Le projet d'université de langue française en Ontario est-il mort? Non. Est-il en danger? Oui! Quand j'ai lu les premiers comptes rendus de la conférence de presse d'hier des trois organisations porteuses du projet - le REFO (Regroupement étudiant franco-ontarien), la FESFO (Fédération de la jeunesse franco-ontarienne) et l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario) - j'ai sursauté… Deux années complètes de consultations, de mobilisation et d'études pour en arriver à la demande d'un campus universitaire de langue française dans la région de Toronto d'ici 2018? Juste ça?
Qu'était-il arrivé à l'élan collectif qui avait lancé, il y a quelques années, cette plus récente mouture d'un vieux projet, celui de compléter jusqu'à l'universitaire le réseau scolaire franco-ontarien? Qu'était-il arrivé à cette volonté de mettre fin à «l'anglo-dominance» des deux monstres bilingues, l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne, et de réclamer sans délai un réseau universitaire «par et pour les francophones» en Ontario? Comment était-on passé de cette fougue du début, de cette volonté de foncer, à cette nouvelle attitude - visible depuis les États généraux d'octobre dernier sur le postsecondaire - beaucoup plus nuancée, adoucie, toute en compromis?
Un excellent rapport
Il ne s'agit pas de blâmer qui que ce soit mais de comprendre. Je me souviens du projet de transformer l'Université d'Ottawa en université de langue française à la fin des années 60, projet soutenu par l'ACFO (Association canadienne-française de l'Ontario, prédécesseur de l'AFO) et par l'APMJOF (Assemblée provinciale des mouvements de jeunes de l'Ontario français). Après un bref élan, tout s'était écroulé. À cette époque, dans nos démarches, on ne s'était jamais rendu aussi loin que le REFO, la FESFO et l'AFO, qui ont fait un extraordinaire boulot et dont le rapport rendu public hier (que j'ai lu ce matin) mérite un A+. Il n'y a rien de bâclé là-dedans.
Non, la qualité de l'analyse et de la justesse des hypothèses mises de l'avant ne sont pas en cause. Les enjeux sont généralement bien cernés et le gouvernement Wynne, s'il est sérieux dans sa volonté de soutenir la francophonie ontarienne, ferait bien de lire toutes les lignes du document, et même de lire entre les lignes. Non, le problème vient de l'attitude des organismes franco-ontariens face au gouvernement provincial, une attitude malheureusement héritée des générations précédentes.
…«au lieu de contester»
«En milieu minoritaire, lit-on dans le rapport d'une cinquantaine de pages, au lieu de contester le pouvoir établi, on trouve plus sage de bien amener son projet, de souligner l'aspect positif d'un projet nouveau et justifier, pour le mieux et pour le pire, sa faisabilité économique. L'explication d'un projet avec nuance et clarté peut éviter des critiques qui ne mèneraient qu'au maintien du statu quo.» «Un bon rapport avec le gouvernement provincial, ajoute-t-on, pourrait également être un atout.» Et voilà!
Finie la confrontation, finie la contestation, finie les accusations? Il s'agit de présenter un bon projet, bien étayé, bien raisonnable, et les dominos politiques vont finir par tomber en place… J'espérais vraiment qu'on avait fini de croire à ces vieilles histoires, qui ont toujours été fausses et mises de l'avant pour freiner l'ardeur des plus idéalistes. Peu importe la valeur du document, peu importe la modération des demandes (et celle fois, elles sont TRÈS modérées), on trouvera toujours le moyen de dire que c'est trop, que ça coûte trop cher, que ça prend des études, des comités… sans oublier que tout cela se déroule sur un fond d'opinion anglo-ontarienne indifférente et souvent hostile…
C'est déjà commencé. Le recteur de l'Université d'Ottawa, un anglophone qui hésite à appuyer le bilinguisme officiel à la ville d'Ottawa et dont l'institution n'ose même pas planter un immense drapeau franco-ontarien au coeur du campus pour ne pas offusquer les anglos, affirme publiquement que les Franco-Ontariens l'ont déjà, leur université et que c'est l'Université d'Ottawa. L'a-t-on confronté, l'a-t-on envoyé promener? Non. Silence. La ministre Madeleine Meilleur, supposément une alliée du projet d'université franco-ontarienne, a défendu l'Université d'Ottawa et affirmé qu'il n'y aurait pas de campus universitaire de langue française dans la capitale fédérale. Encore hier, elle a déclaré que le peu que demandaient les Franco-Ontariens - le campus à Toronto en 2018 - c'était «trop ambitieux»!!!
Nous nous souvenons?
Un peu de mémoire, tout le monde! Les Franco-Ontariens n'ont jamais gagné leurs combats parce qu'ils étaient raisonnables et gentils. Le gouvernement Robarts a accordé un réseau d'écoles primaires et secondaires de langue française dans les années 1960 parce que son homologue du Québec, Daniel Johnson, proposait l'indépendance faute d'égalité, et que la société québécoise voisine bouillonnait face à l'anglo-dominance. Le contrôle et la gestion des réseaux scolaires franco-ontariens - et ceux des autres provinces où les francophones sont minoritaires - ont été obtenus devant les tribunaux, par la confrontation de gouvernements avec qui les négociations raisonnables n'avaient rien donné. Et que penser de l'hôpital Montfort? Heureusement qu'on n'a pas écouté ces voix qui disaient l'importance d'être raisonnables. La bataille a été gagnée dans la rue et devant les tribunaux!
Croyez-vous vraiment qu'un bon document - et il est excellent, votre rapport! - va convaincre les politiciens de Queen's Park? Quand l'opinion publique est contre vous? Non! C'est une question de justice fondamentale. Tous les arguments, vous les énoncez avec clarté, messieurs et mesdames du REFO, de la FESFO et de l'AFO. Cette université vous est due, et elle vous est due depuis longtemps! Le temps est venu d'exiger, pas de quêter un campus pour 2018 à Toronto. Et l'argent? De combien de millions, voire de milliards a-t-on privé les Franco-Ontariens depuis la Confédération en ayant rendu leurs écoles illégales en 1912, puis en les privant souvent de l'essentiel pendant un autre trois quart de siècle? Ces sommes vous sont dues, et le gouvernement n'a aucun argument moral à vous opposer. Qu'ils la trouvent, l'argent. Québec n'affame pas les universités anglophones, loin de là.
Dites-le haut et fort!
Dites-le haut et fort, pour que le pays tout entier vous entende, pour faire honte à ce gouvernement qui veut faire croire à sa bonne volonté mais qui vous fait dire qu'une toute petite demande est «un peu trop ambitieuse». N'essayez pas de résoudre les problèmes de financement et de gestion pour eux. C'est leur problème, ils ont une armée d'experts à leur disposition. Quand les écoles primaires et secondaires sont devenues françaises, on a géré la transition. Quand le collège Algonquin a cessé d'être bilingue, on a géré la transition. Quand on décrétera par loi que les programmes universitaires existants et futurs sont désormais sous gestion francophone, on gérera la transition. En dépit des cris et grincements de dents des institutions existantes.
L'heure n'est plus à la prudence mais à l'audace. Parce que «le défi de l'assimilation», pour employer les paroles de Denis Vaillancourt, président de l'AFO, ne permet plus d'attendre. Il est encore temps de sauver les meubles, de retrouver l'élan, de monter à l'assaut. Sur le plan de l'argument, les Franco-Ontariens ont en mains TOUS les atouts. La position du gouvernement est intenable... mais il détient le pouvoir. Il faudra forcer ce pouvoir à agir. Malheureusement, l'attitude actuelle des défenseurs de l'université de langue française ne fera pas fléchir Queen's Park...
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Voir aussi ce texte de blogue d'octobre 2014:
Université franco-ontarienne: on va où? bit.ly/1y0BNfv
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