mardi 3 novembre 2015

La souveraineté du Québec: délaissée, ou extirpée?

Ce matin, pour une rare fois, un titre du Devoir m'a beaucoup déçu. Disons qu'avant de me décevoir, il m'a coupé le souffle. «Les forces vives de la société délaissent la souveraineté du Québec»… Quoi? Les «forces vives», cette masse d'individus et d'organisations qui contribue le plus à améliorer la société (c'est le sens habituel de «forces vives»), aurait été souverainiste et maintenant elle délaisse l'option qu'elle appuyait jadis?

Mais c'est énorme comme affirmation, et c'est faux. Si le responsable du titre s'était contenté d'affirmer que les milieux les plus favorables au projet d'indépendance en 1995 l'étaient dans une proportion moindre aujourd'hui, c'eut été un moindre mal. Mais non. Un des maux du journalisme actuel est de trop souvent de s'éloigner des faits, et de mal interpréter ceux que l'on conserve. Allons y point par point.

D'abord situons l'événement. Il s'agit d'une conférence d'un sociologue de l'Université Laval, Simon Langlois, prononcée dans le cadre d'un colloque intitulé «La démocratie référendaire dans les États plurinationaux», les 29 et 30 octobre. L'auteur du texte, Robert Dutrisac, y va de façon bien plus précise dans son premier paragraphe:

«Les porteurs de l'élan souverainiste, ces francophones actifs de la classe moyenne qui avaient voté Oui à 70% lors du référendum de 1995, ne sont plus que 40% à embrasser l'option. Les femmes dans ce groupe ont délaissé le projet souverainiste dans une plus grande proportion que les hommes tandis que l'appui des jeunes à l'indépendance s'est érodé.»

De «porteurs de l'élan souverainiste» à «forces vives de la société», il y a tout un pas que les faits tels que présentés n'autorisent pas à franchir. Je ne suis pas sociologue, mais je suis prêt à parier que des milliers de Québécois non-souverainistes font et faisaient partie des «forces vives de la société»… Des syndicalistes, des membres d'associations communautaires, des travailleurs et travailleuses de la santé, de l'éducation, et bien d'autres… Dans ces milieux bien des gens se mobilisent pour améliorer la société mais tous, toutes ne sont pas indépendantistes… Loin de là...

Une bonne partie de ces «porteurs de l'élan souverainiste» comptaient sans doute parmi les «forces vives de la société», mais d'autres qu'eux, partisans d'options divergentes, les côtoyaient dans ce noyau sociétal actif. Ainsi, laisser entendre - comme dans le titre du Devoir - que les «forces vives de la société» étaient globalement souverainistes constitue une affirmation erronée.

Le deuxième élément contestable de ce titre, c'est le mot «délaissent». Au strict sens littéral, j'imagine que l'emploi de ce terme se défend. Ce que j'aime moins, c'est qu'il suggère: que l'abandon ou l'éloignement de l'option souverainiste émane de la volonté individuelle ou collective de ces gens qui, en 1995, appuyaient le «Oui».

N'ayant pas lu le texte original de la conférence de Simon Langlois, je ne sais pas s'il aborde cet aspect de la question. Dans le papier du Devoir, l'impression laissée, tant par l'interprétation des données statistiques que par quelques commentaires rapportés de M. Langlois, c'est que le PQ et le projet d'indépendance de 1995 étaient en partie vus comme «un projet de transformation de la société» et qu'aujourd'hui, ils le sont nettement moins, notamment sous la direction de Pierre Karl Péladeau.

D'autre part, évoquant la diminution marquée de l'appui à la souveraineté chez les 18 à 24 ans (de 55% en 2001 à 32% ces dernières années), le texte pointe du doigt deux groupes de jeunes: les capitalistes en herbe, qui «n'ont pas besoin de l'indépendance pour réussir», et les gauchistes pour qui le projet du PQ est un peu «ringard»… Quant au reste des jeunes (la majorité sans doute), on ne sait pas trop.

Je reviens au mot «délaisser», qui me chicote. Depuis 1995, la société québécoise a vécu dans un monde où les gouvernements fédéral et québécois (ce dernier depuis 2003) ont martelé sans arrêt - avec l'appui très majoritaire des grandes pages d'opinion médiatiques - un message résolument anti-souverainiste et occasionnellement (surtout d'Ottawa) anti-québécois. Cela aurait-il eu un effet plus que marginal sur l'évolution de l'opinion publique?

Le texte du Devoir affirme que les jeunes ont «une profonde identité québécoise» (aucune proportion mentionnée ici) et pourtant, les recensements fédéraux successifs démontrent une érosion de la langue française, et ce, même dans certaines régions du Québec, notamment dans la grande région montréalaise et en Outaouais. Les taux croissants de bilinguisme dans certaines régions annoncent un processus d'assimilation que connaissent bien les minorités francophones hors-Québec ainsi qu'un glissement identitaire qui se manifestera davantage dans la prochaine génération.

Je n'ai pas de certitudes concernant ces phénomènes, mais j'ai la conviction qu'à l'affirmation «les forces vives de la société délaissent la souveraineté» on pourrait substituer «la souveraineté a été extirpée des forces vives de la société» et que l'opposition des deux thèses susciterait un débat pertinent. Je pense qu'une question à M. Langlois sur le rôle de la propagande gouvernementale et du martèlement médiatique n'aurait pas été de trop…

Personnellement, je trouve assez remarquable, dans la situation de relative impuissance où se trouvent les organisations souverainistes depuis le référendum de 1995, que l'appui à l'indépendance du Québec se maintienne à des niveaux aussi impressionnants. La légère - mais réelle - remontée du Bloc québécois le 19 octobre montre que même sans appui médiatique et face à de fortes vagues contraires, le message souverainiste reste actuel et convaincant.

Et j'ajouterais, comme conclusion, que s'il est vrai que les appuis à la souveraineté ont diminué depuis 1995, rien (dans ce texte ni ailleurs) ne démontre que l'appui au fédéralisme (concept que peu de gens comprennent) a augmenté. Le mouvement d'opinion m'apparaît plus comme un sentiment anti-séparatiste que pro-canadien. C'est une force d'immobilisme qui sert bien les gouvernements libéraux actuels, mais qui peut difficilement être associée aux forces vives de la société… Entre rejeter l'indépendance et s'engager à contribuer au renouveau de la fédération canadienne, il y a un pas que très, très peu de Québécois ont franchi…



1 commentaire:

  1. La décanadianisation du Québec s’accélère
    ….. en 2015, nous serions toujours à 58% (66% CHEZ LES JEUNES)

    Plus que les sondages … il y a les tendances…
    • 1965, 15% pour la souveraineté (Trudeau arrive à Ottawa pour sauver le Canada!)
    • 1980 référendum, 40% pour la souveraineté!
    • 1995 référendum volé, près de 50% pour la souveraineté!
    …….. 2011 60%?????
    ….. en 2015, nous serions toujours à 58% (66% CHEZ LES JEUNES)


    http://www.vigile.net/La-decanadianisation-du-Quebec-s

    http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/la-decanadianisation-du-quebec-saccelere/7024/
    Alors, commente Jack Jedwab, “ce qui m’inquiète est que la totalité des groupes de moins de 65 ans se sentent très détachés du Canada”. Jack est, comme chacun le sait, un fédéraliste convaincu. Il a de bonnes raisons d’être inquiet.

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