mardi 4 octobre 2011

La mémoire collective d'une société est appauvrie par la perte de chaque mémoire individuelle.

À mon âge (65 ans), les pages de nécrologie sont incontournables. On risque toujours d'y voir une connaissance ou, pire, un proche. Mais comme journaliste, je me dis toujours que derrière chaque décès, il y aurait sans doute un bon reportage. Des réalisations. Des actes de bravoure. Des aventures. De la générosité, de l'amour. Des difficultés. Des erreurs. Toute une vie qui se poursuivra pour un temps dans la mémoire des survivants, dans des albums de photos, puis qui disparaîtra sans laisser de traces parce que personne ne l'a consignée par écrit. La mémoire collective d'une société est appauvrie par la perte de chaque mémoire individuelle.


Encore aujourd'hui, je vois cette nécrologie presque anodine. Celle de Louis Vincent. «La famille Côté a le regret de vous annoncer le décès de Louis Vincent 28 juin 1931 – 28 septembre 2011 Est décédé paisiblement au Soins continus Bruyère le 28 septembre 2011, à l'âge de 80 ans. Il était le fils de feu Gaston Vincent et de feu Robertine Gauthier. Il laisse dans le deuil sa conjointe Monique Côté, les enfants de Monique : Anne et Pierre (Marianne), les petits-enfants de Monique : Jean-Sébastien, Gabrielle et Marie-Laure. Il laisse également ses enfants Julien, Danielle, Carl, Renée et Luc-André, ses petits-enfants Marianne, Sacha, Loïc et Jules ainsi que plusieurs neveux, nièces et ami(e)s. Une messe commémorative sera célébrée le jeudi 6 octobre à 10h00 à l'église Cathédrale Basilique Notre-Dame (coin de Sussex et de St-Patrick), Ottawa. »

Le nom me dit quelque chose. Je me souviens vaguement qu'il était avocat et, me semble-t-il, un type assez connu dans les milieux franco-ontariens. Aucun journaliste, que je sache, n'a fait de papier ou de topo sur sa mort. S'il y en a, je n'en ai pas eu connaissance. Alors je fais une recherche sur Internet, sûr de trouver des tas d'infos qui raviveront mes vagues souvenirs. Mais non. Je trouve le site de son cabinet juridique, Vincent Dagenais Gibson, à Ottawa. C'est un vieux cabinet, fondé en 1897, situé dans l'édifice canadien français par excellence de la capitale, l'Union du Canada, dans la Basse-Ville autrefois francophone. M. Vincent exerce le droit depuis 1955 et on y indique que « sa carrière chevronnée et son excellence dans la prestation des services juridiques lui ont mérité le titre honorifique de membre à vie décerné par le Barreau du Haut-Canada (le Barreau de l'Ontario).»

Mais M. Vincent a vécu l'essentiel de sa vie active avant l'Internet. Sur le site du Centre de recherche en civilisation canadienne-française de l'Université d'Ottawa, je trouve une vieille photo des animateurs du 18e congrès de l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario (organisme qui représentait à l'époque les Franco-Ontariens), en 1966. On le voit assis aux côté de dirigeants franco-ontariens de l'époque y compris l'homme d'affaires Conrad Lavigne, Omer Deslauriers, et l'ancienne journaliste Solange Plourde-Gagnon. Il côtoyait donc les milieux les plus influents de l'Ontario français. Mais sauf pour cette photo, l'Internet a conservé peu de souvenirs du personnage.

Je ressors donc mes vieilles archives franco-ontariennes (je suis originaire d'Ottawa mais vis maintenant à Gatineau, au Québec). Je retombe sur des vieux documents du milieu des années 1960 et ça me revient. Louis Vincent avait aussi été président de l'Association de la jeunesse franco-ontarienne jusqu'à 1964. Ayant milité moi aussi au sein de l'AJFO et l'ancienne ACFEO/ACFO jusqu'à ce que j'entreprenne une carrière journalistique, je sais qu'il a sans doute été mêlé intimement à une foule de dossiers qui ont bouleversé le Canada français et le Québec pendant et après la Révolution tranquille. Mais comme je suis arrivé au moment de son départ, je l'ai peu connu. Il a fallu cette nécrologie pour que fouille un peu à l'écran et dans mes boîtes de paperasse.

Je ne suis pas comme certains de mes amis qui ont une mémoire prodigieuse. Je me souviens, à l'époque où je militais à la CSN, de l'incroyable capacité de mémoriser de Marcel Pepin. Moi, je dois l'écrire pour m'en rappeler... et encore. Une chose est sûre... la mémoire la plus prodigieuse ne dure qu'une vie, à moins d'être captée sur vidéo ou sur papier. Sur le plan médiatique, Louis Vincent est mort dans l'anonymat, comme la quasi totalité de ses concitoyens. Il y aurait sans doute eu un bon papier à écrire sur sa vie. Sans doute plus intéressant que la 160e déclaration de Jean Charest sur la non-tenue d'une commission d'enquête ou la "n"ième savante analyse sur les déboires des Canadiens ou des Sénateurs au hockey. L'histoire, individuelle ou collective, est malheureusement devenue persona non grata de nos jours dans les médias.

Pierre Allard


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