lundi 10 août 2015

La «Déclaration de Sherbrooke» du NPD refait surface...

Adoptée par le Nouveau Parti démocratique en 2005, la «Déclaration de Sherbrooke» ressurgit de temps à autre. Pas très souvent. La semaine dernière, c'est le chef libéral, Justin Trudeau, qui a brandi devant Thomas Mulcair le passage le plus cité de cette «Déclaration», celui qui «reconnaît une décision majoritaire (50% + 1) des Québécois et des Québécoises, advenant la tenue d'un référendum visant à modifier le statut politique du Québec».

Mais la «Déclaration de Sherbrooke» (voir texte complet à http://bit.ly/1ht1MGV), c'est bien plus que ça. Ce document adopté par la section québécoise du NPD et endossé par l'ensemble du parti ne se contente pas de fixer le seuil d'une possible sécession du Québec. Il propose une vision globale des relations entre le Québec et le reste du pays, et un projet de fédéralisme «asymétrique» qui pourrait, à la longue, modifier en profondeur le profil politique et constitutionnel du Canada.

Pour le meilleur ou pour le pire? Difficile à dire… Le NPD doit d'abord former un gouvernement à Ottawa, ce qui n'est pas assuré, puis décider - une fois au pouvoir - de brasser une marmite constitutionnelle figée depuis plus de 30 ans… ce qui n'est guère assuré non plus… Mais supposons un instant que ce soit du sérieux et que la Déclaration de Sherbrooke devienne l'instrument du pouvoir fédéral canadien. De quoi le pays aurait-t-il l'air?

Fidèle aux traditions néo-démocrates interventionnistes et centralisatrices, Ottawa envahirait de plus en plus les domaines de compétence provinciale… mais seulement dans les provinces à majorité anglophone. Le Québec, à chaque intrusion fédérale autorisée par le Canada anglais, aurait droit de retrait avec compensation financière. Cela correspond à la vision que présente le NPD des aspirations nationales des Anglo-Canadiens et des francophones du Québec.

Je cite ici la Déclaration de 2005 du NPD:

«La construction de l'État moderne et d'un projet de société pour les Québécoises et Québécois s'est fait principalement autour de l'État québécois. (…) Dans ce contexte, le rôle de l'État fédéral était plus souvent qu'autrement perçu comme étant secondaire ou périphérique. Cette vision contraste évidemment avec celle portée par une majorité des gens des autres provinces, qui voient le gouvernement fédéral comme étant leur gouvernement "national", avec un rôle secondaire aux provinces.»

Voilà le coeur de l'asymétrie néo-démocrate. Deux gouvernements nationaux pour deux nations. Québec, gouvernement national des francophones. Ottawa, gouvernement national des Anglo-Canadiens. Pour les Québécois, Ottawa demeure secondaire ou périphérique… Pour la majorité anglo-canadienne des autres provinces, les gouvernements provinciaux sont perçus comme secondaires…

Mais attention… cela n'accroît en rien les pouvoirs du Québec au sein de la fédération. Seuls les pouvoirs d'Ottawa augmentent, à chaque concession des neuf provinces anglophones. Québec obtient le droit de conserver (avec compensation) les pouvoirs que les autres provinces pourraient céder à Ottawa, mais n'obtient aucun nouveau pouvoir appartenant jusque là au gouvernement fédéral. Pour le Québec c'est le statu quo, pendant qu'Ottawa fait le plein de nouvelles juridictions… 

On pourrait voir apparaître des programmes fédéraux dans de nombreux domaines de compétence provinciale - garderies, éducation, santé, logement, infrastructure municipale et bien d'autres… Les provinces à majorité anglaise deviendraient ainsi au fil des ans des puissances diminuées, et le concept (essentiel au fédéralisme) de l'égalité et de l'indépendance entre les niveaux de gouvernements subirait une érosion fatale. Le Québec finirait par être la seule province avec suffisamment de pouvoirs pour justifier l'appellation «fédérale» du régime canadien… 

Déjà aujourd'hui, le Québec dispose d'outils limités contre un pouvoir fédéral omniprésent de dépenser et des tribunaux constitutionnels qu'il ne contrôle pas… Imaginez la situation dans un monde où Ottawa - avec la bénédiction de neuf provinces - envahirait systématiquement des champs de compétence que la Constitution de 1867 et de 1982 lui avaient refusés… Ce serait David contre Goliath...

Est-ce vraiment, comme le dit la Déclaration de Sherbrooke, «la meilleure façon de conjuguer l'État fédéral canadien avec la réalité du caractère national du Québec», pour que ce dernier puisse «relever les défis qui lui sont propres, notamment dans le maintien du fait français en Amérique»?

La réponse à cette question appartiendra toujours aux Québécoises et aux Québécois. Et là, heureusement, le NPD reconnaît «le droit du Québec à l'autodétermination», un droit qui «peut s'exprimer de différentes manières et peut aller jusqu'à l'accession à la souveraineté». Dans un fédéralisme asymétrique où Ottawa se donnerait un statut hiérarchique nettement supérieur aux neuf provinces anglophones, et où le Québec risquerait de devenir le seul rempart contre une centralisation excessive, ce droit à l'autodétermination resterait une bouée de sauvetage…

Mais à bien y penser, pourquoi perdre de précieuses décennies à faire l'expérience douteuse d'une asymétrie fondée sur l'appétit de puissance d'Ottawa et le droit de retrait du Québec? Nous avons une ultime chance de créer un pays à notre image. Mieux ça que de passer notre temps à faire du surplace et à tenter d'assurer notre spécificité en exerçant notre droit de ne pas participer aux projets centralisateurs des Anglo-Canadiens...





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