l'est de la rivière du même nom - qui portait le nom de Gatineau avant que la méga-fusion de 2002 n'étende l'appellation «Gatineau» à un monstrueusement gros territoire (qui abritait jusqu'aux années 1970 jadis une vingtaine d'identités différentes… d'Aylmer à Hull à Buckingham).
Enfin… J'avais noté cette année une abondance de nids de poule dans nos rues… Plus que d'habitude? Pas sûr… La différence, en 2014, me semblait-il, c'est que personne aux Travaux publics de la ville ne se déplaçait pour les réparer… En dépit du chiâlage et des plaintes de citoyens, on arrivait en juillet et les mêmes trous nous obligeaient à faire du slalom en voiture depuis la fin de l'hiver… Je les ai photographiés (du moins ceux près de chez nous) et diffusés sur ma page Facebook le 3 juillet, en ajoutant que faute de remédier à la situation, le temps était peut-être venu de les inclure sur nos GPS…
Or, quelques jours plus tard, dans les pages du Droit, mes impressions étaient confirmées. Le secteur Gatineau était devenu un «trou noir» pour les Travaux publics municipaux. Au 9 juillet 2014, chapitre «nids de poule», il y avait dans le secteur Aylmer zéro plainte en attente… et seulement deux dans le grand secteur Masson-Angers-Buckingham. Dans l'ancienne ville de Hull, une nette détérioration du service était constatée: 400 requêtes de réparation en attente… Mais ce n'était rien comparé à notre coin de la ville (où vit plus de 40% de la population) : 1143 plaintes de nids de poule non réglées !!!
Personne, dans le court texte du journal, n'expliquait pourquoi tant de requêtes étaient concentrées dans un seul secteur de la ville. Les routes sont-elles en meilleur état ou plus résistantes dans les secteurs Aylmer, Masson-Angers et Buckingham? Ou les équipes des Travaux publics ont-elles tout simplement décidé de balayer les secteurs un à un, en gardant le plus important pour la fin? Ce qui est sûr, c'est qu'au rythme où progressaient les travaux, on en aurait eu jusqu'en octobre ou novembre… Ça n'a aucun bon sens…
Le 17 juillet, un autre texte du Droit annonçait un constat troublant : «Le tiers des routes locales de Gatineau, pouvait-on y lire, ne devraient même plus avoir le droit de porter le vocable "route" tellement elles sont dans un état de décrépitude avancé.» Quand aux nids de poule, ce dont on se doutait est avoué sans détours: «Les équipes ne suffisent plus à la tâche.» Ce qu'ils disent moins ouvertement, c'est qu'elles suffisent à la tâche dans certains quartiers… qui semblent nettement favorisés dans la liste des priorités…
Et puis, comme par miracle, on a accéléré la réparation des nids de poule. Dans Le Droit du 26 juillet, on annonçait que dans le secteur Gatineau, le nombre de requêtes en attente était passé de 1161 à 412 entre le 4 et le 23 juillet… À ce rythme là on aurait pu tout réparer en avril et en mai… plutôt qu'en juillet. Je ne comprends pas que ce qui ne paraissait pas possible deux semaines plus tôt l'est devenu après un peu d'attention médiatique… Le Service des Travaux publics de la ville de Gatineau me semble un lieu bien mystérieux…
Mais le pire reste peut-être à venir… Le 10 juillet, pendant que les nids de poule noircissaient l'encre des journaux et remplissaient les ondes de la radio, de la télé et de l'Internet, un affaissement de la chaussée du boulevard La Vérendrye (un des grands axes est-ouest de la ville) forçait la fermeture complète de la route, justement dans le secteur Gatineau. La ville a rouvert deux des quatre voies le lendemain soir, annonçant que les équipes des Travaux publics «étaient à pied-d'oeuvre» pour réparer le boulevard…
Je passe à cet endroit presque tous les jours, et je n'ai vu qu'une seule fois (et une seule journée) depuis le 10 juillet un déploiement important de personnel et d'équipement à cet endroit. Les deux voies fermées restent fermées depuis près de trois semaines, les mêmes barricades sont au même endroit depuis 20 jours et rien n'indique que les voies barrées rouvriront de si tôt… On ne parle pas ici d'une rue secondaire d'un quartier résidentiel… mais d'un grand boulevard qui traverse le secteur Gatineau d'est en ouest… et dans le secteur de l'affaissement, il est mal en point depuis longtemps…
J'ai vérifié le site Web de la ville et les Travaux publics n'ont rien annoncé concernant les réparations sur La Vérendrye depuis le 11 juillet… Gatineau ayant désormais un service des communications exemplaire, j'ai la conviction qu'une mise à jour aurait été diffusée s'il y avait eu du nouveau à communiquer au public ou aux médias…
À noter: cet «affaissement» de chaussée s'est produit à quelques centaines de mètres et autour de la même pente où, il y a quelques années, on a dû déménager quatre ou cinq maisons neuves parce que le sol était jugé instable et que le sommet de la colline, rendu boueux avec les pluies du printemps, risquait de s'abattre sur les résidents en-dessous… Une bonne fois, au-delà des nids de poule irritants et parfois dangereux, risque-t-on de voir quelques bouts de rue disparaître devant nos yeux? Parfois je me demande...
En passant, un cône orange est réapparu à deux coins de chez nous, sur une réparation effectuée il y a à peine quelques semaines… «Houston, nous avons un problème»…
lundi 28 juillet 2014
CBC devrait s'en tenir aux chansons de langue anglaise, et cesser de nous insulter
CBC vient de récidiver! Après avoir démontré à l'été 2013 son ignorance du trésor existant d'albums de langue française au Québec et dans les zones francophones limitrophes, ne réservant aux offrandes francophones que quatre des 100 premières positions (Les chemins de verre de Karkwa, L'heptade d'Harmonium, Quatre saisons dans le désordre de Daniel Bélanger et Starmania), voilà qu'un panel de CBC ne retient cette année que cinq titres de langue française dans son choix des 100 meilleures chansons «canadiennes» (Canadian, plutôt…) de tous les temps…
La liste de 2014, rendue publique le 30 juin, comprend les cinq chansons françaises suivantes: Les chemins de verre, de Karkwa; Place de la république, de Coeur de Pirate; J'ai rencontré l'homme de ma vie, de Diane Dufresne; Pour un instant, d'Harmonium; et Un Canadien errant. Sans pour autant remettre en question la valeur de ces cinq sélections, une question saute à l'esprit: mais d'où sortent les membres du panel de CBC et dans quel univers musical vivent-ils? Certainement pas du paysage musical canadien (si «canadien» inclut effectivement pour eux les zones fleurdelisées du beau et grand bilingue pays…).
J'ai pris une petite demi-heure et jeté sur papier, pêle-mêle, une liste d'entre 25 et 30 chansons que je crois dignes d'un palmarès comme celui que CBC vent de nous infliger. Je les ai choisies parce que je les aime mais aussi parce qu'elles ont, objectivement, leur place dans l'histoire de la musique d'ici. Ce ne sont pas des chansons obscures. Elles sont presque toutes des classiques, de fait, et plusieurs d'entre elles ont trôné au sommet des palmarès québécois, ainsi qu'en France et ailleurs dans la francophonie. Certaines ont été traduites dans plusieurs langues.
Mais elles restent largement inconnues au Canada anglais, semble-t-il, ce Canada anglais qui s'identifie si souvent comme le Canada tout entier. Je ne tiens pas à voir la musique québécoise, acadienne ou canadienne-française incluse dans les choix de CBC. De toute façon, notre musique a son identité propre. Elle est, essentiellement, québécoise ou gravite autour du Québec depuis les années 1960. Ce à quoi je m'objecte, c'est qu'un média aussi prestigieux que CBC puisse se croire compétent à évaluer nos offrandes musicales quand, de toute évidence, il en ignore l'essence… Le diffuseur anglo-canadien aurait dû avoir la décence de présenter son palmarès comme étant celui des 100 meilleurs chansons canadiennes-anglaises de l'histoire…
La plupart des amateurs de musique pourraient, comme moi, choisir une vingtaine ou une trentaine de classiques de langue française capables de concurrencer la sélection de CBC. Et ça prouverait quoi? Même si ce genre d'évaluation comporte une grande part de subjectivité, cela servirait tout au moins à montrer que notre musique existe, qu'elle nous ressemble (alors que les chansons anglo-canadiennes, le plus souvent, s'intègrent sans heurt à celles du meeting pot états-unien…) et que ses accents largement québécois ne l'empêchent pas d'avoir une valeur universelle (sauf, apparemment, au Canada anglais).
Voici donc, à l'intention de CBC et de ses experts, une liste de chansons québécoises qui, sans s'identifier comme canadiennes (du moins plus maintenant), font jusqu'à nouvel ordre partie du paysage musical que prétendent scruter les experts du diffuseur public anglo-canadien. Elles ont marqué des chapitres importants de la riche histoire musicale que nos voisins ignorent. Enfin, que chacun fasse l'effort, rien que pour renouer avec son passé et enrichir son présent. Nous pourrions aligner des centaines de compositions et d'interprétations dignes d'être soumises à un panel d'experts musicaux…
Voici les miennes dans le désordre (des sélections que j'avoue fortement influencées par mon âge, mon vécu et mes goûts):
Lindberg (1968), de Robert Charlebois et Louise Forestier (http://bit.ly/1tMQxtC). Ses ondes de choc restent perceptibles. Pour moi, il y a avant Lindberg, et après Lindberg dans le rock québécois.
La Manic (1966), de Georges Dor (http://bit.ly/1tPhlt2). Reprise et repopularisée par de nombreux artistes québécois, français… et même par Leonard Cohen.
Moi mes souliers (1953), de Félix Leclerc (http://bit.ly/WYmlkc). On pourrait y adjoindre Le petit bonheur, de la même année.
Le plus beau voyage (1972), de Claude Gauthier (http://bit.ly/1k8BqZB). Considéré parfois presque comme un hymne national.
Toune d'automne (2002), des Cowboys Fringants (http://bit.ly/1rVjP93). La chanson si populaire qu'elle a forcé les radios commerciales à jouer la musique des Cowboys.
Les étoiles filantes (2005), des Cowboys fringants (http://bit.ly/1qEWrPX). Celle-là, leur plus grand succès, est digne du top 10 du palmarès de la musique d'ici!
Frédéric (1962), de Claude Léveillée (http://bit.ly/1tPhlt2). La chanson qui a fait connaître Claude Léveillée en Europe, reprise par plusieurs, encore entendue aujourd'hui.
Comme j'ai toujours envie d'aimer (1970), de Marc Hamilton (http://bit.ly/1q4Qo2e). Depuis plus de 40 ans l'une des chansons les plus appréciées au Québec… traduite en 15 langues!
N'importe quoi (1994), d'Éric Lapointe (http://bit.ly/1zjbhMt). La chanson qui a consacré Éric Lapointe comme vedette incontournable du rock d'ici.
Un peu plus haut, un peu plus loin (1969), de Jean-Pierre Ferland (http://bit.ly/1khGz3l). Rendue encore plus intense par la célèbre interprétation de Ginette Reno à la Saint-Jean.
J'entends frapper (1974), de Michel Pagliaro (http://bit.ly/1o4kr75). Devenu dans les années 1970 le 45 tours le plus vendu de l'histoire du Québec; a même percé dans les palmarès anglo-canadiens.
La complainte du phoque en Alaska (1974), de Beau Dommage (http://bit.ly/1rr1qzB). La qualité et la popularité de ce grand classique d'un groupe tout aussi classique ne se démentent pas, même en 2014.
Le picbois (1974), de Beau Dommage (http://bit.ly/1khHnFe). On pourrait inclure dans cette liste presque toutes les chansons du premier album de Beau Dommage, mais j'ai toujours eu un faible pour celle-ci...
Ginette (1974), de Beau Dommage (http://bit.ly/Uvz5NZ) … et pour Ginette.
Le blues de la métropole (1975), de Beau Dommage (http://bit.ly/1mSnTSa). Chanson culte parmi les chansons cultes, au carrefour du rock et de la politique.
Mon pays (1964), de Gilles Vigneault (http://bit.ly/1pstd01). Choisie meilleure chansons de tous les temps (selon un sondage québécois des années 1980), élue au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens.
Les gens de mon pays (1965), de Gilles Vigneault (http://bit.ly/1frt0ux). Pour la qualité du texte et de la musique, elle trône près du sommet.
Opium (1992), de Daniel Bélanger (http://bit.ly/1l5j1cB). Quand une chanson domine toutes ses concurrentes au palmarès pendant sept semaines, c'est pour une bonne raison...
Le monde est stone (1978), Starmania (http://bit.ly/1k2qJcl). L'un des hymnes de Starmania, que CBC avait inclus dans les 100 meilleurs albums canadiens l'an dernier...
J'ai l'blues de vous (1995), de Marie Carmen (http://bit.ly/WZHiLJ). Une autre grande chanson qui porte la griffe de Plamondon.
Le temps de m'y faire (1996), de Nanette Workman (http://bit.ly/1nw4FXz). De loin, selon moi, la meilleure chanson interprétée par Nanette. Fusion France-Mississippi devenue québécoise.
Dégénérations (2004), de Mes aïeux (http://bit.ly/1mOUCdB). Juste pour son impact, cette offrande mérite d'être considérée.
Quand les hommes vivront d'amour (1956), de Raymond Lévesque (http://bit.ly/1qGmo1B). Aucun besoin de justifier ce choix en 2014...
Les chats sauvages (1986), de Marjo (http://bit.ly/1zjlxEo). Michel Gratton, ancien chroniqueur du Droit, disait qu'il était tombé en amour avec Marjo juste en entendant Les chats sauvages...
Comme un fou (1976), d'Harmonium (http://bit.ly/1khJV6q). L'inclusion de L'heptade parmi les meilleurs albums de CBC, l'an dernier, aurait dû s'accompagner du choix d'au moins une chanson dans le palmarès de 2014...
Dixie (1975), d'Harmonium (http://bit.ly/1l5mJTz) …et celle-ci, un an avant L'heptade.
Les ailes d'un ange (1969), de Robert Charlebois (http://bit.ly/1l2Nt7g). Un choix personnel, sans doute parce que je suis Québécois originaire d'Ottawa. Mais vous ne trouverez rien de semblable dans la discographie anglo-canadienne.
La morale de cette histoire? CBC devrait s'en tenir aux oeuvres musicales «Canadian» de langue anglaise, et cesser de nous insulter avec une participation francophone symbolique à des palmarès qui n'ont de pan-canadien que le nom…
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Liens à deux textes de blogue précédents (2013) sur le même sujet. http://pierreyallard.blogspot.ca/2013/08/la-musique-du-canada-anglais-cest-quoi.html et http://pierreyallard.blogspot.ca/2013/08/cbc-et-la-musique-canadienne.html
La liste de 2014, rendue publique le 30 juin, comprend les cinq chansons françaises suivantes: Les chemins de verre, de Karkwa; Place de la république, de Coeur de Pirate; J'ai rencontré l'homme de ma vie, de Diane Dufresne; Pour un instant, d'Harmonium; et Un Canadien errant. Sans pour autant remettre en question la valeur de ces cinq sélections, une question saute à l'esprit: mais d'où sortent les membres du panel de CBC et dans quel univers musical vivent-ils? Certainement pas du paysage musical canadien (si «canadien» inclut effectivement pour eux les zones fleurdelisées du beau et grand bilingue pays…).
J'ai pris une petite demi-heure et jeté sur papier, pêle-mêle, une liste d'entre 25 et 30 chansons que je crois dignes d'un palmarès comme celui que CBC vent de nous infliger. Je les ai choisies parce que je les aime mais aussi parce qu'elles ont, objectivement, leur place dans l'histoire de la musique d'ici. Ce ne sont pas des chansons obscures. Elles sont presque toutes des classiques, de fait, et plusieurs d'entre elles ont trôné au sommet des palmarès québécois, ainsi qu'en France et ailleurs dans la francophonie. Certaines ont été traduites dans plusieurs langues.
Mais elles restent largement inconnues au Canada anglais, semble-t-il, ce Canada anglais qui s'identifie si souvent comme le Canada tout entier. Je ne tiens pas à voir la musique québécoise, acadienne ou canadienne-française incluse dans les choix de CBC. De toute façon, notre musique a son identité propre. Elle est, essentiellement, québécoise ou gravite autour du Québec depuis les années 1960. Ce à quoi je m'objecte, c'est qu'un média aussi prestigieux que CBC puisse se croire compétent à évaluer nos offrandes musicales quand, de toute évidence, il en ignore l'essence… Le diffuseur anglo-canadien aurait dû avoir la décence de présenter son palmarès comme étant celui des 100 meilleurs chansons canadiennes-anglaises de l'histoire…
La plupart des amateurs de musique pourraient, comme moi, choisir une vingtaine ou une trentaine de classiques de langue française capables de concurrencer la sélection de CBC. Et ça prouverait quoi? Même si ce genre d'évaluation comporte une grande part de subjectivité, cela servirait tout au moins à montrer que notre musique existe, qu'elle nous ressemble (alors que les chansons anglo-canadiennes, le plus souvent, s'intègrent sans heurt à celles du meeting pot états-unien…) et que ses accents largement québécois ne l'empêchent pas d'avoir une valeur universelle (sauf, apparemment, au Canada anglais).
Voici donc, à l'intention de CBC et de ses experts, une liste de chansons québécoises qui, sans s'identifier comme canadiennes (du moins plus maintenant), font jusqu'à nouvel ordre partie du paysage musical que prétendent scruter les experts du diffuseur public anglo-canadien. Elles ont marqué des chapitres importants de la riche histoire musicale que nos voisins ignorent. Enfin, que chacun fasse l'effort, rien que pour renouer avec son passé et enrichir son présent. Nous pourrions aligner des centaines de compositions et d'interprétations dignes d'être soumises à un panel d'experts musicaux…
Voici les miennes dans le désordre (des sélections que j'avoue fortement influencées par mon âge, mon vécu et mes goûts):
Lindberg (1968), de Robert Charlebois et Louise Forestier (http://bit.ly/1tMQxtC). Ses ondes de choc restent perceptibles. Pour moi, il y a avant Lindberg, et après Lindberg dans le rock québécois.
La Manic (1966), de Georges Dor (http://bit.ly/1tPhlt2). Reprise et repopularisée par de nombreux artistes québécois, français… et même par Leonard Cohen.
Moi mes souliers (1953), de Félix Leclerc (http://bit.ly/WYmlkc). On pourrait y adjoindre Le petit bonheur, de la même année.
Le plus beau voyage (1972), de Claude Gauthier (http://bit.ly/1k8BqZB). Considéré parfois presque comme un hymne national.
Toune d'automne (2002), des Cowboys Fringants (http://bit.ly/1rVjP93). La chanson si populaire qu'elle a forcé les radios commerciales à jouer la musique des Cowboys.
Les étoiles filantes (2005), des Cowboys fringants (http://bit.ly/1qEWrPX). Celle-là, leur plus grand succès, est digne du top 10 du palmarès de la musique d'ici!
Frédéric (1962), de Claude Léveillée (http://bit.ly/1tPhlt2). La chanson qui a fait connaître Claude Léveillée en Europe, reprise par plusieurs, encore entendue aujourd'hui.
Comme j'ai toujours envie d'aimer (1970), de Marc Hamilton (http://bit.ly/1q4Qo2e). Depuis plus de 40 ans l'une des chansons les plus appréciées au Québec… traduite en 15 langues!
N'importe quoi (1994), d'Éric Lapointe (http://bit.ly/1zjbhMt). La chanson qui a consacré Éric Lapointe comme vedette incontournable du rock d'ici.
Un peu plus haut, un peu plus loin (1969), de Jean-Pierre Ferland (http://bit.ly/1khGz3l). Rendue encore plus intense par la célèbre interprétation de Ginette Reno à la Saint-Jean.
J'entends frapper (1974), de Michel Pagliaro (http://bit.ly/1o4kr75). Devenu dans les années 1970 le 45 tours le plus vendu de l'histoire du Québec; a même percé dans les palmarès anglo-canadiens.
La complainte du phoque en Alaska (1974), de Beau Dommage (http://bit.ly/1rr1qzB). La qualité et la popularité de ce grand classique d'un groupe tout aussi classique ne se démentent pas, même en 2014.
Le picbois (1974), de Beau Dommage (http://bit.ly/1khHnFe). On pourrait inclure dans cette liste presque toutes les chansons du premier album de Beau Dommage, mais j'ai toujours eu un faible pour celle-ci...
Ginette (1974), de Beau Dommage (http://bit.ly/Uvz5NZ) … et pour Ginette.
Le blues de la métropole (1975), de Beau Dommage (http://bit.ly/1mSnTSa). Chanson culte parmi les chansons cultes, au carrefour du rock et de la politique.
Mon pays (1964), de Gilles Vigneault (http://bit.ly/1pstd01). Choisie meilleure chansons de tous les temps (selon un sondage québécois des années 1980), élue au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens.
Les gens de mon pays (1965), de Gilles Vigneault (http://bit.ly/1frt0ux). Pour la qualité du texte et de la musique, elle trône près du sommet.
Opium (1992), de Daniel Bélanger (http://bit.ly/1l5j1cB). Quand une chanson domine toutes ses concurrentes au palmarès pendant sept semaines, c'est pour une bonne raison...
Le monde est stone (1978), Starmania (http://bit.ly/1k2qJcl). L'un des hymnes de Starmania, que CBC avait inclus dans les 100 meilleurs albums canadiens l'an dernier...
J'ai l'blues de vous (1995), de Marie Carmen (http://bit.ly/WZHiLJ). Une autre grande chanson qui porte la griffe de Plamondon.
Le temps de m'y faire (1996), de Nanette Workman (http://bit.ly/1nw4FXz). De loin, selon moi, la meilleure chanson interprétée par Nanette. Fusion France-Mississippi devenue québécoise.
Dégénérations (2004), de Mes aïeux (http://bit.ly/1mOUCdB). Juste pour son impact, cette offrande mérite d'être considérée.
Quand les hommes vivront d'amour (1956), de Raymond Lévesque (http://bit.ly/1qGmo1B). Aucun besoin de justifier ce choix en 2014...
Les chats sauvages (1986), de Marjo (http://bit.ly/1zjlxEo). Michel Gratton, ancien chroniqueur du Droit, disait qu'il était tombé en amour avec Marjo juste en entendant Les chats sauvages...
Comme un fou (1976), d'Harmonium (http://bit.ly/1khJV6q). L'inclusion de L'heptade parmi les meilleurs albums de CBC, l'an dernier, aurait dû s'accompagner du choix d'au moins une chanson dans le palmarès de 2014...
Dixie (1975), d'Harmonium (http://bit.ly/1l5mJTz) …et celle-ci, un an avant L'heptade.
Les ailes d'un ange (1969), de Robert Charlebois (http://bit.ly/1l2Nt7g). Un choix personnel, sans doute parce que je suis Québécois originaire d'Ottawa. Mais vous ne trouverez rien de semblable dans la discographie anglo-canadienne.
La morale de cette histoire? CBC devrait s'en tenir aux oeuvres musicales «Canadian» de langue anglaise, et cesser de nous insulter avec une participation francophone symbolique à des palmarès qui n'ont de pan-canadien que le nom…
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Liens à deux textes de blogue précédents (2013) sur le même sujet. http://pierreyallard.blogspot.ca/2013/08/la-musique-du-canada-anglais-cest-quoi.html et http://pierreyallard.blogspot.ca/2013/08/cbc-et-la-musique-canadienne.html
mercredi 16 juillet 2014
Les 50 ans du débat sur l'unifolié: un Anglais c'est un Anglais, non? Pas tout à fait...
J'étais étudiant à l'Université d'Ottawa à l'époque du débat sur le drapeau canadien, en 1964-65. Comme Franco-Ontarien à la faculté des Sciences sociales, où les étudiants québécois formaient la majorité de la population étudiante, j'étais bien plus intéressé aux débats turbulents sur la souveraineté du Québec et aux conséquences d'une éventuelle «séparation» sur les francophones hors-Québec. La controverse (vive surtout chez les Anglos) autour de l'abandon de l'ancien Red Ensign et de l'adoption de l'unifolié semblait plutôt fade en comparaison…
Je me souviens de cette journée de février 1965 où l'on a pour la première fois hissé le drapeau rouge et blanc sur la Tour de la Paix, au Parlement. J'y étais, sur place, curieux d'assister à un événement tout de même historique, même si le choix de l'unifolié (on était passé d'un drapeau rouge et bleu avec trois feuilles d'érable à la version finale que l'on connaît) avait soulevé des passions surtout au Canada anglais, où de nombreux éléments s'opposaient à l'abandon graduel des symboles britanniques (l'ancien Red Ensign comportait un Union Jack dans un coin et des armoiries sur fond rouge).
Au Québec, le fleurdelisé régnait en maître depuis 1948 et aucun drapeau canadien, fut-il bourré de fleurs de lys, n'aurait pu le concurrencer. L'affaire du drapeau fédéral y suscitait «une indifférence complète», estimait alors Pierre Elliott Trudeau. Chez les Anglo-Canadiens, par contre, il semblait y avoir beaucoup d'amertume. Nous avions l'impression qu'un grand nombre d'anglophones voyaient l'unifolié comme un nécessaire - et malheureux? - compromis pour plaire aux Canadiens français, et notamment aux Canadiens français du Québec…
Or, je viens tout juste de terminer un livre intitulé The strange demise of British Canada, par C.P. Champion (aux éditions McGill-Queen's), portant justement sur cette période, et ce que j'y ai lu m'a incité à remettre en question ma lecture des événements d'il y a 50 ans. Selon l'auteur, l'apport des francophones à la conception et au choix de l'unifolié était plus ou moins… nul! Le personnage clé du comité spécial chargé de proposer un drapeau, le député libéral John Matheson, y déclare qu'il n'y a eu «aucune participation» des membres francophones du comité à la discussion sur le choix du drapeau…
Mais le plus intéressant, c'est qu'au sein du noyau directeur de ce comité - ceux qui ont exercé le plus d'influence - aucun n'était d'ascendance «anglaise» (d'Angleterre). Ils avaient tous des ancêtres britanniques, mais provenant de lignées écossaises ou irlandaises… Pour nous, un Anglais c'était un Anglais… que sa famille ait émigré de Grande-Bretagne, des États-Unis, d'ailleurs en Europe ou d'ailleurs tout court… S'il parlait anglais, la question de l'identité - pour nous - ne se posait plus. Mais notre perception était superficielle, simpliste même.
Le livre de Champion met en évidence les différences (du moins pour la période qu'il étudie, soit 1964-68), les oppositions entre Anglicans et Méthodistes et Catholiques chez les anglophones, les teintes culturelles changeantes selon qu'on a servi ou non dans les forces armées, selon qu'on a étudié au Canada ou à Oxford ou Cambridge, ainsi que les différences propres à la province ou à la localité dans laquelle on a grandi. On y découvre une «nation?» anglo-canadienne riche en nuances et en conflits internes… aux prises avec l'érosion des symboles les rattachant à l'ancienne mère-patrie.
Ainsi, le drapeau canadien actuel serait une pure émanation du Canada anglais, mais principalement d'Anglo-Canadiens d'ascendance écossaise et irlandaise… Pour nous, cela peut paraître banal, mais il semble que les profonds antagonismes historiques entre Irlandais, Écossais et Anglais aient été transportés ici, et que certaines cicatrices restaient profondes. Champion raconte une anecdote au sujet de la visite de la Reine Élizabeth II au Québec en 1964, justement durant le débat sur le drapeau. Je vous offre la citation en anglais:
«When, during the Royal Tour of 1964, Québec cabinet minister Eric Kierans was introduced to the Queen and Prince Philip by Premier Jean Lesage, the premier announced: "This is the English member of our cabinet." But Prince Philip corrected Lesage: "Oh no, he said, I understand he's an Irishman."» Ce commentaire apparemment inoffensif, pursuit l'auteur, «only amplifies the wound Kierans felt at being identified as "an Irishman", with all the implications of that term in the mind of the victim, and coming from the mouth of a member of the English elite.» Nous devons donc tenir compte, dit-il, de la mémoire collective des relations anglo-irlandaises pour comprendre cet incident…
En 2014, alors que nous assistons à une tentative, par le gouvernement Harper, de ressusciter les symboles royaux et militaires britanniques, la lecture du livre de Champion apporte un éclairage pertinent d'une époque avec des enjeux similaires. Malheureusement pour M. Harper, la composition socio-démographique du pays lui sera encore plus hostile que celle du début des années 1960 l'avait été pour M. Diefenbaker et ses troupes. La proportion de citoyens issus de groupes ethniques n'ayant aucun lien avec les Îles britanniques a augmenté, les liens entre Britanniques de souche et leurs anciennes traditions insulaires se sont affaiblis, et l'indifférence des francophones risque d'être davantage teintée d'hostilité…
Mais je m'aperçois qu'il peut être tout de même fascinant, pour moi et d'autres qui restons fortement attachés aux symboles québécois et francophones, d'essayer de mieux comprendre ce que ressentent sans doute une forte proportion d'Anglo-Canadiens quand des débats identitaires se produisent chez eux…
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C.P. Champion, The strange demise of British Canada, the Liberals and Canadian nationalism, 1964-1968, McGill-Queen's University Press, 2010.
lundi 14 juillet 2014
Bonne fête, chère vieille France!
Depuis la conquête de 1760, entre la propagande des nouveaux maîtres britanniques et de leurs successeurs anglo-canadiens (secondés par des porte-voix parmi les nôtres) et les sermons d'évêques et de curés souvent issus de communautés religieuses tenant la France républicaine en horreur, il est surprenant que la population francophone du bassin du Saint-Laurent ait réussi malgré tout à conserver dans son coeur collectif une place de choix pour la «vieille France».
Au fil des siècles, l'Église et les classes politiques dirigeantes n'ont jamais pu éteindre les braises de rébellion qui couvent toujours au sein de notre petite nation francophone en devenir et en péril. Être obligés pendant des générations d'obéir à la lettre du petit catéchisme ne nous a jamais empêchés de nous amuser, de sacrer et, parfois, de nous rebeller… Ainsi, en dépit des lamentations plutôt superficielles au sujet du rejet de la vieille catholicité française et du «grommelage» occasionnel contre les «maudits Français», les liens d'affection sont demeurés profonds et intacts.
Quand Alexis de Tocqueville, le grand philosophe et sociologue français, a visité le Bas-Canada (le Québec d'aujourd'hui) à la fin de l'été 1831, il avait été surpris d'y retrouver 600 000 francophones, «aussi français que vous et moi», écrivait-il. Après 70 ans de gouvernement anglais et 40 ans après la Révolution française, il n'avait pas perçu d'hostilité envers l'ancienne mère-patrie. Au contraire...
«Je ne puis vous exprimer, disait de Tocqueville, quel plaisir nous avons éprouvé à nous retrouver au milieu de cette population. Nous nous sentions comme chez nous, et partout on nous recevait comme des compatriotes, enfants de la Vieille France, comme ils l'appellent. À mon avis, l'épithète est mal choisie. La vieille France est au Canada; la nouvelle est chez nous. Nous avons retrouvé là les anciennes habitudes, les anciennes moeurs françaises.» «Voilà ces Français mêlés depuis 80 ans à une population anglaise, soumis aux lois de l'Angleterre… eh bien ce sont des Français trait pour trait.»
Une quarantaine d'années plus tard, après l'échec de la rébellion de 1837, l'arrivée de communautés religieuses ultra-conservatrices et l'entrée en vigueur de la Confédération, on aurait pu croire les attitudes changées. Mais quand la France fut menacée et envahie par les Allemands en 1870, le sentiment patriotique français est vite remonté à la surface. Chassez le naturel, il revient au galop. Robert Rumilly écrit dans son premier tome de l'histoire du Québec:
«Quelques Canadiens français avaient cru s'éloigner de l'ancienne patrie à cause de ses révolutions, de ses courants d'idées philosophiques. Mais au spectacle de la France meurtrie, tout ce que les Canadiens avaient gardé de français, c'est-à-dire tout ce qu'il y avait en eux de profond, d'inaliénable, souffrit et se révolta. Les Canadiens français sentirent alors combien ils étaient français.»
À Québec, en août 1870, près de 500 Canadiens français se rendirent chez le consul de France à Québec pour mobiliser des fonds en faveur des blessés français. Plusieurs voulaient aller se battre. À la fin, chantant «La Marseillaise, le cortège descendit dans la Basse-Ville de la Vieille Capitale. «De minute en minute, le flot se grossissait de nouveaux manifestants, personnes de tout rang et de tout âge, vieillards et jeunes gens, quatre par quatre, bras dessus bras dessous», selon l'historien Alfred Rambaud. Le chant de La Marseillaise par les foules se mêlait aux cris de «Vive la France» partout… à Montréal, Trois-Rivières, Saint-Hyacinthe… et même chez les francophones d'Ottawa.
Durant la Première Guerre mondiale, en 1918, au plus fort de la crise de la conscription, on aurait pu croire que s'il avait existé un sentiment anti-France, il se serait manifesté. Mais non. Tout en refusant l'obligation d'aller se battre dans des guerres de l'Empire britannique, et en affrontant les troupes unilingues anglaises expédiées par le gouvernement fédéral pour rétablir l'ordre au Québec, des milliers de manifestants dans la Vieille Capitale défiaient les militaires d'Ottawa en chantant… La Marseillaise ainsi que l'Ô Canada (alors un chant patriotique canadien-français)...
Un demi-siècle plus tard, en 1967, le président de la France, Charles de Gaulle, s'est rendu au Québec. À la fin de juillet, roulant dans une limousine décapotable, il a emprunté l'ancien «chemin du Roy» entre Québec et Montréal, passant par toute une série de villes et villages. Il a été accuelli partout en héros, des gens s'attroupant devant les maisons de ferme, dans les rues des municipalités, par dizaines de milliers. Le lien entre les Québécois et la France, malgré toutes les tentatives de l'affaiblir, avait survécu presque intact à deux siècles d'absence.
Le général de Gaulle, ému de l'accueil qu'on lui avait réservé, a comparé son trajet du chemin du Roy à l'ambiance qui régnait au moment de la libération de la France en 1944. Bien des gens se sont offusqués, croyant y voir une comparaison fort injustifiée (et elle l'aurait été) entre l'occupation de la France par les Allemands et la domination britannique au Québec. J'ai toujours cru qu'il ne faisait qu'évoquer l'enthousiasme sincère et spontané de l'accueil. Comme aux retrouvailles de parents qui ont vécu trop longtemps éloignés les uns des autres. Pour s'en convaincre, on peut visionner cette vidéo de la montée du chemin du Roy en 1967 (http://bit.ly/1koDE3g).
Au cours du dernier demi-siècle, avec l'explosion technologique audio-visuelle, suivie d'une surmultiplication des communications par l'informatique, les liens se sont intensifiés entre le Québec et la France à tous les niveaux. Mais dans le substrat collectif, même avec le métissage fécond des siècles, les voix des anciennes générations de France sont toujours présentes. Quand je suis allé à Rouen à l'automne, la ville de mes ancêtres normands, je n'ai pu m'empêcher de penser que des Allard y vivaient à l'époque de Jeanne D'Arc et de Louis XIV et qu'avant le milieu du 17e siècle, l'histoire de France, c'est aussi l'histoire de ma famille…
En ce 14 juillet, je suis encore, au fond de moi, un tout petit peu «bleu blanc rouge»… Bonne fête, chère vieille France !
jeudi 10 juillet 2014
Une nouvelle nuit des longs couteaux?
Personne ne devrait se surprendre que la Saskatchewan et le
Nouveau-Brunswick se joignent officiellement à la coalition
Ottawa-Ontario-Colombie-Britannique visant à former en «coopération» la
commission pancanadienne des valeurs mobilières dont la création exclusive par
le gouvernement fédéral avait été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême
en décembre 2011.
Le 23 décembre 2011, j'écrivais justement en éditorial dans le
quotidien Le Droit:
«Les cours d'appel de l'Alberta et du Québec avaient déjà donné
raison aux provinces qui s'opposaient au projet de loi visant la création d'une
commission fédérale des valeurs mobilières, présenté par le ministre des
Finances, Jim Flaherty. La Cour suprême ajoute sa voix au concert
juridique qui voit là une intrusion d'Ottawa dont l'objectif et l'effet réel
seraient d'évincer les provinces d'un domaine où leur autorité ne fait pas de
doute.
«Par contre, le ton de la Cour suprême est mielleux. On sent,
dans la décision unanime des neuf juges, plus qu'une simple ouverture vers une
présence fédérale dans la gouvernance des valeurs mobilières. Le ministre
Flaherty a pris acte de la décision et annoncé l'abandon du projet de loi. Mais
ce n'est que partie remise. Il y a fort à parier que les ouvertures de la Cour
suprême trouveront preneurs et que tôt ou tard, ce dossier reviendra sur la
table.
«Stephen Harper n'a pas fini de façonner "sa" Cour
suprême, et les brèches constitutionnelles sont suffisamment grandes pour
permettre l'apparition éventuelle d'un cheval de Troie fédéral dans la
structure actuelle de coopération interprovinciale.»
Le Cheval de Troie d'Ottawa est en place en 2014 et quatre provinces
l'ont enfourché… La Cour suprême, dans un jugement où la solidité de
l'argumentaire constitutionnel se mêlait à un langage échevelé et à des
propositions plus politiques que juridiques, invitait presque le gouvernement
canadien et les provinces à revoir tout le dossier des valeurs mobilières sous
un angle «coopératif», cette approche permettant d'aborder mieux «les problèmes
complexes de gouvernance susceptibles de se présenter dans une fédération».
Si les juges du plus haut tribunal du pays s'y connaissent en
droit, ils sont nettement plus faibles comme théoriciens du fédéralisme et,
parfois, carrément incompétents en matière de langage. Leur emploi incohérent
des mots «national» et «local» - à 115 reprises dans l'avis d'une trentaine de
pages de décembre 2011 sur les valeurs mobilières - témoigne d'une culture
exclusivement anglo-canadienne où les mots national, fédéral et canadien sont
des synonymes (voir http://bit.ly/U5mjFw).
Pour ces juges, une question provinciale est une question
locale. Une question fédérale est nationale. Quelle bêtise. Le Québec est une
nation reconnue par la Chambre des Communes, faute de l'être ailleurs dans le
monde, le Québec a une Assemblée nationale, une fête nationale, une capitale
nationale et ses institutions - y compris l'Autorité des marchés financiers que
voudrait saboter Ottawa - sont des institutions nationales… pas «locales». Que
la Cour suprême ne le comprenne pas ne change rien à cette réalité.
Quant au fédéralisme «coopératif», on sait ce que cela a donné
par le passé… c'est presque toujours une coopération à sens unique, où les
provinces à majorité anglophone s'entendent comme larrons en foire et où les
«nuits des longs couteaux» risquent de devenir la règle. La société
anglo-canadienne - est-ce une «nation» au sens où nous l'employons? - considère
Ottawa comme «son» gouvernement national et n'a aucun problème à lui remettre
les dossiers qu'elle juge pancanadiens, peu importe ce qu'en disent les textes
constitutionnels.
Les Anglo-Canadiens ne connaissent à peu près rien au
fédéralisme, sauf comme rempart contre le départ du Québec, et ne s'y
intéressent pas. Ils s'intéressent aux enjeux et au règlement de ces enjeux. Et
il est normal que ce soit ainsi. Les fédérations ne sont pas des manifestations
de dogmes conçus par des grands prêtres de l'idée fédérale, mais des reflets
d'une société «fédérale», d'une société diversifiée où les grands enjeux se
règlent mieux sous deux ordres indépendants de gouvernements.
Cette diversité est en régression au Canada anglais, où le
gouvernement de référence siège à Ottawa. Alors... que les provinces perdent des
plumes constitutionnelles en santé, en éducation ou en valeurs mobilières les
laisse passablement indifférents. Ce n'est pas le cas au Québec où une nation
essentiellement francophone, fondée sur une langue, une culture et des
traditions juridiques qui lui sont propres, cultive des institutions
nationales autonomes et n'a aucunement l'intention - peu importe ses options constitutionnelles
- de s'identifier au meeting pot anglo-canadien. Ça, Ottawa et la Cour suprême,
et la majorité anglophone du pays, n'y comprennent rien…
Le fédéralisme, coopératif ou pas, n'a jamais sérieusement tenté
de tenir compte de la diversité multinationale du pays. Je le crois incapable
de le faire. Le seul texte qui s'approche d'une solution possible, quoique
improbable, c'est la Déclaration de Sherbrooke du NPD fédéral, qui propose une
fédération asymétrique fondée sur l'identification de deux pôles nationaux,
Québec et Ottawa. Mais ce texte est désormais mort et enterré, surtout après
les quatre partielles du 30 juin…
Alors préparons-nous. Une nouvelle nuit des longs couteaux
s'annonce… et cette fois, ce n'est pas René Lévesque à la barre du Québec… loin de là...
mercredi 9 juillet 2014
Pour ceux qui ont aimé Memphis Belle...
L'avion Sentimental Journey, à Gatineau
Tout ce qui touche de près ou de loin les causes, le déroulement et les séquelles de la Seconde Guerre mondiale me fascine… Les livres, les lieux (j'ai enfin visité les plages du débarquement l'an dernier), les musées, les témoignages, les documentaires, les photos, les archives de journaux et magazines, et bien sûr les films… J'ai dû voir des grands classiques comme Le jour le plus long et Tora! Tora! Tora! une quinzaine de fois chacun… Et je ne compte plus le nombre d'heures passées à visionner Casablanca, mon film préféré entre tous…
Le minuscule poste du mitrailleur arrière
Alors quand j'ai lu la chronique de Patrick Duquette dans le quotidien Le Droit et appris que, du 7 au 13 juillet, l'aéroport de Gatineau accueillerait un bombardier B-17, le quadrimoteur qui avait transporté tant d'équipages alliés au-dessus de l'Europe et du Pacifique durant le second conflit mondial, l'avion qu'avait immortalisé le sympathique film Memphis Belle, je n'ai pu résister. Il fallait que je le voie de très près. Le toucher. Circuler dans les entrailles de ce bombardier de 70 ans, de la cabine de pilotage au minuscule poste de mitrailleur arrière. L'imaginer en mission, sous le feu ennemi…
Comme un long cigare à quatre moteurs...
Je n'apprécie guère le fait que les bombes larguées par les B-17 - aussi appelées Forteresses volantes - ne visaient pas toujours des cibles militaires ou industrielles, et que des milliers d'obus se sont abattus dans des quartiers civils, mais la Deuxième Guerre mondiale a été le théâtre des pires horreurs des temps modernes, et la bravoure des jeunes gens qui ont sacrifié leur vie pour combattre la tyrannie nazie mérite toujours d'être rappelée. Les équipages de B-17 n'avaient qu'une chance sur quatre de compléter les 35 millions nécessaires à leur retour à la vie civile. Trois fois sur quatre, ils étaient abattus…
L'équipage d'un B-17 en 1943 (photo de mon cousin)
Un de mes cousins a affiché sur Facebook une photo d'un des oncles de sa mère, prise en 1943, alors qu'il était mitrailleur arrière d'un B-17. Les dix membres de l'équipage sont photographiés devant leur quadrimoteur, en uniforme d'apparat. Il y a fort à parier que la quasi totalité d'entre eux n'ont pas vu la fin de la guerre. Que ressentaient-ils en se hissant dans le ventre de l'avion, au départ d'une mission, avec les équipages de centaines d'autres B-17, pour voler au-dessus de l'Europe occupée jusqu'en Allemagne, pris en cible par la défense anti-aérienne et les chasseurs à croix gammée?
Une mitraillette, sur la boîte de munitions...
L'intérieur de l'avion s'apparente à un long cigare. On y marche le plus souvent penché. Avis aux claustrophobes: éviter! Pendant la guerre, en mission, l'avion était bourré de bombes et de munitions. Un coup direct pouvait le faire éclater en mille miettes… Le bombardier volait à 10 000 mètres et n'était pas pressurisé… Il fallait utiliser l'oxygène… Et la température pouvait baisser à -40 à cette altitude, même à l'intérieur de l'avion… Inutile d'ajouter que les mitrailleurs, qui devaient tirer à mains nues contre la chasse ennemie, soufraient souvent d'engelures graves…
Il n'en reste que 9 en service...
Quelque 11 000 de ces appareils ont été construits. Même si l'avion était robuste et pouvait revenir à la base avec de graves dommages, près de 5 000 d'entre eux ont été abattus avant la fin du second conflit mondial. Il n'en reste aujourd'hui que neuf en service, dont l'avion Sentimental Journey, en montre à Gatineau. Pour 10$ on peut y entrer et obtenir des explications du personnel américain (il y avait cependant un Français de Biarritz dans le groupe), et pour 425$, on peut être passager dans une envolée de 25 minutes.
Comme tous les autres anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, les appareils B-17 se font rares… Un jour, pas très lointain, les acteurs - les humains comme les machines - d'un conflit mondial qui a largement façonné le monde dans lequel nous vivons ne seront que des souvenirs. Visiter un B-17, c'est un peu l'occasion ultime d'un voyage dans le temps, d'une communication directe avec un artefact d'une époque révolue, la chance d'entendre le dernier écho d'une génération de vaillants combattants du ciel...
mercredi 2 juillet 2014
La Fête du Canada à Ottawa...
La foule au Parlement, image de Radio-Canada
Je suis originaire d'Ottawa et je demeure toujours à proximité de ma ville natale… De mon coin de Gatineau, en voiture, je traverse le pont Macdonald-Cartier en moins de 10 minutes… Et comme la plupart des résidents de la région de la capitale canadienne, je sais qu'il vaut mieux ne pas trop s'aventurer au centre-ville - particulièrement aux abords du Parlement - le 1er juillet, à moins de pas souffrir d'ochlophobie ou de vouloir vraiment participer aux festivités de la «Fête du Canada».
C'est fascinant la Fête du Canada, à Ottawa. Dans cette ville tranquille par excellence, la Colline parlementaire et quelques sites limitrophes s'animent le premier juillet autour de grands spectacles et de feux d'artifices pour souligner l'anniversaire de la Confédération. Des rues et avenues qui seraient autrement plus ou moins désertes en soirée sont bondées. Je ne serais pas surpris si on avançait le chiffre de centaines de milliers de personnes… Un océan de rouge et de blanc (je parle des vêtements) et d'unifoliés de toutes dimensions… C'est pas autant que les grandes foules de la St-Jean/Fête nationale à Montréal mais ça impressionne…
Quand j'étais enfant, dans le quartier francophone ottavien de St-François d'Assise et Mechanicsville, à peu près personne ne célébrait le 1er juillet. À la Fête de la Reine (devenue la Fête des Patriotes au Québec), on entendait des feux d'artifices partout en soirée. À la Fête-Dieu et à la St-Jean-Baptiste, en juin, on assistait à de grandes processions / défilés et les maisons étaient pavoisées de drapeaux. Mais le 1er juillet, alors appelé «Fête du Dominion»? Rien d'autre qu'un congé, même dans les quartiers anglais… Tout ça devait changer dans les années 1960 avec la montée du mouvement indépendantiste au Québec, le choix d'un drapeau pour le Canada (1965) et les grandes célébrations du centenaire de la Confédération en 1967…
Un changement culturel profond s'est opéré depuis cette époque, et le 1er juillet est devenu - du moins à Ottawa - beaucoup plus qu'un simple congé. Mais jusqu'à quel point cela touche-t-il la population de la ville, à plus de 85% anglophone? On pourrait à prime abord avoir l'impression qu'une portion plus qu'appréciable des fêtards sont des touristes, venus d'un peu partout au pays pour goûter aux festivités et autres attractions d'une capitale qui en a beaucoup.
Quand on demeure à Gatineau, on peut s'imaginer que la Fête du Canada n'existe pas… À la St-Jean, on voit des maisons et des voitures avec des fleurdelisés (pas en grandes quantités, mais suffisamment pour en être conscients) et de grands artistes québécois se produisent à deux pôles différents de la ville (Hull et Aylmer). Le 1er juillet, les drapeaux canadiens sont rares et je n'en ai vu aucun sur une voiture, du moins pas dans mon quartier… La grande majorité de la population gatinoise, tout en s'opposant à la souveraineté du Québec, reste largement indifférente aux festivités pan-canadiennes… même si plusieurs assistent aux spectacles et que des milliers s'agglutinent près du Musée des civilisations pour voir les feux d'artifice en fin de soirée du 1er juillet.
Hier, fait plutôt rare, j'ai passé l'après-midi et la soirée à Ottawa, dans le quartier Westboro où demeurent l'une de mes filles et son conjoint. Un secteur très à la mode de la capitale, recherché des jeunes couples, avec ses boutiques, ses restos et ses rues résidentielles à proximité de la rivière des Outaouais et des parcs aux abords de l'eau. Nous avons bien sûr évité de traverser les ponts du centre-ville et avons opté pour le pont des Chaudières, un peu à l'ouest du quartier parlementaire…
En arrivant à Ottawa vers 13 heures, dans le secteur qu'on appelle les Plaines Lebreton (là ou aura lieu bientôt le Bluesfest), on croise le Transitway, la mini-autoroute est-ouest réservée aux autobus. Première constatation: il y avait foule aux nombreux arrêts d'autobus, des jeunes, des vieux, des familles avec des enfants, pas des touristes mais des gens d'ici, largement vêtus de rouge et de blanc (beaucoup de t-shirts avec feuille d'érable ou le mot Canada), en route vers le centre-ville.
Puis le long des boulevards en bordure de rues résidentielles, déambulaient d'autres piétons colorés, eux aussi se préparant à festoyer… Même phénomène sur plusieurs kilomètres, jusqu'au quartier de ma fille. De toute évidence, des dizaines de milliers d'Ottaviens, et même bien plus (Ottawa compte près de 900 000 habitants), ont le coeur à la fête le 1er juillet. Gros, gros changement par rapport à l'Ottawa de ma jeunesse, et contraste total avec Gatineau…
Après le souper, en dépit des menaces d'averses et d'orages, nous sommes allés faire une petite balade à pied à travers le quartier environnant, jusqu'aux abords de la grande promenade qui longe la rivière des Outaouais. Un quartier verdoyant où se mélangent les anciennes maisons (datant des années 1930 et 1940) et de nouveaux modèles qui les remplacent, une à une… Un nombre appréciable de résidences arboraient des drapeaux canadiens, mais quelques surprises nous attendaient…
Devant trois ou quatre maisons, des gens sur leurs perrons ou sur leur terrain nous ont salués en nous souhaitant Happy Canada Day… Dans une ville où, habituellement, les gens se croisent sans même lever la tête, cela a effectivement de quoi surprendre… À quelques endroits, des partys extérieurs étaient en cours, aux couleurs du jour évidemment. Dans la cour arrière d'une maison, sur la rue Churchill, non seulement y avait-il foule et odeur de barbecue, mais également un orchestre live qu'on entendait de loin… Et encore, un peu partout, ces files de gens, allant ou revenant du centre-ville, vêtus de rouge et de blanc…
J'ai trouvé qu'il y avait là matière à réflexion… Dans la capitale canadienne, la population semble avoir adopté le 1er juillet… et affiche ses couleurs bruyamment. Je ne sais pas comment les célébrations de la Fête du Canada se font ailleurs au Canada anglais, mais à Ottawa, le 1er juillet, ça se passe en rouge et en blanc et les unifoliés sont partout ! Et ça ne festoie pas qu'au centre-ville… les quartiers résidentiels (du moins celui que j'ai vu) s'animent aussi…
Y a-t-il une morale à tout ça? Peut-être que non… mais j'ai en gardé une impression. Pendant que l'ardeur des célébrations de la fête du Canada semble s'intensifier dans la capitale, celle de notre fête nationale, au Québec, m'apparaît tiédir… Peut-être mon opinion serait-elle différente si je demeurais dans Hochelaga-Maisonneuve, ou à Saint-Hyacinthe, ou à Québec… Mais je suis sur la ligne de front, à la frontière, dans l'ombre de la Tour du Parlement… Tout de même…
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