mercredi 26 août 2015

S'en aller au Québec ou rester en Ontario?

Je ne peux passer sous silence la réplique de mon ancien collègue Denis Gratton (http://bit.ly/1EW0l9j) à une lettre d'un lecteur de Gatineau invitant les francophones hors-Québec à «quitter le Canada pour venir (habiter) dans leur seul pays, le Québec» (voir image ci-dessous). Sans douter de la bonne foi de l'un et de l'autre, du correspondant comme du chroniqueur, voilà une question qui mérite certes d'être soulevée et débattue, mais de manière raisonnable, en se fondant sur la réalité de l'histoire et sur des données factuelles permettant d'appréhender le contexte actuel.

(La chronique de Denis Gratton constitue une réponse exclusivement franco-ontarienne à une lettre qui visait l'ensemble des Canadiens français et Acadiens des provinces à majorité anglophone. Je m'en tiendrai donc à la situation de la francophonie ontarienne, celle que je connais le mieux.)

Je peux comprendre qu'un Franco-Ontarien désire rester chez lui, dans le milieu où il y a grandi, dans ce pays de ses parents et grands-parents, plutôt que d'avoir à se déraciner et à s'installer au Québec. Et on peut bâtir un solide argumentaire autour d'une telle décision. Mais je peux aussi comprendre qu'un Franco-Ontarien décide de traverser la rivière des Outaouais, passer de l'autoroute 417 aux panneaux fleurdelisés de la 40, pour des motifs tout aussi défendables. C'est ce que j'ai fait. Et je suis loin d'être seul. Le premier, comme le second, ont raison en fonction de leur point de vue.

Les deux approches ne sont pas incompatibles, d'ailleurs. Elles semblent le devenir quand on les présente dans des textes d'allure confrontationnelle, ou que l'on coupe les coins un peu ronds à des fins de concision (espace limité dans un journal) ou autres… Je n'ai pas l'intention de mettre les points sur tous les «i» dans cette affaire, mais certains éléments de la discussion méritent d'être soulignés pour tenter de remettre sur les rails ce qui pourrait devenir un échange valorisant, tant pour les Québécois que pour les Franco-Ontariens.

Lettres parues dans Le Droit, mardi 25 août 2015

«Venir au Québec»?

Commençons par la lettre de M. Rousseau. Ce dernier, se demandant pourquoi les francophones hors-Québec ne «quittent pas le Canada», mentionne qu'un nombre appréciable d'Anglo-Québécois ont déménagé en Ontario ou ailleurs au pays après l'élection du PQ en 1976. Il serait intéressant de vérifier les données de mobilité interprovinciale depuis les années 1960, parce que j'ai la conviction que des milliers de Franco-Ontariens (des dizaines de milliers?) ont justement franchi la frontière pour élire domicile au Québec, et ce, pour toutes sortes de motifs - économiques, culturels et politiques.

Dans ma paroisse à Ottawa (St-François d'Assise), nous avions un «cercle» de l'Association de la jeunesse franco-ontarienne de 1957 à 1967. En 1963 ou 1964, je me souviens d'une conférence où le vieux patriarche franco-ontarien, Séraphin Marion, nous avait incités à déménager au Québec pour sauver notre langue et notre culture. Et en 1977, lors d'une assemblée de retrouvailles, nous avons constaté que la moitié des anciens membres présents avaient désormais des adresses québécoises… Alors, avis à M. Rousseau… De nombreux Franco-Ontariens (et sans doute des francophones d'autres provinces) sont effectivement retournés à la terre des ancêtres, dans le bassin du Saint-Laurent. Et de nombreux Québécois sont arrivés en Ontario...

Quant au discours que tiennent les francophones hors-Québec, Franco-Ontariens et autres, en période référendaire, il est vrai que l'on pouvait difficilement s'attendre à un alignement des minorités sur les options des souverainistes. Par contre, leur opposition au camp du «Oui» ne s'accompagnait pas d'une litanie de louanges à-la-Jean-Chrétien pour le «beau-et-grand-bilingue-pays» et «nos Rocheuses». Et les organisations des minorités francophones manquaient rarement d'affirmer - tout en souhaitant la victoire du Non - leur respect pour le droit du Québec à l'autodétermination.

La championne des Franco-Ontariens dans la lutte pour sauvegarder l'hôpital Montfort, à Ottawa, Mme Gisèle Lalonde, avait d'ailleurs brandi comme menace - advenant la disparition de l'hôpital francophone - un silence total des Franco-Ontariens lors d'un éventuel troisième référendum québécois…


«C'est notre place»?

Passons maintenant à la réplique du chroniqueur du Droit, Denis Gratton. S'il avait bâti un solide plaidoyer fondé sur le fait que les Franco-Ontariens sont ici «chez eux», sur leur enracinement depuis quatre siècles, sur l'importance de maintenir des avant-postes de la francophonie à l'extérieur du Québec (peu importe le statut politique de ce dernier), sur la valeur des combats linguistiques qu'ils ont été obligés de mener depuis près d'un siècle et demie, sur l'expertise qu'ils ont accumulée, sur l'apport des collectivités francophones et de la langue et de la culture françaises à l'ensemble de l'Ontario (où près d'un million d'anglophones et d'allophones parlent français), c'aurait été largement suffisant pour l'armature d'une réponse fort convaincante à M. Rousseau.

Il consacre plutôt la moitié de son texte à prétendre que les Franco-Ontariens n'ont pas été «persécutés», et que les injustices subies à l'époque du Règlement 17 ont été largement corrigées. Dans le cas Montfort, il attribue l'attitude du gouvernement Harris à l'«ignorance crasse». L'histoire des minorités francophones depuis la Confédération contredit nettement cette thèse. Si le mot «persécuter» a un sens (définition du Larousse: poursuivre quelqu'un, des groupes, les opprimer pour des motifs religieux ou politiques), les francophones hors-Québec ont été persécutés.

Du rapport Durham proposant une solution finale au problème d'une nation francophone (son assimilation) à l'Acte d'Union qui minorisait les francophones et interdisait leur langue, puis à la Confédération qui créait une réserve bilingue au Québec sans offrir de protection aux francophones des autres provinces, jusqu'à la suppression systématique des droits scolaires (et autres) des minorités canadiennes-françaises et acadiennes, suivie d'une lenteur exécrable à entreprendre des correctifs (finalement imposés par la menace de sécession du Québec et les tribunaux appliquant l'article 23 de la Constitution de 1982), il y avait clairement «persécution» par l'intention, par les décisions prises et par la répression subséquente.

Et faut-il - encore - rappeler que les gouvernements ontariens n'ont jamais corrigé les injustices historiques envers les francophones de plein gré? Dans les années 1960, ils ont agi sous la menace de dislocation du pays. Dans les années 80 et 90, ils se sont fait dire par la Cour suprême que les minorités francophones avaient un droit constitutionnel à la gestion de leurs réseaux scolaires. Et la victoire dans l'affaire de l'hôpital Montfort résulte de décisions de tribunaux également… Et ce n'est pas fini… les Franco-Ontarens n'ont toujours pas de réseau universitaire bien à eux…

Le Québec et les minorités

Quant aux rapports entre le Québec et les collectivités canadiennes-françaises et acadiennes des autres provinces, je n'ai jamais manqué de dénoncer l'indifférence - que je juge suicidaire - de trop de Québécois (voir mon blogue http://bit.ly/11plCpt) à leur endroit. Mais le défaut, c'est de croire que cet éloignement entre le noyau de la nation et ses avant-postes ailleurs au pays constitue une invention récente, attribuable à la montée du mouvement souverainiste et déployée au grand jour lors des États généraux du Canada français de 1967.

Le récent volume d'une équipe de chercheurs sur le Règlement 17 démontre que - pour les Franco-Ontariens du moins - l'éclosion d'une identité «provinciale» remonte au début du 20e siècle, et qu'en dépit de moments intenses où l'unité canadienne-française s'est refaite (Règlement 17, Montfort), les différences entre le peuple du bassin du Saint-Laurent et ses ramifications ailleurs en Amérique du Nord se sont malheureusement accentuées, mais sans qu'il n'y ait de volonté ou d'intention orchestrées…

Les efforts de rapprochement entre le Québec et les francophones du reste du pays depuis plus d'une vingtaine d'années constituent une initiative heureuse qui a tout avantage à s'intensifier, tant pour le Québec (qui a tout à gagner à prendre connaissance de l'expertise des organisations francophones hors-Québec) que pour les collectivités francophones elles-mêmes (qui ont besoin d'un Québec français, fort et autonome, comme pilier). Et cela ne changera pas, peu importe la direction constitutionnelle que choisira le Québec dans les décennies à venir…

L'Ontario, c'est «notre» place? Oui, bien sûr.
Venir au Québec? Oui, bien sûr.
S'en parler davantage? Oui, bien sûr!






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