mardi 23 août 2016
Langue gardienne de la foi, ou l'inverse?
Après avoir terminé la lecture d'un livre où l'auteur, un octogénaire franco-ontarien, Elmer Smith, ancien juge de la Cour suprême de l'Ontario, se déclare homme de gauche (vraiment à gauche!) et sympathisant de la cause indépendantiste au Québec, on se demande comment diable un éminent juriste issu de milieux fort traditionnels, conservateurs même, a pu devenir en vieillissant critique acharné du néolibéralisme et s'intéresser aux René Lévesque, Hubert Aquin et Pierre Vallières…
Cette transformation semble avoir été, du moins en partie, le fruit d'une lent bouillonnement contre les excès de l'Église catholique et d'une vie entière d'interrogation sur sa foi en un Dieu quelconque. C'est d'ailleurs le sujet principal de son essai intitulé Un Franco-Ontarien parmi tant d'autres*. Ce titre, soit dit en passant, me semble l'élément le plus discordant d'un livre autrement fascinant. Elmer Smith n'est certainement pas un Franco-Ontarien parmi tant d'autres…
Et pourtant, sa réflexion personnelle sur Dieu et l'infini, quoique pertinente et certainement profonde, m'apparaît moins intéressante que sa fine observation de l'évolution de la collectivité franco-ontarienne, indissociable de sa quête spirituelle. Cette qualité d'un bon juriste, de pouvoir assembler les preuves et d'en tirer un verdict, l'a fort bien servi dans son regard sociopolitique sur les communautés de langue française éparpillées aux quatre coins de l'Ontario.
Dans ses pages de conclusion, Elmer Smith écrit: «Le Franco-Ontarien au fond se définissait par ce qu'il n'était pas: ni québécois ni anglo-ontarien. Tous les Franco-Ontariens étaient membres de ma famille, même les plus hautement acculturés. L'anglicisation n'est pas une tare, mais l'effet d'une société en mutation. Une guerre à finir que le minoritaire ne pouvait pas remporter.»
S'il n'était ni Québécois ni Anglo-Ontarien, le francophone d'Ottawa, Timmins, Sudbury ou Welland était presque invariablement catholique, cependant…
Et c'est ce lien historique entre catholicisme et langue française (langue gardienne de la foi, ou est-ce l'inverse?) que le cheminement d'Elmer Smith contribue à éclairer. La Révolution tranquille au Québec s'était accompagnée d'une laïcisation ultra rapide et quelques décennies plus tard, d'un commun accord, les Québécois ont largué les écoles confessionnelles, tant catholiques que protestantes. Mais même aujourd'hui, en 2016, les écoles franco-catholiques continuent d'exister en Ontario et aucun mouvement ne semble se dessiner en faveur de leur abolition au profit des seules écoles publiques sans confession.
La dynamique langue française-religion catholique est différente dans les provinces où les francophones sont minoritaires. Alors qu'au Québec, la majorité de langue française a la capacité de contrôler l'État et les institutions publiques, les Franco-Ontariens se sont historiquement retrouvés chez eux seulement à l'école et à l'église. Il en serait issu un catholicisme typiquement franco-ontarien qui, pour motifs culturels, a résisté beaucoup plus longtemps aux pressions de laïcisation.
Rappelant des souvenirs d'enfance, Elmer Smith observe: « Si les (Irlandais catholiques) étaient sauvés comme nous, c'était parce qu'ils étaient catholiques comme nous. Mais ils frôlaient l'hérésie parce qu'ils parlaient anglais, langue des protestants, et ils avaient un drôle d'accent quand ils récitaient les prières en latin». Ainsi, dans son coin du Nord ontarien, «nous parlions français tout le temps grâce à l'Église et à la petite école». Certainement pas à l'hôtel de ville, ni au gouvernement, ni à l'usine, où «la présence gênante» des anglophones était dominante.
J'avais déjà effleuré une thématique semblable en 2011 dans un de mes premiers textes de blogue, portant sur mon église paroissiale, St-François d'Assise, à Ottawa (voir bit.ly/157I6zy). J'écrivais alors: «Quand j'étais petit, dans les années 1950, on nous disait que la langue française était gardienne de la foi catholique. En rétrospective, je crois qu'il serait plus juste de dire que la religion, et notamment l'église paroissiale, était la gardienne de la langue française. Du moins chez nous. Sans doute ailleurs aussi. Notre petite Loi 101 bien à nous, en quelque sorte.»
Au fil des décennies, les églises de l'Ontario français se sont vidées elles aussi. Des paroisses canadiennes-françaises sont disparues. Et peu à peu, on en apprend davantage sur le véritable rôle des hautes autorités catholiques, jusqu'au Vatican, qui n'étaient pas vraiment les alliés de la minorité franco-ontarienne opprimée comme on aimait le croire… Mais une forme de catholicisme franco-ontarien semble avoir survécu à l'usure des moeurs et à l'anglicisation accélérée… Il y aurait certainement là un terreau fertile pour de nouveaux chapitres sur l'Ontario français…
Entre-temps, le livre d'Elmer Smith constitue un point de départ des plus opportuns…
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* Elmer Smith, Un Franco-Ontarien parmi tant d'autres, Les Éditions L'Interligne, Ottawa, 2014.
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Drôle de coïncidence, il y a quelques minutes, j'ai repris le bâton du pèlerin pour les fracophones du Pontiac...
RépondreSupprimerDrôle de coïncidence, il y a quelques minutes, j'ai repris le bâton du pèlerin pour les fracophones du Pontiac...
RépondreSupprimerFeu Jean-Paul Desbiens, aussi connu sous le nom de frère Untel, avait lui aussi écrit dans un de ses éditoriaux de La Presse qu'au Québec, c'est finalement la foi qui avait été gardienne de la langue plutôt que l'inverse.
RépondreSupprimerIl le disait avec amertume, lui qui avait vu sa foi, qu'il jugeait encore plus importante que sa langue, déserter le Québec à compter des années soixante.
Et même un athée comme moi doit bien reconnaître que si notre peuple avait été protestant, la langue française n'aurait sans doute pas survécu au Canada jusqu'au XXè siècle.