Avez-vous écouté, hier, 21 janvier 2013, le discours inaugural du président Barack Obama? Qu'en avez-vous pensé? J'ai lu ce matin des comptes rendus et quelques éditoriaux glanés ça et là. Des textes descriptifs et des analyses informées, le plus souvent dénués d'émotion, présentés avec une réserve toute journalistique. J'ai ressenti une curieuse insatisfaction. Parce qu'hier, en voyant et en entendant Barack Obama, j'avais été ému par ses paroles et par son éloquence.
Depuis mon entrée en journalisme en 1969, j'en ai lu et entendu, des discours politiques, et j'ai développé la carapace parfois cynique qui vient avec ce métier. Mais de temps en temps, survient une personnalité exceptionnelle, un orateur inspirant, un texte riche qui ravive l'idéalisme trop souvent sommeillant en chacun de nous. Le discours inaugural d'hier touchait aux valeurs fondamentales qui doivent inspirer l'action politique en démocratie - l'égalité, la justice, la liberté, la solidarité - et donnait chair à l'essentiel trait d'union entre histoire, présent et avenir.
C'était le discours d'un chef d'État. Et du chef d'État d'une république, avec son « we, the people » omniprésent. Nous ne sommes pas ici au Canada où le gouverneur général (au nom de la reine) parle de son gouvernement en employant le « Nous » impérial... « Notre gouvernement sera ici pour tous les Canadiens », disait le vice-roi dans le discours inaugural de 2012. La royauté « au service » de ses sujets... Aux États-Unis, le langage est inversé. Le président est élu par le peuple et l'incarne. « Nous, le peuple... »
Il n'y a pas chez nous de dirigeant qui puisse tenir ce langage. Au Québec, le chef d'État est Élizabeth II (représentée par un miteux lieutenant-gouverneur) et notre première ministre, à titre de chef de gouvernement, dirige un demi-État dont le peuple est soumis - en toute matière fédérale - à la volonté d'une majorité qui lui est étrangère. Il serait impossible pour Mme Marois de présenter à la population et au concert des nations un discours inaugural comme celui de M. Obama. Sur le plan politique mondial, à toutes fins utiles, nous existons à peine...
Mais revenons au président Obama. Le fil conducteur du discours, le « we, the people », sert d'assise à sa vision du pays et du monde. Il ne cache pas les défauts, les imperfections, les injustices qui ont marqué l'histoire. Il rappelle l'esclavage, la discrimination contre les femmes et les homosexuels, la violence et la guerre, et en tire des enseignements pour les générations futures. Il tisse une toile. Une vision. Il énonce les principes qui doivent inspirer l'action à prendre.
Et tout ça au nom de l'égalité. Pas ici de trace de bienveillance d'un monarque qui répand la bonté sur des sujets. Ni de la « charité » des riches qui laissent les pauvres ramasser les miettes de leur table. « Nous devons être source d'espoir pour les pauvres, les malades, les marginalisés, les victimes de préjugés --- pas au nom de la seule charité, mais parce que la paix en notre temps exige le progrès constant des principes que décrit notre croyance commune : tolérance et opportunité, dignité humaine et justice. » L'égalité des humains, l'entraide fondée sur la solidarité.
Devant les durs choix économiques, il érige en rempart les mêmes valeurs, comme guide, comme ligne directrice, comme phare, comme repère. « Nous rejetons la croyance que l'Amérique doive choisir entre les soins à la génération qui a bâti ce pays et l'investissement dans la génération qui construira son avenir. (...) Les engagements que nous prenons envers chacun de nous (par l'assurance-maladie et la sécurité sociale) ne sapent pas notre sens d'initiative; ils nous renforcent. (...) Ils nous libèrent pour que nous puissions prendre les risques qui font la grandeur de ce pays. »
D'un bout à l'autre du discours inaugural, le message est un appel à repenser les valeurs qui servent de fondements à nos actions individuelles et collectives. Il demande à tous, toutes de répondre à l'appel de l'histoire. De regarder au delà des intérêts personnels et de percevoir aussi l'intérêt collectif. La liberté de chacun, rappelle-t-il en évoquant la mémoire de Martin Luther King, est inextricablement liée à la liberté de tous les humains de la Terre.
J'ai déjà entendu des propos semblables auparavant, mais pas ainsi assemblés, et surtout pas d'un président contemporain des États-Unis. Puis j'ai compris le sentiment qu'il m'inspirait quand il a dit, à la fin de son discours. « Ce sont les mots de citoyens, et ils sont notre plus grand espoir. Vous et moi, comme citoyens, nous avons le pouvoir de tracer la voie de ce pays. Vous et moi, comme citoyens, avons l'obligation de façonner les débats de notre temps - pas seulement par les bulletins de vote que nous déposons mais aussi par les voix que nous élevons pour défendre nos plus anciennes valeurs et nos idéaux les plus durables. »
Nous sommes tous citoyens, et il est grand temps d'agir en conséquence. Bravo, M. Obama. Je sais que vous ne pourrez réaliser votre programme, le contexte politique étant ce qu'il est. Mais les actions imparfaites sont meilleures que l'inaction. Et vos paroles resteront. Et, je l'espère, inspireront.
mardi 22 janvier 2013
mardi 15 janvier 2013
Chantiers identitaires : le gouvernement Marois peut agir seul sur plusieurs fronts !
En attendant le jour où, lors d'une élection ou d'un référendum, les Québécois décideront de modifier de façon substantielle la nature des rapports juridiques et politiques qu'ils entretiennent avec l'ensemble du Canada, de nombreux chantiers identitaires peuvent être mis en branle dès maintenant sans avoir à négocier avec le gouvernement fédéral ou les autres provinces, ou même sans avoir à obtenir un consentement des partis d'Opposition à l'Assemblée nationale.
Ces « chantiers » ont, dans la plupart des cas, le potentiel de rallier une opinion publique majoritaire, et leur démarrage immédiat serait nettement dans l'intérêt d'un Québec francophone et démocratique.
1) La Loi 101. On ne se fera pas d'illusion sur le sort législatif de toute mesure qui n'aura pas l'appui des libéraux et de la CAQ. Elle sera défaite. Par contre, rien n'empêche le gouvernement Marois d'appliquer avec plus d'énergie les dispositions de la Loi 101 qui sont déjà en vigueur, notamment en matière d'affichage commercial et de langue de travail. Il faut arrêter d'avoir peur de brusquer la sensibilité des forces anglicisantes ou des partisans du bilinguisme à outrance. S'ils le pouvaient, les dirigeants des entreprises fautives réserveraient encore aujourd'hui au français le sort qu'ils lui auraient sans doute réservé avant l'adoption de la Loi 101. Et si la presse anglo-canadienne habituellement hostile rugit, eh bien ! Tant pis ! J'ai arrêté d'espérer qu'ils nous aiment... ou qu'ils nous comprennent.
Éditorial du Droit du 13 décembre 2012. Charte de la langue française : un débat opportun. http://bit.ly/13A6Deb
2) L'anglais intensif en 6e année. Ce programme, carrément suicidaire pour la francophonie québécoise (et canadienne) à moyen et à long terme, doit être rescindé le plus rapidement possible, avant d'avoir eu le temps de causer des dommages permanents. Qu'on propose des programmes intensifs de langue seconde (et pas seulement l'anglais), soit, mais de façon sélective et sans nuire à l'apprentissage du français, qui est nettement déficient à en juger par les résultats. La qualité de rédaction et de compréhension en français de la génération qui monte (et de celles qui les ont précédées y compris les vieux comme moi) laisse grandement à désirer. Pour un argument plus complet, je propose les textes suivants, déjà publiés dans le quotidien Le Droit ou sur mon blogue.
Éditorial du Droit du 12 octobre 2012. Une pause salutaire. http://bit.ly/XBxpPa
Éditorial du Droit du 30 juillet 2012. Anglais intensif : l'enjeu négligé. http://bit.ly/11xy60B
Éditorial du Droit du 25 février 2011. Fossoyeurs du français. http://bit.ly/W5EBkz
Blogue du 22 août 2012. André Laurendeau et la mort par le bilinguisme. http://bit.ly/Pwfckd
Blogue du 7 décembre 2011. Le début de la fin? http://bit.ly/W9tOGA
3) Analyse approfondie du recensement 2011. Les chiffres ont été interprétés à toutes les sauces, et ont servi à toutes sortes de causes, souvent contradictoires. Qu'on mette l'Institut de la statistique du Québec à l'oeuvre pour décortiquer ces données et proposer un portrait détaillé des régions où la langue française perd du terrain face à l'anglais - Montréal métropolitain, sud-ouest (entre Montréal et la frontière ontarienne et américaine), Outaouais. Et pourquoi pas, du même coup, établir une comparaison valide avec le phénomène d'assimilation des minorités francophones des autres provinces. Le Québec est la mère-patrie du français en Amérique et a, à cet égard, certaines responsabilités. Voir quelques textes que j'ai déjà écrits à ce sujet.
Éditorial du Droit du 26 décembre 2012. Débats identitaires : d'une année turbulente à l'autre. http://bit.ly/RYGouc
Éditorial du Droit du 25 octobre 2012. Indigestion de chiffres. http://bit.ly/ZU6rlb
Blogue du 11 décembre 2012. Le français est-il ou non en danger au Québec. Le recensement 2011 répond « oui ». http://bit.ly/UzS3xl
Blogue du 5 novembre 2012. Certains chroniqueurs et commentateurs anglophones devraient suivre un cours « Assimilation 101 ». http://bit.ly/VtWltR
4) Mettre en chantier une constitution québécoise à saveur républicaine. L'oeuvre récente de Marc Chevrier, prof à l'UQAM, (La république québécoise, hommages à une idée suspecte, aux Éditions Boréal) contient toutes les pistes possibles, dont plusieurs peuvent être entreprises sans remettre en question le lien Québec-Canada et sans négociations fédérales-provinciales. Il est temps qu'on se défasse des vieilleries monarchiques d'origine antidémocratique et qu'on les remplace par des institutions mieux adaptées au caractère distinct du Québec. Évidemment, si on pousse le raisonnement républicain plus loin, il faudra discuter avec le reste du pays et se donner une assise référendaire solide. Voir à ce sujet mon éditorial du 29 décembre dans Le Droit.
Éditorial du Droit du 29 décembre. Monarchie? République? http://bit.ly/VI6ZwK
5) Sortir le Pontiac du giron ontarien et relier l'Abitibi-Témiscamingue à l'Outaouais. La région du Pontiac et l'extrême sud du Témiscamingue subissent depuis trop longtemps l'influence prépondérante de l'Ontario (diocèses et paroisses rattachés aux institutions et aux lois ontariennes, un trou routier de 150 km qui oblige les Québécois de l'Abitibi-Témiscamingue et de l'Outaouais à emprunter les routes ontariennes, taux d'assimilation inquiétant des francophones de ces secteurs, etc.) Ce grand bassin est le maillon le plus faible du Québec. Il est grand temps qu'on s'intéresse au sort de ces régions, qui méritent tout au moins un modeste « Plan Ouest ». Voir l'éditorial du Droit et mon blogue à ce sujet.
Éditorial du Droit du 3 novembre 2012. Pontiac : au secours ! http://bit.ly/W9ojaZ
Blogue du 20 novembre 2012. À quand un modeste petit Plan Ouest? http://bit.ly/QWesaL
Blogue du 27 octobre 2012. La longue agonie des francophones du Pontiac. http://bit.ly/TNLLYD
Ces « chantiers » ont, dans la plupart des cas, le potentiel de rallier une opinion publique majoritaire, et leur démarrage immédiat serait nettement dans l'intérêt d'un Québec francophone et démocratique.
1) La Loi 101. On ne se fera pas d'illusion sur le sort législatif de toute mesure qui n'aura pas l'appui des libéraux et de la CAQ. Elle sera défaite. Par contre, rien n'empêche le gouvernement Marois d'appliquer avec plus d'énergie les dispositions de la Loi 101 qui sont déjà en vigueur, notamment en matière d'affichage commercial et de langue de travail. Il faut arrêter d'avoir peur de brusquer la sensibilité des forces anglicisantes ou des partisans du bilinguisme à outrance. S'ils le pouvaient, les dirigeants des entreprises fautives réserveraient encore aujourd'hui au français le sort qu'ils lui auraient sans doute réservé avant l'adoption de la Loi 101. Et si la presse anglo-canadienne habituellement hostile rugit, eh bien ! Tant pis ! J'ai arrêté d'espérer qu'ils nous aiment... ou qu'ils nous comprennent.
Éditorial du Droit du 13 décembre 2012. Charte de la langue française : un débat opportun. http://bit.ly/13A6Deb
2) L'anglais intensif en 6e année. Ce programme, carrément suicidaire pour la francophonie québécoise (et canadienne) à moyen et à long terme, doit être rescindé le plus rapidement possible, avant d'avoir eu le temps de causer des dommages permanents. Qu'on propose des programmes intensifs de langue seconde (et pas seulement l'anglais), soit, mais de façon sélective et sans nuire à l'apprentissage du français, qui est nettement déficient à en juger par les résultats. La qualité de rédaction et de compréhension en français de la génération qui monte (et de celles qui les ont précédées y compris les vieux comme moi) laisse grandement à désirer. Pour un argument plus complet, je propose les textes suivants, déjà publiés dans le quotidien Le Droit ou sur mon blogue.
Éditorial du Droit du 12 octobre 2012. Une pause salutaire. http://bit.ly/XBxpPa
Éditorial du Droit du 30 juillet 2012. Anglais intensif : l'enjeu négligé. http://bit.ly/11xy60B
Éditorial du Droit du 25 février 2011. Fossoyeurs du français. http://bit.ly/W5EBkz
Blogue du 22 août 2012. André Laurendeau et la mort par le bilinguisme. http://bit.ly/Pwfckd
Blogue du 7 décembre 2011. Le début de la fin? http://bit.ly/W9tOGA
3) Analyse approfondie du recensement 2011. Les chiffres ont été interprétés à toutes les sauces, et ont servi à toutes sortes de causes, souvent contradictoires. Qu'on mette l'Institut de la statistique du Québec à l'oeuvre pour décortiquer ces données et proposer un portrait détaillé des régions où la langue française perd du terrain face à l'anglais - Montréal métropolitain, sud-ouest (entre Montréal et la frontière ontarienne et américaine), Outaouais. Et pourquoi pas, du même coup, établir une comparaison valide avec le phénomène d'assimilation des minorités francophones des autres provinces. Le Québec est la mère-patrie du français en Amérique et a, à cet égard, certaines responsabilités. Voir quelques textes que j'ai déjà écrits à ce sujet.
Éditorial du Droit du 26 décembre 2012. Débats identitaires : d'une année turbulente à l'autre. http://bit.ly/RYGouc
Éditorial du Droit du 25 octobre 2012. Indigestion de chiffres. http://bit.ly/ZU6rlb
Blogue du 11 décembre 2012. Le français est-il ou non en danger au Québec. Le recensement 2011 répond « oui ». http://bit.ly/UzS3xl
Blogue du 5 novembre 2012. Certains chroniqueurs et commentateurs anglophones devraient suivre un cours « Assimilation 101 ». http://bit.ly/VtWltR
4) Mettre en chantier une constitution québécoise à saveur républicaine. L'oeuvre récente de Marc Chevrier, prof à l'UQAM, (La république québécoise, hommages à une idée suspecte, aux Éditions Boréal) contient toutes les pistes possibles, dont plusieurs peuvent être entreprises sans remettre en question le lien Québec-Canada et sans négociations fédérales-provinciales. Il est temps qu'on se défasse des vieilleries monarchiques d'origine antidémocratique et qu'on les remplace par des institutions mieux adaptées au caractère distinct du Québec. Évidemment, si on pousse le raisonnement républicain plus loin, il faudra discuter avec le reste du pays et se donner une assise référendaire solide. Voir à ce sujet mon éditorial du 29 décembre dans Le Droit.
Éditorial du Droit du 29 décembre. Monarchie? République? http://bit.ly/VI6ZwK
5) Sortir le Pontiac du giron ontarien et relier l'Abitibi-Témiscamingue à l'Outaouais. La région du Pontiac et l'extrême sud du Témiscamingue subissent depuis trop longtemps l'influence prépondérante de l'Ontario (diocèses et paroisses rattachés aux institutions et aux lois ontariennes, un trou routier de 150 km qui oblige les Québécois de l'Abitibi-Témiscamingue et de l'Outaouais à emprunter les routes ontariennes, taux d'assimilation inquiétant des francophones de ces secteurs, etc.) Ce grand bassin est le maillon le plus faible du Québec. Il est grand temps qu'on s'intéresse au sort de ces régions, qui méritent tout au moins un modeste « Plan Ouest ». Voir l'éditorial du Droit et mon blogue à ce sujet.
Éditorial du Droit du 3 novembre 2012. Pontiac : au secours ! http://bit.ly/W9ojaZ
Blogue du 20 novembre 2012. À quand un modeste petit Plan Ouest? http://bit.ly/QWesaL
Blogue du 27 octobre 2012. La longue agonie des francophones du Pontiac. http://bit.ly/TNLLYD
mardi 8 janvier 2013
La Fête nationale et la Guerre de 1812
Ainsi, le gouvernement fédéral invite les Québécois et les Canadiens français des autres provinces à intégrer le thème de la guerre de 1812 (voir http://bit.ly/13dwto5 , dans Le Devoir) aux célébrations du 24 juin sous toutes leurs appellations - Fête nationale du Québec, St-Jean ou, plus traditionnellement, St-Jean-Baptiste. Les réactions au Québec, négatives sans surprise, n'ont pas tardé. On peut comprendre que personne ne veuille trop participer à ce qui a été, jusqu'à maintenant, une campagne de propagande et une manipulation parfois grossière de l'histoire.
Mais à bien y penser, pourquoi pas ? Oui, pourquoi pas profiter de cette invitation d'Ottawa pour remettre les pendules de 1812 à l'heure ? Pourquoi ne pas en profiter pour corriger les interprétations tendancieuses, pour colmater les brèches, pour parler de l'évolution identitaire des anciens Bas-Canadiens, pour évoquer notre toute première révolte contre la conscription, pour jeter un regard sur les obstacles qu'ont dû surmonter les miliciens canadiens-français et leur habile commandant, le colonel de Salaberry, et aussi pour présenter toutes les injustices infligées par l'occupant britannique aux populations francophones de la vallée du Saint-Laurent ?
Cela pourrait servir de contrepoids à la propagande fédérale et, avec un recours judicieux au Web et aux médias sociaux, remplir les trous béants de l'exposition virtuelle du gouvernement canadien sur la guerre de 1812 (http://www.museedelaguerre.ca/guerre-de-1812/). Je vous propose ci-dessous une relecture d'une partie d'un éditorial que j'ai écrit dans le quotidien Le Droit en octobre 2011 (http://www.lapresse.ca/le-droit/opinions/editoriaux/pierre-allard/201110/13/01-4457014-1812-parlons-en-.php), et qui conserve, je crois, toute son actualité.
« Au Canada, et plus particulièrement au Bas-Canada (le Québec d'aujourd'hui), l'opposition à cette guerre était vive. Les Canadiens français n'étaient pas chauds à l'idée de prendre les armes pour le conquérant britannique. Sur une soixantaine de conscrits à La Prairie, la moitié seulement se sont présentés et les autres ont déserté le premier jour.
Pierre Allard
Mais à bien y penser, pourquoi pas ? Oui, pourquoi pas profiter de cette invitation d'Ottawa pour remettre les pendules de 1812 à l'heure ? Pourquoi ne pas en profiter pour corriger les interprétations tendancieuses, pour colmater les brèches, pour parler de l'évolution identitaire des anciens Bas-Canadiens, pour évoquer notre toute première révolte contre la conscription, pour jeter un regard sur les obstacles qu'ont dû surmonter les miliciens canadiens-français et leur habile commandant, le colonel de Salaberry, et aussi pour présenter toutes les injustices infligées par l'occupant britannique aux populations francophones de la vallée du Saint-Laurent ?
Cela pourrait servir de contrepoids à la propagande fédérale et, avec un recours judicieux au Web et aux médias sociaux, remplir les trous béants de l'exposition virtuelle du gouvernement canadien sur la guerre de 1812 (http://www.museedelaguerre.ca/guerre-de-1812/). Je vous propose ci-dessous une relecture d'une partie d'un éditorial que j'ai écrit dans le quotidien Le Droit en octobre 2011 (http://www.lapresse.ca/le-droit/opinions/editoriaux/pierre-allard/201110/13/01-4457014-1812-parlons-en-.php), et qui conserve, je crois, toute son actualité.
« Au Canada, et plus particulièrement au Bas-Canada (le Québec d'aujourd'hui), l'opposition à cette guerre était vive. Les Canadiens français n'étaient pas chauds à l'idée de prendre les armes pour le conquérant britannique. Sur une soixantaine de conscrits à La Prairie, la moitié seulement se sont présentés et les autres ont déserté le premier jour.
Quand les militaires britanniques ont arrêté des conscrits
récalcitrants, des centaines de Canadiens français armés ont menacé de prendre
d'assaut les prisons pour les libérer. Après un ultimatum des autorités
britanniques, un campement de 1500 Canadiens français défiants était établi aux
abords du Mont-Royal. Il a fallu des affrontements violents et des victimes,
ainsi qu'une propagande intense pour finalement réussir à imposer la
conscription aux francophones. Tout ça était connu des Américains et a
probablement contribué à leur faire croire à une invasion facile du Québec.
Et puis il y a la célèbre bataille de Châteauguay, avec son
héros authentique, le lieutenant-colonel Michel de Salaberry. Le gouvernement
utilise aujourd'hui cette victoire sur les Américains - voire cette guerre tout
entière - pour donner l'impression d'une certaine unité entre francophones,
anglophones et Autochtones, une espèce de jalon vers la confédération de 1867.
On pousse l'audace jusqu'à y voir une pierre d'assise de l'identité francophone
du Québec contemporain.
Dans la bataille de Châteauguay, quelques centaines de
miliciens, à plus de 90 % Canadiens français, ont mis en déroute une force
américaine de plus de 7000 hommes. Une des défaites les plus humiliantes de
l'histoire des États-Unis. Mais on ne rappellera pas trop souvent que Salaberry
a dû recruter personnellement ses « Voltigeurs » canadiens, qu'il n'a reçu à
peu près aucun soutien (on lui a même nui, à l'occasion) de l'état-major
britannique, qu'on avait limité à 300 le nombre des miliciens faute de fonds,
et que le gouverneur britannique a tenté par la suite de diminuer la gloire de
Salaberry.
Alors quand on vient nous parler d'identité francophone et quand
le ministre James Moore affirme que « les efforts héroïques de ceux qui se sont
battus pour notre pays (sic) durant la guerre de 1812 ont façonné l'histoire du
Canada tel que nous le connaissons aujourd'hui : un pays libre et indépendant,
doté d'une monarchie constitutionnelle et de son propre système parlementaire
», c'est de la bouillie pour les chats. L'oppression britannique est demeurée
aussi forte et il a fallu une rébellion en 1837-38 pour mettre véritablement en
branle un mouvement accéléré vers un gouvernement responsable. »
Une étude approfondie de la guerre de 1812 et la présentation de la perspective canadienne-française de la vallée du Saint-Laurent, avec ses conséquences dans les décennies qui ont suivi, jusqu'à la rébellion de 1837, seraient bienvenues dans le contexte actuel. Et personne, à Ottawa, ne s'en réjouirait.Pierre Allard
dimanche 6 janvier 2013
Le Québec sur la scène mondiale
Au début de décembre 2012, l'Assemblée nationale du Québec a adopté sans opposition une motion reconnaissant le droit des Palestiniens à l'autodétermination et à la création d'un État ainsi que le droit d'Israël de vivre en paix à l'intérieur de frontières sûres et reconnues. Cette position est - en principe bien sûr - similaire à la position « officielle » du Canada mais son affirmation par l'Assemblée nationale, sur proposition de Jean-François Lisée et Amir Khadir, constituait une claire dénonciation du vote canadien contre l'admission de la Palestine à l'ONU à titre d'observateur et des durs propos tenus après le vote par le ministre des Affaires étrangères John Baird.
Semblant faire fi de sa propre politique dans le conflit israélo-palestinien, officiellement favorable à la solution des deux États, le Canada faisait partie du groupe de neuf pays qui ont voté contre l'octroi du statut d'État non-membre observateur à l'ONU. Le gouvernement Harper, inconditionnellement pro-Israël par les temps qui courent, avait même tenté d'intimider les Palestiniens, les menaçant de représailles diplomatiques et financières s'ils poursuivaient leur démarche d'admission aux Nations Unies. La motion du Québec, destinée à la planète entière, disait en quelque sorte qu'ici, il n'y a pas unanimité sur cette question et qu'à l'intérieur même de la fédération canadienne, la nation québécoise est plus ouverte qu'Ottawa aux demandes somme toute modérées des Palestiniens.
Ce qui est intéressant dans cette histoire, ce n'est pas tellement le degré de différence entre la position d'Ottawa et celles des parlementaires québécois, mais le fait que le Québec, en tant que peuple, en tant que nation, puisse avoir des opinions « internationales » qui lui sont propres et qu'il n'existe aucun forum officiel, autre que l'Assemblée nationale, où elles puissent être exprimées. La diplomatie demeure un pouvoir que le gouvernement fédéral partage le moins possible avec les provinces et il n'y a pas vraiment d'instance fédérale-provinciale ayant pour mandat principal de discuter régulièrement de relations internationales au sens large.
Et même si telle instance existait, le problème se poserait toujours : le Québec y serait comme d'habitude une province sur dix, alors qu'on sait, en réalité, qu'il est représente aussi une nation. À cet égard, il incarne le coeur de la composante francophone de la dualité canadienne, il est un sur deux, et il n'est pas dit que ses intérêts, politiques, économiques ou culturels soient toujours les mêmes que ceux de la nation anglo-canadienne. L'expression « les deux solitudes » n'évoque pas une situation fictive. Sondage après sondage, élection après élection, les différences collectives se manifestent.
Un des plus grands défauts de la fédération canadienne, c'est justement l'incapacité de permettre à cette dualité de s'exprimer, tant au niveau fédéral qu'au palier international. Et la possibilité que cela survienne un jour semble plus que faible, du moins présentement. Et pourtant, sur le plan des principes constitutionnels, rien ne s'oppose à la mise en place de solutions novatrices qui permettraient au Québec d'occuper une compétence élargie sur la scène mondiale. On n'est pas obligé de briser le pacte fédératif pour permettre à la nation francophone du pays de développer encore davantage un rôle international que le Québec bonifie déjà depuis la Révolution tranquille.
Il suffit de rappeler, à cet égard, que l'Ukraine et la Biélorussie avaient chacune eu droit à un siège aux Nations Unies à l'époque où elles étaient des États membres de l'URSS, qui avait comme le Canada une structure fédérative. Le précédent existe donc : un État membre d'une fédération peut siéger à l'ONU. On pourrait aussi s'inspirer de la constitution belge, où les communautés française et flamande ont chacune le droit constitutionnel, en matière de coopération internationale, de conclure des traités avec d'autres pays.
Sur le plan sportif, on peut aussi penser à Porto Rico et Hong Kong, qui sont encore moins souverains que le Québec mais qui ont des délégations aux Olympiques. Pourquoi le Québec ne pourrait-il pas en faire autant?
Il y a plus de 50 ans, en 1961, Pierre Elliot Trudeau écrivait au sujet du Québec dans Cité libre : « Ouvrons les frontières ! Ce peuple meurt d'asphyxie ! » Évidemment, il dénonçait à cette époque le Québec replié sur soi de l'ère Duplessis et proposait une ouverture sur l'ensemble du Canada. L'ouverture qu'il souhaitait s'est produite et pourtant, ses paroles restent actuelles. C'est la fenêtre sur le monde qu'il faut désormais ouvrir plus grande.
Semblant faire fi de sa propre politique dans le conflit israélo-palestinien, officiellement favorable à la solution des deux États, le Canada faisait partie du groupe de neuf pays qui ont voté contre l'octroi du statut d'État non-membre observateur à l'ONU. Le gouvernement Harper, inconditionnellement pro-Israël par les temps qui courent, avait même tenté d'intimider les Palestiniens, les menaçant de représailles diplomatiques et financières s'ils poursuivaient leur démarche d'admission aux Nations Unies. La motion du Québec, destinée à la planète entière, disait en quelque sorte qu'ici, il n'y a pas unanimité sur cette question et qu'à l'intérieur même de la fédération canadienne, la nation québécoise est plus ouverte qu'Ottawa aux demandes somme toute modérées des Palestiniens.
Ce qui est intéressant dans cette histoire, ce n'est pas tellement le degré de différence entre la position d'Ottawa et celles des parlementaires québécois, mais le fait que le Québec, en tant que peuple, en tant que nation, puisse avoir des opinions « internationales » qui lui sont propres et qu'il n'existe aucun forum officiel, autre que l'Assemblée nationale, où elles puissent être exprimées. La diplomatie demeure un pouvoir que le gouvernement fédéral partage le moins possible avec les provinces et il n'y a pas vraiment d'instance fédérale-provinciale ayant pour mandat principal de discuter régulièrement de relations internationales au sens large.
Et même si telle instance existait, le problème se poserait toujours : le Québec y serait comme d'habitude une province sur dix, alors qu'on sait, en réalité, qu'il est représente aussi une nation. À cet égard, il incarne le coeur de la composante francophone de la dualité canadienne, il est un sur deux, et il n'est pas dit que ses intérêts, politiques, économiques ou culturels soient toujours les mêmes que ceux de la nation anglo-canadienne. L'expression « les deux solitudes » n'évoque pas une situation fictive. Sondage après sondage, élection après élection, les différences collectives se manifestent.
Un des plus grands défauts de la fédération canadienne, c'est justement l'incapacité de permettre à cette dualité de s'exprimer, tant au niveau fédéral qu'au palier international. Et la possibilité que cela survienne un jour semble plus que faible, du moins présentement. Et pourtant, sur le plan des principes constitutionnels, rien ne s'oppose à la mise en place de solutions novatrices qui permettraient au Québec d'occuper une compétence élargie sur la scène mondiale. On n'est pas obligé de briser le pacte fédératif pour permettre à la nation francophone du pays de développer encore davantage un rôle international que le Québec bonifie déjà depuis la Révolution tranquille.
Il suffit de rappeler, à cet égard, que l'Ukraine et la Biélorussie avaient chacune eu droit à un siège aux Nations Unies à l'époque où elles étaient des États membres de l'URSS, qui avait comme le Canada une structure fédérative. Le précédent existe donc : un État membre d'une fédération peut siéger à l'ONU. On pourrait aussi s'inspirer de la constitution belge, où les communautés française et flamande ont chacune le droit constitutionnel, en matière de coopération internationale, de conclure des traités avec d'autres pays.
Sur le plan sportif, on peut aussi penser à Porto Rico et Hong Kong, qui sont encore moins souverains que le Québec mais qui ont des délégations aux Olympiques. Pourquoi le Québec ne pourrait-il pas en faire autant?
Il y a plus de 50 ans, en 1961, Pierre Elliot Trudeau écrivait au sujet du Québec dans Cité libre : « Ouvrons les frontières ! Ce peuple meurt d'asphyxie ! » Évidemment, il dénonçait à cette époque le Québec replié sur soi de l'ère Duplessis et proposait une ouverture sur l'ensemble du Canada. L'ouverture qu'il souhaitait s'est produite et pourtant, ses paroles restent actuelles. C'est la fenêtre sur le monde qu'il faut désormais ouvrir plus grande.
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