Fini le feuilletage du Droit, du Soleil, de la Tribune et des autres médias «papier» du matin en sirotant son café au petit déjeuner, à la maison ou au resto… Finie, la lecture des comptes rendus des matches de la veille ou l'examen attentif des colonnes de statistiques sportives dans l'autobus ou dans le métro… Fini le découpage de l'occasionnel avis de décès d'un proche ou d'un ami pour l'envoi d'une carte ou les détails des funérailles… Fini tout cet héritage de rituels associés à la présence d'un journal imprimé dans la vie quotidienne des gens d'ici…
Pourquoi je pense à ça, soudainement? Parce que j'ai trouvé dans mes dossiers un exemplaire de l'édition du lundi 8 mai 1978 du quotidien Montréal-Matin, aujourd'hui disparu. L'ancien organe de l'Union nationale, passé aux mains de La Presse/Power en 1973, avait cessé de publier pendant les six mois d'un conflit de travail qui avait mené les employés à la grève. Il avait retrouvé les kiosques et les perrons ce matin du 8 mai et la caricature du célèbre Berthio (ancien caricaturiste du Devoir) à la une montrait une foule qui se piétine, rue Ste-Catherine, pour obtenir des exemplaires du journal…
Dans la caricature, le responsable du kiosque crie: «Y sont affamés!» Sept mois et demie plus tard, fin décembre, les proprios mettaient la clef dans la porte et le journal ferma ses portes, pour de bon, après 48 années de publication. Faut croire que Montréal-Matin n'avait plus les reins assez solides pour concurrencer le Journal de Montréal, ou que Power Corp avait d'autres plans, ou que les abonnés n'étaient pas aussi «affamés» qu'on l'espérait…
Pourtant, le produit était solide, la présentation agréable, et le personnel dynamique. L'équipe d'information était dirigée par Marcel Desjardins, qui devait par la suite devenir vice-président et éditeur adjoint de La Presse. Le rédacteur en chef était Marc Laurendeau, journaliste, auteur et ancien membre des Cyniques. Dans l'équipe de rédaction, on retrouvait les Jean-V. Dufresne, Claude Picher (éventuel chroniqueur économique à La Presse), Gilbert Brunet (avant de devenir éditeur du Nouvelliste), Pierre April (futur patron du service français de la Presse canadienne), Bernard Brisset et bien d'autres.
Dans son message intitulé Enfin de retour!, l'éditeur Michel Lord concluait ainsi: «Le succès du Montréal-Matin repose sur nos efforts et sur votre fidélité.» Connaissant personnellement quelques-uns des artisans du journal de 1978, et de réputation plusieurs des autres, je n'ai aucun doute que les efforts, l'enthousiasme et la compétence n'ont pas manqué à l'appel. Mais à cette époque comme aujourd'hui, la simple présence d'une équipe étincelante ne suffit pas pour assurer sa pérennité. À preuve, dans cette édition du 8 mai 1978, on peut lire des reportages sur les Nordiques de Québec et les Expos de Montréal… relégués, comme le Montréal-Matin, aux tablettes de l'histoire…
La disparition de ce quotidien que j'aimais bien a appauvri l'offre médiatique… mais les lecteurs et lectrices avaient toujours de quoi se mettre sous la dent avec la présence, dans la région de la métropole, de trois autres quotidiens de langue française. Ce qui arrivera au Droit, au Soleil, à la Tribune, au Nouvelliste, au Quotidien et à La Voix de l'Est l'an prochain ou dans les années suivantes est bien plus grave. À la limite, à Québec, il y aura toujours le quotidien de Québécor mais dans les autres villes, à moins de se procurer les quotidiens de PKP ou Le Devoir, c'en sera fini de l'imprimé…
Et n'allez pas me dire qu'un onglet dans La Presse+ constitue un substitut acceptable dans les régions hors-Montréal. D'abord parce que le contenu sera appauvri, tout au moins sur le plan quantitatif, et qu'il ne sera disponible qu'en format numérique, pour tablettes seulement… J'aime bien lire à l'écran, mais j'aime encore mieux lire un imprimé (journal, magazine, livre) que je peux tenir dans mes mains, feuilleter à ma guise, annoter, surligner, plier, ranger, découper, conserver… L'édition du Montréal-Matin que j'ai a une permanence que le numérique ne pourra jamais assurer. Les écrits imprimés restent! Les écrits sur écran peuvent être modifiés. Rien ne vous garantit que ce que vous voyez à l'écran, c'est bien l'original… que ç'a n'a pas été tripoté en cours de route…
Les grands planificateurs du numérique ont fait de mauvais calculs. Rien ne les assure que la tablette numérique aura l'endurance de la civilisation de l'imprimé. De fait, j'ai la conviction qu'avec le temps, l'imprimé réaffirmera sa supériorité, même au sein des jeunes générations. Le numérique est désormais essentiel. Les publications sur Internet (des grands quotidiens aux blogues personnels) et les médias sociaux sont là pour rester et surmultiplient l'offre d'information. Mais leur puissance reste fragile. Sans le ciment de l'imprimé comme assise, le numérique construit sur des sables mouvants.
S'il reste encore à la tête de Power Corporation quelque souci de civilisation, on rouvrira le débat sur l'avenir de l'imprimé médiatique quotidien, avant qu'il ne soit trop tard. Présentement, c'est le régime du silence et de la censure. Et ce régime, croyez-moi, peut se transporter dans un univers numérique… Où est notre Zachary Richard de l'information: «Réveille! Réveille!» (http://bit.ly/NNsNWC)...
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