Le Parlement vu du Musée de la guerre
Vendredi soir, au Festival de montgolfières de Gatineau, en entendant Paul Piché, Michel Rivard, Zachary Richard et Patrick Norman entonner l'un des hymnes de Beau Dommage, Le blues de la métropole, j'ai repensé à la semaine qui s'achevait. Mon épouse ayant décidé de s'offrir quelques jours de vacances en fin d'été, nous voulions, sans quitter la région, faire plus que de la télé, du ménage ou lire sur la balançoire (météo permettant) en sirotant une limonade…
Nous avions entendu parler de Mosaika, un «son et lumière» sur la Colline parlementaire, à Ottawa. Ayant eu la chance de voir une magnifique projection audiovisuelle sur la cathédrale de Rouen, à l'automne 2013, on s'est dit qu'il y avait là, sans doute, un projet intéressant. Et la publicité de Patrimoine canadien semblait à prime abord prometteuse: «Par la magie du son et de la lumière, ce saisissant spectacle nous fait vivre un voyage inoubliable à la découverte des paysages, de l'histoire et de la culture (une seule, oui…) du Canada. Ne manquez pas ce spectacle bilingue gratuit.»
Alors hop! Ce beau lundi soir, 25 août, en route vers le quartier du vieux Marché By, adjacent au secteur des édifices du Parlement canadien. On en profitera pour souper au coeur du Marché, là où, sur certaines rues, on trouve un resto et une terrasse presque à chaque porte… Et me voilà (avec mon épouse, mon frère et son épouse) attablé au bord du trottoir, rue Clarence, sous l'enseigne Cornerstone Bar and Grill, à étudier le menu et zieuter le va-et-vient incessant des passants.
Pour ceux et celles qui connaissent peu Ottawa, la rue Clarence, c'est dans la Basse-Ville, jadis le quartier francophone par excellence de la capitale fédérale. La communauté canadienne-française s'est largement disloquée dans ce quartier devenu touristique et ceinturé de tours de condos, mais on y entend parler français - dans la rue et dans une grande partie des commerces - tout le temps. Pas majoritairement, mais assez pour attester d'une forte présence… S'il y a un coin de la ville où on devrait pouvoir s'attendre à être servi en français, c'est bien celui-là…
Mais ce soir-là, dans ce restaurant où, par ailleurs, nous avons très bien mangé, j'aurais pu m'adresser en ourdou, en magyar ou en chinois et on m'aurait peut-être répondu par l'habituel Sorry, I don't speak French… Quand la jeune serveuse a voulu prendre nos commandes, j'ai pourtant prononcé bien lentement «Boeuf et brocoli», mais comme réponse, j'ai eu droit à un regard vide… Il a fallu que je dise Beef and broccoli pour que ses yeux s'allument… Heureusement, le plat état savoureux…
Après une coupe glacée à la crèmerie Piccolo Grande (où cette fois, culture latine aidant, on nous sert dans notre langue), c'est le kilomètre à pied, chaise sous le bras, jusqu'au sommet de la Colline parlementaire où un auditoire pour le moment clairsemé s'installe peu à peu, à une heure du spectacle (qui commence à 21 h 30). La dernière fois que je m'étais retrouvé ici au milieu d'une foule, c'était en février 1965 pour le dévoilement officiel du nouveau drapeau canadien (l'unifolié)… Près de 50 ans, un demi-siècle…
L'illumination du Parlement pendant Mosaika
J'aurais pu choisir une occasion plus mémorable pour y revenir, parce que Mosaika ne remplit pas les promesses de sa pub… L'oeuvre est sans doute professionnelle, mais après avoir vu les tableaux de Monet sur la façade de la cathédrale Notre-Dame de Rouen, mes attentes étaient élevées et en dépit de quelques colorations très réussies, dont celle des coquelicots rappelant les morts de la Première Guerre mondiale, l'ensemble parfois nébuleux laissait à désirer. Peut-être étais-je un peu moins bien disposé, également, en entendant la description soi-disant «bilingue» où, de fait, l'anglais dominait très nettement…. et où l'histoire du pays avait trop souvent un arôme de propagande!
Nous sommes retournés le surlendemain à Ottawa, cette fois pour visiter en long et en large le Musée de la Guerre, situé à quelques centaines de mètres des chutes Chaudière sur les Plaines Lebreton, un ancien quartier pauvre d'où le gouvernement fédéral avait expulsé tous les résidents au milieu des années 1960… Une véritable découverte pour mon épouse et moi! Dans ce musée qui ne célèbre pas, mais pas du tout, la gloire militaire et la guerre (on insiste beaucoup plus sur les horreurs de ces grands conflits), les deux langues officielles du pays sont rigoureusement respectées et j'ai eu la conviction d'un souci réel de raconter les événements historiques avec exactitude.
Oh bien sûr, nous sommes ici en terre fédérale et il ne faut pas s'attendre à trop d'insistance sur les grandes controverses qui ont opposé francophones et anglophones au cours de conflits armés (1812, 1837, 1918, 1942), quoiqu'on ne les passe pas sous silence. Mais au-delà d'un froncement de sourcils quand j'ai constaté que les Acadiens avaient été «expulsés» plutôt que déportés, il est difficile d'espérer beaucoup mieux. On peut passer une journée entière au Musée de la guerre sans risquer de s'ennuyer… Vous pouvez même, dans la boutique de souvenirs, acheter des tee-shirts avec le symbole de la paix, comme à l'époque peace and love de la fin des années 1960… Il n'y avait pas de drapeau des Patriotes de 1837, cependant…
Deux visites fort différentes dans ma ville natale… une première où l'on se sent un peu étranger dans cette capitale d'un pays pourtant officiellement bilingue, et une seconde qui démontre que l'égalité des deux langues est possible avec un peu de volonté et des ressources. On n'a pas besoin d'aller bien loin pour en avoir la preuve… il suffit de franchir le pont des Chaudières (ou l'un des autres ponts) et de traverser à Gatineau. Les anglophones y sont à peine 10 à 15% de la population mais n'ont aucune difficulté à s'y faire servir dans leur langue dans les restos, les commerces et les institutions publiques…
Un matin, cette semaine, en entendant un Anglo plutôt bourru aboyer sa commande impoliment - en anglais - à la préposée d'un Tim Hortons de mon quartier de Gatineau, j'ai songé à ma dernière expérience à un Tim du secteur Orléans d'Ottawa (un quartier à forte proportion de francophones) où, m'adressant poliment en français à la préposée, on m'a vite fait savoir qu'on ne me servirait pas ici dans ma langue… Des cas comme ça, ici, c'est la vie quotidienne…
Retour à la semaine de vacances de mon épouse, que nous avons terminée vendredi au Festival de montgolfières de Gatineau, assistant à une magnifique envolée de ballons, dégustant un excellent repas offert sous la tente par le restaurant St-Estèphe et nous régalant d'un spectacle intitulé Une scène - Quatre voix, une prestation unique préparée spécialement pour le Festival avec, sur la même scène, Patrick Norman, Zachary Richard, Michel Rivard et Paul Piché. Quatre grandes vedettes réunies… un peu comme les Traveling Wilburies, mais au Québec…
Paul Piché (image du Festival)
Du coin de l'oeil, au parc de La Baie (site du Festival de montgolfières de Gatineau), on voit le centre-ville d'Ottawa et le Parlement, à quelques kilomètres, mais on pourrait croire certains jours qu'ils ne sont pas dans le même pays… À Gatineau, on se sent davantage chez nous. On se fait accueillir et servir en français, et les dizaines de milliers de personnes qui nous entourent près de la grande scène chantent en choeur Le phoque en Alaska avec Michel Rivard, Quand on est en amour avec Patrick Norman, L'arbre est dans ses feuilles avec Zachary Richard et Mon Joe avec Paul Piché. Deux heures inoubliables, trop vite passées et un spectacle qui sera, je l'espère, offert en album pour l'ensemble du Québec et de la francophonie canadienne-française et acadienne.
La morale de cette semaine? À chacun de conclure… Quand on a vécu ici toute sa vie, les différences entre le Marché By d'Ottawa et le parc de la Baie à Gatineau, l'un presque en face de l'autre, sur les rives opposées de l'Outaouais, nous paraissent presque normales… Mais d'autres, venus d'ailleurs, gagneraient à en faire l'expérience… disons pendant une semaine de vacances à la fin de l'été…
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