Au regard de sa mission en matière de francophonie ontarienne, l'Université d'Ottawa s'est discréditée cette semaine en choisissant le président et chef de la direction d'Air Canada, Calin Rovinescu, comme chancelier. Et le pire dans cette affaire, c'est que la nomination de M. Rovinescu a été entérinée par le Bureau des gouverneurs de l'Université, qui compte plusieurs francophones! (voir liste des membres à http://bit.ly/1kMtgsw)
Ce choix n'est pas en soi surprenant dans une université officiellement bilingue où les francophones ne forment qu'environ 30% de la population étudiante… Promenez-vous sur le campus et tendez l'oreille… vous verrez très, très vite quelle langue domine. Personne ne met en doute la qualité relevée de l'enseignement dispensé en français mais en-dehors des salles de classe et de conférences, les espaces francophones s'y font de plus en plus rares...
Depuis trois ans, tenant compte de l'effet assimilateur des institutions bilingues et d'une pénurie dramatique d'offre postsecondaire en français dans plusieurs régions de l'Ontario, le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), organisme représentant les étudiants collégiaux et universitaires de l'Ontario français, a lancé et piloté avec deux alliés majeurs, l'AFO et la FESFO, une nouvelle campagne en faveur d'une grande université franco-ontarienne sous gouvernance francophone.
Or certains des adversaires les plus acharnés du projet d'université de langue française gravitent autour des grandes universités bilingues, dont celle d'Ottawa. En octobre 2014, le recteur de l'Université d'Ottawa, Allan Rock, un anglophone qui se dit francophile, est allé jusqu'à signer un texte d'opinion dans le quotidien Le Droit dans lequel il affirmait ce qui suit:
«Les francophones de l'Ontario ont droit à une université qui sert leurs intérêts. (…) Et cette université existe déjà: elle s'appelle l'Université d'Ottawa. J'invite donc tous les Franco-Ontariens à soutenir leur université, un endroit où la formation en français rime avec excellence, plutôt que de songer à créer un nouvel établissement qui pourrait mettre longtemps à atteindre les mêmes normes de qualité que notre université a si bien su établir et promouvoir.»
L'aspect le plus troublant de cette déclaration de guerre au projet d'université franco-ontarienne, c'est le silence relatif qui l'a suivie. Je m'attendais à une levée de boucliers des milieux les plus militants de l'Ontario français, mais aucune organisation n'est vraiment montée au front contre le puissant recteur anglophone-francophile qui venait de leur faire la leçon… À la gifle, on a largement tourné l'autre joue…
Et maintenant, le PDG d'Air Canada !!!
Et voilà qu'en novembre 2015, cette université qui a refusé de planter un drapeau franco-ontarien géant au coeur du campus (pour ne pas brusquer les anglophones) et qui ferme son monument de la francophonie tous les hivers pour d'obscurs motifs vient de nommer le PDG d'Air Canada au poste de chancelier… Le PDG d'Air Canada, cet organisme de juridiction fédérale qui, plus que la plupart des autres, a eu maille à partir avec les francophones.
Sans même parler de l'affaire Thibodeau, qui a déclenché un torrent de colère haineuse au Canada anglais (pas contre Air Canada, contre M. Thibodeau et les francophones en général), tenons-nous en au rapport le plus récent du Commissaire fédéral aux langues officielles, Graham Fraser. Celui de 2015, ce ne sont pas là de «vieilles chicanes». Voici ce que notre auguste commissaire écrit dans la préface de son rapport annuel au sujet d'Air Canada et de sa direction:
«Dans mes rapports annuels, j'ai régulièrement présenté les plaintes du public voyageur, dont nombre d'entre elles étaient contre Air Canada. Cette année, nous avons fait le suivi d'une vérification portant sur le service au public offert par le transporteur aérien. J'ai été décontenancé de constater que celui-ci n'avait pris en compte qu'une seule des douze recommandations que j'avais formulées à son intention. Personne ne s'attend à la perfection, mais il était préoccupant d'apprendre que la direction de l'institution n'avait pas adopté de mesures pour corriger les mesures signalées.»
Or, le chef de cette direction que blâme le Commissaire aux langues officielles, c'est Calin Rovinescu depuis 2009. C'est sous son règne que s'accumulent toutes ces plaintes contre l'absence ou la pénurie de services en français. C'est sous son règne qu'une seule des douze recommandations de M. Fraser a été prise en compte. Et c'est aussi sous son règne qu'Air Canada n'a pas adopté de mesures pour corriger les fautes répétées du transporteur aérien en matière linguistique…
Et après ces injures répétées aux francophones du pays, y compris ceux de l'Ontario, on le nomme «chef titulaire» d'une université bilingue qui - au dire de son recteur - EST l'université des Franco-Ontariens? À lui la place d'honneur lors des collations des grades, des visites de dignitaires et des autres cérémonies de cette soi-disant université des Franco-Ontariens? C'est un scandale public !
J'ai attendu aujourd'hui, jusqu'en soirée, des protestations qui ne sont pas venues des milieux associatifs franco-ontariens ou de membres du public. Pourtant, l'annonce de la nomination de M. Rovinescu est connue depuis lundi et a fait l'objet de manchettes dans plusieurs médias écrits et électroniques. Il n'y a pas encore eu de suivis dans les journaux ou à la télé (que je sache) sous l'angle linguistique…
S'il y en a, je proposerais au reporter aventureux d'aller voir le texte de la Gazette de l'Université d'Ottawa sur le Web au sujet de la nomination de M. Rovinescu. À comparer les versions anglaise et française, j'ai déduit que l'original était en anglais parce que le sens varie d'une langue à l'autre et que les réponses de M. Rovinescu dans le texte anglais semblent plus fiables. Une des réponses en français ressemble presque aux traductions Google…
Dans un paragraphe, direction en anglais devient «nouvelle direction» en français, Ailleurs ethics devient culture dans le texte français. Mais la meilleure est celle-ci. Allez-y. Comparez vous-même l'anglais au français…
Texte anglais: Question: What do you hope to accomplish during your term? Réponse: Through my experiences and relationships, I hope to continue to build on the university's strong brand and legacy, both on and off campus.
Texte français: Question: Que souhaitez-vous accomplir au cours de votre mandat? Réponse: Grâce à mes expériences et mes nombreux lieux dans diverses sphères d'activités, je contribuerai à rehausser la réputation de l'Université.
On va sans doute changer ce texte français dans les heures ou les jours qui suivent (à leur place je le modifierais, et vite, parce qu'il manque nettement d'humilité et insulte la réputation de l'Université), mais je l'ai imprimé comme preuve que c'était bien écrit ainsi. Voici le lien: http://bit.ly/1MVDeEL. En passant, il a mentionné, sans plus, le caractère bilingue de l'Université d'Ottawa… Ouf…
(Ce matin, jeudi 12 novembre, un changement dans le texte de la Gazette… le mot lieux est devenu liens… c'est un début…)
(Ce soir, jeudi 12 novembre, un changement global de la réponse sur le site Web. C'est pas mal mieux. Voici: «Grâce à mon expérience et à mes contacts, je souhaite renforcer l'image de marque de l'Université, tant par ma présence sur le campus que lors de mes déplacements.»)
Si j'avais une recommandation à faire, ce serait de dire aux quatre ou cinq membres des médias qui siègent au Bureau des gouverneurs de l'Université d'Ottawa, y compris Pierre-Paul Noreau, l'éditeur du Droit, qu'une affaire comme celle-ci pose une question d'éthique et de conflits d'intérêts qui doit être résolue en laissant à d'autres qu'eux le soin de «gouverner» cette université qu'ils doivent aussi «couvrir» et commenter dans leurs pages de nouvelles et d'opinion…
Je ne sais pas si M. Noreau a pris part à la décision concernant M. Rovinescu, mais sa présence à la plus récente réunion du Bureau des gouverneurs (celle du 2 novembre) est confirmée par les pages Twitter du journal étudiant La Rotonde (voir http://bit.ly/1OEQCNK).*
Je ne crois pas que cela ait posé ou pose aujourd'hui de problème dans les décisions rédactionnelles du journal LeDroit, mais il y a nettement apparence de conflit… et rien n'exclut que cela puisse un jour créer de réels problèmes.
Entre-temps, y a-t-il quelqu'un, quelque part, qui va dire à cette université ce qu'elle devrait faire du PDG d'Air Canada?
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* Le service de relations avec les médias de l'Université d'Ottawa a confirmé vendredi (13 novembre) qu'une réunion spéciale du Bureau des gouverneurs de l'institution avait été tenue le lundi 9 novembre (par téléphone apparemment) pour entériner le choix de M. Rovinescu comme chancelier. L'annonce de sa nomination a été faite le jour même…
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