La clarté d'une idée, et la clarté des mots pour l'exprimer demeurent aujourd'hui au coeur des projets individuels et collectifs. J'ai repensé à tout ça quand j'ai lu, ces derniers jours, les propos tenus par un des ténors du Parti québécois, Bernard Drainville, à son retour d'Écosse, et les réactions d'un des ténors du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion. M. Drainville applaudissait, à la grande satisfaction de son «collègue» Dion, le libellé ainsi que la clarté de la question référendaire écossaise qui se lit comme suit (traduction): «L'Écosse devrait-elle être un pays indépendant?»
Les Québécois ont vécu deux référendums de ce type (1980 et 1995), et tout en ne doutant pas une seconde que chacun, chacune ait parfaitement compris le sens de son «oui» ou son «non», les énoncés n'avaient pas la limpidité de celui de l'Écosse. Voici notre question référendaire de 1980, qu'il est impossible de lire à voix haute sans avoir eu à reprendre son souffle à quelques reprises :
«Le Gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d'en arriver, avec le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de l'égalité des peuples; cette entente permettrait au Québec d'acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir les impôts et d'établir des relations extérieures, ce qui est la souveraineté, et, en même temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant l'utilisation de la même monnaie; aucun changement de statut politique résultant de ces négociations ne sera réalisé sans l'accord de la population lors d'un autre référendum; en conséquence, accordez-vous au Gouvernement du Québec le mandat de négocier l'entente proposée entre le Québec et le Canada?»
Ouf… En 1995, après un début plus clair, la question - plus courte - se terminait dans la confusion si le citoyen appelé à voter n'avait pas lu un projet de loi et une entente… Voici le libellé : «Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et l'entente signée le 12 juin 1995?» On notera dans les deux questions que le PQ avait préféré le mot «souveraineté» à «indépendance» ou, pire, «séparation» (une préférence fédéraliste…), espérant sans doute au sein du public une perception plus favorable du mot «souveraineté»… et de l'expression «souveraineté-association», encore plus rassurante…
Le gouvernement Chrétien avait eu la frousse, le «oui» raflant près de la moitié des voix. Il s'en était fallu de peu… Ottawa a demandé l'avis de la Cour suprême, avec la quasi certitude que le plus haut tribunal du pays (où tous les juges sont nommés par le premier ministre fédéral) jugerait à la fois illégal et illégitime le principe même d'un référendum sur la «sécession» du Québec ou de toute province de la fédération. J'ai la conviction qu'on a dû lâcher quelques jurons dans les officines du premier ministre Chrétien en lisant le paragraphe qui suit, tiré de l'avis juridique de 1998:
«Nos institutions démocratiques permettent nécessairement un processus continu de discussion et d'évolution, comme en témoigne le droit reconnu par la Constitution à chacun des participants à la fédération de prendre l'initiative de modifications constitutionnelles. Ce droit comporte l'obligation réciproque des autres participants d'engager des discussions sur tout projet légitime de modification de l'ordre constitutionnel. Un vote qui aboutirait à une majorité claire au Québec en faveur de la sécession, en réponse à une question claire, conférerait au projet de sécession une légitimité démocratique que tous les autres participants à la Confédération seraient dans l'obligation de reconnaître.»
Le ministre Stéphane Dion avait beau avoir répondu à l'avis de la Cour suprême avec sa Loi sur la clarté référendaire en 2000, loi d'ailleurs outrancière et inapplicable, le principe était établi. Le Québec, avec un mandat clair, avait le droit légitime d'obliger Ottawa et les provinces de négocier son accession à l'indépendance. Comme il fallait s'y attendre, le mot «clair» est devenu le mot clé. Une majorité claire? Le débat se poursuit là-dessus, quoique le seuil de 50% plus un paraît recueillir le plus d'appuis, au Québec du moins. Un des grands partis fédéraux, le NPD, accepte le 50% + 1 comme majorité claire… Justin Trudeau propose les deux tiers… un seuil qu'il sait impossible à atteindre… On ne fera pas consensus là-dessus de si tôt…
Sur le libellé d'une future question référendaire, cependant, une lueur semble apparaître au bout du tunnel avec la similitude des propos tenus par deux adversaires acharnés, Stéphane Dion et Bernard Drainville… Une question à l'écossaise rallierait sûrement les Bernard Landry et le nouveau chef du Bloc québécois, Mario Beaulieu. Et qui sait, les choses étant ce qu'elles sont depuis l'élection du 7 avril, si d'autres indépendantistes ne seront pas séduits pas cette approche plus directe, sans détours? Un «oui» collectif (hautement improbable dans le contexte actuel) à une question sur laquelle fédéralistes et indépendantistes se seraient mis d'accord aurait plus de poids auprès d'Ottawa et du Canada anglais…
C'est peut-être le moment idéal de tenter de «clarifier» les enjeux et les mots pour les définir. On est loin de 1961, quand Marcel Chaput avait lancé sa première campagne en faveur de l'indépendance. Son manifeste, publié aux Éditions du Jour, s'intitulait Pourquoi je suis séparatiste. Ayoye… ça ne passerait pas aujourd'hui… «Le monde est fait de séparatistes. L'homme maître chez lui est séparatiste. Les cent nations de la terre qui cherchent à conserver leur identité nationale sont séparatistes. (...) Et même vous qui souhaitez le rapatriement de la Constitution canadienne, vous êtes séparatiste», écrivait Marcel Chaput dans son avant-propos. Ce discours n'a pas duré très longtemps…
Quand le RIN a pris du galon dans les années qui ont suivi et lancé son journal, il l'a appelé L'indépendance et non La séparation… Indépendantiste faisait plus positif que séparatiste… Et vers la fin de la décennie, avec l'arrivée de René Lévesque, on a troqué largement l'indépendance pour la souveraineté… et même la souveraineté-association. On a dilué encore davantage dans les années 1970 avec Claude Morin et son étapisme, pour aboutir à la monstrueuse question de 1980… avec les résultats que l'on connaît.
Après plus de cinquante ans de débats où le choix des mots a souvent été au coeur de la discorde, nous n'avons pas réglé grand-chose… Sur le plan constitutionnel, avec le rapatriement unilatéral de 1982, le Québec a même reculé… La reconnaissance du Québec comme «nation» par la Chambre des communes à Ottawa a une valeur essentiellement symbolique… Le seul véritable gain a été la reconnaissance - juridique et politique - du droit du Québec à l'autodétermination, c'est-à-dire de sa souveraineté.
En participant aux deux référendums, les partisans du «non» ont reconnu la légitimité du processus et accepté, en votant, de s'y soumettre. Le Québec est souverain, la Cour suprême l'a reconnu en 1998. Il peut exercer cette souveraineté en faveur de l'accession à l'indépendance, ou en faveur d'un maintien du lien fédéral. Même s'il cède au pouvoir central des pouvoirs importants, même s'il confie à la fédération une partie de sa souveraineté, il a toujours le droit d'obliger ses partenaires fédéraux à renégocier en tout ou en partie avec l'assentiment d'une majorité «claire» à une question «claire».
Si Bernard Drainville et Stéphane Dion pouvaient s'entendre sur une question comme Le Québec devrait-il être un pays indépendant?, quelque chose d'important aurait bougé...
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