Les historiens trouveront dans les archives médiatiques, universitaires et gouvernementales l'essentiel des débats autour de cette question, avec les noms et déclarations des grands acteurs. Ce qu'ils ne trouveront pas, ce sont les noms d'un petit «commando» de 12 élèves d'école secondaire qui ont attaqué l'un des symboles de l'unilinguisme anglais d'Ottawa à l'automne 1963: les nouvelles traverses à piéton de l'époque, appelées (en anglais seulement) crosswalks…
Ce «commando», qui s'était donné le nom d'Association anti-Charlotte ou AAC pour exprimer sa contestation de la position ferme du maire Charlotte Whitton en faveur de l'unilinguisme anglais, avait semé l'émoi au sein de la police municipale, qui avait lancé plusieurs autos-patrouilles à ses trousses pendant l'opération nocturne de l'AAC. Huit des 12 membres de l'Association anti-Charlotte avaient été arrêtés alors qu'ils placardaient des affiches françaises sur l'une des dernières traverses...
photo de la Une du quotidien Le Droit
Il faut d'abord rappeler le contexte. C'était 1963, en pleine Révolution tranquille au Québec, l'année où les bombes du FLQ avaient sonné un réveil brutal, où l'agitation canadienne-française avait forcé le gouvernement Pearson à créer la Commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme. Enfin, ça brassait un peu partout, et voilà que le maire francophobe de la capitale du pays, Mme Whitton, proclame solennellement Ottawa unilingue anglaise pour l'éternité…
Ces déclarations avaient provoqué de vifs débats, mais les francophones d'Ottawa, plus de 20% de la population selon le recensement de 1961, n'étaient pas descendus dans la rue. Les coups étaient échangés sur les ondes et dans les pages des journaux… Que la seule action militante de 1963, illégale par surcroit, soit venue d'élèves du secondaire (de l'École secondaire de l'Université d'Ottawa, une école bilingue privée pour garçons), est plus que digne de mention…
Le coup étudiant avait certainement bénéficié d'une complicité professorale, puisque des locaux scolaires avaient apparemment été utilisés pour fabriquer les dizaines d'affiches françaises nécessaires pour l'exécution du raid nocturne. Ils étaient une douzaine d'élèves. Il fallait planifier l'itinéraire des deux voitures du commando, trouver du matériel (carton, marqueurs, ruban adhésif, ficelle, etc.). Et on parle ici de jeunes de 16 et 17 ans, à leurs premières armes en contestation organisée…
Je me souviens que l'affaire avait eu lieu tard à l'automne 1963. Il y avait peut-être déjà de la neige au sol. J'ai conservé un article de la page une du quotidien Le Droit du lendemain, mais la date est oblitérée. La capsule météo annonce du temps froid, cependant. On peut voir ci-dessous l'article du journaliste Jacques Guindon, mais je n'ai pas trouvé la suite du texte en page 2. Selon le reporter du Droit, les étudiants avaient placardé les traverses à piétons un mercredi soir.
Selon ce qu'on avait su, huit élèves prenaient place dans l'une des voitures, et quatre dans l'autre. Les huit ont été pincés par les forces policières, les quatre autres se sont échappés. Je me souviens aussi qu'il y a eu procès, avec des incidents fort humoristiques, et que «les huit» avaient été condamnés par le juge à une amende symbolique (5$?) et à des remontrances. Un journal ou la télé ont-ils couvert ce procès? Les accusés avaient-ils insisté pour parler français? C'est à vérifier.
Ce que je sais, c'est que cette histoire mérite d'être bien racontée et que quelques-uns des auteurs devraient consigner sur papier leurs souvenirs de la soirée, ainsi que des préparatifs et des séquelles. Ou, peut-être, un vieux journaliste devrait-il tenter de communiquer avec eux…
Une chose set sûre… L'incident est unique, et ne doit pas être oublié…