mardi 27 novembre 2012
Montreal, second largest French city in the world
À ceux et celles qui, au Canada anglais, se plaignent de la « rigueur » de la Loi-101-diluée-par-la-Cour-suprême, il conviendrait de rappeler que jusqu'aux années soixante, et même jusqu'à la timide Loi 22 de Robert Bourassa et l'effort plus musclé du gouvernement Lévesque dans les années 1970, le français était littéralement bafoué dans plusieurs régions du Québec. René Lévesque parlait d'une certaine classe d'Anglo-Québécois comme de Rhodésiens...
En 1900, les francophones étaient obligés de commander leurs billets en anglais dans les tramways de Montréal. Et que penser aujourd'hui de cet extrait de la revue Vie française, publiée à Québec, à l'automne 1951 : « La ville de Québec vient de franciser son corps de police. Les gardiens de la paix seront désormais commandés en français. Espérons que cette décision incitera Montréal à en faire autant. » Ce ne sont que quelques exemples d'une situation répandue. Quand les années soixante sont arrivées, avec une jeune génération disposée à s'affirmer, le choc a été brutal.
C'est dans ce contexte d'affirmation collective que le RIN (Rassemblement pour l'indépendance matinale) a publié le 1er décembre 1965 un numéro spécial sur l'unilinguisme anglais à Montréal. On notera l'emploi de l'expression « nation canadienne-française » par Pierre Bourgault. L'appellation « nation québécoise » restait à venir. Bourgault parle encore de Canadiens français pour décrire les Québécois francophones.
Le texte - comme ce numéro spécial de la revue L'indépendance - a une valeur historique, si ce n'est que pour offrir un point de repère, ou dresser un bilan du chemin parcouru, et de la menace qui pèse toujours sur la langue française dans la métropole. À chacun de porter son jugement.
ÉDITORIAL DE PIERRE BOURGAULT
NUMÉRO SPÉCIAL DE LA REVUE L'INDÉPENDANCE, 1ER DÉCEMBRE 1965
« Ainsi M. Wagner (Claude Wagner, alors ministre dans le gouvernement Lesage) est contre la priorité du français au Québec. Il en est de même pour Mme Claire Kirkland-Casgrain (elle aussi ministre dans le même cabinet).
« M. Wagner a, lui, des motifs d'une noblesse exemplaire pour expliquer son attitude : il compte un grand nombre d'anglophones parmi ses électeurs (il était député de Montréal-Verdun), donc...
« M. Wagner, pour se faire élire, est prêt à sacrifier la nation canadienne-française. Il ne s'en cache même pas. En homme franc et honnête qu'il est, il étale sa lâcheté à la face de tous.
« Mme «Kirkland», pour sa part, a sans doute les mêmes motifs, puisque la composition ethnique de son comté (elle était députée de Jacques-Cartier) fait une large place aux anglophones. Mais elle ne le dit pas. Ce qu'elle nous dit c'est que nous devons donner l'exemple au reste du Canada, que le bilinguisme c'est bien beau, et bla, bla, bla...
« Sous ce manteau de vertu, elle oublie de nous dire que son bureau de Jacques-Cartier n'affiche qu'une enseigne en anglais, « office ».
« Devant de telles aberrations nous avons décidé de publier un numéro spécial sur l'unilinguisme à Montréal. Non pas l'unilinguisme français, mais bien l'unilinguisme anglais que nous retrouvons partout dans « la deuxième ville française du monde ».
« Il est impossible surement, à moins qu'ils soient parfaitement idiots, que MM. Wagner et Lesage, que Mme Kirkland n'aient pas constaté cet affront fait aux Canadiens français.
« Ils ne s'en étonnent même pas. Et au lieu de fustiger les anglophones pour leur manque de « bilinguisme » ils s'en prennent à ceux qui veulent faire respecter la langue de la majorité au Québec.
« Nos reportages ne donnent pas une véritable idée de la situation. La situation est bien pire encore. Mais nous avons quand même voulu démontrer que les souhaits pieux de nos gouvernements ne mènent à rien.
« Montréal est souvent presque aussi anglaise que Toronto et New York.
« Le RIN, depuis toujours, réclame l'unilinguisme français au Québec. Cela doit faire l'objet d'une loi.
« On dira que la loi ne changera pas la réalité. Et bien sûr on aura raison si on pense au genre de loi qu'on a faite dans le cas des détaillants en alimentation, où la sanction est si faible qu'il en coûte moins cher de transgresser la loi que de s'y conformer.
« Nous parlons de sanctions sévères, qui pourraient aller jusqu'au retrait du permis d'exploitation s'il s'agit d'un commerce.
« Certains prétendront que cela contribuera à faire fuir certaines entreprises installées chez nous.
« Cela n'est que du sentiment. Ce qui est vrai, c'est que ces gens font de l'argent et que tant qu'ils en feront, ils resteront même s'ils doivent le gagner en français.
« Il est temps que nous exigions le respect de notre langue et que nous « forcions » tout le monde à la respecter.
« Et que M. Lesage ne vienne pas nous répéter des sottises comme celle qu'il a proférée dernièrement : « Même la France n'est pas unilingue », s'est-il écrié.
« Il nous prend pour de parfaits imbéciles, ma foi.
« M. Lesage, que vous aimiez ça ou non, la France est unilingue française, l'Angleterre est unilingue anglaise, la Suède est unilingue suédoise, etc.
« Ce qui ne les empêche pas de pratiquer d'autres langues et d'avoir des relations internationales, bien au contraire, mais les Français travaillent chez eux en français, les Anglais en anglais, les Suédois en suédois, etc.
« C'est tout ce que nous réclamons pour les Québécois.
« Nous avons le droit nous aussi de vivre dans une situation normale. »
Pierre Bourgault
samedi 24 novembre 2012
L'unifolié à l'Assemblée nationale : le PQ, seul défenseur du fédéralisme?
Dans toute cette histoire des drapeaux au Salon rouge de l'Assemblée nationale, il paraît ironique que seul le Parti québécois se comporte en véritable défenseur du fédéralisme...
Les députés du Parti libéral et de la Coalition Avenir Québec semblent avoir oublié que dans un régime fédéral, et notamment au Canada, les États fédérés et le gouvernement de la fédération sont souverains dans leurs domaines de compétence respectifs.
En éducation, en santé et services sociaux, dans sa gestion des ressources naturelles, dans tous les domaines où il exerce ses compétences constitutionnelles, le Québec est aussi souverain que tout autre État de la planète.
Son existence ne découle pas d'une quelconque volonté du gouvernement central, dont il est l'égal. De fait, sur le plan historique, le gouvernement central existe à cause de la volonté des provinces, qui ont orchestré sa création en 1867.
Le fonctionnement de la fédération exige, entre autres, le respect des compétences de chacun. Les intrusions constantes d'Ottawa dans les juridictions provinciales menacent le régime fédéral autant qu'une éventuelle sécession du Québec.
Et alors, ces drapeaux? L'Assemblée nationale du Québec est le siège législatif d'un État souverain (dans ses domaines de compétence actuels). De la même façon, les décisions législatives fédérales se prennent au Parlement canadien.
Il n'est que normal que les symboles officiels correspondent aux juridictions. Le fleurdelisé est déployé dans les institutions et émanations du gouvernement québécois, l'unifolié dans les institutions et émanations du gouvernement canadien. Les deux flottent côte à côte quand les deux ordres de gouvernement sont présents (rencontre fédérale-provinciale, comité conjoint, etc.).
L'Assemblée nationale est le coeur de l'État québécois. S'il y a un endroit où l'unifolié n'a pas sa place, c'est bien là. On connaît les motifs du PQ dans cette affaire, comme ceux du PLQ et de la CAQ. Mais assez curieusement, dans leur désir de défendre le lien canadien, les deux partis fédéralistes créent une confusion symbolique qui déforme le principe fédéral. Et c'est le PQ souverainiste, ici, qui propose de respecter l'ordre correct des symboles.
Ottawa ne déploie que son drapeau devant les bureaux de postes et autres édifices fédéraux au Québec. Et personne ne s'en surprend. Devant les édifices du Québec, ses écoles, ses hôpitaux, on ne voit que le fleurdelisé. Et personne ne s'en surprend. La fédération est ainsi faite.
Alors comment peut-on défendre la présence du drapeau canadien à l'Assemblée nationale?
Les députés du Parti libéral et de la Coalition Avenir Québec semblent avoir oublié que dans un régime fédéral, et notamment au Canada, les États fédérés et le gouvernement de la fédération sont souverains dans leurs domaines de compétence respectifs.
En éducation, en santé et services sociaux, dans sa gestion des ressources naturelles, dans tous les domaines où il exerce ses compétences constitutionnelles, le Québec est aussi souverain que tout autre État de la planète.
Son existence ne découle pas d'une quelconque volonté du gouvernement central, dont il est l'égal. De fait, sur le plan historique, le gouvernement central existe à cause de la volonté des provinces, qui ont orchestré sa création en 1867.
Le fonctionnement de la fédération exige, entre autres, le respect des compétences de chacun. Les intrusions constantes d'Ottawa dans les juridictions provinciales menacent le régime fédéral autant qu'une éventuelle sécession du Québec.
Et alors, ces drapeaux? L'Assemblée nationale du Québec est le siège législatif d'un État souverain (dans ses domaines de compétence actuels). De la même façon, les décisions législatives fédérales se prennent au Parlement canadien.
Il n'est que normal que les symboles officiels correspondent aux juridictions. Le fleurdelisé est déployé dans les institutions et émanations du gouvernement québécois, l'unifolié dans les institutions et émanations du gouvernement canadien. Les deux flottent côte à côte quand les deux ordres de gouvernement sont présents (rencontre fédérale-provinciale, comité conjoint, etc.).
L'Assemblée nationale est le coeur de l'État québécois. S'il y a un endroit où l'unifolié n'a pas sa place, c'est bien là. On connaît les motifs du PQ dans cette affaire, comme ceux du PLQ et de la CAQ. Mais assez curieusement, dans leur désir de défendre le lien canadien, les deux partis fédéralistes créent une confusion symbolique qui déforme le principe fédéral. Et c'est le PQ souverainiste, ici, qui propose de respecter l'ordre correct des symboles.
Ottawa ne déploie que son drapeau devant les bureaux de postes et autres édifices fédéraux au Québec. Et personne ne s'en surprend. Devant les édifices du Québec, ses écoles, ses hôpitaux, on ne voit que le fleurdelisé. Et personne ne s'en surprend. La fédération est ainsi faite.
Alors comment peut-on défendre la présence du drapeau canadien à l'Assemblée nationale?
mardi 20 novembre 2012
À quand un modeste petit Plan Ouest ?
Alors qu'on nous promet toujours pour la fin de l'automne 2012 l'ouverture du dernier tronçon de 18 km de l' « autoroute » 50 (je l'écris entre guillemets parce qu'elle n'a le plus souvent que deux voies, ce qui en ferait normalement une « route » et non une autoroute), je ne peux m'empêcher de réfléchir tout haut sur le triste état du réseau routier de l'Outaouais.
Il est vrai que les gens d'ici ont généralement accepté leur sort - quand j'étais petit on disait souvent avec résignation que Hull était le trou-de-cul du Québec - et que, sauf exception, nos députés n'ont pas péché par excès de vision, mais Québec doit assumer sa part de responsabilité. L'Outaouais a été abandonné à son sort d'excroissance québécoise d'une capitale en sol ontarien. Le sud du Témiscamingue aussi.
J'ai retrouvé il y a quelques semaines des vieilles cartes routières du Québec de la fin des années 1960 et du début des années 1970, une époque où, jeune journaliste, j'avais décidé de visiter le Québec et l'Acadie sur le pouce. On y voit déjà un réseau autoroutier développé autour du Saint-Laurent, reliant Montréal à Québec, à l'Estrie, à l'Ontario et aux États-Unis. En Outaouais, zéro autoroute et beaucoup de chemins de gravelle...
J'ai couvert la toute première annonce concernant l'autoroute 50 en avril 1970. C'était une promesse électorale du gouvernement de l'Union nationale sous Jean-Jacques Bertrand. Ça fait 42 ans de bouts de route et de viaducs qui n'aboutissent nulle part alors que tout devait être terminé à la fin des années 1970... Ces bouts de route servent de promesses électorales depuis plus de quatre décennies! Et les ministres péquistes, autant que les autres, prenaient la 417 de l'Ontario pour se rendre à Ottawa et Hull-Gatineau...
Mais au-delà des vieilles récriminations autoroutières, ce qui frustre le plus, c'est que les routes de l'Outaouais, et en particulier le réseau urbain de Gatineau (4e ville du Québec, soit dit en passant), aboutit invariablement à un pont vers l'Ontario. Quand on regarde la carte, en 1970 comme en 2012, les routes donnent l'impression d'être des tentacules d'Ottawa - la vraie « capitale » de l'Outaouais.
La région de la capitale canadienne compte une population de plus de 1 200 000 habitants, dont environ 275 000 dans Gatineau et ses banlieues. L'axe démographique et économique est nettement nord-sud et depuis la fin des années 1960, le gouvernement fédéral a établi une lourde présence anglicisante au centre-ville de Gatineau. Sur le plan identitaire, l'isolement routier ici risque d'avoir des conséquences plus appréciables qu'ailleurs.
L'Abitibi et le Témiscamingue ont des problèmes routiers similaires mais (sauf dans la région de la municipalité de Témiscaming) cela a peu de conséquences culturelles. À Témiscaming, où la minorité anglophone assimile la majorité francophone, la route qui descend de l'Abitibi traverse la rivière des Outaouais et mène vers la région urbaine de North Bay, en Ontario. En Outaouais, la route 148 qui monte vers le nord-ouest finit sur l'Île-aux-Allumettes et débouche sur Pembroke, Ontario, siège d'un diocèse catholique anglicisant qui a toujours sous sa coupe les francophones du Pontiac québécois (Témiscaming est aussi rattachée à un diocèse ontarien).
«Une route principale entre Montréal et l'Abitibi qui passerait par le coeur de l'Outaouais recèle un potentiel démographique, économique et culturel énorme»
Le seul axe routier qui relie le nord-ouest québécois à Montréal, c'est donc la 117 qui part de l'Abitibi et passe dans l'extrême-nord de l'Outaouais (Grand-Remous) et les Laurentides pour aboutir à l'autoroute 15 à Ste-Agathe. Il existe pourtant un autre axe logique le long de rive québécoise de la rivière des Outaouais, partant de l'Abitibi, passant par le Témiscamingue, le reliant au Pontiac puis à Gatineau et l'autoroute 50 vers Lachute, Mirabel et la métropole. Il n'y a que 150 ou 160 km de route à construire entre Témiscaming et l'Île-aux-Alumettes. Ce ne serait pas le projet du siècle.
Mais l'existence d'une route principale entre Montréal et l'Abitibi qui passerait par le coeur de l'Outaouais recèle un potentiel démographique, économique et culturel énorme. Dans le sud du Témiscamingue et la région du Pontiac, on se sentirait pour la première fois intégré au Québec, plutôt que propulsé vers l'Ontario. Et il ne faut surtout pas sous-estimer l'effet à Gatineau.
Pendant qu'on voit grand avec un Plan Nord dans de vastes régions où tout est à faire, ne pourrait-on pas avoir notre modeste petit Plan Ouest pour mieux rattacher à l'ensemble du Québec des secteurs existants qui ont été trop souvent laissés pour compte...
Il est vrai que les gens d'ici ont généralement accepté leur sort - quand j'étais petit on disait souvent avec résignation que Hull était le trou-de-cul du Québec - et que, sauf exception, nos députés n'ont pas péché par excès de vision, mais Québec doit assumer sa part de responsabilité. L'Outaouais a été abandonné à son sort d'excroissance québécoise d'une capitale en sol ontarien. Le sud du Témiscamingue aussi.
J'ai retrouvé il y a quelques semaines des vieilles cartes routières du Québec de la fin des années 1960 et du début des années 1970, une époque où, jeune journaliste, j'avais décidé de visiter le Québec et l'Acadie sur le pouce. On y voit déjà un réseau autoroutier développé autour du Saint-Laurent, reliant Montréal à Québec, à l'Estrie, à l'Ontario et aux États-Unis. En Outaouais, zéro autoroute et beaucoup de chemins de gravelle...
J'ai couvert la toute première annonce concernant l'autoroute 50 en avril 1970. C'était une promesse électorale du gouvernement de l'Union nationale sous Jean-Jacques Bertrand. Ça fait 42 ans de bouts de route et de viaducs qui n'aboutissent nulle part alors que tout devait être terminé à la fin des années 1970... Ces bouts de route servent de promesses électorales depuis plus de quatre décennies! Et les ministres péquistes, autant que les autres, prenaient la 417 de l'Ontario pour se rendre à Ottawa et Hull-Gatineau...
Mais au-delà des vieilles récriminations autoroutières, ce qui frustre le plus, c'est que les routes de l'Outaouais, et en particulier le réseau urbain de Gatineau (4e ville du Québec, soit dit en passant), aboutit invariablement à un pont vers l'Ontario. Quand on regarde la carte, en 1970 comme en 2012, les routes donnent l'impression d'être des tentacules d'Ottawa - la vraie « capitale » de l'Outaouais.
La région de la capitale canadienne compte une population de plus de 1 200 000 habitants, dont environ 275 000 dans Gatineau et ses banlieues. L'axe démographique et économique est nettement nord-sud et depuis la fin des années 1960, le gouvernement fédéral a établi une lourde présence anglicisante au centre-ville de Gatineau. Sur le plan identitaire, l'isolement routier ici risque d'avoir des conséquences plus appréciables qu'ailleurs.
L'Abitibi et le Témiscamingue ont des problèmes routiers similaires mais (sauf dans la région de la municipalité de Témiscaming) cela a peu de conséquences culturelles. À Témiscaming, où la minorité anglophone assimile la majorité francophone, la route qui descend de l'Abitibi traverse la rivière des Outaouais et mène vers la région urbaine de North Bay, en Ontario. En Outaouais, la route 148 qui monte vers le nord-ouest finit sur l'Île-aux-Allumettes et débouche sur Pembroke, Ontario, siège d'un diocèse catholique anglicisant qui a toujours sous sa coupe les francophones du Pontiac québécois (Témiscaming est aussi rattachée à un diocèse ontarien).
«Une route principale entre Montréal et l'Abitibi qui passerait par le coeur de l'Outaouais recèle un potentiel démographique, économique et culturel énorme»
Le seul axe routier qui relie le nord-ouest québécois à Montréal, c'est donc la 117 qui part de l'Abitibi et passe dans l'extrême-nord de l'Outaouais (Grand-Remous) et les Laurentides pour aboutir à l'autoroute 15 à Ste-Agathe. Il existe pourtant un autre axe logique le long de rive québécoise de la rivière des Outaouais, partant de l'Abitibi, passant par le Témiscamingue, le reliant au Pontiac puis à Gatineau et l'autoroute 50 vers Lachute, Mirabel et la métropole. Il n'y a que 150 ou 160 km de route à construire entre Témiscaming et l'Île-aux-Alumettes. Ce ne serait pas le projet du siècle.
Mais l'existence d'une route principale entre Montréal et l'Abitibi qui passerait par le coeur de l'Outaouais recèle un potentiel démographique, économique et culturel énorme. Dans le sud du Témiscamingue et la région du Pontiac, on se sentirait pour la première fois intégré au Québec, plutôt que propulsé vers l'Ontario. Et il ne faut surtout pas sous-estimer l'effet à Gatineau.
Pendant qu'on voit grand avec un Plan Nord dans de vastes régions où tout est à faire, ne pourrait-on pas avoir notre modeste petit Plan Ouest pour mieux rattacher à l'ensemble du Québec des secteurs existants qui ont été trop souvent laissés pour compte...
mardi 6 novembre 2012
Les Franco-Ontariens et le recensement 2011 : faudrait s'en parler...
Un premier coup d'oeil sur les données linguistiques du recensement de 2011 indique clairement que les choses ne s'améliorent pas pour la francophonie ontarienne. Pas que la situation se soit dramatiquement détériorée au cours des cinq dernières années, mais les tendances au déclin du français se confirment à peu près partout, même dans les régions où les francophones restent majoritaires.
On peut toujours se draper, comme il est devenu l'habitude de le faire en milieux officiels, dans les savantes - et jusqu'à un certain point, pertinentes - pondérations statistiques qui permettent de gonfler un peu artificiellement, à mon avis, la force de la francophonie au Canada (y compris au Québec). Mais quand on regarde les chiffres bruts, la réalité nous revient, implacable, et appelle une intervention rapide pour sauver les meubles.
Le discours optimiste des « lunettes roses » ne fait que masquer une détérioration très réelle. On n'a qu'à regarder sans enrobage les réponses à la question du recensement sur la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) pour s'en convaincre, au regard des données sur la langue maternelle.
De 2006 à 2011, selon les profils des communautés des deux recensements, le nombre de francophones de langue maternelle a augmenté de près de 5000 seulement (488 815 à 493 300) tandis que le nombre de personnes ayant le français comme langue d'usage a diminué de 5 000 (de 289 035 à 284 115).
Pour avoir une idée de l'accélération de l'assimilation, regardons les chiffres du recensement de 1971, qui donnaient 482 045 francophones selon la langue maternelle, et 352 465 selon la langue d'usage ! Si on compare celui de 1971 aux deux recensements les plus récents (langue maternelle et langue d'usage), on arrive à des taux respectifs de persévérance de la langue de 73,1% en 1971, 59,1% en 2006 et 57,6% en 2011. Évidemment, ces chiffres sont trompeurs et il faut vraiment regarder de région en région, de ville en ville, de village en village pour comprendre la réalité. C'est grand, l'Ontario.
Si, au sud, dans les régions de Penetanguishene, Welland ou Windsor, les taux de persévérance sont à peine de 25% à 35%, ils dépassent régulièrement le seuil des 90% dans des régions de l'Est et du Nord ontarien. À certains endroits, ils frisent le 100 % et le dépassent même dans trois villages. À Jogues, Mattice et Val-Cöté, tous dans la région de Hearst, ce sont les francophones qui assimilent les anglophones... Entre les deux, il y a les agglomérations urbaines d'Ottawa et de Sudbury, où les taux de persévérance sont plus inquiétants, à près de 70% (Ottawa), voire alarmants à près de 55% (pour le Grand Sudbury).
Je retiens, dans un premier temps, avant d'approfondir davantage l'analyse, trois constats :
Premier constat : il existe donc en Ontario trois zones où les francophones ont des taux de persévérance très, très élevés (90% et plus) :
i) le corridor de la route 11, entre Smooth Rock Falls et Hearst
ii) le secteur Nipissing Ouest, entre Sturgeon Falls et Sudbury
iii) le secteur de Prescott-Russell, à l'est d'Ottawa
Ce sont essentiellement des petites municipalités et des secteurs ruraux, ayant une population limitée, mais dont le caractère majoritairement francophone se maintient pour le moment.
Deuxième constat : en Ontario, plus de 35% des francophones (selon la langue d'usage) demeurent à Ottawa (86 000) et Sudbury (14 000). À Ottawa (je ne sais pas pour Sudbury), ils sont cependant plus dispersés que jadis. Alors qu'auparavant il existait des quartiers canadiens-français, les francophones sont maintenant minoritaires dans tous les quartiers de la capitale. Ils sont cependant nombreux.
Troisième constat : Les taux d'assimilation ont atteint des niveaux dramatiques dans des endroits comme Welland et Windsor, et même Cornwall où, il y a un demi-siècle, les francophones formaient près de la moitié de la population.
Faut s'en parler...
Quand j'étais à l'ACFO, années 60, début années 70, ce phénomène était déjà perceptible, quoique bien moins accentué, mais les moyens de communication entre les différentes communautés étaient presque nuls, et les distances immenses. Il était difficile de concevoir et mettre en application des stratégies coordonnées. Aujourd'hui, avec l'Internet et les médias sociaux, les distances s'estompent.
Pendant qu'il est encore temps, il faut souhaiter que puissent s'amorcer des échanges, sur Facebook, sur Twitter, entre Franco-Ontariens de différentes régions et à l'intérieur de différentes régions, entre Franco-Ontariens et Québécois, entre Franco-Ontariens et Acadiens et francophones de l'Ouest, pour qu'à partir d'analyses réalistes, les enjeux linguistiques (et autres enjeux) fassent l'objet d'un forum permanent en ligne. Le simple fait de créer des contacts par l'intermédiaire du Web aura, j'en ai la conviction, des effets appréciables.
Où cela peut-il mener? Pas la moindre idée. Mais ce peut être un point de départ utile...
On peut toujours se draper, comme il est devenu l'habitude de le faire en milieux officiels, dans les savantes - et jusqu'à un certain point, pertinentes - pondérations statistiques qui permettent de gonfler un peu artificiellement, à mon avis, la force de la francophonie au Canada (y compris au Québec). Mais quand on regarde les chiffres bruts, la réalité nous revient, implacable, et appelle une intervention rapide pour sauver les meubles.
Le discours optimiste des « lunettes roses » ne fait que masquer une détérioration très réelle. On n'a qu'à regarder sans enrobage les réponses à la question du recensement sur la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) pour s'en convaincre, au regard des données sur la langue maternelle.
De 2006 à 2011, selon les profils des communautés des deux recensements, le nombre de francophones de langue maternelle a augmenté de près de 5000 seulement (488 815 à 493 300) tandis que le nombre de personnes ayant le français comme langue d'usage a diminué de 5 000 (de 289 035 à 284 115).
Pour avoir une idée de l'accélération de l'assimilation, regardons les chiffres du recensement de 1971, qui donnaient 482 045 francophones selon la langue maternelle, et 352 465 selon la langue d'usage ! Si on compare celui de 1971 aux deux recensements les plus récents (langue maternelle et langue d'usage), on arrive à des taux respectifs de persévérance de la langue de 73,1% en 1971, 59,1% en 2006 et 57,6% en 2011. Évidemment, ces chiffres sont trompeurs et il faut vraiment regarder de région en région, de ville en ville, de village en village pour comprendre la réalité. C'est grand, l'Ontario.
Si, au sud, dans les régions de Penetanguishene, Welland ou Windsor, les taux de persévérance sont à peine de 25% à 35%, ils dépassent régulièrement le seuil des 90% dans des régions de l'Est et du Nord ontarien. À certains endroits, ils frisent le 100 % et le dépassent même dans trois villages. À Jogues, Mattice et Val-Cöté, tous dans la région de Hearst, ce sont les francophones qui assimilent les anglophones... Entre les deux, il y a les agglomérations urbaines d'Ottawa et de Sudbury, où les taux de persévérance sont plus inquiétants, à près de 70% (Ottawa), voire alarmants à près de 55% (pour le Grand Sudbury).
Je retiens, dans un premier temps, avant d'approfondir davantage l'analyse, trois constats :
Premier constat : il existe donc en Ontario trois zones où les francophones ont des taux de persévérance très, très élevés (90% et plus) :
i) le corridor de la route 11, entre Smooth Rock Falls et Hearst
ii) le secteur Nipissing Ouest, entre Sturgeon Falls et Sudbury
iii) le secteur de Prescott-Russell, à l'est d'Ottawa
Ce sont essentiellement des petites municipalités et des secteurs ruraux, ayant une population limitée, mais dont le caractère majoritairement francophone se maintient pour le moment.
Deuxième constat : en Ontario, plus de 35% des francophones (selon la langue d'usage) demeurent à Ottawa (86 000) et Sudbury (14 000). À Ottawa (je ne sais pas pour Sudbury), ils sont cependant plus dispersés que jadis. Alors qu'auparavant il existait des quartiers canadiens-français, les francophones sont maintenant minoritaires dans tous les quartiers de la capitale. Ils sont cependant nombreux.
Troisième constat : Les taux d'assimilation ont atteint des niveaux dramatiques dans des endroits comme Welland et Windsor, et même Cornwall où, il y a un demi-siècle, les francophones formaient près de la moitié de la population.
Faut s'en parler...
Quand j'étais à l'ACFO, années 60, début années 70, ce phénomène était déjà perceptible, quoique bien moins accentué, mais les moyens de communication entre les différentes communautés étaient presque nuls, et les distances immenses. Il était difficile de concevoir et mettre en application des stratégies coordonnées. Aujourd'hui, avec l'Internet et les médias sociaux, les distances s'estompent.
Pendant qu'il est encore temps, il faut souhaiter que puissent s'amorcer des échanges, sur Facebook, sur Twitter, entre Franco-Ontariens de différentes régions et à l'intérieur de différentes régions, entre Franco-Ontariens et Québécois, entre Franco-Ontariens et Acadiens et francophones de l'Ouest, pour qu'à partir d'analyses réalistes, les enjeux linguistiques (et autres enjeux) fassent l'objet d'un forum permanent en ligne. Le simple fait de créer des contacts par l'intermédiaire du Web aura, j'en ai la conviction, des effets appréciables.
Où cela peut-il mener? Pas la moindre idée. Mais ce peut être un point de départ utile...
lundi 5 novembre 2012
Certains chroniqueurs et commentateurs anglophones devraient suivre un cours «Assimilation 101»
Il est grand temps que quelqu'un donne à certains chroniqueurs et commentateurs anglophones un cours « Assimilation 101 », pour qu'ils arrivent à comprendre mieux ce qui paraît évident à nous, francophones, par expérience vécue, dans les données linguistiques du recensement de 2011 (et des précédents). Les récents textes de William Johnson dans l'Ottawa Citizen (French is not in danger) en particulier, mais aussi de Don Macpherson dans la Gazette (French 'in décline'? It's your fault), m'ont fait sursauter d'indignation. Je ne mets pas en question la bonne foi de ces auteurs, mais bon sang, en cette matière, ils ne comprennent parfois rien à rien!
Il n'y a pas de doute que mes antécédents d'engagement franco-ontarien dans les années 1960 et 1970, avant d'emménager à Gatineau, au Québec, m'ont prédisposé à guetter les statistiques de langue maternelle et de langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) depuis le recensement de 1971... la première année où Statistique Canada a inclus la question sur la langue d'usage. Ce que nous voyons dans les colonnes de chiffres, nous le vivions dans nos communautés, nos quartiers, nos villes et villages, à travers les vastes contrées de l'Ontario.
Nous voyions autour de nous, dans la rue, à l'école secondaire, à l'université, au travail, des parents et grands-parents francophones dont les enfants parlaient un mélange accentué d'anglais et de français. Nous avons vu plusieurs de ces enfants adopter l'anglais (ce qui n'était guère surprenant compte tenu de l'environnement imposé aux Franco-Ontariens) après avoir quitté le nid familial, pour toutes sortes de raisons. Et les enfants de ces enfants ont grandi en anglais au foyer, l'anglais est devenu leur langue maternelle. C'était notre quotidien, et notre quotidien, le recensement en était le miroir quinquennal.
Je passe sur la multitude d'injustices que les francophones ont subies hors-Québec depuis la Confédération, qui ont certes contribué à l'anglicisation, pour dire à quel point ce n'est pas évident pour un francophone de vivre en français dans un milieu minoritaire. La conscience identitaire n'est pas, le plus souvent, une décision réfléchie. Elle est transmise, acquise ou apprise au fil des ans sans trop que la majorité ne s'en rende compte. Alors quand on vous répond constamment en anglais aux commerces, quand on vous jette un regard intimidant et hiérarchique quand vous demandez un service public en français, quand l'environnement médiatique de votre entourage est essentiellement anglo-américain, etc., ne soyez pas surpris si - en quelques générations - le tiers ou plus des francophones s'assimilent.
Mais revenons au recensement. Je commence par Don Macpherson parce qu'il a fait le commentaire le plus insidieux. Il écrit notamment : « Saying that there too many people who don't have French as their mother tongue is like saying there are too many who aren't white. So the problem is not what you do... It's what you are. ».
Relevons au passage l'allusion aux Blancs qui suggère presque un fond de racisme chez les francophones. Ça mérite bien une taloche verbale. Mais l'essentiel, c'est qu'il ne comprend pas que le recensement, c'est une photo de la population à un moment donné. Les francophones qui s'anglicisent et qui, deux générations plus tard, donnent naissance à des enfants qui auront l'anglais comme langue maternelle - cela arrive dans certains coins du Québec mais surtout hors-Québec - donnent aux chiffres sur la langue maternelle une portée qui semble échapper complètement au rédacteur de la Gazette. En comparant les données sur la langue maternelle d'un recensement à l'autre, sur une longue période, on comprend mieux l'évolution de la dynamique linguistique.
Maintenant passons au texte de William Johnson, grossier et odieux (le texte, pas l'auteur). Il commence par affirmer que la thèse du déclin du français et des menaces qui pèsent sur son avenir font partie des traditions chéries des nationalistes québécois et de plusieurs journalistes. Et il parle des jérémiades médiatiques qui ont suivi la publication, le 24 octobre, des données linguistiques du recensement de 2011. Il accuse notamment les médias de fausses déclarations (il y en a, au départ, dans le texte de M. Johnson). L'ancien président d'Alliance Québec aurait avantage à ne pas trop se laisser emporter.
D'abord, les problèmes du déclin du français ont été soulevés au fil des décennies par d'éminents fédéralistes qu'on ne pourrait taxer de souverainistes ou de « nationalistes québécois », et par à peu près tous les organismes qui s'occupent des francophones hors-Québec... et même par Statistique Canada. Ici, les nationalistes n'ont rien inventé. On peut longuement discuter des interprétations qu'ont faites du soi-disant déclin du français les différents intervenants, et là-dessus il existe de bonnes marges de manoeuvre. Mais de grâce, cessons de faire des procès d'intention à moins de preuves.
Quand au fond de l'argumentaire de M. Johnson, il nous balance pèle-mêle toute une série de statistiques qui mélangent, de temps à autre, les pommes et les oranges. Moi je vous le dis tout de suite : j'utilise comme seule source le profil des communautés du recensement de 2006 (de Statistique Canada) et le profil du recensement de 2011 (encore de Statistique Canada) et, à l'intérieur de ces documents, les chiffres de la population totale, de la population selon la langue maternelle, et selon la langue la plus souvent parlée à la maison.
Je ne sais pas de quels tableaux proviennent les données utilisées par M. Johnson. Il ne cite pas ses sources. Et il parle parfois de la langue la plus souvent parlée à la maison, tantôt de la langue parlée à la maison. Il faut savoir ici qu'il existe deux questions dans le recensement, qui font la distinction entre la langue la plus souvent parlée et une autre langue parlée régulièrement à la maison. Additionne-t-il les deux? Je ne sais pas. Ou utilise-t-il l'autre méthode de Statistique Canada pour combiner différentes réponses et faire des totaux pondérés? Je ne sais pas. Moi je n'utilise que les chiffres bruts des deux profils officiels, sans pondération.
Je suis en train de décortiquer le recensement, mais je peux dire qu'en Ontario, son affirmation que le français parlé à la maison (de quelle question parle-t-il?) est en hausse ne semble pas correspondre à la réalité vécue dans les communautés recensées. Selon les profils officiels, dans le recensement de 2006, environ 289 000 Ontariens ont répondu que le français était la langue la plus souvent parlée à la maison, tandis qu'au recensement de 2011, le nombre d'Ontariens déclarant le français comme langue la plus souvent parlée à la maison avait diminué à environ 284 000, soit une perte de 5 000. Si on veut comparer des pommes et des pommes, c'est cette question qui nous permet, avec celle sur la langue maternelle, de fixer des points de repère depuis 1971.
Quant à sa façon de garrocher des chiffres hors conteste, sans comparer la langue maternelle à la langue d'usage, sans les insérer dans le tableau linguistique complet, avec évolution et proportions, elle permet de fabriquer un argumentaire percutant mais qui déforme la réalité.
D'autre part, dans sa référence à l'arrêt Ford de la Cour suprême (de 1988), il affirme que les chiffres utilisés pour argumenter que le français était menacé au Québec provenaient pour l'essentiel d'une époque antérieure à la révolution tranquille (donc avant les années 1960). Le texte même de la décision de la Cour suprême évoque des rapports des années 1960, des années 1970 et d'autres données ultérieures. Et la reconnaissance, par la Cour suprême, que le français est menacé même au Québec contredit carrément son blâme du début envers les nationalistes québécois et plusieurs journalistes.
Enfin, dans un élan pour le moins délirant, il demande à la Cour de revoir l'arrêt Ford (sur la langue d'affichage) pour restaurer l'égalité, dit-il, dans une société qui exerce une discrimination systématique contre la langue anglaise et contre les anglophones, considérés comme une menace existentielle. M. Johnson ne sait pas ce qu'est la discrimination, qui n'existe pas comme il le prétend au Québec. Il y a eu plusieurs graves injustices au pays depuis la Confédération, mais aucune ne peut être attribuée aux francophones. Nous les avons toutes subies. Et j''en sais quelque chose, ayant grandi comme Canadien français en Ontario.
Il n'y a pas de doute que mes antécédents d'engagement franco-ontarien dans les années 1960 et 1970, avant d'emménager à Gatineau, au Québec, m'ont prédisposé à guetter les statistiques de langue maternelle et de langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) depuis le recensement de 1971... la première année où Statistique Canada a inclus la question sur la langue d'usage. Ce que nous voyons dans les colonnes de chiffres, nous le vivions dans nos communautés, nos quartiers, nos villes et villages, à travers les vastes contrées de l'Ontario.
Nous voyions autour de nous, dans la rue, à l'école secondaire, à l'université, au travail, des parents et grands-parents francophones dont les enfants parlaient un mélange accentué d'anglais et de français. Nous avons vu plusieurs de ces enfants adopter l'anglais (ce qui n'était guère surprenant compte tenu de l'environnement imposé aux Franco-Ontariens) après avoir quitté le nid familial, pour toutes sortes de raisons. Et les enfants de ces enfants ont grandi en anglais au foyer, l'anglais est devenu leur langue maternelle. C'était notre quotidien, et notre quotidien, le recensement en était le miroir quinquennal.
Je passe sur la multitude d'injustices que les francophones ont subies hors-Québec depuis la Confédération, qui ont certes contribué à l'anglicisation, pour dire à quel point ce n'est pas évident pour un francophone de vivre en français dans un milieu minoritaire. La conscience identitaire n'est pas, le plus souvent, une décision réfléchie. Elle est transmise, acquise ou apprise au fil des ans sans trop que la majorité ne s'en rende compte. Alors quand on vous répond constamment en anglais aux commerces, quand on vous jette un regard intimidant et hiérarchique quand vous demandez un service public en français, quand l'environnement médiatique de votre entourage est essentiellement anglo-américain, etc., ne soyez pas surpris si - en quelques générations - le tiers ou plus des francophones s'assimilent.
Mais revenons au recensement. Je commence par Don Macpherson parce qu'il a fait le commentaire le plus insidieux. Il écrit notamment : « Saying that there too many people who don't have French as their mother tongue is like saying there are too many who aren't white. So the problem is not what you do... It's what you are. ».
Relevons au passage l'allusion aux Blancs qui suggère presque un fond de racisme chez les francophones. Ça mérite bien une taloche verbale. Mais l'essentiel, c'est qu'il ne comprend pas que le recensement, c'est une photo de la population à un moment donné. Les francophones qui s'anglicisent et qui, deux générations plus tard, donnent naissance à des enfants qui auront l'anglais comme langue maternelle - cela arrive dans certains coins du Québec mais surtout hors-Québec - donnent aux chiffres sur la langue maternelle une portée qui semble échapper complètement au rédacteur de la Gazette. En comparant les données sur la langue maternelle d'un recensement à l'autre, sur une longue période, on comprend mieux l'évolution de la dynamique linguistique.
Maintenant passons au texte de William Johnson, grossier et odieux (le texte, pas l'auteur). Il commence par affirmer que la thèse du déclin du français et des menaces qui pèsent sur son avenir font partie des traditions chéries des nationalistes québécois et de plusieurs journalistes. Et il parle des jérémiades médiatiques qui ont suivi la publication, le 24 octobre, des données linguistiques du recensement de 2011. Il accuse notamment les médias de fausses déclarations (il y en a, au départ, dans le texte de M. Johnson). L'ancien président d'Alliance Québec aurait avantage à ne pas trop se laisser emporter.
D'abord, les problèmes du déclin du français ont été soulevés au fil des décennies par d'éminents fédéralistes qu'on ne pourrait taxer de souverainistes ou de « nationalistes québécois », et par à peu près tous les organismes qui s'occupent des francophones hors-Québec... et même par Statistique Canada. Ici, les nationalistes n'ont rien inventé. On peut longuement discuter des interprétations qu'ont faites du soi-disant déclin du français les différents intervenants, et là-dessus il existe de bonnes marges de manoeuvre. Mais de grâce, cessons de faire des procès d'intention à moins de preuves.
Quand au fond de l'argumentaire de M. Johnson, il nous balance pèle-mêle toute une série de statistiques qui mélangent, de temps à autre, les pommes et les oranges. Moi je vous le dis tout de suite : j'utilise comme seule source le profil des communautés du recensement de 2006 (de Statistique Canada) et le profil du recensement de 2011 (encore de Statistique Canada) et, à l'intérieur de ces documents, les chiffres de la population totale, de la population selon la langue maternelle, et selon la langue la plus souvent parlée à la maison.
Je ne sais pas de quels tableaux proviennent les données utilisées par M. Johnson. Il ne cite pas ses sources. Et il parle parfois de la langue la plus souvent parlée à la maison, tantôt de la langue parlée à la maison. Il faut savoir ici qu'il existe deux questions dans le recensement, qui font la distinction entre la langue la plus souvent parlée et une autre langue parlée régulièrement à la maison. Additionne-t-il les deux? Je ne sais pas. Ou utilise-t-il l'autre méthode de Statistique Canada pour combiner différentes réponses et faire des totaux pondérés? Je ne sais pas. Moi je n'utilise que les chiffres bruts des deux profils officiels, sans pondération.
Je suis en train de décortiquer le recensement, mais je peux dire qu'en Ontario, son affirmation que le français parlé à la maison (de quelle question parle-t-il?) est en hausse ne semble pas correspondre à la réalité vécue dans les communautés recensées. Selon les profils officiels, dans le recensement de 2006, environ 289 000 Ontariens ont répondu que le français était la langue la plus souvent parlée à la maison, tandis qu'au recensement de 2011, le nombre d'Ontariens déclarant le français comme langue la plus souvent parlée à la maison avait diminué à environ 284 000, soit une perte de 5 000. Si on veut comparer des pommes et des pommes, c'est cette question qui nous permet, avec celle sur la langue maternelle, de fixer des points de repère depuis 1971.
Quant à sa façon de garrocher des chiffres hors conteste, sans comparer la langue maternelle à la langue d'usage, sans les insérer dans le tableau linguistique complet, avec évolution et proportions, elle permet de fabriquer un argumentaire percutant mais qui déforme la réalité.
D'autre part, dans sa référence à l'arrêt Ford de la Cour suprême (de 1988), il affirme que les chiffres utilisés pour argumenter que le français était menacé au Québec provenaient pour l'essentiel d'une époque antérieure à la révolution tranquille (donc avant les années 1960). Le texte même de la décision de la Cour suprême évoque des rapports des années 1960, des années 1970 et d'autres données ultérieures. Et la reconnaissance, par la Cour suprême, que le français est menacé même au Québec contredit carrément son blâme du début envers les nationalistes québécois et plusieurs journalistes.
Enfin, dans un élan pour le moins délirant, il demande à la Cour de revoir l'arrêt Ford (sur la langue d'affichage) pour restaurer l'égalité, dit-il, dans une société qui exerce une discrimination systématique contre la langue anglaise et contre les anglophones, considérés comme une menace existentielle. M. Johnson ne sait pas ce qu'est la discrimination, qui n'existe pas comme il le prétend au Québec. Il y a eu plusieurs graves injustices au pays depuis la Confédération, mais aucune ne peut être attribuée aux francophones. Nous les avons toutes subies. Et j''en sais quelque chose, ayant grandi comme Canadien français en Ontario.
vendredi 2 novembre 2012
Gabriel Nadeau-Dubois : le jugement Jacques devrait être porté en appel
En vertu des articles de la Charte québécoise et de la Charte canadienne sur la liberté d'expression, la décision du juge Denis Jacques, de la Cour supérieure du Québec, rendue à l'endroit de Gabriel Nadeau-Dubois, devrait être portée en appel. Selon moi (et je ne suis pas juriste), ce jugement peut mettre en péril le droit qu'ont les citoyens, et non seulement M. Nadeau-Dubois, de s'exprimer publiquement et librement, dans les limites de la loi, dans des circonstances comme celles qu'on a vécues au Québec en 2011 et, à la limite, dans toute circonstance similaire qui comporterait des situations ayant comme enjeu le respect d'une ou de plusieurs injonctions.
Je ne remets pas en question les faits ni les intentions perçues de M. Nadeau-Dubois. Il a fait ce qu'il a fait, et pour les raisons que l'on sait. Ses déclarations sont clairement hostiles à l'utilisation des tribunaux par des étudiants pour faire échec aux lignes de piquetage qui les empêchaient d'assister à leurs cours, et sympathiques au maintien des lignes de piquetage en dépit d'une injonction. Mais cette déclaration constitue-t-elle un outrage au tribunal? Gabriel Nadeau-Dubois n'a pas participé à la ligne de piquetage mise en cause et n'était pas en mesure de donner quelque directive exécutoire que ce soit aux étudiants en grève (ou en « boycottage »). Son titre de porte-parole de la CLASSE lui confère tout au plus un statut d'interlocuteur privilégié auprès des groupes d'étudiants militants. Il exprimait donc une opinion.
Voici la déclaration litigieuse, telle que rapportée dans le jugement:
« Ce qui est clair c'est que dans ces décisions-là, ces tentatives-là de forcer les retours en classe, ça ne fonctionne jamais parce que les étudiants et les étudiantes qui sont en grève depuis 13 semaines sont solidaires les uns des autres, respectent, de manière générale là, la volonté démocratique qui s'est exprimée à travers le vote de grève et je crois qu'il est tout à fait légitime pour les étudiants et les étudiantes de prendre les moyens pour faire respecter le choix démocratique qui a été fait d'aller en grève. C'est tout à fait regrettable là qu'il y ait vraiment une minorité d'étudiants et d'étudiantes qui utilisent les tribunaux pour contourner la décision collective qui a été prise. Donc, nous, on trouve ça tout à fait légitime là, que les gens prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève et si ça prend des lignes de piquetage, on croit que c'est un moyen tout à fait légitime de le faire. »
Alors de quelle façon cette déclaration se transforme-t-elle en outrage au tribunal? Essentiellement, semble-t-il, par l'intermédiaire de l'article 50 du Code de procédure civile dont le premier paragraphe se lit comme suit : « Est coupable d'outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d'un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l'administration de la justice, soit à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal. » Ce qui m'apparait clairement en cause, c'est que, selon le juge Jacques, la déclaration de Gabriel Nadeau-Dubois a « porté atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal ». Il souligne d'ailleurs ces mots dans son jugement. Et le juge d'ajouter, en poussant très loin, même trop loin, son raisonnement : en incitant au non-respect des ordonnances rendues par les tribunaux, M. Nadeau-Dubois « prône plutôt l'anarchie et encourage la désobéissance civile »...
Faudrait peut-être rappeler que les discussions sur l'anarchie (dont il n'est pas question dans cette affaire malgré ce que prétend le juge) et sur la désobéissance civile ont cours depuis des siècles et sont tout à fait permises par nos lois. Mais il y a un pas de géant, non franchi par la déclaration de M. Nadeau-Dubois, entre se dire sympathique à la désobéissance civile dans une situation particulière et participer activement à cette désobéissance civile. Dire et faire, ce n'est pas pareil. Dire peut être illégal dans plusieurs cas, quand il s'agit d'une incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination, entre autres. Mais parler de la légitimité de l'utilisation des tribunaux dans le cas d'une grève étudiante, à ma connaissance, ce n'est pas interdit. Je n'appuyais pas la désobéissance civile au printemps dernier, préférant plutôt une contestation judiciaire, mais je peux concevoir des situations où la désobéissance civile peut devenir nécessaire. Il y en a eu dans l'histoire de l'humanité et il y en aura d'autres. Mais encore là, faut faire la distinction entre en parler et le faire...
Mais revenons à la notion de « porter atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal ». Voilà une phrase vague à souhait, et susceptible d'être interprétée à toutes les sauces selon le degré de sensibilité du magistrat ou du tribunal. Elle me fait penser à certains articles de la Loi 78. Le juge Jacques dit qu'il est « manifeste » que M. Nadeau-Dubois a eu l'intention d'inciter les gens à ne pas respecter les ordonnances et « ainsi porter atteinte à l'autorité du Tribunal. (...) Il s'agit là, à n'en pas douter, d'une atteinte grave à l'autorité des tribunaux ». Je m'excuse, mais ce n'est pas manifeste pour moi.
Le juge affirme dans son jugement que M. Nadeau-Dubois « avait le droit d'être en désaccord avec les ordonnances rendues, mais pas d'inciter quiconque à y contrevenir ». Il crée un seuil un peu vaseux qu'il est difficile à délimiter, d'autant plus que la déclaration citée de Gabriel Nadeau-Dubois évoquait la « légitimité » des lignes de piquetage et non leur légalité. On est dans la sémantique mais tout le droit repose en bonne partie sur le sens et la portée du sens des mots. Si un commentateur médiatique avait écrit qu'il estimait légitime une forme de désobéissance civile face à cette injonction ou face à certains articles de la Loi 78, pour diverses raisons, aurait-il été passible d'outrage au tribunal? Aurait-il porté atteinte à l'autorité ou à la dignité du tribunal? Si oui, nous avons un gros problème...
Selon moi, la déclaration de M. Nadeau-Dubois n'avait rien d'illégal et je suis confiant qu'un tribunal de plus haute instance pourra renverser cette décision.
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