jeudi 21 août 2014

À la recherche de Séraphin Marion...

Séraphin Marion, 1896-1983

Est-ce ma curiosité naturelle ou l'instinct du vieux journaliste? Les questions sans réponse m'irritent… Dans un texte de blogue du 29 mai (la veille de mon «congédiement» comme éditorialiste au Droit), j'abordais la question de la francophonie dans la ville d'Ottawa, sujet à la mode ces jours-ci avec la campagne en faveur d'une désignation bilingue de la capitale canadienne.

Partant d'un texte plus que soixantenaire de Séraphin Marion (revue Vie française, 1951), dans lequel le patriarche ottavien prédisait un avenir rayonnant à la communauté franco-ontarienne locale, alors en plein essor, je ressassais mes souvenirs d'une conférence du même M. Marion vers 1963 ou 1964… où le ton était devenu sombre, pessimiste (http://bit.ly/1tU5A4W). Et je m'interrogeais - sans trop de succès - sur les motifs réels d'un contraste si saisissant en une douzaine d'années à peine…

Une recherche sur Internet n'ayant rien dévoilé de concluant, Séraphin Marion étant mort en 1983, soit une bonne décennie avant l'explosion numérique du Web, j'ai vite orienté mes fouilles ailleurs. J'avais redécouvert la trace de la biographie de M. Marion, rédigée par le père Paul Gay (Oblat) et publiée en février 1991 aux Éditions du Vermillon. Les chances de trouver un volume vieux de 23 ans dans les librairies locales étant presque nulles, je résolus de communiquer avec l'éditeur.

M'étant aperçu que Vermillon avait pignon sur rue à Ottawa, au 305 de la rue St-Patrick, j'y suis allé directement. L'éditeur occupe une vieille maison à pignon dans la Basse-Ville, là où battait jadis le coeur francophone de la capitale. Sans la bannière rouge «Les Éditions du Vermillon», on pourrait imaginer une maison ouvrière typique fin 19e siècle. Ne sachant trop à quoi m'attendre, je frappe et un individu entrouvre la porte d'un air quelque peu méfiant, semblant plutôt surpris de ma visite inattendue…

L'ayant informé de mon désir d'obtenir la biographie de Séraphin Marion, le sourire lui revient vite. C'était, dit-il, un des premiers livres publiés par Vermillon, presque oublié aujourd'hui, et il s'étonne que je sois le deuxième en deux jours à en faire la demande… Le temps qu'il en déniche un exemplaire, j'ai la chance d'observer la pièce (et ce n'est pas la seule) où les livres sont empilés sur des étagères, du plancher au plafond. La vie entière de Vermillon s'étale pèle-mêle devant le visiteur... un véritable trésor d'oeuvres sans doute irremplaçables. Est-ce ainsi à l'étage supérieur? Sans doute…

Dans cette ambiance livresque d'une époque menacée, celle de l'imprimé, il n'y a pas de caisse enregistreuse ou de connexions débit/cartes de crédit… Avez-vous la monnaie exacte, me demande le responsable. Un vingt, un cinq, il me manque un huard et 25 cents, que j'avais heureusement dans la voiture garée sur la rue voisine. Il faudra que je revienne ici un jour, juste pour voir… j'apporterai au cas où quelques billets de vingt dollars et de la monnaie… Enfin, me voilà avec mon exemplaire de la biographie de Séraphin Marion…

Voilà certes un volume qui porte la marque de son auteur. Ancien professeur de lettres françaises à l'Université d'Ottawa, le père Paul Gay livre ici Séraphin Marion comme s'il s'agissait d'un cours à ses étudiants et étudiantes de la faculté des Arts… Et voilà, la réponse… Le parcours essentiellement littéraire ce cet érudit change tout à coup en 1960 avec l'aube de la Révolution tranquille. Séraphin Marion découvre avec un certain enthousiasme la nouvelle génération de rédacteurs indépendantistes québécois.

À noter: ce Franco-Ontarien d'Ottawa alors âgé de 64 ans fait connaître ses opinions par l'intermédiaire d'une chronique dans l'hebdomadaire franco-américain(!) Le travailleur, de Worcester (Massachusetts). Le cheminement tortueux d'un Ontarien francophone qui s'engage en faveur du Québec dans une publication des États-Unis est en soi un phénomène d'une autre époque, témoignant de l'ancienne fraternité et solidarité issue de liens tissés depuis le 19e siècle entre les différentes collectivités francophones de l'Amérique du Nord.

Le père Gay mentionne qu'en décembre 1961, Séraphin Marion «appuie hautement» le livre de Marcel Chaput, Pourquoi je suis séparatiste. Un an plus tard, en décembre 1962, toujours dans les pages du Travailleur, il observe «que les tenants de l'indépendance ont servi le Québec, puisque tous les partis fédéraux font des "mamours" au Québec»… Plus tard dans la décennie, il applaudira le général De Gaulle et l'arrivée de René Lévesque et du Parti québécois, sans jamais pour autant renier son combat en faveur des droits linguistiques des minorités francophones hors-Québec, les Franco-Ontariens en particulier.

C'est ainsi qu'au-delà de la découverte du merveilleux capharnaüm de la vieille maison des Éditions du Vermillon, à Ottawa, ma quête d'un chaînon manquant dans la vie de Séraphin Marion m'a permis de trouver la réponse à une autre question qui ne chicotait sans doute que moi dans cet univers… Ainsi le grand casse-tête prend forme avec une importante pièce bien placée… Je comprends mieux les paroles douces-amères prononcées par le vieux patriarche en 1963 ou en 1964…

Ce qui pourrait sembler contradictoire à plusieurs - la sympathie pour la cause indépendantiste d'un Franco-Ontarien enraciné - ne l'est pas vraiment. Il est loin d'être seul dans son bateau… Je termine avec cet hommage de sa fille Colette Marion, rendu en 1984, l'année après sa mort: Séraphin Marion était, écrit-elle, «fidèle à ses croyances de jeunesse, fidèle à ses traditions ancestrales, entièrement donné à sa famille immédiate comme à la grande famille canadienne-françase où il avait plongé ses racines; un homme voué à un idéal apparemment inaccessible, exigeant toutes les ressources de son cerveau et de son coeur, et qui, vers la fin de sa vie, loin de s'éteindre, brilla de ses plus beaux feux».

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J'oubliais… une question reste sans réponse… Qui était cette personne qui avait demandé, un jour avant moi, un autre exemplaire du livre du père Gay sur la vie de Séraphin Marion? Ça me chicote…




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