jeudi 31 juillet 2014
Ottawa, ville bilingue?
Je viens de lire dans le quotidien Le Droit un article parlant d'une mobilisation en faveur d'une désignation bilingue officielle pour la ville d'Ottawa. Peu de sujets m'enragent mais celui-là me prend aux tripes. Peut-être parce que je suis né à Ottawa, que j'y ai grandi dans un quartier jadis francophone, parce que j'ai milité pendant une dizaine d'années au sein d'organisations franco-ontarennes et qu'à l'aube de la trentaine, de guerre lasse, j'ai fini par traverser la rivière dans l'espoir de pouvoir enfin vivre en français au Québec. Je ne voulais pas que mes enfants aient à subir ce qu'on faisait subir tous les jours aux francophones de l'Ontario…
Il fut une époque où la reconnaissance officielle de l'égalité du français par la ville d'Ottawa aurait sans doute fait une plus grande différence. Aujourd'hui je n'en suis pas sûr. Je ne peux que l'espérer. Les francophones, il y a un peu plus d'un demi-siècle, formaient le quart de la population de la capitale et dans certains quartiers - la Basse-Ville, St-François d'Assise, ainsi que dans la ville enclavée d'Eastview (Vanier) - la langue de la rue était le français. Ottawa restait unilingue anglaise officiellement, parfois agressivement, mais son tissu social ne l'était pas. En y ajoutant le va-et-vient de la rive québécoise, Ottawa restait - dans l'âme - une ville bilingue depuis le milieu du 19e siècle…
La deuxième moitié du 20e siècle et le début du 21e siècle ont été marqués par un effritement des collectivités francophones de la capitale, usées et affaiblies par un combat centenaire contre un mélange toxique de persécution, d'hostilité, de négligence puis, aujourd'hui, d'indifférence presque bienveillante (genre Jim Watson, le maire actuel). Sous l'effet d'une diversité de facteurs dont l'expansion de l'administration fédérale et la rénovation urbaine, les quartiers franco-ontariens ont éclaté. Les parlant français sont de plus en plus dispersés dans des secteurs désormais, tous, à majorité anglaise. Les seuls véritables espaces francophones qui restent, ce sont à toutes fins utiles les écoles…
Les statistiques d'assimilation sont dramatiques. Le taux d'anglicisation dépasse déjà le tiers et avec l'exogamie majoritaire, ira s'accélérant. Et plus de 90% des Franco-Ontariens se débrouillent bien en anglais, au point où une forte proportion des jeunes générations, sur le plan identitaire, se considère bilingue… et non francophone ou franco-ontarienne ou canadienne-française. Les institutions scolaires de langue française, heureusement excellentes et pleines de ressources, en sont rendues à faire de la «construction identitaire». Au lieu de bâtir sur des assises solides, on tente de sauver les meubles en espérant un avenir meilleur…
Alors quand je retourne dans mon ancien quartier de St-François d'Assise-Mechanicsville et que je vois les blocs d'appartements qui ont remplacé les anciennes maisons (à cause de la proximité du complexe fédéral du Pré Tunney), l'état de délabrement de plusieurs des maisons qui ont malgré tout résisté, la disparition d'une de mes anciennes écoles et la transformation de l'autre en projet de condos, la fermeture de mon église paroissiale (Notre-Dame des Anges) et la départ de l'immense majorité des familles canadiennes-françaises qui avaient fondé cette communauté, j'ai de la difficulté à entreprendre un débat sur le très théorique «bilinguisme officiel» d'Ottawa. Le coeur bilingue de la ville battait ici, chez nous... dans la Basse-Ville aussi. Aucun statut officiel ne pourra le raviver…
Malgré tout, il reste plus de 100 000 francophones à travers la ville, et si ce n'était que pour reconnaître les torts qu'on leur a fait subir depuis plus de 100 ans, la désignation bilingue d'Ottawa serait pleinement justifiée. Mais d'autres arguments peuvent aussi être invoqués :
1. Ottawa reste la capitale d'un pays officiellement bilingue où le français est la langue minoritaire, menacée par surcroit. On pourrait citer en exemple Bruxelles, capitale de la Belgique et officiellement bilingue même si seulement 10% de la population y parle le néerlandais et que la grande majorité est francophone.
2. Même si moins de 15% de la population d'Ottawa est de langue maternelle française, près du tiers des anglophones et allophones (plus de 200 000 d'entre eux) parlent et comprennent le français. Ainsi, entre 35 et 40% de la ville est officiellement «francophone».
3. La ville-soeur québécoise de Gatineau est à 80% francophone; cela fait que dans l'ensemble de la région de la capitale, le tiers des résidents sont de langue maternelle française et plus de la moitié comprennent et parlent le français.
4. La politique de bilinguisme de la ville (http://bit.ly/1xFfbg5), au sens littéral, accorde au français un statut égal à celui de l'anglais. On pourrait argumenter que refuser d'octroyer un statut officiel égal au français contrevient à la politique même que la ville d'Ottawa a adoptée en 2004. Lisez cette politique, ça vaut la peine!
5. Le gouvernement ontarien, dont Ottawa est constitutionnellement une créature, s'est donné comme mandat de protéger et de promouvoir la langue française sur son territoire. Faire d'Ottawa une ville bilingue s'inscrit parfaitement dans cette philosophie.
Aujourd'hui, le combat pour la survie du français se déplace de plus en plus vers le Québec, où d'importantes décisions devront être prises d'ici peu. Mais là, la majorité est francophone et a le droit de prendre les décisions qui la concernent - bonnes autant que mauvaises. Hors-Québec, les minorités francophones seront toujours à la merci des courants de l'heure. Les garanties juridiques - constitutionnelles de préférence - ont fait leurs preuves.
Qu'Ottawa ne soit pas officiellement bilingue s'explique peut-être par le contexte dans lequel la ville a évolué et notamment, par l'hostilité historique des anglophones à l'endroit des Canadiens français. Mais avouons-le: que la capitale d'un pays bilingue ne soit pas elle-même officiellement bilingue est difficile à justifier. Et pour que cet état de fait persiste ici en 2014, il doit y avoir de la mauvaise foi quelque part...
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