Ce matin, dans les pages du quotidien Le Droit, on proposait aux lecteurs et lectrices un cahier spécial intitulé «Les Rendez-vous de la Francophonie». De quoi m'accrocher, compte tenu de l'intérêt que je porte depuis 50 ans à la langue et la culture françaises, jusqu'à ce que je m'aperçoive que ce diable de cahier est… bilingue!
Je ne comprends pas… mais vraiment pas! Les Rendez-Vous de la Francophonie ou RVF sont organisés pour promouvoir la langue française dans le cadre des manifestations entourant la Journée internationale de la Francophonie (20 mars)… Alors pourquoi les textes de ce cahier spécial sont-ils présentés en français et en anglais???
C'est aberrant, d'autant plus que l'instigateur des RVF est la «Fondation canadienne pour le dialogue des cultures», une émanation de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA)… Après 150 ans de combats pour faire valoir les droits des francophones de ce pays, est-on usé et rabattu au point de devoir s'habiller en «bilingues» pour présenter les RVF sur la place publique?
Je m'excuse d'avance de ne pas paraître très gentil avec des gens que j'estime et qui ont sûrement les meilleurs motifs et qui débordent de bonne volonté, mais agir ainsi, c'est s'humilier sur la place publique! Les RVF intéressent les francophones et les francophiles, c'est-à-dire des gens qui utilisent le français ou, dans le cas des francophiles, qui le comprennent ou s'y sentent tout au moins fortement attirés. Ils ne s'attendent pas à trouver dans les RVF un visage moitié français moitié anglais…
Au dernier recensement, celui de 2011, près de 10 millions de personnes pouvaient s'exprimer en français d'un océan à l'autre. Les trois quarts (7 millions et demie) ont grandi francophones. Mais les deux millions et demie qui restent sont des anglophones ou des allophones capables de comprendre et de communiquer en français. Les véritables francophiles sont là! Et l'immense majorité d'entre eux peut se débrouiller suffisamment bien en français pour lire un cahier spécial sans textes anglais…
N'y a-t-il pas dans ce 10 millions de «francophones» un défi suffisamment grand pour les RVF? N'est-il pas déjà assez difficile de promouvoir la francophonie au sein des groupes francophones (québécois, canadiens-français et acadiens)? Les 22 millions de Canadiens et Canadiennes qui ne connaissent que l'anglais comme langue officielle s'intéressent assez peu à nous, et oscillent le plus souvent entre l'indifférence et l'hostilité… Leur proposer un cahier bilingue, c'est un gaspillage de ressources…
Le cahier, sur la page de dos, contient au moins un brin d'humour avec la publicité d'une demi-page d'Air Canada intitulée (dans sa version française): «Fiers de parler français dans les airs et sur terre.» Cela plaira sûrement au couple Thibodeau, qui pourra sans doute commander ses 7up en français à l'avenir, et au commissaire aux Langues officielles, Graham Fraser, qui n'a pas, ces dernières années, constaté à Air Canada la «fierté» que vante cette pub…
J'ai aussi lu avec stupéfaction le message - bilingue comme tous les autres - du ministre québécois responsable de la francophonie canadienne, Jean-Marc Fournier. «Le Québec, écrit-il dans la version française, à l'aube du 150e anniversaire de la Confédération, souhaite souligner la contribution essentielle de la francophonie canadienne à l'enrichissement du pays.» Non mais dans quel «pays des merveilles» le ministre sommeille-t-il depuis sa nomination?
Depuis 1867, les provinces à majorité anglaise ont toutes indiqué leur attitude face à la «contribution» possible de leurs minorités francophones en abolissant leurs droits scolaires et en entretenant des politiques quasi racistes d'assimilation, et ce jusqu'à ce que la «Révolution-pas-très-tranquille» du Québec dans les années 1960 vienne menacer l'intégrité du pays. Au cours du dernier demi-siècle, les luttes ont continué et aboutissent le plus souvent devant les tribunaux…
La «contribution essentielle» de la francophonie canadienne à la Confédération a été de survivre tant bien que mal aux assauts d'une majorité largement intolérante… Le ministre devrait peut-être repenser au 150e et s'interroger sur le mérite de célébrer quoi que ce soit… à moins d'en profiter pour rendre hommage aux luttes et à la résistance qui nous ont menés jusqu'à 2017…
On veut faire des rendez-vous de la francophonie? Merveilleux! On vous invite en français. On dialogue en français. On parle et on écrit en français. C'est notre identité et c'est ainsi qu'on se présente, fièrement et dignement !
M. Allard, vous n'avez pas compris. Si vous preniez la peine d'aller sur le site RVF.ca, vous y verriez les 2000 activités recensées pendant les Rendez-vous de la francophonie, partout à travers le pays. Le 17 galas pour rire, les projections de l'ONF et les centaines d'activités présentent et célèbrent la présence et la vitalité de la francophonie dans son ensemble.
RépondreSupprimerIl est bien beau de célébrer ensemble mais il faut aussi le laisser savoir à la majorité que nous sommes présents partout sur le territoire.
Le Journal s'adresse surtout aux anglophones. Sur le million d'exemplaires, 90% est distribué dans les foyers anglophones. Il ne faut pas que la francophonie soit repliée sur elle-même. Elle doit s'ouvrir et accueillir l'autre. Lorsqu'il y aura 30 millions de francophiles dans ce pays, la francophonie s'en portera mieux.
Guy Matte,
Directeur général
Fondation canadienne pour le dialogue des cultures
Si ce que Le Droit m'a distribué était d'abord destiné aux anglophones, y a-t-il au moins un cahier qui s'adresse aux francophones, en français seulement?
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