Photo parue dans L'Acadie Nouvelle du 20 août 2015
En Acadie comme dans le reste du pays, le respect du français passe souvent par de grands combats historiques, politiques ou judiciaires. Mais la profondeur des comportements respectueux envers le français se mesure dans les détails du quotidien, dans les localités, dans le service et dans l'affichage. Et c'est peut-être à ce niveau qu'il faut exercer la plus grande vigilance. À la longue, les petits irritants nous minent tout autant que les grandes confrontations.
C'est ainsi que j'ai un peu sursauté en lisant cette histoire parue le jeudi 20 août dans le quotidien L'Acadie nouvelle (http://bit.ly/1E8D3BN). De fait ce n'était pas tellement la nouvelle elle-même que la photo qui la surplombait. Une affiche aux allures très officielles de Bathurst, petite ville mi-française mi-anglaise située dans la région acadienne du Nouveau-Brunswick, sur laquelle on évoque son jumelage avec la municipalité de Saint-Aubin Sur Mer, en France.
Ce qui m'a frappé, c'est la priorité de l'anglais sur l'affiche, alors qu'à Bathurst, les citoyens de langue maternelle française sont plus nombreux que ceux de langue maternelle anglaise, et que ce jumelage avec une ville de France (donc de langue française) célèbre entre autres la participation acadienne au débarquement du 6 juin 1944 an Normandie. Et pour doubler ce tort d'un affront, on écrit «St. Aubin» (à l'anglaise) au lieu de l'appellation réelle, Saint-Aubin…
Je ne sais pas si quelqu'un a protesté, mais quelqu'un aurait dû. Peut-être cela a-t-il déjà été soulevé par des Acadiens de l'endroit ou par les organisations acadiennes. Quoiqu'il en soit, si cette affiche existe toujours, il est encore temps de faire amende honorable. Pourquoi? D'abord parce qu'il y a une faute grave dans le nom de la municipalité française, et secundo, par respect élémentaire pour les Acadiens de Bathurst et du nord du Nouveau-Brunswick.
Au fond, c'est bien plus qu'une question de nombres et de proportion de francophones. J'a visité le mois dernier la péninsule de Port-au-Port, à Terre-Neuve, où les francophones forment tout au plus entre 5 et 10% de la population. Mais comme c'est un territoire ancestral acadien, on voit à certains endroits un affichage officiel où la langue française a la priorité, y compris sur les dépliants touristiques dans les centres d'information régionaux et provinciaux.
Dépliant officiel offert dans un bureau de tourisme à Terre-Neuve
Pour ce qui est de la région de Bathurst, ce que je crains le plus, comme dans la plupart des milieux urbains ou semi-urbains hors-Québec où vivent des proportions appréciables de Canadiens français ou d'Acadiens, c'est que ce manque de respect pour le français et pour les francophones soit un symptôme d'une assimilation insidieuse, d'un bilinguisme anglicisant qui s'infiltre jusque dans l'identité (les francophones formant la majorité des bilingues et les anglos la majorité des unilingues…).
Aussi ai-jeté un coup d'oeil sur les recensements de 1971, puis de 2006 et de 2011 pour établir un portrait et ce que j'ai trouvé n'est guère rassurant, compte tenu que Bathurst se trouve dans une région à majorité acadienne. La proportion de francophones selon la langue maternelle a très légèrement diminué en 40 ans (de 1971 à 2011), passant de 52% à 49%, mais la proportion de francophones selon la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) a chuté, elle, de 45% à 39%.
Non seulement la ville s'anglicise-t-elle, mais le taux d'assimilation - chez les francophones - est passé de 13% en 1971 à 20% en 2006, puis à 22% en 2011… Et, bien sûr, plus de 60% des anglophones sont unilingues, alors que plus de 80% des francophones sont bilingues… La glissade vers l'anglais s'accélère… ce qui n'est pas le cas dans des régions comme Caraquet ou Edmunston…
Revenant à l'affiche du jumelage de Bathurst et Saint-Aubin sur mer (je l'ai trouvé épelé de trois façons sur le site officiel de la municipalité en France mais jamais avec «St. Aubin»), certains pourraient dire que c'est s'énerver pour bien peu… Je répondrai que de nombreux Franco-Ontariens ont lutté pendant des années pour s'assurer du «é» sur les pancartes municipales (et autres) du secteur Orléans de la ville d'Ottawa. C'est Orléans, et non Orleans… Et ils ont gagné.
On me dira peut-être de me mêler de mes affaires… Enfin si j'ai tort, je n'aurait aucune hésitation à le reconnaître...
Commentaire Facebook de Guy Pouliotte, opportun: «On pourrait aussi souligner, je crois, un anglicisme. Il faut dire jumelée à et non jumelée avec.»
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