Personne ne devrait se surprendre que la Saskatchewan et le
Nouveau-Brunswick se joignent officiellement à la coalition
Ottawa-Ontario-Colombie-Britannique visant à former en «coopération» la
commission pancanadienne des valeurs mobilières dont la création exclusive par
le gouvernement fédéral avait été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême
en décembre 2011.
Le 23 décembre 2011, j'écrivais justement en éditorial dans le
quotidien Le Droit:
«Les cours d'appel de l'Alberta et du Québec avaient déjà donné
raison aux provinces qui s'opposaient au projet de loi visant la création d'une
commission fédérale des valeurs mobilières, présenté par le ministre des
Finances, Jim Flaherty. La Cour suprême ajoute sa voix au concert
juridique qui voit là une intrusion d'Ottawa dont l'objectif et l'effet réel
seraient d'évincer les provinces d'un domaine où leur autorité ne fait pas de
doute.
«Par contre, le ton de la Cour suprême est mielleux. On sent,
dans la décision unanime des neuf juges, plus qu'une simple ouverture vers une
présence fédérale dans la gouvernance des valeurs mobilières. Le ministre
Flaherty a pris acte de la décision et annoncé l'abandon du projet de loi. Mais
ce n'est que partie remise. Il y a fort à parier que les ouvertures de la Cour
suprême trouveront preneurs et que tôt ou tard, ce dossier reviendra sur la
table.
«Stephen Harper n'a pas fini de façonner "sa" Cour
suprême, et les brèches constitutionnelles sont suffisamment grandes pour
permettre l'apparition éventuelle d'un cheval de Troie fédéral dans la
structure actuelle de coopération interprovinciale.»
Le Cheval de Troie d'Ottawa est en place en 2014 et quatre provinces
l'ont enfourché… La Cour suprême, dans un jugement où la solidité de
l'argumentaire constitutionnel se mêlait à un langage échevelé et à des
propositions plus politiques que juridiques, invitait presque le gouvernement
canadien et les provinces à revoir tout le dossier des valeurs mobilières sous
un angle «coopératif», cette approche permettant d'aborder mieux «les problèmes
complexes de gouvernance susceptibles de se présenter dans une fédération».
Si les juges du plus haut tribunal du pays s'y connaissent en
droit, ils sont nettement plus faibles comme théoriciens du fédéralisme et,
parfois, carrément incompétents en matière de langage. Leur emploi incohérent
des mots «national» et «local» - à 115 reprises dans l'avis d'une trentaine de
pages de décembre 2011 sur les valeurs mobilières - témoigne d'une culture
exclusivement anglo-canadienne où les mots national, fédéral et canadien sont
des synonymes (voir http://bit.ly/U5mjFw).
Pour ces juges, une question provinciale est une question
locale. Une question fédérale est nationale. Quelle bêtise. Le Québec est une
nation reconnue par la Chambre des Communes, faute de l'être ailleurs dans le
monde, le Québec a une Assemblée nationale, une fête nationale, une capitale
nationale et ses institutions - y compris l'Autorité des marchés financiers que
voudrait saboter Ottawa - sont des institutions nationales… pas «locales». Que
la Cour suprême ne le comprenne pas ne change rien à cette réalité.
Quant au fédéralisme «coopératif», on sait ce que cela a donné
par le passé… c'est presque toujours une coopération à sens unique, où les
provinces à majorité anglophone s'entendent comme larrons en foire et où les
«nuits des longs couteaux» risquent de devenir la règle. La société
anglo-canadienne - est-ce une «nation» au sens où nous l'employons? - considère
Ottawa comme «son» gouvernement national et n'a aucun problème à lui remettre
les dossiers qu'elle juge pancanadiens, peu importe ce qu'en disent les textes
constitutionnels.
Les Anglo-Canadiens ne connaissent à peu près rien au
fédéralisme, sauf comme rempart contre le départ du Québec, et ne s'y
intéressent pas. Ils s'intéressent aux enjeux et au règlement de ces enjeux. Et
il est normal que ce soit ainsi. Les fédérations ne sont pas des manifestations
de dogmes conçus par des grands prêtres de l'idée fédérale, mais des reflets
d'une société «fédérale», d'une société diversifiée où les grands enjeux se
règlent mieux sous deux ordres indépendants de gouvernements.
Cette diversité est en régression au Canada anglais, où le
gouvernement de référence siège à Ottawa. Alors... que les provinces perdent des
plumes constitutionnelles en santé, en éducation ou en valeurs mobilières les
laisse passablement indifférents. Ce n'est pas le cas au Québec où une nation
essentiellement francophone, fondée sur une langue, une culture et des
traditions juridiques qui lui sont propres, cultive des institutions
nationales autonomes et n'a aucunement l'intention - peu importe ses options constitutionnelles
- de s'identifier au meeting pot anglo-canadien. Ça, Ottawa et la Cour suprême,
et la majorité anglophone du pays, n'y comprennent rien…
Le fédéralisme, coopératif ou pas, n'a jamais sérieusement tenté
de tenir compte de la diversité multinationale du pays. Je le crois incapable
de le faire. Le seul texte qui s'approche d'une solution possible, quoique
improbable, c'est la Déclaration de Sherbrooke du NPD fédéral, qui propose une
fédération asymétrique fondée sur l'identification de deux pôles nationaux,
Québec et Ottawa. Mais ce texte est désormais mort et enterré, surtout après
les quatre partielles du 30 juin…
Alors préparons-nous. Une nouvelle nuit des longs couteaux
s'annonce… et cette fois, ce n'est pas René Lévesque à la barre du Québec… loin de là...
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