vendredi 19 décembre 2014

Les Franco-Ontariens et le Québec… suite.

J'avais de la difficulté à croire que j'avais bien compris ce que j'avais lu dans la page éditoriale de mon ancien quotidien, Le Droit, en ce 15 décembre 2014. Sous la rubrique Opinion, à l'endroit où les lecteurs et lectrices auraient dû se voir offrir un éditorial maison (le journal avait supprimé l'édito du lundi en juillet 2013, sans en informer ses abonnés), un professeur de l'Université d'Ottawa, Gilles LeVasseur, signait un texte parfois abracadabrant intitulé Les Franco-Ontariens et le Québec (http://bit.ly/1wTxinL).

L'objectif de l'article, certes louable, semblait être d'encourager les efforts de collaboration entre le Québec et de l'Ontario en matière de francophonie, ainsi que de faire la promotion des collectivités francophones hors Québec, et des Franco-Ontariens en particulier. Le texte contient cependant trop d'énormités pour laisser passer sans réplique. N'ayant plus accès aux pages du Droit, j'utilise le moyen le plus efficace qui me soit accessible: mon blogue, que je peux toujours diffuser par les réseaux sociaux.

Commençons par le pire. Je cite le professeur LeVasseur: «Il est certain qu'un appui politique (du Québec) aux revendications historiques des Franco-Ontariens est souvent une arme à deux tranchants pour le Québec: reconnaître des droits aux francophones (en Ontario) implique une réciprocité aux Anglo-Québécois, chose pas toujours facile à accepter au Québec». Déjà, il y aurait là de quoi se mettre en colère. Non, mais dans quel pays, dans quel univers, vit l'auteur de ces lignes?

Il écrit en toutes lettres que le Québec, en appuyant les «revendications historiques» des francophones de l'Ontario, devra reconnaître ces mêmes droits aux Anglo-Québécois!!! C'est incroyable. Les Anglo-Québécois ont toujours eu, depuis bien avant la Confédération, tous les droits (et plus encore!) qu'ont historiquement revendiqués les Franco-Ontariens. Ce sont les francophones de l'Ontario qui ont toujours tenté d'obtenir une certaine réciprocité devant la surabondance de droit et privilèges consentis à leurs concitoyens anglophones du Québec. 

Quand y a-t-il eu un règlement 17 au Québec contre les écoles anglaises? Quand, au Québec, a-t-on interdit l'enseignement en anglais après la deuxième année du primaire dans toutes les écoles de langue anglaise? Les Anglo-Québécois ont-ils dû attendre 100 ans pour obtenir un réseau scolaire primaire et secondaire bien à eux, et plus de 125 ans pour en exercer la gouvernance? N'y a-t-il pas trois universités de langue anglaise au Québec, alors que les francophones de l'Ontario mènent un combat (perdant, jusqu'à maintenant) pour en avoir une seule qui soit bien à eux?

On pourrait continuer les comparaisons pendant des pages et des pages, sur le même ton. Et les premiers à refuser d'envisager une réciprocité avec les Franco-Ontariens seraient les membres les mieux informés de la minorité anglo-québécoise. Ils savent que réciprocité, pour eux, signifierait un recul historique et une réduction de la place privilégiée de l'anglais au Québec.

Les États généraux de 1967

Continuons. L'auteur, évoquant la récente entente Québec-Ontario en matière de francophonie, écrit qu'il s'agit «d'une étape cruciale afin que le Québec puisse corriger la faille créée par les États généraux de 1967 où les Canadiens français ont cessé d'exister comme concept identitaire au profit d'une identification provinciale. Devant la volonté de se décrire comme Québécois, les Canadiens français de l'Ontario sont ainsi devenus Franco-Ontariens.»

Les États généraux du Canada français de 1967 ont certes marqué l'évolution des rapports identitaires entre les francophones du Québec et ceux des autres provinces, mais décrire ainsi cet événement relève de la quasi fiction. D'abord la «faille» (la montée d'un nationalisme québécois qui semblait exclure les autres Canadiens français et les Acadiens) n'a pas été créée par les États généraux, même si ceux-ci ont offert un forum lui permettant de s'exprimer. Quelques siècles d'histoire aboutissant à la Révolution tranquille avaient contribué à forger les traits identitaires des collectivités francophones d'ici. Les États généraux (qui n'étaient pas une émanation du gouvernement québécois) n'auront été que l'arène dans laquelle des tenants des différentes tendances de l'heure se sont finalement dit, en public, leurs quatre vérités…

On croirait, à lire cet article, que les francophones de l'Ontario se sont définis comme Franco-Ontariens à cause d'une décision quelconque des francophones du Québec, aux États généraux, de se dire Québécois plutôt que Canadiens français. Il y a du vrai là-dedans dans la mesure où les États généraux s'inscrivent dans un grand courant historique, mais la redéfinition identitaire était déjà amorcée depuis le début du 20e siècle. Elle s'est accélérée dans les années 1960 et après, tout comme l'évolution des peuples un peu partout ailleurs. Et l'ACFO d'Ottawa, dans un sondage des années 1990, a découvert que dans la génération des 18-24 ans, l'identité franco-ontarienne était désormais au second rang, derrière l'identité «bilingue»…

L'immigration francophone…

M. LeVasseur écrit aussi: «L'immigration francophone devient un outil de développement de l'espace francophone canadien et le fédéral doit agir rapidement afin de maintenir la portion francophone de la population dans les communautés de l'ensemble du Canada. L'augmentation de l'immigration francophone est essentielle à la vitalité de la communauté franco-ontarienne et leur épanouissement est renforcé par l'appui du Québec.»

Ai-je bien compris que le rôle du gouvernement canadien serait de diriger des immigrants de langue française vers les régions anglophones du pays pour y maintenir la proportion (depuis longtemps en baisse) des francophones? Il faudrait l'annoncer au premier ministre Harper, ainsi qu'à ses prédécesseurs et à ses successeurs potentiels, qui n'ont sans doute jamais entendu parler de ce mandat. D'ailleurs, sauf pour les moments précis où le Québec tenait le pays en haleine, le gouvernement fédéral a rarement appuyé les francophones contre les majorités, et les dirigeants conservateurs actuels ne font pas exception.

Veut-on vraiment croire qu'un gouvernement majoritairement anglophone, qui peine à faire respecter sa loi sur les langues officielles (pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire les rapports annuels du Commissaire fédéral aux langues officielles), que ce gouvernement va expédier à Ottawa, Toronto, Hamilton ou Sudbury des milliers d'immigrants francophones pour que la proportion de citoyens de langue française reste supérieure à 3 ou 4% dans la province? Et quand on sait que les Franco-Ontariens eux-mêmes peinent à conserver leur langue dans plusieurs régions, comment croire que l'immigrant puisse résister plus longtemps que ceux et celles qui vivent ici depuis des générations?

Si, comme le prétend M. LeVasseur, l'immigration francophone est essentielle «à la vitalité de la communauté franco-ontarienne», l'avenir paraît plus que sombre. Mais je doute que les dirigeants franco-ontariens l'appuient bien longtemps dans cette thèse après avoir décortiqué les différentes composantes qui influent sur la conservation ou l'abandon du français en Ontario…

Les vieux stéréotypes…

Une petite dernière, ce texte étant déjà trop long… L'auteur écrit: «Les Franco-Ontariens sont un pont permettant aux Québécois d'apprivoiser l'Ontario qui est souvent perçu avec de vieux stéréotypes du passé.» Que les Franco-Ontariens aient des choses à apprendre aux Québécois, je n'en doute pas une seconde. Notamment en matière de transferts linguistiques et en éducation. Mais croire que le Québec puisse «apprivoiser» l'Ontario en utilisant les Franco-Ontariens comme «pont»? J'aimerais qu'on m'en fasse la démonstration…

Quant aux vieux stéréotypes du passé, je souhaiterais plutôt qu'on discute de ceux que trop d'Ontariens anglophones entretiennent à l'endroit du Québec et de la langue française...

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