C'est un discours insidieux qui, à force d'être répété ad nauseam et endossé comme une évidence par la majorité des élites politiques et médiatiques, devient vérité pour trop de gens peu ou mal informés. Un projet d'une autre époque? De quelle époque, au juste? Et ces vieilles chicanes, quand se sont-elles produites? Recule-t-on jusqu'à la rébellion des Patriotes, au rapport Durham, à l'Acte d'Union, à la mise en place de la Confédération, aux crises scolaires du 19e et du 20e siècles, à la Révolution tranquille, aux référendums de 80 et 95, au rapatriement unilatéral de la Constitution, à l'Accord du Lac Meech?
Davantage anti-séparatistes qu'authentiques fédéralistes, ces fossoyeurs du rêve d'un Québec indépendant se gardent bien d'aller plus loin dans leurs explications. Pourquoi le faire, quand leur auditoire applaudit sans se poser de questions… S'ils se trouvaient acculés à une justification, ils seraient obligés d'ouvrir des pans d'histoire qui démontrent pourquoi toutes ces «vieilles chicanes» ont vu le jour… et risquer de révéler que la plupart d'entre elles n'ont jamais vraiment été réglées… et que les francophones et les Québécois ont été le plus souvent perdants…
Je viens d'achever le livre Brève histoire des patriotes, de Gilles Laporte*, publié récemment - en avril 2015. Une synthèse assez remarquable de cette période de l'histoire où le peuple bas-canadien (on dirait aujourd'hui québécois), devenant nation, a voulu se libérer de ses chaînes coloniales et se gouverner en fonction de principes qui - au moment de la rébellion de 1837-1838 - incorporaient de plus en plus des valeurs laïques et républicaines.
La réponse de Londres a été militaire et brutale. Journaux interdits, villages incendiés, pillés, familles dépouillées, patriotes emprisonnés, exilés et pendus. Sans oublier «la solution finale» issue du rapport Durham: incarcérer la nation française d'Amérique dans un régime où elle serait désormais minoritaire, où sa langue serait interdite, et où, graduellement, elle serait assimilée à une majorité anglophone. Ce fut l'Acte d'Union de 1840. Cet Acte marqua notre passage de majorité qui s'assume à minorité qui quémande, de peuple normal à peuple «provincial», trop souvent soumis à une majorité pan-canadienne «autre» ou hostile… Ce fut le signal d'une lutte qui se poursuit 175 ans plus tard…
En 1867, la Confédération a créé un cadre juridique qui faisait du Québec une réserve bilingue dans un Canada autrement anglais… On l'a vu dans les décennies qui ont suivi… de la première rébellion des Métis à la Première Guerre mondiale, alors que des majorités anti-francophones racistes ont enclenché une persécution systématique de leurs minorités acadiennes et canadiennes-françaises sans que le gouvernement fédéral ne lève le petit doigt… Il a fallu 100 ans et la menace de sécession du Québec pour que l'on entreprenne sérieusement de réparer ces injustices, et les combats se poursuivent encore en 2015 devant les tribunaux… De très vieilles chicanes, très actuelles…
Passons sur les crises de la conscription pour atterrir aux années 1960, où, comme le disait le slogan électoral des libéraux autonomistes de Jean Lesage, c'était «le temps que ça change» et que l'on devienne «maîtres chez nous». La nation, plus québécoise que canadienne depuis longtemps, veut de plus en plus voler de ses propres ailes. Fédéralistes comme indépendantistes s'entendent là-dessus, tout en divergeant sur l'objectif final. Et la langue française, comme toujours en péril, a besoin de protection, tant au Québec qu'ailleurs au Canada.
Il existait une marge de manoeuvre mais la Constitution de 1867 avait besoin d'être dépoussiérée. Faut-il se surprendre que le Québec se soit retrouvé le plus souvent seul contre Ottawa et les autres capitales «provinciales», et que les pourparlers constitutionnels soient paralysés depuis un demi-siècle, à l'exception du coup d'État de Pierre Elliott Trudeau en 1982? Une constitution modifiée sans l'accord du Québec, ne reconnaissant pas sa spécificité, et qui reste jusqu'à aujourd'hui un document qui refuse d'enchâsser l'existence de la nation francophone du pays. Une autre «vieille» chicane?
L'échec de l'Accord du Lac Meech a provoqué une crise qui a presque abouti à la sécession du Québec lors du référendum de 1995. Est-ce là cette «autre époque» qu'évoque Philippe Couillard? Cela fera 20 ans cette année, et rien n'a été réglé des litiges qui ont suscité la démarche référendaire de 1980 et de 1995. Ottawa est même venu jeter de l'huile sur le feu avec sa loi sur la clarté, affirmant ainsi son «droit» d'encadrer toute démarche sécessionniste d'un État membre de la fédération…
En 2015, des francophones hors-Québec continuent de parader devant les tribunaux pour tenter d'affirmer des droits linguistiques qui auraient dû être reconnus depuis 1867 et dont les Anglo-Québécois n'ont jamais été privés. En 2015, Ottawa continue d'envahir les champs de compétences des provinces (peu importe le parti, le NPD comme les autres…) et de s'opposer à toute démarche qui verrait le Québec affirmer des valeurs autres (laïcité, principes républicains) ou s'épanouir davantage sur le plan international...
En 2015, aucun parti pan-canadien ne défend réellement les principes du fédéralisme dans la mesure où ils pourraient servir les aspirations du Québec et des francophones. Sur le plan de la laïcité, le «bloc» canadien rampe devant les excès du multiculturalisme religieux. Politiquement, entre l'obscurantisme style «terre brûlée» des conservateurs, le «je-mettrai-toujours-le-Québec-à-sa-place» des libéraux et les visées centralisatrices du NPD, mixture rendue encore plus toxique par l'à-plat-ventrisme du gouvernement Couillard et l'émergence d'un pseudo-souverainisme rose-nanane, les choix électoraux sont clairs pour les Québécois qui rêvent toujours d'un pays à leur image.
Dans le livre de Gilles Laporte, j'ai découvert un certain Lucien Gagnon, que je ne connaissais pas. Un cultivateur à Saint-Valentin, lieutenant de Robert Nelson, signataire de la déclaration d'indépendance du Bas-Canada, vaillant combattant contre la répression militaire britannique, ruiné (ainsi que sa famille) par son adhésion au parti patriote, exilé parce que sa tête était mise à prix, son corps rapatrié par son épouse en 1842, vêtu de la tuque bleue et d'étoffe du pays conformément à ses dernières volontés. Il voulait rentrer dans un Bas-Canada en paix, indépendant, libre, démocratique et laïc. Son rêve reste inachevé. Le rêve d'une autre époque? Le rêve de toutes les époques...
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* Brève histoire des patriotes, par Gilles Laporte. Éditions Septentrion, 2015. 362 pages.
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