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L'église de Sainte-Famille (1749)
Le catholicisme que mes grands-parents ont vécu, comme celui de mon père et ma mère, et celui de ma génération qui a vu la fin de cette époque dans les années 50, était empreint de sévérité. Identifier et nommer les innombrables péchés m'en apparaissait l'activité principale. On nous expédiait en enfer pour tout et pour rien. Trop de prêtres et religieux rôdaient comme préfets de discipline. C'était insupportable et en une génération, les églises se sont vidées...
J'ai la profonde conviction que ce catholicisme n'était pas celui des vieilles générations qui ont bâti et longtemps entretenu les magnifiques églises des six paroisses de l'Île d'Orléans, dont trois ou quatre remontent au régime français. Ces constructions, on le voit, on le ressent, incarnent les élans de solidarité et d'amour d'un peuple jadis soudé à des pasteurs en qui il se reconnaissait, et qui le soutenaient en retour. Elles respirent l'entraide, le bonheur, l'ensoleillement… pas le joug.
En remontant l'allée centrale de l'église vide de Sainte-Famille, érigée en 1749, le plancher de bois craquait sous mes pieds et je n'avais aucune peine à imaginer les bruits de ces hommes, femmes et enfants qui avaient forgé ici une oeuvre fidèle à leur langue, leur culture et leurs traditions, confrontés qu'ils étaient - après 1760 - à des autorités militaires et à une nouvelle aristocratie anglo-protestantes. Du clocher dominant chaque village jaillissaient les aspirations d'un peuple égalitaire, aspirant à la liberté - tant celle de la conscience que celle de la cité.
La chapelle Saint-Pierre (1717): simplicité, enseoleillement
Chacune des églises de l'île - Saint-Pierre (1717), Sainte-Famille (1749), Saint-François, Saint-Jean, Saint-Laurent et Sainte-Pétronille - constitue un joyau patrimonial à protéger sans réserve. Que la ferveur religieuse soit aujourd'hui disparue (du moins chez nous) ne diminue en rien la valeur des bâtiments réalisés par d'anciennes générations dont la foi, faute de transporter les montagnes, nous a laissé ces croix qui annoncent «voici ce que nous étions!» aux visiteurs qui les aperçoivent de loin.
Il est plutôt difficile de retracer des observations extérieures et relativement impartiales de la vie religieuse d'ici avant la seconde moitié du 19e siècle, de cette animation qui a sans doute marqué les paroisses de l'île, ainsi que les autres milieux francophones du bassin du Saint-Laurent. J'ai cependant découvert dans les correspondances d'Alexis de Tocqueville, célèbre philosophe et sociologue français, des commentaires sur la vie religieuse au Bas-Canada du début des années 1830… Ils sont instructifs.
«Le dimanche, écrit-il à l'automne 1831, on joue, on danse après les offices. Le curé lui-même prend part à la joie tant qu'elle ne dégénère pas en licence. Il est l'oracle du lieu, l'ami, le conseil de la population. Loin d'être accusé ici d'être le partisan du pouvoir, les Anglais le traitent de démagogue. Le fait est qu'il est le premier à résister à l'oppression, et le peuple voit en lui son plus constant appui. Ainsi les Canadiens (français) sont-ils religieux par principe et par passion politique.»
Il rapporte aussi une conversation avec un des leaders patriotes, Robert Nelson, protestant soit dit en passant, qui lui dit: «Le clergé ne forme ici qu'un corps compact avec le peuple. Il partage ses idées, il entre dans ses intérêts politiques, il lutte avec lui contre le pouvoir. Sorti de lui, il n'existe que pour lui.» Nelson vante aussi la tolérance du peuple et de ses curés. «Protestant, j'ai été nommé dix fois par des catholiques à notre (législature) et jamais je n'ai entendu dire que le moindre préjugé de religion ait été mis en avant contre moi par qui que ce soit.»
Il louange aussi la sociabilité des Bas-Canadiens, qui les «porte à s'entraider les uns les autres dans toutes les circonstances critiques». Tocqueville n'en conclut pas que le catholicisme en soi pousse à l'égalité et à la démocratie, mais, précise-t-il, «ces catholiques-là sont pauvres» dans un pays où l'aristocratie est désormais protestante (et anglaise)…
L'église de Saint-Jean, adossée au fleuve
J'aime bien croire que cette société était celle qui nous a légué les magnifiques monuments religieux qui s'élèvent dans les campagnes québécoises et dans les régions plus francophones des autres provinces canadiennes. Cela vaut bien la peine de s'y arrêter quelques moments pour imaginer ce que fut leur époque, pour méditer ou prier selon les croyances, et - pourquoi pas? - allumer un lampion pour quelque intention, un petit feu sacré qui brillera quelques jours et rappellera votre présence en ces saints lieux.
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...à suivre.
Votre texte me fait revivre l'atmosphère qui régnait lors de notre visite en 1979... comme dans une église, tout le tour de l'Île... Félix y était... alors...
RépondreSupprimerLes cailloux léchés par le fleuve... les plus beaux souvenirs à rapporter.
Chez Félix, pas de photos, par respect. Un cadeau: son Petit livre bleu... dédicacé.
Avant de retraverser le pont, nous nous sommes arrêtés pour laisser descendre le Sorcier d l'Île comme Félix nous l'avait recommandé...
Votre texte me fait revivre l'atmosphère qui régnait lors de notre visite en 1979... comme dans une église, tout le tour de l'Île... Félix y était... alors...
RépondreSupprimerLes cailloux léchés par le fleuve... les plus beaux souvenirs à rapporter.
Chez Félix, pas de photos, par respect. Un cadeau: son Petit livre bleu... dédicacé.
Avant de retraverser le pont, nous nous sommes arrêtés pour laisser descendre le Sorcier d l'Île comme Félix nous l'avait recommandé...
Texte magnifique, Pierre. Quelles transformations et quels bouleversements que ce peuple a connus! La pendule sociale et religieuse est passée d'un extrême à l'autre. Quel serait le juste milieu?
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