dimanche 21 décembre 2014

La pauvreté d'une mère, les milliards des banques… C'est Noël!

Je viens de relire la lettre d'une mère du quartier Rosemont de Montréal qui raconte, de façon émouvante, la vie quotidienne d'une famille en situation de pauvreté, et je suis outré, indigné… Non, pire, je suis en colère. Pas une colère qui mène à la violence. Ça, jamais! Je suis pacifiste jusqu'à la moelle. Une colère saine. Dans l'esprit de Noël, on pourrait presque dire une sainte colère…

Il ne s'agit pas ici de statistiques, d'un rapport d'agence ou des déclarations d'un ministre ou député… c'est la réalité d'une mère qui pleure en lisant la liste de cadeaux de Noël de ses enfants qui espèrent une carte cadeau de pharmacie ou des vêtements neufs… et qui ne les auront pas... La réalité d'une mère qui ne peut jamais offrir de viande, de jus ou de fruits frais à ses jeunes de 11 et 12 ans parce que ça coûte trop cher… La réalité d'une famille où les enfants doivent demander la permission avant de prendre un aliment dans le garde-manger parce que tout est calculé… La réalité de vêtements d'hiver qu'on ne pourrait se payer sans l'aide de voisins ou de proches… La réalité d'une maman qui se prive de nourriture pour que ses pré-ados en aient suffisamment…

S'il n'était question que d'un individu, d'une seule famille, un élan de solidarité communautaire (cela se produit déjà pour cette jeune mère monoparentale) réglerait le problème. Mais des centaines, des milliers, des dizaines de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants d'ici font face aux mêmes problèmes. Parlez-en à des organismes comme Centraide ou aux banques alimentaires. La clientèle augmente sans cesse et de plus en plus de gens, jadis de la classe moyenne, se retrouvent pauvres, avec des revenus stagnants ou en baisse pendant que le coût de la vie, lui, monte sans cesse!

En songeant à cette mère qui se lève tous les matins avec comme but ultime que ses enfants «aient avalé trois repas soutenants et qu'au coucher, leur faim ait été comblée», je ne peux m'empêcher de penser que les banques canadiennes viennent d'engranger des profits de 33 milliards de dollars, trop souvent à nos dépens, que leurs dirigeants se paient des salaires et primes faramineux, et que la plupart de leurs actionnaires pourraient bien se passer d'une partie appréciable de ces profits.

Pendant que la maman de Rosemont voit chaque hiver venir avec appréhension, se demandant comme elle fera pour habiller chaudement ses enfants, je vois, dans une chronique de La Presse, que la société Bombardier vient de siphonner 500 millions de dollars de profits dans des comptes au Luxembourg pour éviter d'avoir à payer des impôts chez nous! C'est légal, mais tout à fait immoral! Combien de sociétés d'ici et d'ailleurs font la même chose? Pendant ce temps, l'État, privé de ressources fiscales, coupe des services destinés aux gens comme cette mère de Montréal…

Pendant que les deux enfants de cette maman jettent les prospectus d'activités parascolaires sans même les lui montrer (parce qu'ils savent qu'elle n'a pas les moyens de les y inscrire), des spéculateurs boursiers continuent, comme des sangsues, à accumuler des fortunes jusqu'au prochain krach, alors que les victimes seront encore de simples épargnants qui ont confié leurs économies à des vautours, ou des travailleurs et travailleuses qui verront disparaître une partie ou la totalité de leurs régimes de retraite…

Pendant que cette mère doit annuler le service de garde à l'école et s'occuper presque à temps plein d'un enfant aux prises avec une forme d'autisme, je constate qu'on a élu, à Québec (et à Ottawa) un gouvernement au service des riches et puissants et qui, avant d'aller chercher des revenus dans les poches des classes les plus aisées, n'hésitera jamais à pénaliser les citoyens ordinaires en leur expliquant, avec des instruments de propagande publics et privés que le citoyen ordinaire ne peut concurrencer, que c'est pour leur propre bien qu'on augmente les taxes et coupe des services. Et que l'enfant ayant des besoins spéciaux à l'école se débrouille…

Pendant que cette maman avoue «haïr Noël», devenu une orgie de consommation, je ne peux m'empêcher de songer à toutes ces publicités que l'on voit à la télévision, sur Internet, ou dans les journaux et magazines, des publicités qui ont coûté des milliards de dollars, dont le seul objectif est de nous amener à dépenser toujours plus pour engraisser les profits de méga-entreprises qui traitent mal leurs employés et qui sont trop souvent peu scrupuleuses en matière de marges de profit et d'environnement. Le public n'a pas assez de sous pour acheter? D'autres publicités expliquent comment s'endetter davantage en empruntant…

Et il y a cette manie - très médiatique - de régler une à la fois, ou quelques-unes à la fois, les urgences de personnes comme la mère monoparentale de Rosemont… sans jamais s'attaquer à la source du problème, sans remettre en question ces 33 milliards des profits des banques, sans contester les revenus obscènes des pétrolières et d'autres géants financiers, sans s'opposer à toute cette concentration du pouvoir et des richesses entre les mains d'une infime minorité qui exerce un contrôle sur la plupart de nos gouvernements --- et sur nos grands médias (ceux qui nous expliquent comment tout cela fonctionne… pour notre bien...).

Les citoyens comme individus se sentent impuissants face au pouvoir. Les organisations de défense des démunis crient dans le désert. Les syndicats proposaient jadis un changement social, mais ont baissé les bras depuis longtemps. Aujourd'hui, nos mouvements syndicaux ne sont plus vraiment porteurs d'un projet de société plus juste et plus démocratique.

Le vieux rêve social-démocrate d'une répartition plus équitable des biens et revenus avec notre seul outil collectif, l'État, s'effrite sous les coups de boutoir d'une minorité toute puissante qui s'efforce de réduire le rôle de l'État au moyen de coupes sauvages, de privatisations (c.-à-d. remettre les biens et services de la collectivité à quelques propriétaires privés déjà trop riches, qui s'en serviront pour s'enrichir davantage…) et de déréglementations (en permettant à ces propriétaires privés de se soustraire aux règles publiques pour faire tout ce qui leur plaît, pour leur profit et non le nôtre).

Pendant ce temps, une mère de Rosemont et ses enfants rêvent de s'en sortir. Lise Payette écrivait vendredi dans les pages du Devoir: «Quand nous serons tous assez indignés, nous serons invincibles.» Après Noël viendra le Jour de l'An, le moment de prendre de bonnes résolutions. Le moment de se dire, comme jadis Jean Lesage et son équipe, «il faut que ça change». Et peut-être, enfin, finir par se donner les moyens collectifs d'y arriver…

Entre-temps, je m'apprête à fêter avec les miens, dans l'amour, la paix et la fraternité, Celui dont on commémore la naissance tous les 25 décembre. Celui qui a vu le jour dans la pauvreté et qui a semoncé les riches et puissants de son époque. J'ai la conviction que s'Il revenait aujourd'hui, et voyait cette mère de Rosemont et ses semblables, et les fortunes scandaleuses construites sur l'appauvrissement des autres humains, nous aurions de nouveau droit à une Sainte colère.

À tous, à toutes, malgré tout, un très joyeux Noël!








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