L'autre soir, je regardais une émission locale de MAtv Outaouais et l'animateur demandait au conseiller municipal Richard Bégin de définir l'identité gatinoise. L'élu du secteur Aylmer, historien, mordu du patrimoine, aurait pourtant dû être bien outillé pour répondre, mais il n'a pas osé s'aventurer sur ce terrain miné.
À l'ombre du Parlement fédéral et du centre-ville d'Ottawa, les questions identitaires sont toutes «loadées comme un gun» dans la métropole de l'Outaouais... L'identité, ici plus qu'ailleurs, a une forte composante linguistique... Nos politiciens pudiques et les gens d'affaires allergiques à toute controverse susceptible de limiter leurs marges de profits évitent les débats d'identité à charge linguistique comme la peste... Mais la réalité reste…
La langue française est menacée partout au pays, y compris dans deux importantes régions du Québec - l'Outaouais et l'île de Montréal. Les recensements fédéraux en font foi, et celui de 2011 ne fait pas exception. Ces colonnes de chiffres dans d'arides documents n'ont rien d'abstrait. Quand on vit dans la région d'Ottawa et de Gatineau, le miroir du recensement c'est la réalité quotidienne.
J'ai grandi en face du centre-ville de Hull, du côté ontarien dans un quartier jadis à majorité francophone, où l'identité franco-ontarienne et canadienne-française se voyait et s'entendait dans la rue. Puis au début des années 1950 est arrivé un méga projet d'édifices fédéraux dans le voisinage (Tunney's Pasture) et en quelques décennies, la communauté s'était disloquée. L'identité avec! La langue de la rue, c'est désormais l'anglais et les pages du recensement en dressent un portrait cru et froid…
Dans les pages du quotidien Le Droit de mercredi (25 février), on fait état du projet Windmill (rebaptisé Zibi) qui viendra modifier de façon majeure le secteur du pont des Chaudières de Gatineau (au coeur de l'ancienne ville de Hull). Ce projet vient, entre autres, ajouter près de 2000 logements (des condos) dans un coin de Gatineau où la proportion de francophones est en mode érosion depuis plus de 40 ans…
Celé ne serait pas inquiétant en soi si plusieurs promoteurs immobiliers de l'Outaouais québécois n'avaient pas tant ciblé - avec succès - le marché des acheteurs ontariens, à majorité anglophones, depuis des dizaines d'années. Ces gens, pour la plupart, arrivent ici sans la moindre intention de s'intégrer à la majorité francophone et resteront en forte proportion unilingues anglais. Si ce genre de clientèle vient peupler Zibi, quel sera l'effet identitaire?
Le conseiller Richard Bégin n'a pas osé se mouiller en ondes... pas plus que les autres membres du conseil municipal y compris le maire Pednaud-Jobin lors de l'annonce du projet Windmill-Zibi, mardi. Sur la même scène il y avait le maire d'Ottawa, Jim Watson, adversaire acharné du bilinguisme officiel dans son patelin qui est aussi la capitale du pays... Quelqu'un, quelque part, viendra-t-il affirmer haut et fort que la langue et la culture françaises font partie de l'identité gatinoise et que des projets comme Windmill-Zibi devront en tenir compte? Peut-être l'a-t-on fait en privé? Je l'espère.
Au cas où certains pourraient penser que cette question n'a guère d'importance, je vais risquer quelques chiffres pour alimenter la discussion. Je vais retourner à 1971 comme date de comparaison parce que c'est la première année où Statistique Canada a introduit dans ses recensements la notion de langue d'usage - la langue la plus souvent parlée à la maison. En comparant les chiffres de la langue d'usage à ceux de la langue maternelle (première langue apprise et encore comprise), on obtient un portrait plus ou moins fidèle de la dynamique linguistique sur un territoire donné.
En 1971, dis-je donc, la proportion de francophones selon la langue maternelle était de 89% dans l'ancienne ville de Hull, et 88,7% des gens indiquaient le français comme langue d'usage. Au dernier recensement, celui de 2011, dans le secteur Hull de Gatineau, la proportion d'habitants indiquant le français comme langue maternelle avait chuté à 73% (c'est 75% selon la langue la plus souvent parlée à la maison).
À cette baisse appréciable correspond une hausse, en nombres absolus et en proportion, de la population de langue anglaise. Selon la langue maternelle, 5% en 1971, 10% en 2011. Selon la langue d'usage, 9,5% en 1971, 13% en 2011. De plus, ce que ces chiffres indiquent, c'est que l'anglais a un pouvoir d'attraction supérieur auprès des allophones…
Une autre statistique inquiétante… La proportion de la population qui ne connaît que le français comme langue officielle (pour la plupart unilingues français) est passée de 42% en 1971 à 26% en 2011, pendant que la proportion de ceux et celles qui ne connaissent que l'anglais comme langue officielle (la plupart unilingues anglais) est en hausse, de 5% en 1971 à 7 % en 2011. On peut en déduire qu'une forte proportion de la minorité anglophone en croissance reste unilingue anglaise…
La part des bilingues est passée, en 40 ans, est passée de 52 à 66% dans le secteur Hull. C'est la tendance typique vers l'assimilation, telle que constatée partout au Canada hors-Québec. On le voit même dans les secteurs à majorité francophone comme Prescott-Russell dans l'Est ontarien, où, depuis 1951, le nombre d'unilingues français a dramatiquement chuté, de 47% à 13%, pendant que la proportion de bilingues et d'unilingues anglais est à la hausse.
C'est le bilinguisme comme étape, comme transition entre l'unilinguisme français et l'éventuel unilinguisme anglais. Les partisans du bilinguisme tous azimuts semblent croire que le bilinguisme est une destination, mais ce n'est qu'un arrêt d'une génération ou deux avant l'assimilation totale à l'anglais. On voit déjà des signes inquiétants de ce phénomène dans le secteur Aylmer, le plus «bilingue» de Gatineau. Plus de la moitié des anglophones y sont unilingues alors que la grande majorité des francophones sont bilingues.
Aussi, quand on compare la langue maternelle à la langue d'usage, on s'aperçoit que 25% des Aylmeriens sont de langue maternelle anglaise mais que 31% d'entre eux parlent surtout l'anglais à la maison… Personne n'a vraiment besoin du français à Aylmer, ni d'ailleurs au centre-ville de Gatineau… Et si le recrutement des futurs proprios de Windmill-Zibi se fait principalement du côté ontarien, l'anglicisation du Vieux Hull s'accélérera…
J'ai vu, à Ottawa, les quartiers francophones (ou contenant des proportions appréciables de francophones) «bulldozés» par une majorité oscillant entre l'indifférence et le racisme ouvert. Les Plaines LeBreton, Mechanicsville, la Basse-Ville… On a détruit, changé les zonages, exproprié… sans égard pour les conséquences culturelles ou identitaires… et les protestations de rares groupes francophones, comme le Comité du réveil de la Basse-Ville, n'ont rien donné.
Si on laisse faire à Gatineau, comme on a laissé faire dans les quartiers canadiens-français d'Ottawa, on se retrouvera un jour devant un déclin irréversible de la langue et de la culture françaises dans d'importants secteurs de Gatineau. Et si, ce même jour, les Anglos devaient y devenir majoritaires, le sort qui nous attend, on le connaît. Allez faire un tour dans le Pontiac, c'est déjà fait!
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