lundi 16 septembre 2013

S'élever au-dessus de l'immédiat

J'ai beau essayer de prendre un recul, de faire la part des choses, j'ai ces jours-ci une impression d'isolement après une dérive médiatique peu caractéristique. Au fil des ans, j'ai durci ma carapace face aux débordements d'Anglo-Canadiens à notre endroit. Ayant grandi en Ontario, on vit ça en première ligne. Mais ces jours-ci, dans le cadre du débat sur le projet de charte québécoise des valeurs, j'ai lu dans la presse francophone des textes qui m'ont fait sursauter.

Rarement aura-t-on vu un projet qui s'insère dans la continuité historique du Québec, de l'Occident et de la planète soulever autant de muscle verbal dans les médias québécois. L'interdiction de signes religieux ostentatoires pour les fonctionnaires et autres représentants de l'État ferait-il de nous une bande de peureux, de xénophobes, de chasseurs d'immigrants, l'écume à la bouche... Ici et là, fait qui me paraît exceptionnel, le mot « honte » a même fait surface, tout comme son équivalent québécois plus typique, « pas fier »... Y a-t-il pire reproche que de dire à quelqu'un qu'on en a honte? À tort ou à raison, plusieurs ont perçu tout au moins une apparence de mobilisation médiatique contre le projet de charte des valeurs... particulièrement à Montréal.

Pourtant, s'il y a une classe de gens dans la société (autre que les professeurs d'histoire) qui doit pouvoir s'élever au-dessus de l'immédiat et ne pas perdre de vue la grande perspective historique, c'est bien celle des médias. Peut-être les plus jeunes journalistes ont-ils moins appris l'histoire du Québec et du Canada que les générations plus anciennes, mais la presse écrite et électronique compte assez de vieux croutons comme moi pour pouvoir se souvenir de l'époque où l'Église se confondait souvent à l'État, et pour avoir la capacité de tisser les liens essentiels entre ce qui s'est passé jadis et ce qui arrive aujourd'hui dans notre coin de pays.

Le mouvement pour la laïcité, pour une nette séparation entre l'Église et l'État remonte au moins à la première moitié du 19e siècle. Les écrits de Garneau et des Patriotes, puis des porte-étendards de l'ancien Institut canadien de Montréal, ainsi que l'oeuvre de certains poètes et de journalistes comme Arthur Buies attestent des racines profondes  d'un élan qui semble vouloir aboutir en ce début de 21e siècle. Cette transition a pris son virage décisif au 20e siècle, d'abord au ralenti, puis de façon accélérée avec l'arrivée de la télévision au début des années 50, puis avec les Trudeau, Lévesque et autres ténors de la Révolution tranquille et de ses séquelles. La laïcisation de la société québécoise s'est faite sans trop de heurts, au cours des années 60 et 70.

La chute dramatique du taux de natalité, combinée à une croissance de l'immigration, a posé des défis identitaires auxquelles la Loi 101 a répondu. Mais ce n'était qu'une question de temps, avec la montée d'intégrismes chrétiens, musulmans et autres, avant que la laïcité ou la neutralité de l'État ne remonte à la surface. Des demandes d'accommodements au début des années 2000 ont provoqué la formation de la Commission Bouchard-Taylor par le gouvernement Charest. Son rapport n'a pas vraiment eu de suite, mais les questions posées restaient. La réponse proposée par le gouvernement de Pauline Marois nous fait passer à une nouvelle étape, dans ce cheminement collectif vers une solution plus durable.

Le projet de charte des valeurs ne constitue pas un événement anodin, loin de là, mais ce n'est pas non plus un cataclysme qui ramènera le Québec au temps de Duplessis. La table aurait pu être mise pour une discussion civilisée, tissée de critiques négatives et constructives, tant sur les principes que sur les moyens employés. On devait s'attendre, vu l'objectif constitutionnel ultime du PQ, que les partis fédéraux et l'Opposition à Québec tentent de faire du débat une chicane axée sur l'identitaire, mais les grands principes en cause relèvent bien davantage des assises de la démocratie, de l'égalité et d'autres droits et libertés qui font l'objet d'échanges dans nombre de pays. Éventuellement, le débat serait sans doute revenu davantage sur ce terrain.

Cependant, selon ma perception, l'intervention dramatique du « quatrième pouvoir » - les médias - a rendu plus ardu un dialogue posé et serein. J'avoue mon parti pris en faveur de cette charte, en dépit de réserves sur certains détails. Peut-être suis-je influencé par cette position de longue date en faveur du principe de neutralité de l'État, position renforcée par l'apparition de mouvements intégristes militants qui menacent cette neutralité et attaquent des valeurs fondamentales, dont l'égalité femmes-hommes. Quoiqu'il en soit, j'ai vu ces dernières semaines des textes et des titres que je jugeais tendancieux, des commentaires que je jugeais déplacés, et j'en ai conservé une impression générale désagréable.

Évidemment, il y avait pire dans les médias sociaux, mais au moins là, les excès me paraissaient davantage équilibrés entre les deux camps. Chaque cohorte avait son diable, ses racistes, ses rednecks, ces étroits d'esprit qu'on préférerait voir chez les adversaires plutôt qu'à ses côtés... D'autres, s'inspirant d'abord de motifs plus nobles, finissaient eux aussi par être aspirés dans le tourbillon. Et dans tout ce mélimélo, de temps en temps, quelques bons papiers tentaient - bien vainement - de faire la part des choses...

L'opinion publique semble avoir évolué depuis quelques semaines, et je suis persuadé que l'offensive médiatique y est pour quelque chose. On dirait que le ton commence à changer, mais il faudra un jour que des organismes professionnels sérieux, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec par exemple, se penchent sur le rôle joué par les médias entre la fin d'août et la mi-septembre 2013. Loin de moi de vouloir jouer le censeur, ce n'est pas mon genre, mais je crois à une saine et constante remise en question au sein de la profession journalistique. Et je crains que ces dernières semaines n'aient pas été notre moment le plus glorieux...

Peut-être une recherche plus systématique démontrera-t-elle l'inexactitude de mon jugement actuel. Je le souhaite ardemment, et serai des plus heureux de me repentir sur la place publique.





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