Dans la petite municipalité de Shawville, au moins jusque dans les années 1990 (peut-être est-ce toujours le cas), les membres de la Royal Canadian Legion hissaient l'Union Jack sur le mât, devant leur local situé sur l'une des rues principales. On entendait parfois les francophones parler en dérision de « Shawville, Ontario », tellement on s'y sentait peu au Québec. Encore aujourd'hui, selon le recensement de 2011, près de 1100 des 1575 résidents de Shawville sont unilingues anglais. Et sur les 150 francophones qui y habitent, on n'en compte que 95 qui utilisent surtout le français à la maison. On se croirait en effet en Ontario...
Il est grand temps que le Québec puise dans l'arsenal des communautés francophones hors-Québec, qui ont une grande expertise en techniques de lutte contre l'anglicisation, pour porter secours aux Pontissois francophones, toujours obligés de lutter pour leur survie culturelle 35 ans après l'adoption de la Loi 101. Présentement, seul le déclin démographique du Pontiac semble les sauver de l'asphyxie, étant donné qu'une majorité des 5000 résidents qui ont quitté la région depuis les années 1970 proviennent à première vue de la majorité de langue anglaise.
Mais ils sont loin d'être sortis du bois. Voici le portrait que trace de la francophonie du Pontiac le recensement de 2011, dont les données ont été rendues publiques le 24 octobre. Statistique Canada a beau nous mettre en garde contre toute comparaison (voir http://bit.ly/QNyD7s), ce sont les seules données crédibles récentes que nous avons. Nous suivrons la carte ci-dessous d'ouest en est, de Rapides-des-Joachims et Sheenboro à Bristol.
Carte de la région de Tourisme Pontiac (au nord-ouest, direction Témiscamingue; au sud-est, frontière de la municipalité de Pontiac, secteur Quyon-Luskville, en direction de Gatineau).
Rapides-des-Joachims est une localité totalement isolée du reste du Québec, située sur une île dans la rivière des Outaouais entre le Pontiac et le Témiscamingue, liée par un pont à l'Ontario. Même son code régional téléphonique est celui de l'Est ontarien (le 613 et non le 819). Selon le recensement, il n'y a là que 135 personnes, dont 55 ont le français comme langue maternelle (45 des 55 utilisent surtout le français à la maison). Le seul moment où l'on entend parler de Rapides-des-Joachims, en Outaouais, c'est à la St-Jean, que le minuscule îlot francophone persiste à célébrer.
Le Pontiac commence en réalité avec Sheenboro, où la population est essentiellement concentrée au sud-est, près de l'Isle-aux-Alumettes et Chichester. Nous sommes ici dans la partie la plus « ontarienne » du Pontiac, et les liens sont bien plus avec Pembroke, en Ontario, qu'avec la ville de Gatineau. La route 148 se termine ici à la frontière ontarienne, au lieu de poursuivre sa montée nord-ouest vers Rapides-des-Joachims et le sud du Témiscamingue. Verra-t-on un jour l'Outaouais relié au Témiscamingue? Ce serait un projet valable.
Dans la grande zone formée par Sheenboro, Chichester, L'Isle-aux-Alumettes et Waltham, la seule concentration encore perceptible de francophones est sur l'Isle-aux-Alumettes, où ils constituent près du quart de la population (320 sur 1345). Dans Sheenboro, aucun des 5 francophones recensés n'utilise le français à la maison... Dans Chichester, les francophones ne forment que 10% de la population, et plus de la moitié d'entre eux sont anglicisés à domicile. Même phénomène à Waltham (21% selon la langue maternelle, 9% selon la langue la plus souvent parlée à la maison).
Sur l'Isle-aux-Alumettes (c'est véritablement une très grosse île de 264 km carrés, 22 km par 12 km, dans la rivière des Outaouais), le recensement de 2011 indique une chute de population entre 2006 et 2011, de 1440 à 1345. Le nombre d'anglophones y serait passé de 1120 à 990, et les francophones (toujours selon la langue maternelle) de 305 à 320. Le nombre de résidents parlant le plus souvent le français à la maison augmente aussi légèrement, de 190 (13% de la pop.) en 2006 à 200 (15%) en 2011. Une érosion de plus de 37%...
Le « bastion » francophone
Le seul « bastion » francophone dans le Pontiac, si l'on peut oser ce mot, gravite autour de la municipalité de Fort-Coulonge et inclut les régions périphériques de Mansfield-et-Pontefract et l'Île-du-Grand-Calumet (oui, une autre île...). Dans ces deux dernières régions, la proportion de francophones est en baisse mais ils restent majoritaires (de 83% à 80% entre 2006 et 2011 dans Mansfield-et-Pontefract et de 78% à 69% à l'Île-du-Grand-Calumet). Dans les deux cas, on enregistre des pertes quand on compare la langue maternelle et la langue la plus souvent parlée à domicile. Ici, même si l'on se trouve au Québec, la minorité anglophone anglicise lentement la majorité francophone...
À Fort-Coulonge, un second mystère du recensement de 2011. Le nombre de personnes de langue maternelle française est passé de 1090 à 1150 de 2006 à 2011, et de 1030 à 1135 selon le critère du français comme langue la plus souvent parlée à la maison. Le nombre d'anglophones aurait chuté de 270 à 180 (langue maternelle) et de 330 à 200 (selon critère de la langue la plus souvent parlée à la maison). C'est un changement énorme dans un village de 1375 habitants... et en 5 ans seulement. Il y existe encore une force d'attraction supérieure de l'anglais, mais beaucoup moindre. C'est une situation qui mérite quelques interrogations...
Entre Fort-Coulonge et Gatineau
En descendant l'Outaouais vers Gatineau, en aval de la Coulonge, le français se fait rare. Partout minoritaires, de Campbell's Bay à Bryson, de Portage-du-Fort à Bristol en passant par Shawville, et dans les contrées intérieures (secteurs Litchfield, Otter Lake, Alleyn-et-Cawood, Thorne), les francophones peinent ici à conserver leur langue pendant que les Anglo-Montréalais linguistiquement cossus se plaignent le ventre plein.
À Campbell's Bay, les taux d'assimilation (plus de 30%) s'apparentent à ceux des francophones hors-Québec. Selon le critère de la langue d'usage, le nombre de francophones y a chuté en cinq ans de 32% à 25%. Dans la petite localité industrielle de Portage-du-Fort, Selon la langue maternelle, les francophones forment 13% de la population; selon la langue la plus souvent parlée à la maison, à peine 6% ! Aussi bien dire qu'il ne reste plus de francophones à cet endroit.
À Bryson, les personnes de langue maternelle française forment 47% de la population, mais quand on applique le critère de la langue la plus souvent parlée à la maison, la proportion chute à 33%. Même phénomène à Shawville et, à un moindre degré, à Bristol. En s'éloignant de la rivière des Outaouais, dans les secteurs plus isolés de Litchfield, Thorne, Otter Lake et Alleyn-et-Cawood, rien ne s'améliore. À Otter Lake, sur 370 habitants de langue maternelle française (38% de la pop.) à peine 255 (23% de la pop.) parlent français le plus souvent à la maison... Et cette situation est typique.
S'il y a une leçon à retenir du recensement de 2011, c'est que sans intervention énergique et immédiate, la francophonie pontissoise risque d'être irrémédiablement perdue. Présentement, sauf pour Fort-Coulonge, on pourrait presque s'y croire en Ontario... Je ne veux pas minimiser les problèmes du français à Montréal et Laval, qui requièrent une attention urgente. Mais ici, aux confins de l'Outaouais, il y a une région où la francophonie est littéralement à l'agonie. Et elle se meurt dans le silence et l'indifférence. Reste-t-il quelqu'un à Québec, pour s'en inquiéter?
Un site intéressant à consulter : http://francopontissois.weebly.com/ (Une vie franco-pontissoise)
Voir aussi : Les sacrifiés de la bonne entente : histoire des francophones du Pontiac à
http://www.spl.gouv.qc.ca/fileadmin/medias/pdf/memoires/CAF_P_69.pdf
C'est le titre d'un article dans le Globe and Mail, ce matin.